Chapitre 30

"- Cette plaisanterie n'a que trop vécut." Grogna Boya en se réveillant pour une énième fois dans ce qu'il pensait être l'infirmerie.

"- Je dois avouer que je n'ai jamais vu un cultivateur passer autant de temps à l'infirmerie que vous." Rit gentiment une voix sur sa droite. Ce n'était pas celle du maître guérisseur ni celle de son élève.

"- Seimei…" Il y avait du soulagement dans la voix de Boya.

Une main glaciale se posa sur son front.

"- Comment vous sentez vous ?"

"- J'ai une migraine à tuer un âne et… pourquoi ai-je des pansements sur les doigts ?"

"- Vous ne vous rappelez pas ?"

Boya ferma les yeux pour tenter de se souvenir. La main froide sur son front lui faisait du bien. Elle apaisait la fièvre qui rongeait ses méridiens. Pourtant, le vieux maître n'utilisait pas son qi sur lui. C'était juste sa présence qui l'apaisait ainsi.

"- …la musique…"

"- Oui ?"

"- La musique. C'était comme si elle me parlait. Comme si elle m'attendait. Elle voulait que je fasse quelque chose avec elle." Il sentait le large sourire du vieux maître qui l'encourageait silencieusement. "Elle voulait… elle chantait… elle chantait dans mes veines, sous ma peau… Elle… j'ai vu… J'ai vu… J'ai vu ?"

La main sur son front se fit plus lourde pour le forcer au calme.

"- Vous avez réussi à Chorégraphier la musique que les démons sur Seigneur Anbei Harmonisaient. Vous lui avez offert votre Chorégraphie pour qu'il la Danse et en offre les bénéfices à ceux qui assistaient à l'Harmonie. Le Seigneur Anbei est aussi un Chorégraphe. Mais il y avait des siècles qu'il n'avait pas Dansé la Chorégraphie d'un autre. C'est un grand honneur que vous lui avez fait de lui offrir autant de pouvoir à utiliser."

"- …Je ne comprends rien."

"- Oui, j'en suis certain. C'était un accident. Mais vous apprendrez. Après tout, vous avez aussi réussi à ouvrir votre troisième œil. C'est pour ça que vous avez tellement mal à la tête."

"- … J'ai… Alors ce que j'ai vu…"

"- Vous avez vu les formes spirituelles des démons et esprits présent. Vous avez peut-être même vu les formes intérieures des humains présents."

"- Je…"

"- La aussi il vous faudra un peu de temps pour apprendre à maitriser cette découverte. Mais je vous fait entièrement confiance pour y parvenir. Vous avez fait le plus dur."

Boya ne réalisait pas. Mais de tout le Temple, il était à présent le Cultivateur le plus important. Certains pourraient tenter de détruire l'Empire pour mettre la main sur lui s'ils étaient au courant.

Choqué et perdu, Boya ne savait que répondre.

"- Vous avez encore besoin de repos, Boya. Dormez. Vous ne serez jamais seul."

Boya se rendormit très vite. Sans le vouloir, il lança une ligne à la recherche d'un shishen. Il avait besoin de se sentir protégé et à l'abri. Naturellement, il commençait à chercher celui qui l'y aiderait. Comme à chaque fois qu'il s'y essayait, une présence effleura la sienne. Elle n'était plus aussi curieuse que les premières fois. Depuis quelques temps, elle était impatiente et avide de le rejoindre.

"- Bonjour."

L'esprit ne répondit pas vraiment à Boya. Il y eut simplement une impression de chaleur avant que les restes de conscience n'abandonne le jeune homme au sommeil.

Abe no Seimei suivait Boya à la trace avec une détermination touchante. Si au début, Boya avait été reconnaissant, puis amusé, il était maintenant fortement irrité par la présence constante à la frontière de sa conscience. Seimei était une nounou efficace mais une nounou qui prenait beaucoup de place, il fallait l'avouer. Boya ne savait comment lui expliquer que sa présence près de lui l'aveuglait presque aussi bien que ses yeux morts le faisaient. Son qi était si flamboyant et glacé tout à la fois bien qu'il fasse des efforts pour le retenir, Boya en était certain, qu'il était impossible pour l'ancien chasseur d'utiliser sa 'vision' confortablement quand il était près de lui. Avec tout ce que le vieux maître faisait pour lui, Boya ne savait pas trop comment lui expliquer le problème qu'il représentait. C'était quand même faire preuve d'une totale ingratitude de se plaindre de sa présence et de son aide.

