Chapitre 34

"- Pourquoi a-t-on cru que ce serait amusant ?"

"- Je sais pas." Le ton du jeune disciple était presque aussi dépité que celui de son sénior.

Les disciples étaient tous habillés de leurs meilleures robes, avec leurs plus beaux chapeaux, leurs plus beaux éventails et ils faisaient le pitre devant la cour du Seigneur du Nord dans l'attente du moment où ils pourraient enfin partir. Ils avaient tous fait leur sac caché dans leur manche avant de rejoindre le banquet pour être prêt à passer un portail dès que Boya leur ferait signe.

Les enfants avaient été excités comme des puces d'assister à un vrai banquet ! Ils avaient vraiment cru que ce serait drôle, avec de la musique, des chants, de la nourriture à volonté même… La réalité avait été cruellement bien moins cocasse. La nourriture était chiche et les convives ennuyeux à crever.

Ils voulaient juste rentrer avant de périr d'ennui. Ou de hurler.
Surtout qu'ils sentaient Boya devant eux qui se moquait silencieusement de leur désespoir croissant.

Le chasseur contenait sa propre irritation derrière une façade de sérénité tranquille encore une fois volée à Abe no Seimei. Même s'il n'avait jamais vu son visage, il l'avait assez souvent imaginé de marbre face à l'adversité quoi qu'il puisse se passer depuis les siècles et les siècles qu'il foulait l'Empire. Le vieux maître avait dû se retrouver à cette même place un nombre incalculable de fois. S'il avait pu rester assez tranquille pour ne tuer personne, l'ancien chasseur pouvait le faire aussi. Surtout quand il devait montrer l'exemple à ses petits shidi.

S'il avait été encore de JingYun, une représentation plus sèche et plus froide aurait peut-être fonctionnée mais il n'était plus en noir. Il portait le blanc du nord à présent. Il ne pouvait que rester aussi imperméable et immuable qu'un glacier dans la tourmente.

Autour d'eux à leurs tourner autour comme autant de mouches à merde sur un cadavre, les courtisans cherchaient à attirer leur attention de leur mieux sous le sourire ironique et moqueur du Seigneur Feng.

Les services s'enchainaient l'un après l'autre, tous plus exotiques pour charmer les palais délicats de convives aussi importants.

Boya avait déjà assisté à un vrai banquet. Si ses shidi se plaignaient des parts minuscules dans leurs bols, ils ne réalisaient pas qu'ils allaient avoir entre dix et quinze plateaux qui leur seraient apportés les uns après les autres.

A mesure que la soirée avançait, on venait les voir pour les remercier de les avoir tous sauvés. Les derniers malades, ceux qui étaient le plus proche de la mort encore quarante-huit heures auparavant étaient présent au banquet. Encore fatigués et marqués, ils avaient pu se lever dans la matinée, marcher un peu et avaient insistés pour être présent pour remercier leurs sauveurs. Dès que le démon de pestilence avait été libéré de l'emprise du maléfice, le lien qui unissait le démon à ses victimes avait été coupé. Sans lui, la maladie n'avait plus rien pour les tuer.

Le démon-lapin responsable mais pas coupable tremblait un peu dans la manche de son maître. Lui, il n'avait jamais voulu faire de mal à qui que ce soit. Son maître glissa une main dans sa manche pour lui caresser les oreilles et le rassurer. Eux, ils savaient qu'il n'était pas coupable. Dans quelques heures, ils auraient quitté définitivement la ville et il pourrait laisser derrière lui cet esclavage momentané qui avait tué plus de cent personnes.

