Chapitre 23

L'impression de devoir se laisser aller disparue immédiatement.

"- Ha.. Pardonnez-moi, Yuan Boya."

"- Juste Boya." Aboya encore le jeune homme.

"- Pardonnez-moi, Boya." C'était étrange de se faire autoriser cette familiarité et de se faire sèchement gronder en même temps. "L'hiver est là et avec l'hiver, quelques désagréments que même à mon âge, je peine à maitriser."

Boya faillit poser la question avant de comprendre. Cette impression d'abandon, la délicate fragrance qu'il sentait de plus en plus et qui devait monter de… Oui, ça montait du renard !

Il allait être en chaleur s'il ne l'était pas déjà.

"- Je crains que votre infirmité n'ai permis à votre nez de se développer grandement et qu'il vous permet à présent de sentir, et donc de subir, quelques désagréments de cette période de l'année."

Boya se mis à bafouiller.

"- Je… Je suis désolé. Je n'aurais pas dû… Je…"

"- Ne vous excusez pas. J'ai effectivement laissé mes phéromones se rependre un peu trop mais il est souvent difficile de les contrôler si tôt dans la saison. Ajoutez à cela votre sensibilité et… et bien…" Pas besoin de faire un dessin.

S'il n'y avait pas eu Sha ShengShi qui riait comme un bossu dans leur dos, le renard et le chasseur auraient été tous les deux absolument confus et gênés.

Zhong Xing revint sur ses entrefaites. Il resta interdit un instant de voir son disciple les joues écarlates, le seigneur démon les joues roses aussi mais surtout les queues à l'horizontale et rigides et son shishen hilare derrière eux.
Qu'est ce qui c'était passé ? Quelle gouaillerie avait-il raté ?

"- Dois-je me sentir laissé pour compte ?" Il foudroyait du regard le Seigneur Démon.

Pourquoi avait-il ses queues toutes droites et rigides, là ? Boya n'était pas disponible pour se faire draguer par un seigneur démon. Il était fragile, diminué et même s'il s'était d'après les rumeurs bien amusé avec pas mal de demoiselles pendant la visite du Seigneur Anbei et de sa cour, il s'était justement amusé avec des demoiselles. QUE des demoiselles.

"- Mes excuses, Zhong Xing. L'hiver arrive bien tôt cette année et résonne douloureusement dans mes vieux os."

Zhong Xing l'observa encore par en dessous un moment mais n'insista pas davantage.

"- L'aubergiste a été payé pour les dégâts. Ceux qui ne ronflent pas encore sur le sol ou qui ne s'envoient pas en l'air dans les chambre trouveront bien à rentrer par eux même. Ou attendront qu'un disciple soit capable d'ouvrir un portail." Ce n'était pas comme s'ils étaient au milieu de nulle part. Même s'ils devaient un peu dormir sur le sol, au moins seraient-ils au chaud et à l'abri de l'humidité.

Le Seigneur renard rouvrit un portail pour le grand hall de la secte. Il offrit son bras à Boya pour l'aider à le passer mais le chasseur le dédaigna pour prendre le bras de son shishen. Sha ShengShi avala péniblement sa salive sous le regard jaloux de son maître mais aida Boya à passer le seuil du portail sans se prendre les pieds dedans et risquer de se tuer.

"- Avec tout cela, quelle heure est-il ?" Les os de Boya lui disait qu'il devait être très tard. Ou très tôt.

"- L'heure pour tout le monde d'aller se coucher. Boya, tu peux retrouver ta chambre à partir d'ici ?" Le sous-entendu de Zhong Xing était évident. Avait-il trop bu et avait-il besoin d'aide pour retourner à sa chambre ?

Boya hésita.

"- Je crois que je vais avoir besoin d'aide." Avoua-t-il, honteux. Il n'avait pas trop bu, mais il se sentait surtout totalement épuisé.

Cette fois, c'est Zhong Xing qui lui ouvrit un portail. Boya le passa sans aide cette fois, remercia son chef de secte, Sha ShengShi mais salua à peine le Seigneur Démon.