Alors pour l'instant, Boya travaillait principalement sa cultivation musicale.

Les premières semaines, il avait refusé l'aide que le Seigneur Anbei voulait lui envoyer mais lorsqu'il avait failli mettre le feu à la salle de musique, on ne lui avait plus laissé le choix.

C'était pour ça qu'il était à présent en face d'un esprit aussi vieux que puissant que Boya connaissait déjà de vue et qui buvait tranquillement une tasse de thé pendant que Seimei lui faisait la leçon.

"- Abe no Seimei." Finit par lâcher l'esprit, visiblement ennuyé. "Ne me faites-vous pas confiance ?"

Boya était sûr qu'il y avait là plus qu'une simple question mais était incapable de savoir ce qu'il y avait en dessous.

"- Bien sûr que si"

"- Alors allez donc vaquer à vos occupations au lieu de m'assommer de recommandations sur la méthode pour faire mon travail. Recommandations que je vais de toute façon m'empresser d'ignorer. Qui est l'Harmoniste entre nous ? Vous ou moi ?"

Le vieux maître se mit à marmotter entre ses dents une protestation inaudible mais finit par soupirer.

"- Boya, je te confie à Kuang HuaShi. C'est l'un des meilleurs, si ce n'est le meilleur pour t'enseigner la cultivation musicale. Entre autre. Je reviendrais plus tard."

"- Faites donc ça." Le chassa cavalièrement l'esprit. "Et ne vous précipitez pas pour revenir. Nous avons beaucoup de choses à nous dire, le jeune Boya et moi. Allez donc repriser vos chaussettes ou compter vos poils. Ça vous occupera. Vous couvez bien trop ce gamin. Ce n'est ni un œuf, ni un renardeau en mal de parents. Ouste !"

Le coassement de scandale du vieux maître arracha un gloussement à Boya qui l'étouffa de son mieux avec ses mains. Il ne voyait pas le regard outragé de Seimei mais pouvait l'imaginer.

Le vieux maître lâcha un dernier reniflement outré puis quitta la salle de musique, drapé dans sa dignité un peu mitée aux entournures.

"- Celui-ci vous remercie pour votre présence." Remercia Boya une fois seul avec son professeur. Il ne l'avait pas demandé mais allait en profiter de son mieux.

"- Celui-là a mis bien longtemps à l'accepter. L'orgueil est mauvais conseiller, Boya-Daren."

"- Je me souviens de vous. Et ce n'est pas une question d'orgueil." Grimaça Boya. Mais bien plus de ne pas savoir s'il parviendrait à accepter qu'un esprit lui apprenne quelque chose. Boya avait parfaitement conscience après tous ces mois passé au Yin Yang que sa perception des autres races était au pire raciste, au mieux xénophobe. Sans compter son passé de chasseur qui lui faisait considérer tous les non-humains comme des victimes et des proies à abattre.

L'esprit reposa sa tasse.

"- Vous êtes jeunes. Vous apprenez déjà à vous remettre en question et à changer. Je n'aurais pas accepté de vous enseigner si j'étais persuadé que vous n'êtes qu'un chasseur obtus incapable d'apprendre. Laissez-moi me présenter simplement pour de bon cette fois. Peut-être vous sentirez vous plus à l'aise quand nous nous connaitrons mieux. Vous m'avez déjà entendu jouer et nous avons déjà discutés. C'est moi qui ai gagné, comme tous les ans, les jeux musicaux de l'hiver. Et c'est moi qui dirigeait l'Harmonie du printemps avant que vous n'en tissiez la Chorégraphie pour le Seigneur Anbei. Comme vous l'avez entendu, je m'appelle Kuang HuaShi. Je suis un esprit né de la cultivation d'une poupée de porcelaine créée pour une petite fille très loin au sud. Je suis passé de mains en mains pendant bien des générations avant qu'une cultivatrice artistique réalise que j'étais au bord de l'émergence et me cultive personnellement pour m'aider à émerger. Je suis restée avec elle jusqu'à son décès avant de reprendre ce qu'elle faisait et ne parte à l'aventure. C'était il y a très, très longtemps." Et c'était surtout l'histoire qui était racontée à tout le monde et assez loin de la vérité pour le protéger. Personne n'avait besoin de savoir à quel point sa naissance avait été proche de sa rencontre avec le Seigneur Anbei.