Boya remerciait les nobles qui venaient les remercier et acceptait les cadeaux offerts avec un calme sourire qui cachait parfaitement ce qu'il pensait d'eux. S'ils n'avaient pas réglés très vite la situation, ces même lécheurs de cul serviles les auraient insultés ou menacés, voire plus. Il aurait peut-être même dut protéger ses poussins de leur colère. Ils n'étaient que des humains. Ils avaient eu de la chance que le problème soit si facile à identifier et à résoudre. Mais ils avaient surtout eut de la chance que Boya soit là. Il connaissait le problème. S'il n'avait jamais utilisé lui-même le maléfice, trop écœuré à l'idée d'utiliser un démon contraint pour faire le sale boulot, il l'avait vu faire plusieurs fois. JingYun n'avait jamais été timide sur les ressorts à utiliser pour parvenir à ses fins. Alors tuer des familles entières ? Ils n'avaient jamais renoncés à exterminer une famille pour acquérir un enfant qui pourrait leur servir après tout.

Boya n'en avait jamais rien dit à l'époque, mais il s'était fugitivement demandé si ça avait été son cas avant de repousser l'idée de toute ses forces pour l'oublier. Maintenant qu'il en savait un peu plus sur les démons, qu'il savait surtout qu'un démon renard qui ne soit pas dérangé n'aurait jamais attaqué sa mère comme elle l'avait été, il osait se demander fugitivement si sa mère n'avait pas été la cible de JingYun pour le récupérer lui. Son sang était riche après tout. Ses talents indéniables même quand il était tout petit. Sans protecteur à part sa mère, il était une proie parfaite pour un Temple comme JingYun. Il n'était peut-être que l'arrière-petit-fils oublié d'un Empereur passé, le petit fils d'un héritier chassé, mais son sang était aussi pur que possible.

Un frisson d'écœurement lui remonta dans le dos alors qu'il acceptait un cadeau de plus de la part d'un noble. Il le mit à sa droite avec tous les cadeaux sur lesquels il sentait du qi ou quelque chose de bizarre. Il ferait tout examiner à leur retour au Bureau avant que quelqu'un ne se blesse ou soit tué par un artefact quelconque qui aurait été maudit. Tout le monde n'était pas content de leur réussite. Le donneur d'ordre par exemple. Si la famille visée ne l'était pas directement par JingYun, le client devait être ici et observer avec irritation son plan s'écrouler.

"- Boya Daren ? Les petits commencent à fatiguer." Prévint soudain un des séniors à son oreille.

Boya hocha à peine la tête.

Il ne pouvait croiser le regard du Seigneur du Nord pour lui signifier silencieusement qu'ils allaient prendre congé aussi fit-il au plus simple.

Il se leva simplement avant de prendre la parole. Sa voix habituée des champs de bataille sanglant aussi bien que des assassinats dans les ruelles sombres portait loin sans qu'il n'ait besoin de monter le ton s'il le fallait. Ses anciens frères se moquaient souvent de cette capacité qu'il avait de se faire entendre de n'importe où. Maintenant, Boya savait que c'était juste sa cultivation musicale qui portait sa voix comme elle portait sa musique quand il servait d'Appât.

"- Seigneur Feng. Il se fait tard et d'autres missions nous attendent. Avec votre permission nous allons prendre congés."

Les séniors étaient en train de finir de ranger les cadeaux dans des poches qiankun pendant qu'il parlait. La colère de certains était amusante. Plusieurs des cadeaux étaient trop gros pour qu'ils puissent être facilement transportés. C'était fait pour. Ils étaient fait surtout pour être joli mais qu'on les rende une fois la présentation de générosité faite et réutilisés autant que possible. C'était une méthode économique pour se faire passer pour généreux quand on était rapiats comme une pie. Malheureusement, Boya était bien déterminé à les faire cracher jusqu'à la dernière pièce. Même le meuble en bois précieux était à présent à l'abri dans la manche d'un des séniors. Ça leur apprendrait à ne pas prendre le Yin Yang au sérieux.

Le Seigneur Feng semblait très amusé quand il donna son autorisation pour qu'ils se retirent.

Boya s'inclina sommairement pendant que ses poussins s'inclinaient bien plus bas.

