Chapitre 25

La pause avait fait du bien à Boya. Il n'avait toujours pas l'endurance nécessaire pour une journée complète d'usage de ses talents sans faire de petites pauses.

Il retrouva ses poussins juste à la sortie du village, là où ils s'étaient séparés.

"- GEGE !"

Les six enfants se ruèrent dans ses jambes pour se serrer contre lui.

Les trois séniors étaient tout aussi inquiets qu'eux.

"- Boya-shixiong. Nous étions inquiets." Pas de 'daren' quand on était inquiet hein ? La secte nord était trop familiale pour ça.

Sur un coup de tête soudain, il écarta un bras en une invite pour les trois jeunes adultes qui se précipitèrent aussitôt sur lui comme des poussins dans les plumes de leur mère.

"- Vous ne devriez pas vous inquiéter comme ça vous savez ? Je suis peut-être aveugle mais nous ne sommes pas à un endroit dangereux. Et je connais mon boulot."

"- On s'inquiètera toujours pour les nôtres, Da-shixiong." Soupira Mao JunJie

Le jeune sénior lui arrivait à peine à l'épaule. Il avait encore du temps devant lui pour finir de grandir. Boya veillerait à ce qu'il ait ce temps. Comme il avait toujours veillé sur ses shidi quand il était à JingYun.

Le câlin impromptu se termina enfin lorsque les juniors furent assurés que leur shixiong n'avait rien.

"- Alors, qu'est-ce que vous devez faire maintenant ?" Boya avait oublié une fois que les enfants étaient là pour apprendre. Pas deux.

Les petits échangèrent un regard.

"- On fait notre rapport ?" Ils avaient fait tout le travail, juste avec les séniors derrière eux pour les soutenir silencieusement.

"- Tout à fait. Et on le fait ou ?"

"- …. Ici ?"

"- Dans le froid et la neige ? Il y a plus confortable vous ne croyez pas ?"

"- HA ! On peut retourner à l'auberge ?"

"- Oui, mais uniquement si le groupe qui y a été n'a pas constaté de risque."

"- Non, on peut y aller !" Rassura un des petits.

Le Sénior qui les avait accompagné confirma. L'auberge était sans risque. Leurs questions n'avaient pas été mal reçues non plus.

"- Alors c'est parfait. Allons-y"

La petite troupe en blanc et gris retourna jusqu'à l'auberge. Les enfants étaient en gris moyens, les Séniors en gris clair. Il n'y avait que Boya en blanc pur de Maitre. Le groupe causa un petit mouvement de surprise quand ils entrèrent dans l'auberge. Comme toutes celles du nord, elle était construite pour résister au vent, à la neige et au froid. Elle était en pierre, semi enterrée et avait un vestibule à double-portes pour repousser au moins un peu les éléments extérieurs. Ici, les constructions étaient bien plus solides que les maisons de bois léger et de papier de la capitale. Les fenêtres n'étaient pas protégées de papier huilé mais de lourdes tentures en laine de chèvre longuement tissées. La soie, c'était bien mignon, mais ça ne vous tenait pas le cul d'un bonhomme au chaud quand il y avait trois mètres de neige et des glaçons de la taille d'une vache accrochées aux fenêtres.

Une fois à l'intérieur, les séniors aidèrent Boya à retirer ses bottes pour les mettre à sécher sur le portant prévu pour.

"- D'ici qu'on ressorte, elles seront sèches. Et on ne rentre pas dans une maison ou une auberge en bottes avec de la neige accrochée à la semelle." Du pur bon sens encore une fois.

Boya enfila les gros chaussons en laine qu'on lui donna tirés de leurs fontes. Tout les voyageurs dans le nord en avaient. Ou perdaient des orteils comme Boya y avait réussi à faire l'andouille sur son balcon. Il avait eut de la chance, il n'avait perdu que le petit orteil du pied gauche. Il était resté dans les bandages faits par les guérisseurs un matin. Sans leur aide, il aurait pu y perdre les deux pieds. C'était ce qui était traite, il n'en avait même pas sentit la douleur. C'était une leçon qu'il avait du apprendre et qu'il avait apprit à la dure. Il n'était pas le seul qui ne soit pas né dans le nord qui avait le même genre de cicatrices. Maintenant, il comprenait l'usage des chaussettes à doigts et du mouton dans les bottes.