Boya ingurgita les informations avec avidité. Il ne savait pas trop à quoi correspondait un bon tiers mais c'était intéressant. Cela sous entendait que des objets pouvaient se cultiver aussi bien par accident que spécifiquement. Boya le savait bien sûr. Mais en avoir la preuve du résultat sous les yeux ? C'était remarquable !

Il réalisa soudain.

"- HA ! une poupée vous dites ? De la taille d'un enfant de cinq ans environ ? Avec des dessins de fleur sur le visage et les mains noires ?"

Il y eut comme un flottement de surprise.

"- Comment…"

"- Je vous ai vu. Il y avait un grand corbeau blanc près de vous."

"- Un corbeau blanc… Ho… HO ! Le seigneur Anbei m'a informé que vous aviez réussi à ouvrir votre troisième œil mais je n'imaginais pas…. Oui, c'est ma "vraie" réalité, si on peut appeler ça comme ça."

Boya s'inclina profondément pour saluer respectueusement l'esprit. Il avait vu sa force après tout. Il s'était gorgé de sa musique.

"- Je vous suis reconnaissant de ce que vous voudrez bien m'enseigner."

"- Alors commençons tout de suite, voulez-vous ?"

Boya prit son dizi après avoir tendu ses mains à l'esprit qui voulut s'assurer que ses doigts étaient guérit.

Puis il se mis à jouer naturellement pour que Kuang HuaShi puisse juger de ses talents. Basculer dans une transe légère ne fut guère compliqué. Ne pas s'y perdre beaucoup plus. Garder le contrôle de sa musique au lieu de la laisser l'utiliser pour s'émanciper tout autant compliqué.
Au bout de quatre heures, Boya était hors d'haleine et trempé de sueur. Ses méridiens vibraient de musique et de plaisir. C'était bien différent de l'épuisement satisfait d'un entrainement martial mais tout aussi appréciable.

Kuang HuaShi le remercia.

"- Je reviendrais après-demain. Ne touchez pas à votre dizi d'ici là. Laissez-vous le temps de vous reposer. Vous pouvez vous entrainer martialement demain. Vous avez besoin d'apprendre à prendre le temps, jeune Boya. Vous êtes avide de progrès et de découverte. Vous voulez la perfection tout de suite, quitte à vous rendre malade et à vous blesser pour utiliser la cicatrisation comme un progrès. Cela vous à servit jusque-là mais avec la cultivation musicale, vous ne pouvez-vous permettre ceci. Je vais vous apprendre à accorder vos méridiens comme le plus délicat des instruments. Je vais faire de vous un instrument vivant. Mais pour cela, il vous faut du doigté et de la délicatesse. Il ne s'agit pas ici de taper le plus fort possible avec une épée sur le premier machin qui passe."

"- Alors ? Comment s'en tire-t-il."

"- Seimei… Ne vous avais-je pas dit d'aller vous perdre ailleurs ?" S'irrita Kuang HuaShi.

"- Ha, mon cher HuaShi, je ne suis pas le genre de créature qui peut rester perdu très longtemps avant qu'on ne l'appelle à nouveau." Il posa une main sur l'épaule de Boya qui soupira de plaisir à la fraicheur qui l'envahit doucement.

L'inconfort de ses méridiens surexcités se calma très vite. Malgré son irritation, l'esprit ne put protester. C'était effectivement une bonne chose.

"- Je vais vaquer. Boya, attendez moi après-demain en début d'après-midi et le surlendemain ensuite. Nous travaillerons un jour sur deux ensemble. Seimei, raccompagnez moi, voulez-vous ?"

"- Boya, tu pourras retrouver ton chemin tout seul ?"

L'ancien chasseur eut un sourire railleur.

"- Je crois que je peux faire cinquante mètres sans que vous me teniez la main, vous savez."

Seimei eut la grâce de rosir un peu.

"- Il vous faudrait un rejeton ou un élève, Seimei. Vous êtes insupportable." Insista Kuang HuaShi au maître du yin yang qui lui dédia un regard meurtrier que Boya ne put heureusement pas voir mais qui fit pâlir l'esprit qui s'inclina silencieusement profondément pour s'excuser de sa grossièreté.

