Chapitre 32

Les six enfants se mirent à râler comme seuls des enfants heureux peuvent le faire. Il était trop tôt pour aller se coucher ! Et puis ils n'avaient pas diné correctement. Il faisait faim, ils devaient prendre des forces et ils iraient se coucher uniquement si leur Shixiong leur racontait une histoire et leur jouait quelque chose.

Boya en resta comme deux ronds de flanc.

"- Mais… mais vous négociez, ma parole !" Il ne savait pas s'il était scandalisé ou hilare.

"- Bah oui ! On est tous censés être un peu des diplomates." Fit remarquer un des petits.

S'en fut trop pour Boya qui éclata de rire, ce qu'il ne se serait jamais permis quand il était encore à JingYun.

"- D'accord, d'accord. On va demander à manger aux serviteurs. Pendant qu'ils nous apportent ça, vous allez au bain." Il fit signe aux séniors pour qu'ils s'occupent d'eux. "Ensuite au lit et je vous raconterais une histoire."

"- Et de la musique." Exigèrent les enfants.

"- Et de la musique." Soupira Boya

"- Vous vous faites totalement avoir, Boya Daren."

"- Bah, ça ne fait de mal à personne." Souriait encore l'ancien chasseur.

Il préférait largement ce genre de magouilles à toutes celles auxquelles il avait survécut avant.

Les gosses de précipitèrent aux bains, les séniors dans leur dos.

Boya appela un serviteur qui attendait comme prévu devant la porte close de leur petit appartement.

"- Pouvez-vous nous apporter de quoi manger pour dix ? Ainsi que du thé. Et s'il y a des petits gâteaux prêt en cuisine pour les enfants, ce serait apprécié."

Le serviteur s'inclina immédiatement, un peu mal à l'aise sous le regard aveugle du prêtre en blanc. Même avec le bandeau sur ses yeux, le serviteur était certain qu'il voyait quand même quelque chose. Et sans doute davantage que bien des gens avec leurs yeux. Il ne faudrait pas longtemps avant que des rumeurs totalement farfelues commencent à se répandre.

"- Bien sûr, Daren."

Il fila aussi vite que possible en cuisine pour en revenir avec quatre collègues qui l'aidaient à porter les plateaux pour dix personnes ainsi qu'un petit plateau de douceurs plus le thé.

Le serviteur toqua à la porte. Un des séniors ouvrit pour qu'ils installent les plateaux au sol après en avoir déployé les pieds. Des coussins épais et l'avant de l'appartement qui servait de zone de réception était transformée en salle à manger assez cosy.

"- Nous mettrons les plateaux à l'extérieur quand nous aurons finit." Prévint encore Boya pendant que les juniors s'installaient correctement chacun devant un plateau pendant que l'un des séniors servait le thé après avoir gentiment récupéré la théière des mains d'un des serviteurs.

Les hommes se retirèrent après quelques dernières inclinaisons du buste.

Une fois la porte refermée et un talisman supplémentaire dessus pour avoir du calme, chacun sortit sa paire de baguette. Elles étaient en argent bien sûr. Au contact du moindre poison, elles souilleraient les aliments de vert ou de bleu ou deviendraient noires.

Les juniors comme les séniors touillèrent allègrement leur nourriture pour vérifier que tout était exempt d'assaisonnement indélicat.

Boya fit de même mais dû attendre qu'un des séniors vérifie son propre plat.

"- Il n'y a rien."

"- Et le thé ?"

"- Pur aussi."

"- Rincez les tasses avec de l'eau bouillante et nous pourrons commencer."

Une fois les dernières petites touches de sécurité mises en place, les enfants se jetèrent sur la nourriture. La petite collation qu'ils avaient eu plus tôt ne leur avait pas remplis la dent creuse.

Boya resta à les observer avec sa "vision" un moment pour s'assurer que rien ne se produisait. Si quelqu'un devait avoir une réaction, il fallait qu'un d'eux au moins soit en état d'agir. Comme tout semblait bien se passer, Boya se mis à manger lui aussi.

Le repas se fit en silence jusqu'à ce que Boya produise le plateau de douceurs.

"- Un chacun. Pas plus."

Les enfants remercièrent avec enthousiasme. Il y avait huit sucreries mais les enfants ne se battirent pas pour les deux restantes. Boya les laissa aux Séniors qui se les partagèrent.