Dès que le portail se fut refermé sur lui, Zhong Xing croisa les bras sur le torse.

"- Qu'est-ce que vous avez fait pour qu'il vous boude ainsi ?"

QingMing soupira, un peu honteux.

"- Ses sens sont plus sensibles que ceux des autres humains. Il a juste senti mes phéromones et à cru que je tentais de l'envouter."

La colère de Zhong Xing disparue immédiatement.

"- Je lui en parlerais."

"- Je vous en serai gré."

Puis le chef de secte salua les deux démons pour retrouver sa propre chambre lui aussi. Il allait dormir au moins deux jours quand tout serait finit.

Resté seul avec son maître, Sha ShengShi hésita un peu.

"- Seigneur Anbei…"

"- Tu sais que je le veux, n'est-ce pas ?"

"- Il n'est pas mon genre, Maître. Si c'est ce qui vous inquiète. J'ai toujours préféré les filles."

QingMing se pinça la racine du nez entre deux doigts. Il ne le montrait normalement jamais, toujours calme et tranquille, charmeur un peu mais surtout concilient et généreux. Mais intérieurement, il était un renard. Juste un renard. Un renard extrêmement vieux et solitaire qui se languissait de trouver un jour sa moitié. Ou au pire, qui espérait avoir des petits. Il avait plus ou moins abandonné l'idée d'avoir un jour un compagnon ou une compagne. Quand il était plus jeune, ceux qui auraient pu s'intéresser à lui ne voyait que son demi-sang démoniaque. Ou son demi-sang humain. A mesure qu'il vieillissait, prenait en sagesse, en force et perdait ce qui restait d'humain en lui, ceux qui ne voyaient qu'une moitié de ce qu'il était s'étaient tut. Mais les autres, ce qui auraient pu encore le trouver à leur gout n'avaient pas pris le relais pour le séduire ou se faire séduire. S'il était devenu un vrai démon, il était surtout devenu de plus en plus fort. De plus en plus redoutable et redouté.

Ils s'étaient mis à avoir trop peur pour pouvoir lui faire des avances ou accepter sainement les siennes.

Le vieux renard démon était résigné à la solitude depuis des siècles et se satisfaisait de la présence de ses shishen quand il en avait pour lui tenir compagnie ou de ses plus proches amis et conseillers quand il avait fini de soigner les blessés et qu'il les avait relâchés. Des dizaines d'esprits et démons qui étaient devenu ses shishen au court des siècles, il n'y en avait que quatre qui avaient refusés d'être libérés pour rester ses servants. QingMing était persuadé que le jeune démon de pierre qui l'observait avec inquiétude serait le cinquième.

"- Je vais bien, tu sais."

"- Je sais surtout que vous êtes beaucoup trop seul et que toutes les aventures d'un soir du monde ne satisferont jamais votre désir."

Le Seigneur Anbei se renfrogna. Pas parce qu'il se sentait humilié mais parce que Sha ShengShi avait raison et qu'ils le savaient tous les deux.

"- Nous partirons tôt demain. Je suis fatigué de devoir me tenir." Et surtout, il était fatigué de se montrer humain. Sa tanière lui manquait.

Son shishen le suivit jusqu'à ses appartements pour dormir comme depuis leur arrivée, roulé en boule contre le ventre de l'énorme renard démon, bien au chaud sous les queues avec les autres shishen.

Le Seigneur Démon était possessif et protecteur à l'extrême avec les siens. Et c'était pour ça que son Domaine tenait encore debout.

Boya s'était laissé tomber sur son lit, un peu hébété.

La journée avait été étrange, la soirée épuisante et un peu effrayante.

