Chapitre 43

"- Vous avez bien travaillé, Maitre. Bravo." Souriait MiChong lorsqu'elle l'aida à retirer les lourdes robes qu'elle lui avait imposé et qu'elle libérait sa longue chevelure blanche pour la brosser jusqu'à ce qu'elle brille.

"- Je déteste cela. Je ne sais pas comment fait l'Empereur humain. Il semble aimer avoir des gens à ses pieds très occupés à le noyer de faux semblants et de flatteries bien vides. Quitte à me faire lécher les orteils, je préfère en toute intimité et avec peu de participants."

MiChong pouffa.

"- L'Empereur humain à une vie courte. Il tente de concentrer en une vie humaine tous les bienfaits qui sont les vôtres au court des millénaires."

Le renard s'étira lourdement une fois totalement libéré de ses vêtements avant de tomber à quatre pattes. Il s'ébroua du bout du museau jusqu'au bout des queues. MiChong prit une brosse, vite imitée par la Multitude. Pendant que quelques unités veillaient à la préparation du diner du Seigneur démon et de sa suite proche, ils le brossèrent jusqu'à retirer toute la bourre qui menaçait de tomber de son sous-poil. Avec l'hiver qui approchait, le seigneur démon recommençait à se faire une bonne couche de graisse. Si ça ne se voyait pas trop sous forme bipède, sa forme animale se rapprochait de plus en plus d'une barrique. Entre la graisse et les poils, il allait bientôt rouler dans les descentes, comme à chaque hiver.

"- Vous êtes tout propre !"

"- Le diner va être servi, Maitre. Le jeune Boya est rentré avec Sha ShengShi et Xie Weizhe. Devons-nous l'inviter ?"

QingMing s'était couché sur le sol de bois sombre. Ses neuf queues battaient doucement derrière lui pendant qu'il réfléchissait.

"- Seriez-vous tous très outragés si je souhaitais diner en tête à tête avec le jeune Boya?"

MiChong eut un sourire de fauve.

"- Pas du tout, Maitre. Mais rappelez-vous qu'il est un humain fragile."

Le renard géant donna une petite tape sur les fesses de sa shishen avec une de ses queues.

"- Outrageante moqueuse !"

La Multitude riait avec la même légèreté que la petite démon-papillon.

"- Devons-nous l'inviter dans vos appartements, Seigneur Anbei ?"

"- C'est un peu ostentatoire. Je le recevrai sur ma terrasse." C'était quand même mieux que sa chambre à coucher.

"- Bien Seigneur."

Pendant que la Multitude allait porter l'invitation, MiChong se ruait sur les placards de son maître pour l'habiller proprement. Il n'allait pas se présenter à poil devant l'aveugle. Ni à poils. Il était encore trop tôt aussi bien pour l'un que pour l'autre.

Boya était épuisé.

Le début de journée avait été exaltant.

La fin de matinée avait été étrange.

Le déjeuner vaguement désagréable. La réalisation de la cruauté naturelle du Domaine avait été un mélange d'horreur et de soulagement qu'il lui faudrait un certain temps pour analyser.

L'après-midi avait été passé en partie dans les quartiers marchands où Boya s'était désolé de ne pas avoir d'argent à lui et avait refusé de se servir dans celui de son hôte et où Sha ShengShi s'était éclaté à acheter tout ce qui semblait vaguement intéresser Boya même de loin. Dépenser l'argent de son maître amusait grandement le shishen.

Boya avait fini par demander à sortir de la ville pour aller se balader un peu dehors. Comme il était protégé par une compagnie entière de soldats en plus de Sha ShengShi, les négociations entre le shishen et son camarade lieutenant n'avaient pas duré longtemps. Tant que Boya acceptait de se plier à leurs ordres au moindre danger, ils pouvaient sortir. Boya avait râlé, pesté, boudé et protesté mais il avait promis quand même.

Les portes s'étaient ouvertes devant eux pour la steppe froide qui entourait la Capitale du Domaine. Boya avait eu froid. S'il n'avait pas eu l'épaisse cape qu'on avait mis de force sur ses épaules, il en aurait claqué des dents. Il s'était inquiété pour sa feifei mais la créature vaguement vulpine ne craignait pas le froid, pas plus que les montures des soldats. Il n'y avait pas grand-chose à voir ou à faire hors de la ville. Pas juste avant l'hiver. Mais Boya n'en avait eu que faire. Il était dehors. C'était tout ce qui comptait. Un poids qui lui pesait sur les épaules depuis des jours s'était libéré lentement à mesure qu'ils s'éloignaient.

Le petit groupe s'était arrêté au bord d'une rivière gonflée de pluie pour faire un petit feu et partager tous ensembles un thé avec des biscuits. Pour Boya, c'était un peu comme retrouver la camaraderie de ses jeunes années avec ses frères. Avant qu'ils ne réalisent leur situation. Avant qu'ils ne réalisent qu'ils n'avaient quasi aucune chance de racheter leur liberté. Il n'était guère plus qu'un enfant à l'époque. Comme tous ses frères.