"- Vous êtes sûr que vous n'en voulez pas ?"

Boya assura qu'il préférait de loin que ses poussins les ai.

"- On est vos poussins ?" Ping YouYi semblait en extase d'être le poussin de Boya.

Tous les autres enfants en frétillaient eux aussi de joie.

Les trois séniors se tenaient un peu mieux, mais à peine.
Comment Boya n'avait-il pas encore compris qu'ils étaient ses shidi dans le sens nordique du terme ?

"- Si vous avez finit de manger, allez-vous laver les mains et au lit."

Les enfants bondirent de leurs places. Ils entassèrent les plateaux vides que les séniors sortirent dans le couloir pour les serviteurs.

Quand ils revinrent, les six enfants s'étaient recroquevillés tous ensemble dans un seul grand lit pour se tenir chaud. Boya avait posé deux grandes couvertures de plus sur eux puis les borda avec précaution avec l'aide des trois séniors.

"- Nous aussi vous allez nous border ?" plaisanta Meng JingYi.

La jeune femme avait les yeux brillants d'amusement. Boya ne le voyait pas mais sentait leur hilarité à tous.

"- Pourquoi, vous voudriez que je le fasse ?"

"- Ne la tentez pas, Boya Daren. Elle serait capable de le demander."

La jeune femme gloussa sans pitié. Quoi, c'était drôle quand même ! Stupide mais drôle.

"- Shixiong ! On veut notre histoire !"

"- Et une chanson !"

Les gamins étaient des petits monstres et des poisons violents.

Boya renifla avec hauteur lorsque les trois séniors se précipitèrent pour enfiler leurs tenues de nuit, s'enrouler dans leurs couvertures et venir s'installer dans le second lit de la pièce. Eux aussi voulaient profiter de l'histoire et de la musique !

Boya trouvait invariablement l'attitude grégaire de la secte nord un peu exagérée. Mais qui était-il pour reprocher à des gens de vivre en bonne harmonie avec les autres ?

Il s'assit sur le bord du lit des petits.

"- Je vais vous raconter une histoire que j'ai lu il y a très longtemps."

"- C'est du vrai ou de l'inventé ?"

"- Je crois que l'histoire est si vieille que c'est devenu la même chose."

"- Ho…."

"- Tous les cents ans, à la capitale, un mal ancien, le premier des démons, se réveille pour ravager la terre et jeter les humains dans une ère de doute et de souffrance. Un jour, les premiers cultivateurs se sont rebellés contre cet état de fait et ont tout fait pour protéger l'Empire. Ils ont scellés des pactes avec des dieux mineurs. En échange de la ferveur des humains, ils devraient protéger l'Empire…"

Boya continua à raconter son histoire jusqu'à son terme et la première fois où les quatre gardiens avaient été invoqués sur le sang et la vie des quatre prêtres pour combattre et contenir le Serpent.

Les enfants en vibraient de fascination.

Ça ne pouvait être qu'une histoire bien sûr ! Jamais personne ne pourrait contenir un démon aussi fort. Jamais des dieux n'accepteraient d'être enchainés. Devenir des shishen, oui. Mais enchainé ? Non. Ou alors, les humains qui les avaient invoqués les avaient trompés. On avait pas le droit de tromper des dieux sans en payer le prix.

Boya laissa les enfants murmurer entre eux pendant qu'il buvait un peu de thé froid. Il n'avait pas l'habitude de parler autant. Raconter des histoires à des petits shidi ne lui était pas inconnu mais avoir en face de lui des auditeurs aussi assidus était un heureux changement. Il était heureux que les petits aient appréciés à ce point son histoire.

Puis il prit son dizi pour jouer une berceuse qu'il chargea d'une larme de qi pour aider les enfants à s'endormir plus vite.

Comme à chaque fois qu'il jouait, il se laissa très vite emporter sur la crête de la vague musicale pour la chevaucher jusqu'à ce qu'elle décide d'aller mourir en même temps que la musique elle-même.

Lorsque Boya reposa son dizi, les enfants comme les séniors dormaient. Le reste du palais aussi dormait.
Et une bonne partie de la ville également. Tous ceux qui étaient allongés et prêt à s'endormir avait été pris dans la vague de berceuse de Boya et s'étaient endormit d'un sommeil aussi profond que réparateur.