"- Nous nous retirons."

Les dix prêtres sortirent dignement du même pas, tous bien rangés avec Boya à leur tête qui tâtait le chemin devant lui avec sa canne.

Dès qu'ils eurent passés les portes et que des eunuques les eurent fermées derrière eux, l'un des séniors ouvrit un portail devant les portes du Temple. Ils s'y engouffrèrent rapidement à la fascination des eunuques et des serviteurs présent.

Boya passa le seuil le dernier puis le disque de lumière dorée se réduit jusqu'à disparaitre.

Ils avaient mis trois jours.

Zhong Xing devrait être fier. Non ?

Surtout que Boya avait laissé la facture dans leur chambre en partant.

Boya battait stupidement des paupières. Il ne s'était pas attendu à la crise d'hilarité des anciens lorsqu'il était venu faire son rapport. Il ne savait pas trop à quoi s'attendre il fallait avouer. Ce n'était que la seconde fois qu'il faisait un rapport à ses ainé depuis qu'il était dans le nord. Et encore le premier avait-il était extrêmes succinct. C'étaient surtout les séniors et les espions qui les avaient surveillés sans qu'il le sache qui l'avaient fait.
Cette fois, ils avaient vraiment été lâchés dans la nature.

Alors entendre la vingtaine d'ainés rires de bon cœur avait quelque chose de perturbant. Jamais à JingYun il n'avait entendu d'ancien rire ainsi à part son Shifu une fois ou deux quand il était vraiment très jeune. C'était comme si les limiteurs qu'ils portaient tous tuaient aussi leurs rires et leur bonne humeur.

"- Ha, Boya ! C'était fantastique ! Nous n'allons pas tarder à recevoir une protestation écrite de la part du Seigneur Feng et de ses nobles, je n'en doute pas une seconde."

Boya tomba immédiatement à genoux pour se prosterner et s'excuser.

"- Cet humble disciple présente ses excuses à cette auguste assemblée. S'il vous plait punissez ce disciple mais ses cadets n'ont fait que suivre ses ordres."

Le rire bon enfant s'étrangla dans toutes les gorges. Les anciens s'attendaient à ce qu'il rit avec eux. Pas qu'il se prosterne ainsi, presque à trembler d'angoisse. Avant de se souvenir d'où venait Boya et que la moindre erreur signifiait au mieux le fouet.

Zhong Xing quitta son coussin pour venir gentiment relever Boya. La tristesse était évidente dans sa voix. Autant que la désolation dans le regard de son épouse.

"- Boya. Il n'est pas question de punir qui que ce soit. Et ce n'était pas un reproche que nous te faisions. C'est au contraire très drôle pour nous. Il est… agréable pour nous que tu ais su t'imposer au Seigneur Feng. Surtout que tu l'as fait d'une façon qui l'empêche de se plaindre réellement. Tu as été d'une parfaite courtoisie, tu as réglé le problème extrêmement vite même si la cause est, elle, un véritable problème. Il faudra que tu nous dises tout ce que tu sais des méthodes… Alternatives de JingYun." Pourquoi les autres anciens du Temple de l'Est ne leur en avait jamais parlé ?

Sans doute parce que Boya était le premier à réellement retourner sur le terrain et que les autres n'avaient jamais été confrontés à un reliquat de l'Est. Ils n'y avaient tout simplement pas pensé. Ou alors fallait-il un certain niveau de pouvoir autant qu'une place minimum dans la hiérarchie de la secte pour être au courant de leurs pires petits secrets sales.

Boya hésita. C'étaient les secrets de la secte qui l'avait élevé. Il n'avait pas le droit de révéler des secrets mais… sa secte l'avait jeté dehors. Avait-il encore une raison de leur garder une fidélité quelconque ? Il chercha au fond de son cœur s'il avait encore un attachement à la secte. La seule chose qui y restait était une vraie affection pour son vieux Shifu. Rien de plus.