Quelque chose lui avait échappé, il le savait. Il s'était passé quelque chose avec le Seigneur Anbei mais le jeune chasseur n'arrivait pas à savoir quoi exactement. Ses explications lui avaient parues à la fois logique et pourtant incomplète. C'était dans ce genre de situation que ne pas voir le visage des gens lui manquait vraiment. Il n'était pas le meilleur pour lire les intentions des gens sur leur visage mais c'était quand même mieux que rien.
Là… Il ne pouvait même pas utiliser le qi de l'autre pour le lire. Pas lorsqu'il était assez puissant pour aveugler toutes ses perceptions comme avec le Seigneur Démon.
C'était… Bizarre. Suffisamment pour qu'il y pense encore lorsqu'il se laissa glisser dans son bain, puis lorsqu'il referma sa couverture sur ses épaules.

La cloche du petit déjeuner le réveilla bien trop tôt.

Il dut faire circuler longuement son qi dans ses méridiens pour pouvoir se lever. Il n'osait imaginer l'état dans lequel devaient se trouver le reste des fêtards. Enfin… S'ils avaient assez dessoulés pour rentrer évidemment. Ce n'était pas évident.

La secte était bien vide et silencieuse lorsqu'il descendit de sa chambre pour aller manger.

Les activités normales du temple ne reprendraient que le lendemain

"- Bonjour Boya."

"- Zongzhu… Avez-vous dormit ?"

"- Dormir c'est pour les faibles. Je verrais ça après le départ de nos invités." Grogna Zhong Xing dont la voix faisait son âge pour une fois.

"- Je compte bien l'attacher au lit dès que le Seigneur Anbei sera repartit." Rassura Fangyue au bras de son mari.

"- Fangyue !" Gémit Zhong Xing comme un gosse qui ne veut pas aller se coucher.

"- Cessez vos protestations mon ami. Vous êtes ridicule."

Zhong Xing boudait encore lorsqu'il s'assit avec son plateau de petit déjeuner à la grande table de bois dans le grand hall.

Boya s'était servi lui aussi. Les aliments étaient toujours disposés de la même façon et au même endroit sur les tables de service, il commençait à s'y faire. Avec juste eux trois dans la grande salle, il pouvait recommencer à "voir" sans risquer de se faire exploser le crâne.

"- J'aime la vie qu'amène le seigneur Anbei et sa cour" Soupira Fangyue en s'étirant sur son coussin. "Mais ils sont épuisants. A chaque fois je les attends avec impatience, mais j'attends leur départ avec la même impatience."

Boya ne pouvait qu'être silencieusement d'accord avec la Dame. Au moins pour une partie. La cour du Seigneur Anbei était épuisante et beaucoup trop anarchique pour lui. Tout le monde courait dans tous les sens sans rythme ni raison au point que Boya ne comprenait pas comment le Domaine n'avait pas encore explosé sous autant d'énergie nerveuse.

"- Ils ont autant hâte de venir nous voir que nous de les recevoir."

"- Zongzhu ?" Boya avait hésita avant d'oser ouvrir la bouche. "S'ils viennent ici, j'imagine que l'inverse est vrai. Quand allez-vous y aller ?"

"- Pour le milieu de l'hiver normalement. C'est un évènement étonnant. Mais nous y allons avec beaucoup moins de monde. Les autres visites annuelles du Seigneur Anbei sont aussi beaucoup plus courtes et avec moins de gens pour l'accompagner. Le Festival de l'Hiver est quelque chose qui remonte à la création de la secte. Les premiers hivers, le yin yang n'avait pas de quoi faire manger tous ses membres ni de quoi les tenir au chaud. Le Domaine envoyait du monde avec des provisions pour nous aider à passer l'hiver. Nous avons gardé l'habitude de les accueillir maintenant que nous n'avons plus besoin d'eux pour survivre. Leur offrir notre hospitalité, ces jeux… Ce n'est pas cher payé pour toutes les vies qui ont été sauvées."

"- Grace à un seigneur démon ?"