Un soupir échappa à Boya. Il tâtonna jusqu'à la porte pour ne pas déranger ses jeunes frères et rejoindre son propre lit tout froid.

Il n'avait pas envie de se coucher immédiatement.

Boya s'installa à la fenêtre, bien emmitouflé dans une couverture épaisse ainsi que sa cape. Il avait bien apprit la leçon que ses orteils brulés par le froid lui avaient enseigné.

Les yeux clos, il passa encore une heure à jouer doucement cette mélodie qui le hantait depuis des semaines sans qu'il ne parvienne à en atteindre la fin. Pour l'instant, ce n'était qu'une boucle de quelques dizaines de mesures qui refusait de se faire davantage connaitre.

Lorsqu'il reposa une fois encore son dizi, deux ou trois notes de plus s'étaient faites connaitre, pas plus.

Boya alla se coucher avec un soupir.

La petite boule d'angoisse au fond de son estomac ne s'était pas apaisée depuis leur arrivée. Il craignait peut-être une mauvaise surprise qui n'arriverait jamais. Ou il craignait simplement qu'un maître de JingYun soit en ville et le reconnaisse, peut-être.

Boya avait peur.

Il ne l'avait pas montré à ses poussins, mais il avait peur.

Peur pour eux, peur qu'on l'arrache à cette nouvelle famille aussi.

Mais la peur était comme la colère. Une vieille amie.

Il s'endormit sans réelle difficulté finalement. Dormir avec la peur au ventre était presque aussi facile que dormir avec la faim au ventre. Il avait appris à le supporter depuis qu'il était un enfant.

Ce furent six météores lâchés de bien trop haut lui tombant sur le ventre qui le réveillèrent en sursaut.

"- SHIXIONG ! LE SOLEIL EST LEVE ! IL FAUT SE LEVER AUSSI !"

Boya s'extirpa de la masse de shidi en pestant. A la porte de la chambre, les trois séniors observaient la scène avec amusement. Si leur ainé ne mettait pas très vite le holà à l'excitation de ses petits élèves, ils allaient s'y habituer et le bouffer tout cru. C'était un équilibre difficile qu'il fallait atteindre entre discipline et laxisme quand on était un professeur au Yin Yang. Boya en était encore loin.

"- SUFFIT !" Finit par rugir l'ancien chasseur.

Les six gamins s'écartèrent comme une volée de moineaux.

"- Qu'est-ce que c'est que ces manières enfin !"

"- Maiiis il fait jour et…"

"- Et je suis venu avec six juniors du yin yang. Pas six démons furets prêts à détruire la ville !" Aboya encore Boya en les foudroyant de son regard mort.

Les six bambins baissèrent le nez, grondés pour le compte.

"- Pardon Boya Daren."

"- Allez vous préparer. Puisque vous avez autant d'énergie, vous n'avez pas besoin de petit-déjeuner."

Les six gosses échangèrent un coup d'œil horrifié. Mais… mais… Mais le manger !

Ils préfèrent filer avant de se faire punir et gronder encore plus fort.

"- Boya Daren… Vous savez que priver un shidi de manger ne fait pas partie de la politique d'éducation acceptée par le Yin Yang." Tenta l'un des séniors.

"- Je sais. Mais ils peuvent attendre deux ou trois heures. Ils ont tellement d'énergie qu'ils n'ont pas besoin de regonfler leurs batteries pour l'instant. On verra un peu plus tard. Et comme nous n'allons pas manger nous non plus pour l'instant, ce n'est pas gênant."

Les trois séniors grognèrent eux aussi. Le manger ! C'était la vie !

Pour la peine, Boya leur fit tous enfiler leurs vêtements sale de la veille puis conduire par un serviteur dans les jardins du palais. Voir les prêtres occupés en courir en rond pour se réveiller sous la voix de sergent instructeur du plus ancien du groupe avait quelque chose de très exotique pour les nobles mais beaucoup moins pour les gardes et les soldats. Eux approuvaient.

Au bout d'une heure à faire trimer ses jeunes élèves, Boya les fit s'arrêter.

"- Alors, vous avez encore l'énergie de me sauter dessus ou vous êtes calmés ?"