Non il ne devait plus rien à JingYun. Ils avaient renoncés à sa fidélité à la seconde où ils avaient renoncés à lui.

"- bien sûr, Zongzhu."

Zhong Xing insista pour qu'il se relève puis le guida jusqu'à la table qu'ils partageaient tous pour prendre le thé. Boya n'aurait pas dut s'y asseoir, ce n'était pas correct. Mais refuser l'invitation aurait été pire. Il prit la tasse de thé des mains d'un ancien qu'il ne connaissait que de "vue" avec humilité.

"- Alors, combien la balade a rapporté au temple ?" Finit par demander une ancienne à la voix pleine de soleil malgré son âge extrêmement avancé.

Boya sortit les poches Quiankun de ses manches.

Fangyue les prit, les vida avec l'aide de plusieurs anciens curieux comme des chatons avant qu'un nouvel éclat de rire parcours les vieux cultivateurs.

"- Et bien ! Tu les as bien étrillé, Boya !"

"- Ils ne s'attendaient pas à ce que nous sortions les poches qiankun pour tout embarquer." Souriait un peu cruellement le chasseur. "Il y aura surement des cris pour ça aussi. HO ! Et tout ce qui était dans la poche rouge, je soupçonne qu'il y ait des maléfices et des malédictions dessus."

"- Nous ferons tout vérifier. C'est un beau payement…"

"- Ce n'est pas un payement." Coupa Boya, soudain très fier de lui.

"- Pardon ?"

"- Ce sont juste les cadeaux des nobles de la cour du Seigneur Feng. Pour le paiement, je lui ai laissé la facture. Payable sous deux lunes évidemment." Enfin, tout pareil que ce qu'ils faisaient dans l'Est, quoi.

Un silence éberlué lui répondit.

"- Une… Facture ?"

"- Bien sûr ! En plus, il en aura besoin pour ses taxes envers le Trône. Toute utilisation d'un cultivateur ouvre une réduction de taxe de dix pourcent de la somme engagée sur l'année de l'exercice."

Cette fois, la stupéfaction était totale.

"- …Boya… Qu'est-ce que tu racontes ?"

"- C'est une loi qui a été voté il y a une quinzaine d'années. Après une explosion d'apparitions de démons à la suite d'une inondation violente. Les plus petits village préféraient perdre des membres que payer l'aide d'une secte ou d'un temple pour faire le ménage. Alors l'Empereur à fait promulguer cette loi sous la pression de JingYun surtout, mais de pas mal de ministres aussi."

Zhong Xing était aussi fasciné que les autres.

"- Vraiment ? Diantre ! Il va falloir qu'on se mette à jour sur la fiscalité."

"- Nos textes les plus récents doivent avoir deux siècles." Rappela un des anciens.

Mais ils vivaient davantage sous la loi du Domaine Anbei que sous celle de l'Empire finalement. Alors était-ce vraiment étonnant ?

"- Enfin je lui ai laissé la facture. Comme je ne savais pas quels taux indiquer, j'ai utilisé le catalogue de JingYun. Je suis désolé si les valeurs utilisées sont trop faibles."

Boya s'en voulait à présent. Il aurait dû mieux se renseigner avant.

"- Boya… Nous n'avons pas ce genre de… régulation. En général, les gens nous payent ce qu'ils peuvent comme ils peuvent. Et les riches se contentent de quelques cadeaux."

Les rentrées d'argent de la secte venaient surtout de leurs fermes.

"- Ho." Il avait bien compris la situation comme il l'espérait et d'où venait le scandale du Seigneur Feng alors. Sa mesquinerie du moment avait une vraie base.

"- Et combien lui as-tu arrachés ?"

Boya sortit de sa manche la copie de la facture qu'il avait gardé pour les propres archives de la secte.