"- Grace à un seigneur démon…"

Boya avait revu grandement tout ce qu'on lui avait appris des démons. Il voyait encore sa mère se faire déchirer en deux par une renarde. Mais si comme on lui avait dit elle était malade ? Pouvait-il en vouloir à une espèce entière pour la folie d'un de ses membres ?
Si c'était vrai.
Evidemment.
Mais si c'était vrai, pourquoi JingYun n'en avait jamais entendu parler ? Parce que JingYun ne s'intéressait aux démons que pour les tuer. Qu'importait que ce soit des démons innocents, malades ou dangereux.

Sha ShengShi était venu à JingYun sans faire de mal à quiconque alors qu'il aurait pu causer de monstrueux dégâts, juste par sa nature de démon de feu et de pierre. Mais il était entré en toute discrétion pour prendre un pipa et repartir avec sans bruit.

S'il n'avait pas, par accident, activé un sigil en traversant les montagnes, personne n'aurait su pour l'instrument. Pas avant le prochain inventaire.

Inventaire qui avait lieu une fois par siècle au mieux, s'ils y pensaient. Et d'ici au prochain, si le pipa avait été remarqué comme manquant, comme ce n'était même pas un artefact magique mais juste un instrument de qualité, on aurait haussé les épaules, rayé la ligne et à dieu vat.

Sha ShengShi avait-il mérité d'être tué pour être un démon pacifiste ? Ou pour avoir humilié JingYun sans le vouloir ?

Boya se remettait beaucoup en question depuis son arrivée. Il remettait en question son éducation, JingYun et même son statut de prêtre guerrier.
Était-il encore légitime dans ce rôle ?
En avait-il encore envie ?
En avait-il eut un jour envie ? Il avait fait ce qu'on lui disait de faire. Il avait appris ce qui pouvait lui permettre d'assouvir sa vengeance. Rien de plus.

Maintenant qu'il ne le pourrait plus jamais…

"- Boya ?"

Une main se posa sur son épaule.

"- Ha… Pardon… Je réfléchissais." Son sourire était aussi faux que les dents de l'Empereur centenaire ou presque actuellement sur le trône. "Je… J'avais déjà réalisé que l'éducation que JingYun m'avait donné était un peu… orientée. De plus en plus, je vois à quel point elle a peu à voir avec la réalité."

Zhong Xing hocha la tête. Il n'avait jamais connu la désillusion que Boya rencontrait. L'une après l'autre, toutes ses certitudes étaient détruites jusqu'à ce qu'il n'ait plus rien que de la cendre dans le cœur, du sang sur les mains et plus de questions aux lèvres qu'il n'avait de temps pour les poser. Lorsqu'il serait un peu plus stable, le chef de secte comptait bien l'envoyer quelques mois au Seigneur Anbei.

"- Le calme va bientôt revenir. Tu auras tout le temps de méditer sur tes découvertes. Grandir est souvent douloureux. Mais tu sais que tous les anciens sont ouverts à la discussion. N'hésite pas à demander un peu de temps à ceux-ci si tu veux qu'ils partagent leur sagesse avec toi. Tu peux même en appeler aux anciens en séclusion. Ils ne veulent pas sortir, mais ils sont toujours disponibles pour les disciples qui ont besoin de parler."

Boya hocha la tête, encore un peu indécis.

"- Ils ne s'offusqueront pas qu'un esclave vienne les voir ?"

Zhong Xing dut se mordre la langue pour retenir un commentaire un peu agacé. Ce n'était pas la faute de Boya s'il avait été éduqué comme ça et qu'il ne parvenait pas à comprendre qu'il n'était PAS esclave. Son encre se vendait si bien que même si le bureau prélevait un tiers de ce que lui rapportait son invention, il serait "libre" avant cinq ans. Servir d'agent pour la fabrication et la vente de l'encre rapportait tellement au bureau qu'ils n'imagineraient même pas prélever davantage sur les revenus de Boya. Les anciens en avaient discutés entre eux. Boya était en train de se faire un pécule remarquable sans vraiment le réaliser, tout en aidant le budget du temple à préparer l'avenir. Maintenant, s'il pouvait juste comprendre qu'il n'était PAS un esclave… Ils avaient beau le lui dire et le lui montrer de toutes les manières possibles, ça ne voulait pas rentrer. A croire qu'il se refusait à le comprendre. S'ils n'avaient pas encore essayé de l'attraper par les épaules pour le secouer très fort en le lui hurlant à la figure, c'était uniquement parce que Boya avait subit assez de violence dans sa vie et qu'ils voulaient lui épargner un choc supplémentaire.