Les enfants protestèrent en même temps que leurs estomacs. Il faisait faim avant. Maintenant, il faisait FAIM !

"- MANGER !"

"- Au bain d'abord, vous puez !"

Le Seigneur Feng Guowei avait invité Boya à sa table. Deux des séniors étaient restés avec les enfants pendant que le dernier l'avait accompagné. Boya n'aimait pas l'idée de se séparer de ses hommes. Malheureusement, il devait aussi obéir au seigneur local.

"- Vous avez fait sensation à courir avec vos élèves dans les jardins, ce matin."

"- Mes élèves étaient particulièrement énervés ce matin."

"- Ho ? pourtant tout le palais à particulièrement bien dormis cette nuit. A tel point que s'en est étonnant."

Boya se mordit la langue. Mince, il avait vraiment touché tant de monde que ça ? Flute. A moins que les médiocres ne soient plus sensibles que les cultivateurs pour ça aussi ? Si Kuang HuaShi était au courant, il allait lui arracher la peau du dos, il le savait.

"- Je suis sûr que le soulagement de notre présence à détendu bien du monde." Boya ne mentait même pas vraiment.

Le seigneur du Nord le fixa froidement mais ne dit rien de plus sur le sujet.

Des serviteurs apportèrent de quoi manger aux deux hommes. Le senior qui avait accompagné Boya était un peu à l'écart et avait été servi lui aussi.

"- Quand allez-vous vous mettre au travail ?"

"- Dès que nous en aurons finit ici, Seigneur Feng. A vrai dire, nous avons déjà établit notre stratégie hier soir. Cet après-midi sera consacré à la préparation de la Chasse Nocturne de ce soir. Avec un peu de chance, tout sera terminé au petit matin."

Le Seigneur Feng Guowei en resta perturbé. Si vite ? Même les prêtres locaux n'avaient trouvé aucun indice pour les aider. Et ce gamin en blanc pensait régler le problème en une nuit ?

"- J'espère que vous avez raison, Boya Daren."

"- Je l'espère aussi, Seigneur Feng. Mais nous savons à quoi nous avons à faire. Le plus dur sera de le trouver. Pas de l'arrêter. Si je ne me trompe pas, la créature responsable des morts et des malades ne sera que trop heureuse d'être libéré. Le démon qui impacte votre ville est une victime lui aussi. Il a été enchainé par quelqu'un. Il n'a jamais voulu faire de mal à qui que ce soit."

Le visage du Seigneur du Nord s'était fermé.

"- Qui ? Qui est la victime réelle de cette machination." Il n'était pas resté à sa place aussi longtemps sans pouvoir très vite comprendre ce qu'on lui disait.

"- Je ne peux vous dire. Je ne connais pas la généalogie de vos nobles. Mais tous ceux qui sont morts jusqu'à présent sont de la même famille. Même les miséreux et les pauvres. Le temps et le sang n'ont que faire des castes et de la richesse."

Feng Guowei réfléchit un long moment. Qui… Qui pouvait être visé ?

"- Une ligné plus qu'un individu, Seigneur Feng. C'est l'extermination d'un clan qui a été visée ici." Continua Boya.

"- Le clan Yang. Je ne vois qu'eux."

"- En victime ou en responsable ?"

"- Est-ce que cela a vraiment une différence ?"

Boya haussa les épaules. A l'arrivée, le résultat serait le même. S'ils étaient les victimes, des dizaines d'entre eux étaient déjà morts. S'il étaient coupables, les survivants seraient exterminés.

Boya ne voulait pas savoir si les enfants seraient ou non épargnés. Son travail était d'empêcher le démon de pestilence de tuer plus de monde. Le reste n'était pas de son ressort. La politique ne le concernait pas.

"- N'allez-vous pas me supplier d'épargner le coupable et sa famille ?" S'étonna le Seigneur du Nord.

"- J'ai grandi à la Capitale, Seigneur Feng. Des familles massacrées jusqu'au plus petit nourrisson et jusqu'au dixième liens de sang à l'horizontal, j'en ai vu des dizaines. Et je ne me mêle pas de politique."

Le reniflement de Feng Guowei était chargé d'un peu de mépris.

"- C'est bien la première fois que je rencontre un maître du yin yang qui ne cherche pas à sauver des vies innocentes."