Il ne ferait pas deux fois l'erreur. Il avait aussi prit sur lui de rediriger son qi dans ses extrémités lorsqu'il sortait pour éviter ce genre de problème. Les petits shidi apprenaient la chose avant leur premier hiver.

"- Bienvenue !" L'aubergiste reconnu immédiatement les deux juniors et le sénior qui l'avaient interrogé.

"- Salutation. Pourrions nous avoir du thé et de quoi manger ?" Demanda Boya "Et un endroit tranquille où nous installer."

"- Bien sur Daren. Suivez-moi." L'aubergiste échangea un coup d'œil avec les séniors. Le Maître allait arriver à le suivre ou il avait besoin d'aide ?

Les séniors secouèrent la tête. Tout allait bien.

Boya suivit l'aubergiste jusqu'à une petite alcôve protégée de lourdes tentures pour retenir la chaleur. Le groupe s'assit autour de la table. Au centre était placé un lourd caisson en métal posé dans le bois.

"- Pendant que vous réfléchissez à ce que vous voulez, je vais chercher les braises."

Les braises ?

Boya était perdu.

Il fallut que ses shidi lui expliquent.

"- Il y a un petit foyer en métal au centre de la table. Il va mettre des braises dedans pour nous réchauffer. Il y a une petit cheminée qui aspire les fumées vers l'extérieur juste au-dessus de la table."

Comme Boya ne voyait rien, il ne pouvait qu'imaginer la forme que pouvait avoir l'ensemble. En tout cas, dès que les braises furent à leur place, une délicieuse chaleur commença à se rependre. Il fallait faire attention à ne pas toucher la cuve en métal par en dessous, mais c'était un maigre prix à payer pour se réchauffer les orteils et conserver la théière en métal elle aussi bien chaude.

Les mains réchauffées autour d'une tasse de thé avec un bol de ragout maison et du riz, Boya attendit que les enfants prennent la parole. Les petits murmurèrent entre eux jusqu'à ce que le chef auto-appointé commence.

"- Alors, Wan XiangJian. Qu'est ce que tu as à m'apprendre."

"- Je suis allé rencontrer le chef de village avec Ping YouYi. Sous la surveillance de Meng JingYi. Il nous a un peu raconté l'histoire de la ville."

L'adolescent fit un résumé rapide de tout ce qu'ils avaient appris. Il avait même noté sur un petit calepin avec une mine de charbon pour ne rien oublier. De temps en temps, YouYi ajoutait une précision ou deux jusqu'à ce qu'ils aient fait le tour de tout ce qu'ils avaient appris.

Boya les félicita et leur offris des bonbons à tous les deux ainsi qu'a Meng JingYi pour faire bonne mesure puis interrogea les deux autres groupes.

Resté silencieux jusque-là, le prêtre observait comment Boya gérait ses shidi avec un rien d'étonnement. L'aveugle était aussi doux que patient avec eux. Il gardait ses commentaires pour lui et laissait les juniors en venir à leurs propres conclusions. Plusieurs fois, les Seniors voulurent intervenir mais Boya les fit taire d'un geste de la main.

Une fois que les enfants eurent finit leur exposé et leurs conclusion, Boya leur sourit.

"- Alors, qu'est ce que vous en concluez ?"

"- Qu'un esprit de la nature est né dans la mine et qu'il ne fait pas exprès de causer des problèmes."

Boya hocha la tête puis interrogea les Seniors

"- Et vous ?

"- Nous serions plutôt partis sur un démon. S'il vient de naitre, il est trop fort pour un simple esprit de la nature."

Boya hocha encore la tête.

"- L'idée générale est la bonne, mais je pencherai davantage sur un bébé dieu mineur"

Les neuf autres disciples parurent interloqués. Un dieu ? Qu'est ce qui aurait pu causer son apparition ?

Boya fit la liste

- L'autel

- Les "bénédictions"

- La transformation des animaux nés de sa bénédiction

- La dévotion des habitants du village

- Le temps depuis la création du village

- La folle guérie et disparue. Il était probable qu'elle avait été ramassée par un indépendant et qu'elle était dans les cavernes inférieures du yin yang.

"- C'est plausible." Acceptèrent les séniors. "Mais pourquoi poser des soucis maintenant s'il est là depuis des siècles ?"

Boya haussa un sourcil vers les enfants.

"- Une idée ?"

Les juniors passèrent leur réflexion sur leurs bol de riz et de ragout en silence pendant un petit moment.

"- Ce serait la faute de l'explosion ? Ça l'a dérangé ?"