"- Boya, vous n'êtes pas un esclave." Soupira Fangyue.

"- J'ai un dette à rembourser. Tant qu'elle ne l'est pas, je ne m'appartiens pas."

"- Les revenus que le temple tire de la licence d'exploitation de votre invention est bien suffisante pour rembourser…"

"- Mais ce n'est pas ENCORE remboursé."

Que dire quand c'était mathématiquement vrai ?

"- Boya… C'est tout comme."

Mais le chasseur restait borné. Il voulait racheter proprement sa vie et sa liberté. Pas parce qu'on avait été gentil avec lui.

Zhong Xing posa une main sur le poignet de sa dame lorsqu'elle voulut protester. Il secoua la tête. C'était une question d'égo. JingYun avait totalement détruit l'égo et le respect que Boya se portait à lui-même. Il devait non seulement se reconstruire physiquement et psychologiquement, mais il devait aussi reconstruire son égo. Ça passait pour lui en partie par cette fichue dette qui l'embarrassait depuis son enfance. C'était quelque chose qui avait été au-dessus de sa tête comme une menace depuis son premier jour de cultivation. Zhong Xing comprenait son besoin de se libérer lui-même pour avancer dans sa vie.

Il trouvait ça tout aussi crétin que sa femme, mais il comprenait.

"- Concentrez-vous sur votre épée, votre arc, votre cultivation et vos recherches, Boya. Tout le reste, c'est à moi de le gérer. Tant que vous m'appartenez, vous n'avez à vous occuper de rien d'autre. Lorsque vous aurez assez pour racheter votre dette, je serais le premier à vous le faire savoir officiellement. Je vous le promets."

Il y avait malgré tout un certain soulagement à ne pas avoir à prendre en charge une partie de son existence pendant qu'il se reconstruisait. Zhong Xing était aussi un filet de sécurité pour le jeune chasseur. Quand il aurait réussi à redevenir lui-même, il pourrait s'occuper du monde qui l'entourait. Mais pour l'instant, abandonner le reste entre les mains de son propriétaire était aussi plus facile. Il était heureux que Zhong Xing le comprenne et l'accepte. Mais ce n'était pas la première fois qu'il le faisait. Ce n'était pas pour rien que Zhong Xing et l'ancien Shifu de Boya se connaissaient. Des anciens de JingYun rachetés par la secte du nord, il y en avait eu des dizaines depuis des siècles. Ce n'était pas pour rien qu'une secte pacifique comme la leur avait aussi une solide culture du combat. C'était ce sang neuf venu de l'est avec ses techniques et ses connaissances qui avait en partie permit à la secte de survivre aux aléas de son existence.

"- Bien Zongzhu."

Boya finit son déjeuner, s'inclina devant le couple, puis alla chercher ses armes pour s'échauffer dans les arènes qui avaient été nettoyées par les serviteurs et rendues à leur fonction première après le dernier combat de la veille. Il s'entraina jusqu'à la cloche de midi. Lorsqu'il se sortit de sa transe d'entrainement, il y avait d'autres personnes autour de lui qui s'entrainaient aussi mais beaucoup plus lentement et qui gémissaient beaucoup.

"- ÇA VOUS APPRENDRA A BOIRE COMME DES TROUS !" Hurlait le Maître d'arme sans se soucier des gémissements d'agonie que ses hurlements arrachaient aux pauvres disciples qui finissaient de cuver dans le sable avec leurs armes à la main. "REGARDEZ BOYA ! IL EST LA DEPUIS L'AUBE ! EST-CE QU'IL A L'AIR IVRE LUI ? NON ! ALORS FAITES COMME LUI !"