"- Je suis un ancien Chasseur de JingYun, Seigneur Feng. La valeur d'une vie pour vous et moi n'est pas la même." Boya abusait un peu bien sûr. Mais il voulait surtout bien faire comprendre au nordiste qu'il refusait d'être utilisé d'une façon ou d'une autre. S'il voulait épargner quelqu'un, qu'il le décide lui-même. "Je ne suis l'alibi de personne." Une rapide irritation passa sur le visage du Nordiste. "Mais je sais que le Bureau est toujours ouverts pour les plus jeunes disciples jusqu'à une dizaine d'années." Ce n'était pas grand-chose mais si les plus jeunes pouvaient être épargnés…

Boya finit son thé avant de se relever. Il s'inclina devant le seigneur du nord pour le remercier pour le repas puis déplia sa canne en métal. Son sénior se précipita pour glisser son bras sous le sien.

"- Si vous voulez bien nous excusez ? Nous devons être en capacité de faire notre devoir ce soir."

Le Seigneur Feng leur fit signe de partir avec irritation. Le sénior entraina Boya avec lui. Ils ne couraient pas mais ils ne prenaient pas leur temps non plus.

"- Vous l'avez irrité, Boya Daren."

"- Il s'en remettra."

"- J'espère que c'est vrai."

"- Il a besoin de nous. Il a besoin du yin yang, et il sait que même en connaissant le responsable de la situation, il ne peut rien faire lui-même."

Le Sénior hésita.

"- Zhong Xing Zongzhu sera surement irrité que vous ayez ainsi agacé le Seigneur Feng."

"- Le Seigneur Feng s'en remettra. Le Seigneur Feng a très bien comprit qu'il était la véritable victime désignée ici."

"- Boya Daren ?"

"- Soit il a du sang de la famille visée et il risque sa peau. Soit il n'en a pas et le manque de réussite de sa part pour endiguer la situation va causer un fort mécontentement parmi la population. Et pire, un réel mécontentement parmi sa cour. Il n'est fort que du soutien et de l'argent des nobles qui se prosternent à ses pieds. Comme l'extrême majorité des Seigneurs de province. Ils sont généralement renversés et remplacés par d'autres lorsque leurs inférieurs réalisent que leur Seigneur n'a rien de plus qu'eux. A part leur soumission. Fais disparaitre cette soumission et les Seigneurs n'ont pas grand-chose pour se maintenir en place. Si sa cour décide qu'il a dépassé son utilisé, il aura très vite un gros problème de santé. C'est toujours ainsi. Notre présence, en plus de lui apporter la solution sur un plateau, est autant stratégique que relationnelle. C'est pour ça qu'il a insisté dans l'espoir que JE demande grâce pour les coupables. Ou au moins leur famille. Dans ce cas, il aurait été vu comme faisant une fleur à ceux qui ont sauvés la situation."

"- Et d'ainsi diminuer sa dette envers le yin yang, tout en passant pour un homme généreux et compréhensif à moindre frais auprès de la plèbe." Le visage du sénior s'était éclairé. "C'est brillant !"

"- C'est basique, petit, bas et mesquin. Mais toujours efficace."

Un respect nouveau était apparu sur le visage du jeune cultivateur.

"- Je ne pensais pas que vous vous y connaissiez autant en politique, Boya Daren."

"- J'en connais les règles et les armes. Ça ne veut pas dire que j'ai envie d'y participer." Boya avait une grimace de dégout sur les lèvres. "Je détestais déjà ça quand j'étais au Palais Impérial, ce n'est pas pour y plonger à nouveau les orteils ici. Que le Seigneur Feng assume ses choix. Moi, je suis juste là pour que nous réussissions à sauver le plus de monde possible. Et à envoyer la facture la plus salée possible aussi. Il a assez d'argent pour nous payer une petite fortune. Il pourra toujours la rattraper sur les reins de ses nobles. Ça leur fera les pieds."

Boya était un peu dégouté par la situation. Il n'appréciait pas du tout de se retrouver encore une fois plongé dans des magouilles de palais. Quand ils seraient rentrés à la maison, il demanderai respectueusement à Zhong Xing Zongzhu s'il pouvait ne plus l'envoyer ici. Il rêvait de grands espaces pour ses poussins et lui-même. Pas des murs froids et désagréables de palais immobiles et anonymes. Il n'en n'avait que trop hanté dans sa jeunesse jusqu'à ce qu'on lui arrache les ailes.