"- Ou alors il est devenu curieux ? Il a voulu voir le dehors ?"

Boya camoufla son sourire amusé et attendrit dans sa tasse de thé pendant que les juniors tentaient de comprendre ce qui avait pu arriver.

"- Boya Daren. Alors ? Qui a raison ?"

"- Mais je n'en sais rien. Je ne suis pas devin."

Les juniors comme les séniors parurent scandalisés. Comment ça il n'en savait rien ? S'il n'en savait rien, pourquoi leur demander de faire ainsi des plans sur la comète ? C'était ridicule !

"- Le rôle d'une Chasse n'est pas de savoir très précisément à quoi on va être confronté. Mais à être prêt à toutes les possibilités. Toutes les supputations d'un combat ne survivent généralement pas au premier engagement. Ce qui fait la survie ou la mort, pour un Chasseur, c'est sa capacité à avoir anticipé toutes les possibilités pour pouvoir réagir d'instinct à tout changement qui se fera forcement dans ce qu'il a prévu. La situation est d'autant plus difficile pour nous. Nous ne sommes pas là pour tuer. Ou en tout cas, en dernier recours. Avant cela, nous sommes là pour apprendre, comprendre, aider et réparer. Si l'esprit, le démon ou le dieu qui nous attends veut commettre un massacre, alors notre rôle sera de le détruire. Mais pour l'instant, nous sommes là en tant que pacifistes."

Entendre ça dans la bouche de Boya avait quelque chose de fondamentalement cocasse. Mais il était capable de faire la différence entre la façon dont il avait été élevé lui et comment il devait éduquer ces nouveaux shidi.

"- Alors on fait quoi maintenant ?"

"- Maintenant, vous réfléchissez à toutes les alternatives possibles. Ensuite, on va passer la nuit ici. Et demain, on ira dans la mine."

Le prêtre qui était resté silencieux jusque-là s'inquiéta.

"- Dans votre état ?"

Boya se retint de lui manger la tête.

"- Je suis juste aveugle. Pas cul de jatte. J'ai juste perdu mes yeux. Pas mes qualités de combattant."

Le prêtre la boucla. Les juniors reprirent leur réflexions pour réfléchir à ce qu'ils feraient le lendemain.
Boya les laissa faire sans rien dire, sauf quand même les Séniors ne savaient que dire et qu'ils lui demandaient directement son aide. C'était une chasse pour que les juniors se dégourdissent. Il n'allait pas leur tenir la main.

Les juniors avaient dormis tous ensemble dans le même lit. L'habitude de se tenir chaud sans doute. Les Seniors auraient bien fait la même chose, Boya en était sûr, mais ils étaient des adultes. On attendait de la retenue des adultes.

Quant à Boya, il avait eu droit à sa propre chambre. Il ne s'était cogné dans les murs que six ou sept fois, était tombé sur le lit deux fois, en était tombé tout autant, avait faillit se casser un orteil dans les meubles et se tuer au moins trois fois avec la cheminée et la baignoire.

Les taches les plus simples étaient compliquées dans un environnement pauvre en qi. Alors qu'à l'extérieur c'était plus facile de se déplacer dans une pièce médiocre ses sens se perdaient dans la noirceur de l'environnement.

Il avait finit par se rouler en boule dans sa cape sur le lit et ne chercha pas d'avantage à se préparer pour la nuit. Il allait se tuer à ce rythme.

C'était peut-être un cas où il aurait apprécié avoir un shishen.

De l'autre coté des cloisons trop fines, il entendait les shishen des enfants prendre soin d'eux tous. Les voix à la fois tendres et grondeuses lui remettaient en mémoire celle de sa mère quand il était tout petit. Elle l'avait aussi grondé ainsi. Il n'y avait pas de colère, plus de l'amusement qu'autre chose. Et une infinie tendresse.

De grosses larmes lui montèrent soudain aux yeux alors qu'il revoyait dans son esprit le sourire tendre de sa mère. Il l'entendait lui chanter une berceuse pendant qu'il était assis sur ses genoux ou son rire pendant qu'elle préparait des baos sucrés dans leur minuscule cuisine.

Mais son visage… Que les dieux lui pardonnent mais il ne se souvenait pas de son visage.

Il aurait tellement voulu… tellement espéré….

Il finit par s'endormir avec la sensation d'être seul au monde et que sa vie ou sa mort n'aurait impacté personne.