Boya se raidit en entendant quelqu'un marmotter au chouchou sur sa droite.

Les hurlements du maître d'arme quand il entendit lui aussi la protestation le firent sourire. Heureusement, personne n'y croyait. Mais il était heurté un peu quand même. Il n'avait juste pas bu. Et les autres râlaient juste un peu pour le principe.

Lorsque la cloche sonna une seconde fois, les disciples rentrèrent dans le grand hall pour assister au départ du Seigneur Anbei et de sa cour.

Un dernier échange de cadeaux, quelques courbettes et le renard ouvrait un portail assez énorme pour que toute sa cour puisse y entrer de front.
De l'autre côté, les spectateurs pouvaient voir une vaste caverne aux murs couverts de sigils nonsensiques pour eux et de torches qui jetaient une lueur verte maladive sur le sol.

Le renard démon inclina une dernière fois la tête devant le couple de chefs de secte puis passa tranquillement le portail qui se referma sur ses talons.

Un soupir de soulagement mêlé de tristesse sortit de plusieurs centaines de torses en même temps. Ils allaient autant leur manquer qu'ils étaient soulagés de les voir partir et d'avoir la paix.

Boya regrettait déjà de ne pas avoir dit au revoir à Xie Weizhe et Sha ShengShi.

"- On peut leur envoyer du courrier ?" Murmura-t-il plus pour lui-même qu'autre chose.

Son shixiong avait roulé jusqu'à côté de lui.

"- Bien sûr. Il y a une ligne de courrier ouverte en permanence entre la secte et le Domaine. Comme avec également les trois autres sectes principales, les plus grandes villes et le palais impérial". Ou comment dire sans le dire que la secte avait des espions partout. "Si tu veux envoyer un courrier à quelqu'un, il suffit de le déposer au bureau des messagers."

Boya ne savait pas où c'était. Ni même qu'il y en avait un !

"- Tu voudras bien m'y conduire ?"

"- Bien sur didi."

Maintenant, Boya allait pouvoir se concentrer sur l'avenir.

Le retour à la normale avait été tristement rapide et simple pour tout le monde. Boya avait repris ses petites habitudes de JingYun avec un emploi du temps taillé au cordeau, presque à la minute près.

Il y avait un soulagement à devoir suivre un emploi du temps serré. Il n'y avait pas de temps pour réfléchir et c'était ce dont Boya avait besoin pour l'instant. Pendant qu'il retrouvait à coups de cravache auto infligées ses muscles, sa vitesse et sa souplesse à défaut de ses yeux, il laissait son esprit se perdre là où seule comptait cette concentration extrême qui transformait le travail en cultivation.

S'il s'endormait le soir à peine couché et qu'il se réveillait le matin avec plus d'énergie qu'il n'en avait eu depuis bien longtemps pour s'épuiser à nouveau jusqu'au soir venu, il aimait cette sensation d'abandon du corps sous les tortures quotidiennes qu'il s'auto infligeait.

Au début, Zhong Xing s'était inquiété jusqu'à ce que Shao Zhiqiang le rassure. Boya faisait ce qui était un entrainement normal de disciple de JingYun, même si quand même un peu poussé. C'était comme ça qu'on poussait les disciples jusqu'à ce qu'ils brisent le limiteur qui leur était imposé.

Après la découverte sur Boya, tous les anciens disciples achetés de l'Est étaient passés entre les mains des guérisseurs pour leur retirer les leurs. Etrangement, les quatre anciens disciples étaient bien plus énergiques depuis, eux aussi. BIZARREMENT !
Zhong Xing avait envoyé un message cinglant à l'ancien Shifu de Boya qui, d'après sa réponse, avait paru aussi surprit que Boya et Shao Zhiqiang de la vraie nature du limiteur lorsqu'il l'avait appris. C'était utilisé depuis tellement longtemps. Si ça se trouvait, personne ne se souvenait plus ce qu'était ce maléfice et à quoi il servait vraiment. Peut-être même qu'il était différent à l'origine et qu'il avait été dévoyé avec le temps et les erreurs ? C'était une possibilité aussi.