Zhong Xing la prit pour la parcourir des yeux avec ses collègues. L'un des anciens partit en longue quinte de toux après avoir manqué s'étrangler avec sa gorgée de thé lorsqu'il vit la dernière ligne qui collationnait tous les postes de facturation.

"- TOUT ÇA ?"

"- Et je lui ai fait la ristourne des cinq pourcent pour un noble. Et j'ai facturé le déplacement au forfait. Pas au kilométrage. Ni l'entretient des chevaux. Ça n'aurait pas été honnête alors qu'on est venu et partit par portail."

Une nouvelle ronde d'hilarité parcourut les anciens. C'était si parfaitement précis et argumenté que s'en était totalement inattaquable en justice si le Seigneur Feng voulait faire son ronchon. La somme était très coquette. Mais rien qu'il ne puisse peiner à payer. Et rien qui ne soit outrageant non plus. Depuis des années le Yin Yang était étranglé par des nobles qui avaient besoin d'aide, aucune envie de la payer et partaient du principe tout à fait juste que Zhong Xing ne laisserait pas des médiocres souffrir juste pour une question d'argent. Si le Temple n'avait pas eu ses propres fermes et revenu, ils auraient été à genoux.

Là..

"- Boya, pourrais-tu aussi noter précisément comment fonctionne les factures de JingYun ? les critères, la grille de prix, enfin, tout ?"

"- Bien sûr, Zongzhu."

"- Parfait." Le chef de secte eut un coup d'œil vers les autres anciens qui approuvèrent.

"- Boya Daren, nous vous félicitons tous, vous et vos shidi. Vous avez fait preuve d'une excellence remarquable. Vos élèves ont progressés plus que nous pouvions l'espérer en si peu de temps. Bravo."

Boya se sentit rougir affreusement. Il s'inclina profondément pour cacher un peu son embarras. Il n'était pas habitué à autant de félicitations et d'approbations. Ça lui faisait chaud au cœur. Presque à en pleurer.

Cette fois pourtant, il parvint à se retenir.

Il était juste… Heureux et fier.
Petit à petit, même son égo se soignait.

Lorsqu'il joua le soir même sa musique qui lui échappait si fort, il parvint même à en trouver trois notes de plus.

Boya grogna lorsqu'il ouvrit les yeux.

Quoi que ça ne changeait pas grand-chose à les gardes fermer, ce matin-là sa vision était troublée de flash lumineux très désagréable qu'il parvint sans peine à identifier.

Une migraine à aura. Il avait une fichue migraine à aura.

Il tâtonna autour de lui à la recherche du bord du lit avant de réaliser qu'il n'était pas dans le sien.

Qu'est ce qui s'était passé la veille ?

Il se massa les tempes pour tenter de se souvenir.

Une fois que le conseil des anciens l'avait relâché, il avait commencé par aller passer leurs félicitations à ses poussins. Puis son shixiong l'avait attrapé au vol pour…

"- Une fête…"

Bien sur une fête ! TOUJOURS une fête. Ça faisait bien… au trois jours qu'il n'y en avait pas eu et une vingtaine que Boya n'avait pas fait une apparition à l'une des fêtes qui émaillaient la vie du Yin Yang. Cette fois, comme la fête était pour lui, il n'avait pas d'autre choix que de participer. Il s'était retrouvé au milieu des gros coussins de la salle communautaire des maîtres, une tasse de vin de prune à la main malgré l'heure. Une chose en entrainant une autre, il s'était laissé happé par la bonne humeur, les rires et l'entrain général jusqu'à boire plus que de raison.

Il avait dut s'écrouler ivre mort à un moment ou un autre. A moins qu'il n'ait couché avec quelqu'un et qu'il soit chez son partenaire d'un soir. Quoi qu'il n'avait aucun souvenir d'une soirée marrante et n'en ressentait aucun des avantages. En plus, il était tout habillé ou presque. On lui avait juste enlevé ses bottes et sa robe extérieur.