Un soupir lui échappa.

"- Allons retrouver les autres."

Boya avait soudain peur qu'on leur ai fait du mal après les avoir séparés. Son soulagement lorsqu'il retrouva ses poussins repus ne fut pas feint.

"- Allons trouver un endroit pour travailler vos boucliers, d'accord ?"

La plaisanterie était si belle. Lui qui n'était pas capable d'en produire un allait devoir faire confiance à des enfants encore en gris foncés pour contenir un démon de pestilence d'une force remarquable.

Mais les juniors étaient déterminés. Ils s'organisèrent naturellement par groupe de trois. Pendant une petite heure, sous la délicate vigilance de Boya, ils s'entrainèrent à lancer leur boucliers l'un après l'autre, dès que celui de leur trinôme menaçait de s'effondrer. Pour celui qui s'épuisait, il ne s'agissait pas de forcer mais au contraire de réabsorber au mieux ses forces et de récupérer le plus vite possible pour lancer un autre bouclier dès que celui de leur camarade montrerait des signes de faiblesse à son tour.

Boya les laissa faire jusqu'à ce que le roulement se fasse sans difficulté.
Satisfait, il fit se reposer les enfants autour de ses robes. Les six petits ne mirent pas longtemps à s'endormir contre lui, aussi tactiles que les disciples du nord pouvaient l'être.

Boya ne voyait évidemment pas les curieux qui les observaient de loin. Par contre, il sentait leur présence, leur irritation et même leur réprobation à le voir aussi tactile avec ses élèves autant qu'à les voir endormit en milieu de journée.

Boya aurait presque espéré que quelqu'un viendrait lui faire une remarque. Juste pour avoir le plaisir de le remettre à sa place. Et d'épuiser un peu son stress.

Pendant que les enfant faisaient leur sieste, Boya prit son temps pour revoir avec les séniors le rôle qui serait le leur.

Les petits contiendraient le démon.
Les séniors le soumettraient.
Et lui aurait la lourde tâche, soit de le libérer, soit de l'éliminer suivant comment la situation évoluerait.

Boya espérait vraiment qu'il n'aurait pas besoin de tuer le démon. Pour un ancien Chasseur, il y avait une certaine détresse à se retrouver dans la situation qui était la sienne. Mais Boya n'était plus de JingYun. Il appartenait au Yin Yang. On lui avait demandé de sauver des vies. Pas de tuer sans discrimination.

Si le résultat pouvait se confondre suivant l'évolution de la chasse, la finalité autant que l'idée étaient différentes.

C'était ce qui différenciait si fort les deux sectes. L'une était tournée vers la mort, l'autre vers la vie.

Boya appréciait bien davantage les idéaux du nord que ceux de l'est.

Lorsque les juniors se réveillèrent de leur sieste avec leurs batteries regonflées à bloc, il était plus que temps pour Boya de les encourager dans leur méditation du jour malgré leurs protestations. Ils voulaient que la Chasse soit déjà commencée, eux ! Ils ne voulaient pas méditer !
Raison de plus pour Boya de les y forcer.

Il finit par tirer son dizi de sa ceinture pour jouer une douce balade apaisante dans laquelle il distilla une infime goute de son qi, juste assez pour guider l'esprit baladeur des enfants dans une méditation légère qui les laissa plus détendu et plus sereins quand ils en émergèrent une petite heure plus tard.

Doucement, petit à petit, Boya raffinait ses talents et sa cultivation musicale.

Il ne savait pas encore ce qu'était réellement un Harmoniste et un Chorégraphe, mais peut-être qu'il pourrait l'apprendre seul ? Peut-être qu'il n'avait pas besoin de l'aide de démons et d'esprits pour ça ?

Il n'était pas plus bête qu'un autre. Il s'était imposé la charge de redécouvrir la technique oubliée du troisième œil. Il pouvait redécouvrir ces techniques musicales aussi. Il en était sûr.

Ce qui avait été inventé une fois pouvait l'être encore.

Il le savait.

Il le fallait.

Jamais il ne serait dépendant du bon vouloir de démons ou d'esprit. Même s'il appréciait ses cours avec Kuang HuaShi, son sale carafon voulait qu'il se débrouille tout seul.