L'ancien Shifu de Boya avait promis de mener l'enquête. Il n'en parlait pas à Zhong Xing dans ses lettres mais la perte d'autant de ses disciples directs avait mis un coup au vieux maître. Il aurait pu se recroqueviller sur lui-même comme l'avaient espéré les autres pour protéger les survivants mais c'était mal le connaitre. On lui avait tué ses fils de cœur ? Ils allaient payer. Depuis, il intriguait de son mieux pour faire tomber les autres anciens un à un. Deux étaient morts dans des circonstances qui n'avaient absolument rien de suspects. C'était juste de tragiques accidents. En plus, il n'était même pas au temple quand ils avaient eu lieu. Il était dans un des bordels de la capitale, à boire la perte tragique de ses élèves. Des dizaines de personnes pouvaient en témoigner. Et pour le troisième et bien… Il n'était pas responsable non plus d'une maladie attrapée sur le terrain.

Lorsqu'on l'avait accusé, il était resté droit dans ses bottes. Qu'on l'accuse, autant qu'ils voulaient. Mais qu'ils prouvent qu'il était responsable. Lui, il n'avait rien à se reprocher. C'étaient eux qui avaient envoyé à la mort des disciples compétents juste pour leur petite gueguerre politique interne. Lui, il faisait son travail avec ses hommes, merci beaucoup. Si les dieux avaient décidé de les punir, ce n'était ni sa faute, ni sa responsabilité.

On le moqua beaucoup. Les dieux ? La bonne blague !

Lorsqu'un quatrième ancien tomba malade sans raison quelques semaines plus tard, certains commencèrent à murmurer que le vieux Shifu était peut-être dans le vrai.

JingYun s'était-elle égarée ? La secte avait-elle fait fausse route sur le chemin de la grandeur ?

Mais de cela, Boya n'était pas au courant.

Son Shifu comptait bien lui envoyer un courrier un jour, lorsqu'il aurait réussi le nettoyage de la secte. Ou qu'il aurait échoué et devrait faire le choix entre être tué ou se suicider. Pour l'instant, il travaillait à restaurer la mémoire de ses élèves disparus et de tous les autres sacrifiés sur l'autel de la politique, de l'envie et du mépris des anciens pour leurs disciples.

Régulièrement, le vieux maître se dégoutait. S'il n'avait pas eu d'autres disciples dont certains des plus jeunes n'avaient pas dix ans, il était possible qu'il se soit offert en sacrifice à un dieu vengeur quelconque.

Mais dans le nord, tout cela était inconnu de Boya. Le chasseur s'épuisait comme il ne l'avait pas fait depuis bien longtemps pour corriger sa propre fénéantise des mois précédents. Il refusait de voir son manque de résultats comme autre chose. Si ce n'était que du manque de travail de sa part, il pouvait refermer un voile pudique sur son état de sangé et la perte de sa vue. Il fallait qu'il traite l'un et l'autre comme inexistant pour parvenir à les dépasser correctement. Ses sens et ses limitations avaient évoluées. Il fallait qu'il accepte ce qu'il était comme sa nouvelle normalité.

Et qu'il accepte aussi qu'il était la nouvelle coqueluche des demoiselles de la secte.

Depuis les jeux, il était rare qu'il passe la nuit seul.
Tout le monde se moquait gentiment de lui autant qu'ils le félicitaient.

Boya restait digne face à l'adversité et les traitait de jaloux.
Ce qu'on lui confirmait en riant sans aucun problème en lui tapotant gentiment l'épaule. Jalousie peut-être, mais certainement aucune rancœur derrière. Et puis, il lui était arrivé d'inviter des frères à les rejoindre. Avec l'accord des demoiselles évidemment.

Décidément, le Yin yang était une secte bien étrange.