Boya était déjà en train de nettoyer sa flute tout autant qu'il se détendait lentement. La musique vibrait encore dans ses nerfs comme s'il était un verre en cristal. S'il en faisait trop, il avait peur de voler en éclat. Il allait faire attention comme son professeur le lui avait ordonné.

Sans le vouloir, il se mis à fredonner doucement. Derrière lui, l'esprit hocha la tête avec satisfaction. Le gamin était un instinctif. Il avait trouvé de lui-même sans son aide comment évacuer la Vibration qui restait tout au fond de lui. S'il n'y était pas parvenu d'ici leur prochain cours, il le lui aurait dit. Mais là… Vraiment, l'instinct du gamin était sa plus grande qualité.

Pendant que Boya s'occupait de son instrument puis se massait les mains sans même y réfléchir pour s'éviter des douleurs inutiles, Seimei accompagna Kuang HuaShi jusqu'à un coin tranquille d'où il pourrait lui ouvrir un portail pour qu'il rentre chez lui.

"- Je ne m'attendais pas à ça, je suis désolé." S'excusa encore l'esprit.

Le vieux maître secoua la tête.

"- C'est moi qui suis désolé. Boya à ce petit quelque chose qui me donne envie de ne pas le laisser partir."

"- Faites attention. Trop d'allégeances contraires pourraient devenir problématiques."

Le vieux maître le savait.

"- Pour l'instant, il appartient au Yin Yang."

"- Pour l'instant."

L'esprit et l'homme en robe blanche étaient d'accord.

"- Seig…"

"- Chut. Les murs ont des oreilles ici. Personne n'a besoin d'en entendre trop sur les errances du Seigneur Anbei."

L'esprit hocha la tête. Seimei tenait aux secrets qui lui avaient été confiés autant qu'aux siens propre. Parler ici n'était jamais une bonne idée.

"- Le Seigneur Anbei rouvrira un portail pour moi après-demain. Il tient fortement à ce que le jeune Boya puisse réaliser tout son potentiel."

"- Le Seigneur Anbei est une vieille rosse mesquine autant que cruelle quand il le veut. Et je le crois très mécontent de la gestion de JingYun. Il ne m'étonnerait pas qu'il se décide à se mêler de leur politique interne avant longtemps pour leur faire connaitre son fort déplaisir." Souriait largement Seimei.

"- Le Seigneur Anbei est un danger public mais un roué de génie. Quand il le veut. Il est juste dommage qu'il ne prenne pas davantage au sérieux ses responsabilités politiques."

"- Il s'occupe plus facilement de ses gens que de politique."

"- TianGou et lui ont eu des discussions assez remarquables ces derniers temps."

"- Seigneur ou Roi, la différence est faible. Et tous les deux savent l'important."

"- TianGou est plus brutal que le Seigneur Anbei. Peut-être que celui-ci devrait en prendre exemple."

"- Je ne suis pas le gardien de la conscience de QingMing, Kuang HuaShi."

"- Malgré le silence, nous savons tous les deux ce qu'il en est vraiment. Boya n'est pas le seul qui doit prendre garde à ne pas se perdre dans une Harmonie." Gronda gentiment l'esprit.

"- Je crois que cette question ne se pose plus depuis bien longtemps" Soupira Seimei. "Peut-être un jour…"

"- Chut, Seimei. Comme vous l'avez dit, les murs ont des oreilles ici. N'oubliez pas qui vous êtes. C'est la seule chose qui vous est demandé."

Abe no Seimei ouvrit un portail directement dans la Maison du Seigneur Anbei. Le vieil esprit passa le seuil du portail qui se referma sur ses talons.

Le vieux maître soupira doucement.

Tout finissait par revenir à une question de devoir, n'est-ce pas ? De devoir et d'identité.

Il eut un pauvre sourire un peu désabusé avant de retourner voir Boya. Sans grande surprise, une fois son dizi propre et rangé, ses mains massées jusqu'à ce que la Vibration de l'Harmonie les aient quitté, il s'était assoupi comme une masse.

Seimei le souleva doucement dans ses bras sans la moindre difficulté et le porta dans ses appartements via un portail.