Le petit groupe avait prit la route pour la mine. Elle était à la sortie du village, à quelques minutes de marche à peine.

Aucun des mineurs n'osait plus y descendre depuis des jours. A mesure que le temps passait, les bruits qui en venaient étaient de plus en plus fort et de plus en plus fréquents. Les secousses qui agitaient le sol aussi. A ce rythme, le village entier serait détruit par les séismes d'ici quelques mois.

Les trois séniors étaient inquiet.

Les juniors se tenaient par le main avec inquiétude.
Et Boya au milieu d'eux, tache blanche immaculée au milieu de la grisaille de jeunesse qui se pressait autour de lui ne semblait pas une seule seconde dérangé ou inquiet.

Le responsable de la mine vint à leur rencontre.

"- Vous comptez vraiment descendre là-dedans ?"

"- Il n'y a guère de danger."

"- Vous avez pas entendu le barrouf que ça a fait là-dedans cette nuit. J'ai cru qu'on y égorgeait des gosses. A croire que quelqu'un fait des sacrifices humains en bas !"

Boya eut un sourire calme.

"- Je suis certain que quelques sacrifices seront nécessaire, mais rien de plus que des fruits, de l'encens et quelques jouets." Assura-t-il.

Le responsable de la mine les supplia encore de réfléchir. La mine arrivait en fin de filon de toute façon. Quand elle serait épuisée, il faudrait que le village aille ailleurs ou ils mourraient tous de faim. Qu'ils n'aillent pas se mettre en danger pour ça. S'il leur arrivait quelque chose, le village ne pourrait jamais payer au yin yang la dette que représentait la vie de dix disciples.

Mais Boya resta intraitable.

"- Il n'y a aucun risque." Avec les dernières informations qu'il venait d'avoir ? Il était à présent sûr de savoir ce qui se passait, qui était responsable de la mort des hommes tués dans le coup de poussier et pourquoi.

Le responsable n'insista pas plus. Il les laissa passer, la mort dans l'âme. Qui était-il pour refuser le passage à des Cultivateurs ? et des Blanchons en plus ? Ces animaux là avaient la faculté bizarre de toujours retomber sur leurs pattes et de se sortir des pires catastrophes sans une égratignure. Personne ne savait comme ils faisaient pour être à plusieurs endroits en même temps mais c'était ainsi qu'ils finissaient par le voir. Les portails ? La magie avait ses limites dans l'esprit des simples gens du nord même s'ils vivaient grâce à elle pour beaucoup d'entre eux. Un talisman, ils pouvaient le toucher, le copier même s'ils n'étaient pas des cultivateurs. Mais un portail ? De tels concepts étaient encore trop fantasistes pour eux.

Boya entra le premier dans la mine. Il s'arrêta juste sur le seuil.

Ses poussins se pressèrent contre lui quel que soit leur âge.

"- Qu'est ce qu'on fait maintenant ?" Murmura un des adolescents.

"- Qu'est ce que vous faites quand vous entrez chez quelqu'un ?"

"- …. On dit bonjour et on se présente ?"

"- Alors allez-y."

Même si les juniors se sentaient bien ridicules, ils se présentèrent non par leur nom mais par leur statut avant de s'incliner. Boya était fier d'eux. La première de toutes les magies était celle du Nom. Qu'ils se soient souvenus de ne pas galvauder le leur était très, très bien.

Les séniors saluèrent à leur tour puis ce fut le sien.

"- Et maintenant ?"

"- Vous savez ce qu'on va trouver hein ?"

Boya rassura encore les enfants.

"- J'ai une très bonne idée oui. Mais ce n'est pas parce que je sais qu'il faut faire n'importe quoi."

Boya demanda à ses élèves de lui décrire chacun leur tour ce qu'ils voyaient avec précision.

Le petit groupe descendit lentement et longuement dans les étroites galeries. Elles étaient étayées avec du bois tous les quelques mètres. Même s'il était vieux, les rondins étaient encore solides. Même les solives en bois qui renforçaient la voûte de loin en loin semblaient solides.

Comment une mine entretenue avec un soin aussi maniaque et renforcée d'étais bien trop nombreux avait-elle plus avoir des accidents ? Ça paraissait étrange.

Si Boya comparait avec la mine près de JingYun, celui qui avait étayée cette mine avait dut passer la moitié des bénéfices à s'assurer que rien ne tomberait sur la tête des mineurs.