Après avoir fini ses biscuits et son thé, il avait timidement proposé de jouer un peu de musique. Les rumeurs allaient bon train dans le Domaine. Tout le monde savait qu'il était un apprenti Harmoniste, comme Sha ShengShi. Les soldats avaient acceptés avec empressement.

Lorsque Boya avait porté son dizi à ses lèvres, il avait voulu charger sa musique de qi mais le shishen l'avait retenu. Il lui était interdit d'utiliser son qi pour une semaine. Que Boya ne le force pas à cafter sa désobéissance au guérisseur.

Un frisson était remonté dans le dos de Boya, Il avait appris à avoir une saine frayeur des guérisseurs. Assez pour commencer à faire un peu attention à lui-même. Il n'avait pas tenté de tricher.

Boya avait joué quelques balades entrainantes que sa mère lui avait appris quand il était tout petit. Il y avait peu de chance que des démons du nord connaissent des balades populaires humaines de l'Est. Il ne s'était pas trompé. Les soldats l'avaient remercié bruyamment pour la découverte avant de l'encourager à venir les voir dans leur caserne pour jouer encore s'il en avait envie.

Maintenant que Boya marinait dans son bain avec les mains de Sha ShengShi sur ses épaules pour le masser, il était un peu amer. Amer sur son passé. Comment pouvait-il se sentir plus à l'aise avec des démons qu'il ne s'était jamais sentit avec ses anciens frères ?

"- Tu sembles perdu dans tes pensées, didi,"

Boya bascula la tête en arrière pour que Sha ShengShi peigne ses cheveux. Il s'habituait à avoir un serviteur. C'était honteux, il en avait conscience. Mais Sha ShengShi le cajolait davantage comme un grand frère indulgent qu'un serviteur.

"- Sha-ge?"

"- Hmm ?"

"- ...Est ce que je devrais avoir honte de me sentir aussi bien ici ?"

Le démon ne cessa pas une seconde de lui peigner les cheveux. Ils étaient encore loin d'avoir retrouvés la longueur qu'ils avaient avant que Boya ne soit vendu comme esclave et ne doive subir une opération à la tête mais entre leur entretient, les huiles et le qi du jeune homme qui les encourageait à pousser, ils étaient juste en dessous de ses épaules maintenant. Il pouvait les attacher correctement à présent.

"- Aussi bien ? Boya-di. Tu as subit beaucoup. Il n'est pas anormal que tu profites quand quelqu'un décide de te gâter un peu. Zhong Xing à réussit à te rappeler que tu n'es pas qu'un objet sans émotions. Ici, tu n'as de compte à rendre à personne. Personne n'attends rien de toi."

"- Si Kuang HuaShi Laoshi t'entends.."

"- Il va demander à son amoureux de me pendre par le fond du pantalon en haut du plus grand arbre des jardins." Plaisantait le jeune démon. "Mais je n'ai pas tort quand même. Ce qui t'es offert ici t'es réellement offert. Il n'y a aucune demande ou exigence qui y est attaché."

"- Pour l'instant."

"- Boya Di ?"

"- Je ne suis pas idiot, Gege." Le démon s'en gargarisait un peu plus à chaque fois que Boya l'appelait comme ça. C'était une revanche sur le destin absolument délectable que l'ancien Tueur de Démon le considère aussi familièrement et affectueusement. "Le Seigneur Anbei veut quelque chose de moi. Sinon, il ne me traiterait pas aussi bien. Même pour rendre service à Zhong Xing, il n'y a aucune raison pour que je sois traité comme... comme... Comme ça. Il veut quelque chose de moi."

Sha ShengShi finit de peigner les cheveux de Boya. Il les attacha haut sur son crane avec un ruban de la même couleur que le bandeau qui attendait qu'il soit sec pour le poser sur ses yeux.

"- C'est... Je ne connais pas le Seigneur Anbei depuis très longtemps, Boya Di. Je ne suis son shishen que depuis que tu as tenté de me tuer. Il m'a trouvé pendant que tu me courrais derrière. Sans lui, tu m'aurais tué avec certitude. Mais je suis son shishen. Je peux te promettre une chose : Il ne te veut aucun mal. S'il veut quelque chose de toi, ce ne sera jamais pour te faire souffrir."

Boya resta silencieux dans l'eau chaude encore un long moment. A part attendre et voir venir, que pouvait-il faire de toute façon.

"- Je vois. Et bien... Il me faut attendre qu'il se décide j'imagine."

"- Un conseil, didi, Profite. Juste, profite. Prends ce que tu peux, apprends ce qui t'es offert. Le Seigneur Anbei sait être généreux. Il est rare qu'il s'attache vraiment à quelqu'un. Mais quand il s'attache, c'est définitif. Mais ceux qui le trahissent savent qu'ils ne s'en sortiront pas."