Il le posa sur le lit, lui retira ses bottes puis le borda gentiment avant de le laisser tranquille pendant qu'il allait opérer une razzia en cuisine. Seimei avait faim mais Boya serait affamé lorsqu'il se réveillerait. Utiliser consciemment une nouvelle cultivation était toujours un gouffre à énergie. Lui qui était déjà maigre comme un pinson au début du printemps allait bientôt passer derrière les tentures collées aux murs sans les faire bouger s'il maigrissait encore et ses muscles en pâtiraient. Il fallait qu'il fasse du gras autant que des muscles. Pour ça, il n'y avait pas trente-six solutions à part faire plusieurs petits repas très caloriques tout au long de la journée.

Les semaines à venir allaient se résumer pour Seimei à nourrir le jeune homme autant qu'à le protéger.

Une satisfaction réelle lui remonta dans le ventre à cette idée.

Le maître d'arme avait été mécontent de savoir que Boya ne s'entrainerait plus avec lui qu'une fois tous les deux jours jusqu'à ce qu'on lui explique très concrètement à quoi le jeune homme devait partager son temps.

Le vieil homme avait levé les bras au ciel en hurlant. Voulait-on le tuer à la tache ? Le pauvre gamin en faisait plus que deux disciples en même temps !

Pourtant, cette débauche de travail semblait ravir Boya.

Abe no Seimei ne le lâchait pas d'une semelle et le bourrait de nourriture dès qu'il le pouvait.

Le maître d'arme avait hurlé une fois de plus quand le squelette sur pattes avait commencé à faire du muscle et même un peu de gras. Mais ils ne le nourrissaient pas avant ou quoi ?

Et il ne parlait pas du regard des filles (et des garçons) de la secte qui trouvaient déjà Boya tout à fait sympathique avant et venaient lui courir derrière avec un entrain maintenant remarquable.

Si on ajoutait ses qualités de musiciens qui s'affinaient chaque jour, il y avait toujours une demoiselle aux yeux de biche (ou pas) qui lui faisait des sourires appréciateurs quand il sortait son dizi pour inviter la population locale à lui tenir compagnie la nuit.

Abe no Seimei avait pris sur lui d'avoir une longue discussion avec Boya pour s'assurer qu'il ne faisait pas n'importe quoi et que l'infirmerie lui avait donné de quoi se protéger des trucs pas marrants. Comme c'était le cas, le vieux maître avait été très déçu de ne pas pouvoir hurler une fois de plus.

Seimei aimait bien hurler à la lune.

Bah.

Le maître d'arme finit par sonner la fin de l'entrainement du jour. Boya avait repris son épée avec talent. Il n'avait pas encore retrouvé son niveau de base mais il s'en rapprochait chaque jour. Quant à ses qualités avec un éventail, elles se développaient remarquablement elles aussi. Il était plus lent qu'à l'épée bien sûr. L'épée lui avait été mise dans les mains quand il n'était qu'à peine plus qu'un bébé. Pour l'éventail, c'était quelque chose de totalement neuf qu'il découvrait. Il fallait qu'il désapprenne avec cette nouvelle arme tout ce qu'il avait pu apprendre à l'épée. Mais sans le perdre quand même pour le remplacer.

Ha, c'était compliqué pour Boya. Surtout qu'il ne pouvait voir ce que faisait le maître d'arme. Il percevait un peu ses mouvements bien sûr. Le maître d'arme était une masse noire en mouvement dans le doré ambiant de la secte. Mais ce ne vaudrait jamais des heures et des heures à voir réellement ce que faisaient ses premiers professeurs.

He Shouyue se moquait de lui tous les jours évidemment. Pourtant, ses moqueries avaient perdu leur caractère cruel pour se rapprocher de plus en plus de moqueries potaches. C'était sans doute ce qui perturbait de plus en plus le chasseur. He Shouyue semblait hésiter entre ses manières agressives et brutales et une tentative maladroite de faire ami-ami. Il était du genre à lui jeter à la figure une boite de bonbons et lui hurler dessus pour qu'il l'accepte parce que sa maigreur était une insulte pour le Yin Yang. Vraiment, c'était perturbant. Mais comme Boya avait été intégré à une classe de son niveau une fois ses premières armes faites avec un éventail il n'avait pas vraiment le temps de se pencher sur les états d'âme du jeune homme. Les shidi avec lui avaient dix ans, pas plus. Mais Boya progressait.