Boya passa une main sur la roche. Il envoya un peu de qi à l'intérieur. Le jade qui y restait encore réagit à son qi avec une note pure et musicale comme il l'entendait toujours quand il s'amusait à ça avec du jade monté en bijoux ou en objet.

"- On est arrivé à un grand carrefour." Souffla un des adolescents.

Naturellement, ils avaient tous baissés la voix pour murmurer. L'endroit était trop solennel pour qu'ils fassent du bruit.

"- Il devrait y avoir un vieil autel quelque part."

"- Oui, de ce côté. Il y a des tablettes funéraires aussi."

"- Ça doit être celles de tous les mineurs qui sont morts dans la mine."

"- Il y en a fort peu pour dire que cette mine est en activité depuis des siècles." S'étonna un des séniors.

Boya ne pouvait les voir. La seule chose qu'il voyait étaient les veines de jade encore enterrées dans la roche. Et le sol, plus noir que le reste.

"- La mine prends soin des siens." Murmura Boya.

"- … La mine ?"

"- La mine."

"- … C'est un dieu n'est ce pas ? Un dieu mineur."

"- C'est ce que je crois. Il faut le trouver."

"- Comment on fait ça ?"

"- Vous savez comment l'appeler, les enfants." Sourit encore Boya

Les petits s'entre-regardèrent avant qu'ils aient l'illumination. Il y avait un autel ! Il suffisait de nourrir le dieu pour qu'il vienne à eux normalement. Et puis, leur shixiong avait insisté pour qu'ils prennent de l'encens, des gâteaux et des petits jouets en papier avec eux.

Boya demanda de l'aide à un des sénior pour qu'il lui trouve un endroit où s'asseoir pendant que les juniors préparaient leur cérémonie.

Mao JunJie fouilla dans ses fontes pour en tirer un petit tabouret pliant, un coussin et y installa Boya. Ses deux confrères imitèrent Boya.

Lorsque les juniors eurent finit de tout préparer, les quatre adultes attendaient tranquillement.

"- Et maintenant ?''

"- Maintenant, vous faites ce que tout prêtre doit savoir faire: Honorer un dieu."

Les juniors hésitèrent une minute avant de se lancer.

Encens, prières, offrandes… Ils savaient faire.

Au début, il ne se passa rien. Lorsqu'ils eurent finit une première oraison, ils hésitèrent.

"- Continuez. Ça prendra peut-être plusieurs jours. Faites deux ou trois équipes et relayez-vous. N'oubliez pas d'appeler le dieu avec votre qi. Il ne s'agit pas d'ânonner des paroles vides de sens mais d'appeler à vous un esprit."

"- Un peu comme quand on appelle un shishen ?"

"- C'est assez proche" Approuva Boya en réalisant que c'était effectivement assez similaire. "Sauf que vous ne tentez pas de le séduire pour en faire votre ami, mais vous le remerciez pour avoir protégé la mine et ses habitants."

Les jeunes adolescents s'organisèrent entre eux sous le regard protecteur des séniors et la calme présence de leur shixiong.

"- Installons nous confortablement, nous allons en avoir pour un petit moment." Prédit Boya.

Pendant que ses hommes installaient des grabats de fortune et préparaient du thé, Boya profita des lieux fortement chargés en qi pour méditer et en profiter pour renforcer sa cultivation. Au mieux, ils en avaient pour un jour et une nuit.

On finit par le secouer doucement à l'épaule.

"- Boya Shixiong ? Il se passe quelque chose."

Le chasseur s'étira.

"- Combien de temps ?"

"- Presque un jour et une nuit." Comme prévu.

"- Parfait."

Il tendit la main devant lui pour qu'on le conduise. L'un des séniors se précipita pour l'aider. Boya aurait dû être en rage de devoir demander ainsi de l'aide, lui qui avait toujours tout fait pour être indépendant depuis qu'il avait perdu la vue, mais il n'était pas totalement stupide non plus. Ils étaient dans un environnement dangereux. Faire le viril pour épargner son égo ne pouvait que risquer de blesser quelqu'un dans son groupe. Il était responsable d'eux, il pouvait mettre son mouchoir sur son orgueil quelques jours.

"- Boya-Shixiong !" Les juniors étaient tout énervés. "Vous avez vu ? Vous avez vu ?"

Non, Boya ne voyait pas. Mais il sentait quand même la présence assise sur le petit autel et qui les regardaient avec un mélange de suspicion, de curiosité et d'excitation.