Où était-il ? Et cette migraine enfin !

"- HA ! Vous êtes réveillé !"

Boya grogna. Trop de bruit !

On s'assit sur le bord du lit avec bien trop d'énergie pour sa gueule de bois actuelle. Depuis quand n'avait-il pas eut une véritable gueule de bois ? La dernière devait remonter à ses quinze ans environ. Là, il voulait juste mourir. Ou vomir. Ou les deux. Pas forcément dans cet ordre.

"- Bonjour Boya Daren. Comment vous sentez vous en cette magnifique journée ?"

"- Je hais le monde et c'est réciproque."

"- Excellente nouvelle ! Venez, nous avons tant de choses à faire !"

On le força gentiment à quitter le lit puis on le guida jusqu'à une salle de bain. Même sans la voir, il reconnaissait la chaleur humide de la pièce.

"- Où…"

"- Vous êtes dans mes appartements, Boya." Souriait largement la voix amusée de Abe no Seimei. "Un de vos condisciples est venu me chercher pour vous mettre au lit quand ils se sont rendu compte que non seulement vous étiez ivre mort, mais qu'en plus, vous avez l'alcool mauvais."

Boya se sentit rougir malgré sa migraine. Il laissa le vieux maître l'aider à se déshabiller comme si c'était la chose la plus naturelle du monde. Il y avait quelque chose qui rendait les patientes attentions du vieux cultivateur impossible à refuser.

"- Je n'ai blessé personne ?" C'était pour ça que Boya ne buvait jamais plus que de raison. Il s'en souvenait maintenant. Il pouvait être d'une rare violence.

"- Non, quand vous avez commencé à aboyer sur tout le monde, on est très vite venu me chercher."

Boya soupira de soulagement. L'eau chaude venait de se refermer sur ses épaules sans qu'il ne réalise que le vieux maître l'avait poussé dans le bassin. Les longs doigts fins se posèrent sur ses tempes pour les masser délicatement. Boya gémit sans pouvoir s'en empêcher du soulagement que lui prodiguait le qi délicat que Seimei faisait couler dans ses méridiens obscurcis par l'alcool.

"- J'ai entendu parler de votre petite prouesse monétaire avec le Seigneur Feng. Bravo."

Boya se sentit rougir encore.

"- J'ai juste fait mon boulot."

"- Sans doute. Mais c'était quand même remarquable." Seimei aurait eu beaucoup à demander sur le maléfice utilisé par JingYun mais il attendrait d'avoir lu le rapport de Boya avant. Ça ne servait à rien de l'ennuyer alors que son cerveau était encore à moitié frit. "J'ai pu examiner le démon de pestilence que vous avez ramené avec votre shidi."

"- … Ho… Sur le moment, ça m'a paru le mieux à faire puisque l'un des petits voulait de lui."

"- Vous avez très bien fait. Ils sont parfaitement accordés. C'est un cas où le démon attendait le maître. Et non l'inverse."

Boya peinait encore à comprendre cette notion qu'un démon pouvait avoir besoin de son humain mais il lui était plus facile d'accepter l'idée quand c'était Seimei qui la lui exposait que lorsque c'était Zhong Xing. Il était plus vieux. Il savait mieux.

Le vieux maître lui lava les cheveux sans que Boya songe à protester puis le houspilla gentiment pour qu'il ne s'endorme pas dans l'eau chaude.
Une fois Boya sortit de son bain, séché, habillé et assis devant un large petit déjeuner odorant, le jeune chasseur réalisa qu'il mourrait de faim.

La shishen responsable d'avoir cuisiné pour lui, sourit largement, silencieuse pour ne pas le troubler. Seimei la remercia chaleureusement d'un signe de tête en souriant.

Elle se retira rapidement pour ne pas gêner davantage.

"- Buvez aussi le thé. Il est fait pour soulager votre gueule de bois."