Cette fuite en avant n'était pas la première et ne serait pas la dernière.

"- Boya. C'est l'heure."

Le jeune homme grogna. Il n'avait pas envie de s'arrêter. Comme lorsqu'il jouait de la musique, il n'avait jamais envie de s'arrêter. Il voulait continuer jusqu'à ce que la musique ou son arme ne fasse plus qu'un avec lui. C'était dangereux. Ça avait toujours été dangereux et sur le fil du rasoir, à la limite de l'obsession qui aurait pu le faire basculer. Mais Boya avait toujours fait ainsi. Si les conditions étaient un jour favorable, il n'était pas dit que Boya ne devienne pas un démon.

"- Seimei… Je veux continuer."

"- Non."

"- Seimeiiii !"

Le vieux maître haussa un sourcil. C'était bien la première fois que Boya boudait et protestait comme un môme.

"- Tu as décidé de faire ton He Shouyue ?"

Boya lâcha un coassement scandalisé. Non mais ça allait bien les insultes ?

Une serviette qui sentait bon la neige fraiche lui tomba sur le crâne. Le froid cinglant le ramena à la raison.

"- Pardon." S'excusa-t-il immédiatement, honteux de son éclat.

"- Je comprends ton envie d'avancer et ton amour de ton art, Boya. Mais ne le laisse pas te dévorer. C'est ainsi que naissent les démons. Et tu es bien trop joli garçon pour que tes fans te laissent basculer ainsi."

Boya s'empourpra affreusement, au grand amusement du vieux maître qui rit de bon cœur. Boya ne passait pas une nuit seul depuis des semaines, mais il rougissait comme un adolescent dès qu'on lui en faisait la remarque. C'était mignon. Un peu ridicule évidemment, mais mignon. Surtout après tout ce qu'il avait dut faire pour survivre à JingYun.

Seimei passa un bras dans le dos du jeune homme pour le conduire aux bains de la secte. Il avait l'habitude de l'y abandonner le soir. Le vieux cultivateur faisait totalement confiance à la faune féminine qui les hantait pour prendre soin de Boya jusqu'au matin. Seimei n'avait pas l'habitude de passer autant de temps à la secte, ni de devoir rester avec autant de gens aussi longtemps. Ses batteries à socialisation humaine s'épuisaient vite et se rechargeaient lentement. Dès qu'il était sûr que Boya était en bonne compagnie le soir, et surtout, à l'abri de quiconque aurait eu l'idée étrange de vouloir lui faire du mal, il ouvrait un portail pour aller se cacher dans sa tanière jusqu'au matin.

Zhong Xing avait été cruel avec lui de lui coller la sécurité de Boya dans les pattes comme il l'avait fait. En tout cas, c'était ce qu'il répétait à l'envie malgré son grand sourire. Avec un peu de chance, quelqu'un allait le prendre en pitié et s'occuper de lui ? Quoi qu'il était si vieux… Qui s'occupait des vieux chiens dans son genre ? Pour un peu, il se serait faire plaindre, tient.

Et puisque Boya était à l'abri, autant qu'il aille embêter un peu Zhong Xing. Il était sûr que le chef de secte s'ennuyait de lui.

Zhong Xing grogna quand ont entra dans son bureau sans même frapper. Il n'y avait que deux personnes et un shishen à s'y risquer : Gold Spirit, sa femme et Abe no Seimei.
Les deux premiers avaient pitié de lui à cette heure. Il ne restait dont qu'une seule et unique personne pour venir lui pourrir la vie.

"- Bonsoir, Seimei."

"- Cachez votre joie de me voir, Zhong Xing. Autant d'enthousiasme, c'est indécent."

Le chef de secte jeta un regard noir au vieux maître. Qu'est-ce qu'il pouvait lui dire ? L'homme arrivait même à tenir tête aux généraux du Seigneur Anbei. Et s'il n'avait jamais vu le Seigneur Démon et le Vieux Maître ensemble dans la même pièce, il était sûr que soit ils se haïssaient depuis le premier regard, soit ils s'entendaient comme larrons en foire. Dans tous les cas, ce serait des migraines en plus pour lui s'il s'y trouvait confronté. Il ne voulait donc pas être au courant. Et si, comme il en était presque sûr malgré tout, les deux individus étaient plus proches que des amis ne devraient l'être, il pouvait encore faire comme s'il n'était pas au courant et s'épargner bien des céphalées mystiques.