"- Calmez vous les enfants." Il lâcha la main du Sénior qui regardait lui aussi le petit esprit avec fascination. Boya s'inclina profondément devant lui. "Salutation. Je suis Le Chasseur. Du Temple du Yin Yang. Et ces enfants sont mes juniors."

Le petit esprit sauta du petit autel. Boya ne le voyait pas comme les autres mais sa présence se découpait nettement devant lui, doré sur le néant qu'était sa vue.

"- Bonjour ! Pourquoi les gens du village ils ne viennent plus me voir ?" Le petit esprit semblait désolé.

"- Ils ont peur." Sourit doucement Boya. "A cause des tremblements de terre et de la mort de leurs amis."

Le petit esprit prit immédiatement une posture coupable.

"- C'est ma faute. Je voulais pas leur faire peur ni blesser qui que ce soit." Il se mit à pleurer et la mine entière se mis à frémir.

Les juniors glapirent.

"- Du calme, du calme. Sinon, la montagne va nous tomber dessus et tu vas nous tuer."

Le petit esprit glapit à son tour et se força au calme.

"- Non ! Je ne veux pas blesser des gens !"

"- Je le sais." Rassura Boya. "Tu peux nous expliquer qui tu es ? Et ce qui s'est passé ?"

Le petit esprit s'assit directement par terre, comme sur le plus confortable des coussins.

Les juniors hésitèrent mais sur un signe de tête des séniors, ils filèrent chercher le thé et un coussin pour Boya qui s'agenouilla devant le petit esprit pendant que les autres restaient debout derrière lui comme ils le devaient.

Un des séniors servit le thé puis recula.

Le petit esprit prit la tasse avec précaution.

"- Les mineurs en boivent souvent. Mais je n'ai jamais gouté. Ils me donnent de l'alcool, des fruits et les reliefs de leurs chasses. Et des fleurs aussi. J'aime bien les fleurs !"

Ce simple commentaire suffit pour confirmer aux prêtres qui étaient le petit esprit. Non, le petit dieu mineur devant eux.

"- Je m'appelle Weishi De Ren." Celle qui nourrit.

Pour des mineurs qui n'avaient que la mine comme seule ressource, le nom était évident. Ils ne devaient même pas désigner la mine autrement. Ils avaient devant eut la personnification de la mine, née de siècles d'usage, d'offrandes et de prières jusqu'à ce qu'un dieu émerge de la ferveur populaire.

"- Salutation, Weishi De Ren." Le groupe entier se prosterna devant la petite divinité qui rougit affreusement mais se nourrit en même temps de leur dévotion avec soulagement. "Que s'est-il passé ?" Insista Boya.

Le jeune dieu qui ressemblait à un adolescent de quinze ans soupira doucement. Il n'avait voulu faire de mal à personne. C'était juste que les filons qu'exploitaient les mineurs se tarissaient. Il ne voulait pas qu'ils partent alors il avait cherché à ouvrir des accès aux autres filons de la montagne. Il avait été idiot de le faire pendant que des mineurs étaient à l'intérieur mais il avait entendu leurs craintes de devoir partir et y avait répondu immédiatement.

Boya hocha la tête.

"- Je vois. Je me doutais de quelque chose comme ça."

"- Je ne veux pas perdre mes amis." Souffla doucement le jeune dieu de la montagne.

Il était physiquement humanoïde bien que sa peau soit très foncée et ses yeux brillants comme des braises. Ses pieds étaient proches des sabots des chèvres des neiges et sa voix rocailleuse. Il n'était pas difficile de savoir au coup d'œil ce qu'il était.

"- Les villageois seront heureux de savoir qu'ils ne risquent rien et que quelqu'un veille sur eux." Et ils voudraient veiller sur leur dieu aussi. En général, les village étaient possessif et protecteur de leur dieu. "Mais pour cela, il faut que vous les rencontriez."

Le jeune dieu rosit doucement.

"- Vraiment ?"

"- Nous allons tout organiser, d'accord ? Pendant que nous prévenons les villageois, profitez que la mine soit vide pour ouvrir toutes les brèches que vous voulez. Et lorsque vous voudrez en ouvrir d'autres, prévenez les avant qu'ils se mettent à l'abri."

Weishi De Ren remercia avec effusion. Il était encore si jeune… D'ici quelques siècles, il aurait gagné en dignité et en sagesse. Mais pour l'instant, il avait surtout besoin d'indulgence et d'affection.