Boya récura les plats en un temps record. Lorsqu'il posa ses baguettes, il était réconcilié avec l'univers. Au moins pour la journée.

Seimei s'assura qu'il n'avait plus mal à la tête.

Alors seulement se permit-il de se moquer de lui sans pitié.

Boya avait l'impression qu'il ne cesserait jamais de rougir de confusion et de plaisir. A croire qu'ils s'étaient tous donné le mot pour le féliciter de sa petite réussite auprès du Seigneur Feng.
Boya aurait même pu en être profondément troublé s'il n'avait été sur que ses neuf poussins étaient eux aussi félicités comme ils le méritaient.

Ce qu'il prenait pour des félicitations grandiloquentes n'étaient pourtant que quelques mots, voir, au plus, une petite tape sur l'épaule. Rien de bien exagéré donc.

Pour quelqu'un qui avait grandi à JingYun pourtant, c'était inattendu d'être à ce point félicité.

Dans cet océan de confusion, il y avait heureusement des choses qui ne changeaient pas. Son incapacité à ouvrir son troisième œil de manière consciente par exemple.
C'était irritant.
Après ce qui c'était passé sur le Domaine du Seigneur Anbei, il semblait incapable de recommencer ce qu'il avait déjà fait. Il semblait surtout incapable de comprendre ce qu'il avait fait.

Il aurait vraiment eu besoin d'avoir un professeur.

Autre chose qui ne changeait pas était son désintérêt pour avoir un shishen quand il n'était pas dans une situation de crise où en avoir un eut été un avantage certain. Il était un jeune chasseur indépendant, merci beaucoup. Qu'il soit aveugle était un désavantage mais de moins en moins un vrai handicap. Surtout quand il était chez lui ou avec des amis.
S'il était seul lâché dans la nature par contre… Mais ce n'était pas prêt de lui arriver.

A l'inverse, des choses avaient changées. Ou plus exactement, changeaient de façon imperceptibles. Comme le tour de taille d'une de ses maitresses récurrentes. La demoiselle l'avait prévenu. Il avait pris acte mais rien de plus. Boya était un excellent étalon, rien de plus. Il ne comptait surtout pas être autre chose. La demoiselle n'en avait pas pris ombrage. Elle n'était pas dans le besoin et était des plus satisfaites du géniteur de son enfant à naitre. Il n'y avait aucun problème entre eux deux non plus. Le temple était peu regardant sur les activités annexes de ses membres tant que personne ne se plaignait.

Dans les changements positifs et non neutre, il y avait He Shouyue.

Depuis leur retour de la Capitale du Nord, le jeune homme était moins agressif avec lui. Pendant leurs heures d'enseignement, il était un peu moins mesquin. Ho, il n'était pas amical, loin de là. Mais petit à petit, il perdait de son feu. En réponse, Boya se montrait non pas davantage amical mais au moins plus ouvert et à l'écoute. Lorsque He Shouyue n'avait pas réussi à lui expliquer, même en mentant, un talisman qu'il n'arrivait pas à tracer, Boya lui avait montré un talisman équivalent en usage dans l'Est.

Il avait senti l'étonnement de He Shouyue puis son intérêt. Les deux hommes faisaient des efforts. C'était peu, très, très peu mais un progrès évident de la part de He Shouyue quand même.

Lorsque Boya avait rapporté la chose à Zhong Xing, le chef de secte avait bien évident proposé… une fête. Que la raison de la fête soit inconnue n'avait aucune importance.

Cette fois, Boya avait fait bien attention à ne pas boire comme un trou. Il était un habitué des lits qui n'étaient pas le sien, mais il préférait quand même y entrer de son plein gré. Et s'y amuser aussi si possible.

Seimei était adorable mais Boya doutait qu'il apprécie d'être chassé de son lit régulièrement ou réveillé en pleine nuit pour devoir gérer un jeune chasseur agressif comme un blaireau affecté d'un rhume de cerveau.