"- Que puis-je pour vous ?"

"- Je veux vous parler de Boya."

Immédiatement, Zhong Xing leva le nez des rapports qu'il lisait, inquiet.

"- Il y a un problème ?" Le gamin n'était pas là depuis un an mais il s'était attaché à lui.

Ce gosse avait tellement subit ! Il aurait été en droit de demander à juste pouvoir se reposer au calme et à l'abri. Zhong Xing l'aurait compris et aurait fait de son mieux pour l'exhausser. Mais à l'inverse, il semblait déterminé à soulever des montagnes et plier le monde à sa volonté au lieux de se rouler en boule par terre pour se soumettre au destin. Boya était un guerrier. Il ne laisserait personne l'oublier. Pas même les instances supérieures qui décidait de la vie des pauvres mortels qu'ils étaient.

"- Pas de problème à proprement parler, non. Mais je m'inquiète de la propension de Boya à oublier de prendre soin de lui-même. Actuellement, il se remplume enfin, il fait du muscle et même un peu de gras." C'était important le gras à leur latitude. "Mais il va finir par se lasser de m'avoir sur le dos en permanence. Je m'arrange pour lui laisser ses soirées tranquilles mais…"

Zhong Xing renifla. Les exploits de Boya entre les couvertures étaient sur toutes les lèvres et dans toutes les bouches, entre jalousie amusée et fascination hilare. Plus d'un jeune sénior ou maître de son âge protestait en riant que le cheptel féminin de la secte n'avait plus d'yeux que pour lui et qu'ils allaient devoir attendre que la nouveauté s'estompe. Heureusement que ça restait de la plaisanterie.

"- Blague à part. Le plus gros risque qu'il court actuellement, c'est d'aller trop loin et de se brûler les ailes. Il est trop impatient de se dépasser et de prouver qu'il n'est pas inutile."

Zhong Xing grogna en se prenant la tête dans les mains. Boya en était encore là ? Mais quand réaliserait-il que même s'il décidait de rester assis sur ses mains et de ne plus jamais rien faire il aurait quand même sa place parmi eux ?

"- Et que voulez-vous que je fasse ?"

"- Je veux qu'il quitte le temple."

"- QUOI ?"

"- Calmez-vous, Zhong Xing ! Pas le chasser. Au contraire. Qu'il aille en chasse. Il a bien accompagné des juniors sur le terrain il y a quelques temps, non ? je voudrais que vous l'y renvoyez régulièrement. Il a besoin de brûler cette énergie qu'il a en trop. Et d'avoir la certitude d'être utile à la secte en faisant quelque chose qu'il comprends comme étant utile. Il reste un Chasseur. Il lui faudra du temps pour ne plus l'être dans sa tête. Et puis, il pourra aussi utiliser les nouveaux talents qu'il est en train de cultiver."

"- On le fait déjà garder jour et nuit à l'intérieur de la secte ! Et vous voulez l'envoyer dehors ?" Est-ce que Seimei était enfin devenu gâteux ?

"- Je ne vous dis pas de l'envoyer seul évidemment ! Mais la chasse que vous lui aviez confié était parfaite. Les gamins autant que les séniors étaient très satisfaits. Il doit bien y avoir quelque chose de la même eau qui attends dans les cartons. Le yin yang est un temple d'investigation. Pas de massacre après tout."

Zhong Xing eut un geste vague vers une pile de dossiers à la hauteur impressionnante.

"- Pour y avoir de quoi faire, il y a de quoi faire."

"- Parfait ! Et bien propulsez le inspecteur ou je ne sais quoi, faites lui une équipe et envoyez le se balader régulièrement. Ça fera du bien à tout le monde. Et ça empêchera peut-être qu'il mette enceinte toutes les filles de la secte."

"- Ha ? Il y a eu des accidents ?"

"- Pas encore, mais ça finira bien par arriver s'il ne se calme pas." Ce qui ne serait pas en soi un problème n'eusse été la jalousie de Seimei à cette idée. Il était possessif avec le jeune homme.

Bref.