C'était aussi ce qui lui faisait rejeter un éventuel shishen. Il n'avait besoin de personne. Il était fort et indépendant. Il n'était pas fragile. Il n'avait besoin que de lui-même.

Boya serra les mâchoires une seconde, sa détermination à progresser seul un peu plus ancrée au fond du cœur.

Lorsque le soleil se coucha sur la capitale du nord, en ce qui aurait été le milieu de la nuit dans l'est, Boya rassembla sa petite équipe autour de lui.

"- Il est temps."

Les enfants avalèrent leur salive mais leur regard était déterminé. Autant que celui des trois séniors.

"- Occupez-vous d'appâter, Boya Daren. Les juniors Capturent. Nous Maintenons."

"- Et enfin, soit j'Elimine, soit je Libère." Résuma une dernière fois encore Boya.

Il sentait malgré tout le stress des jeunes gens autour de lui. Pour Boya, une Chasse de ce calibre était de la petite bière quand il avait ses yeux. Pour ces jeunots, c'était la Chasse la plus difficile à laquelle ils avaient jamais participés.

"- Prêts ?"

"- Prêts !"

Boya ordonna aux serviteurs et aux nobles encore occupés à roder autour du petit jardin qu'ils avaient privatisé pour l'après-midi de partir.
Ça protesta un peu mais les nobles finirent par les laisser, irrité de ne pas pouvoir assister au spectacle.

Boya s'assit sur un rocher près d'une des petites mares qui décoraient le jardin. La proximité de l'eau rendrait l'arrivée du démon plus aisé.

Il tira son dizi de sa ceinture une fois de plus, le porta à ses lèvres puis souffla dedans. Cette fois, pourtant, ce ne fut pas de l'air qui fit vibrer la membrane de l'instrument mais son qi. Purement son qi.

Sa musique était un Appel qu'aucun démon qui en était la cible ne pouvait refuser. Ho, peut-être, sans doute même que le Seigneur Anbei serait assez fort pour y résister. Et ses hommes les plus forts aussi. Mais les autres ?

Boya sentit très vite des présences démoniaques être effleurées l'une après l'autre par sa musique. Une fois encore, il chevauchait la crête de la musique. Cette fois pourtant, ce n'était pas une vague comme celles que crée un galet jeté dans une mare et qui s'éloigne du point d'origine en perdant lentement ses forces jusqu'à disparaitre.
Non, cette fois la musique était une flèche. Une flèche aigue et puissante qui passait de présente en présence à la recherche de sa proie. Boya était sa propre arme et cherchait sa victime.

Après ce qui lui parut être une éternité autant que quelques secondes, Boya trouva sa proie.

La flèche de musique et de qi s'enfonça profondément dans le démon pour l'ensorceler, pour le charmer comme un Renard charme sa victime et l'incite à le suivre pour le dévorer à l'abri.

Boya continuait à jouer sans même s'en rendre compte. Ses doigts volaient sur les trous de son instrument pour créer une musique aussi douce que langoureuse. C'était un Appât qui avait été gobé. La ligne était tendue. Il suffisait juste à présent de la ramener vers le bord sans la casser.

Boya ne pouvait réaliser le passage du temps. Il ne pouvait que tirer lentement sur la ligne pour éviter que sa victime se débatte ou se réveille de la légère transe apaisée où sa musique l'avait plongée.

Lorsqu'il rouvrit les yeux, il distinguait les contours du démon qui ne se débattait même pas devant lui.
Un cri étouffé échappa à Boya lorsque les enfants levèrent leurs bouclier pour enfermer le démon. Sa concentration se brisa sous la douleur d'avoir été aveuglé. Sa musique se cassa aussi net.

Le démon resta immobile une seconde avant de se réveiller lui aussi et de se débattre de toutes ses forces jusqu'à ce que les Séniors ne le contraignent de leur mieux.

C'était maintenant que le plus dur commençait.

C'était maintenant que Boya ne savait pas s'il serait capable de mener son rôle jusqu'au bout.

Il allait devoir parler avec un démon, le libérer, le… Protéger.
L'idée même le dérangeait encore profondément.

Non. Il devait être honnête avec lui-même a défaut d'avec les autre. Il était terrifié malgré les progrès qu'il avait fait.