"- Je n'ai jamais trahis qui que ce soit !" Aboya Boya.

Non, c'était lui qui avait été trahis encore et encore. Si le Seigneur Anbei pouvait le comprendre et l'accepter, il devrait comprendre qu'il ne trahirait pas plus que lui le pouvait.

"- Ha vous êtes fait pour vous entendre, didi. Vraiment. Aussi bornés et vertueux l'un que l'autre." Boya attrapa Sha ShengShi par le cou et tira pour le jeter dans l'eau. Le pauvre démon de pierre tomba lourdement dans la baignoire de Boya avec un croassement d'outrage.

"- BOYA !

L'eau se mit immédiatement à chauffer et Boya dut en sauter pour ne pas finir complètement cuit.

"- Ha c'est malin !" L'eau s'était évaporée en quelques secondes sous la réaction de défense du démon de pierre et de lave pour le laisser à son tour tout nu dans la baignoire vide. Ses vêtements s'étaient enflammés sous la violente chaleur que son corps avait déployé par reflexe.

et Boya riait.

Il riait de bon cœur comme il le faisait davantage depuis qu'il avait perdu la vue que pendant toutes les années qu'il avait passé à JingYun.

Sha ShengShi sortit du petit bassin en pestant comme une vieille chamelle. Dès qu'il en fut sorti, l'eau le recolonisa immédiatement maintenant qu'elle n'était plus évaporée dès qu'elle touchait sa peau. Il fallut quelques minutes au pauvre démon pour qu'il retrouve suffisamment son calme pour ne pas risquer de brûler le bois de la Maison s'il quittait le tour en pierre du bassin.

Le temps qu'il se calme, Boya avant enfilé ses sous-vêtements puis avait été cherché des robes à lui pour le démon.

"- Et tu trouves ça drôle." Pestait encore Sha ShengShi.

Le démon prit les vêtements proposés pour couvrir sa nudité. Foudroyer Boya du regard ne servait pas à grand-chose malheureusement. Non seulement il ne voyait rien mais il était visiblement bien trop content de lui pour se soucier des reproches de Sha ShengShi.

"- Je me vengerai."

"- Si tu veux. Tu peux essayer. Au pire j'irai me plaindre au Seigneur Anbei." Plaisanta le Chasseur. Jamais il ne le ferait, encore moins pour des bêtises pareilles et ils le savaient tous les deux.

"- Je me sens blessé dans le dedans de mon âme." Geignit encore le démon pendant qu'il houspillait l'humain pour l'aider à s'habiller correctement pour le diner. "Voila. Au moins tu ressembles à quelque chose."

Les robe blanches brodées d'argent et bordées de fourrures étaient d'une richesse ridicule. Lorsqu'on toqua à la porte, Sha ShengShi gueula pour inviter l'unité de la multitude à entrer.

"- Le Seigneur Anbei vous attends pour le diner, Boya Daren. Acceptez-vous de le rejoindre ?"

Boya se raidit affreusement contre Sha ShengShi. Était-ce justement le moment de payer ?

"- Je… D'accord."

La Multitude attendit que Sha ShengShi finisse d'aider Boya à se vêtir et lui mis lui-même ses chausson en peau retournée sur les pieds puis lui claqua les fesses lorsque l'unité de la Multitude eut offert son bras à Boya pour le guider.

"- Et n'oublie pas. Tu n'as rien à craindre. Le Seigneur Anbei est peut-être un renard démon, mais il ne ferait pas de mal à une mouche. Si tu ne veux pas quelque chose, dis-lui juste "non". D'accord ?"

Boya hocha la tête. Ha ! Comme s'il avait la latitude de faire ça. Evidemment qu'il ne l'avait pas. Si le renard démon exigeait quelque chose de lui, il n'aurait pas d'autre choix que de se soumettre.

La Multitude lui jeta un petit coup d'œil en coin. La détresse du jeune chasseur était évidente. QingMing allait se la prendre en plein dans le nez au sens propre. Ce n'était peut-être pas plus mal. Il était bien trop libéral et manquait trop de retenue pour que le jeune chasseur encore engoncé dans son éducation puisse vraiment réaliser qu'il n'était pas en danger.

L'unité de la Multitude guida Boya de ses appartements jusqu'à l'aile Nord du Domaine Intérieur. Le maître des lieux attendait son invité sur la terrasse ouverte qui donnait sur le lac. Ce n'était pas la terrasse d'apparat mais pas non plus celle de ses appartements privés.

"- Bonsoir Yuan Boya. Je vous remercie d'avoir accepté de partager mon repas."

"- Je vous remercie de m'avoir invité, Seigneur Anbei."

La voix du chasseur était tendue.

Il s'assit sur le coussin que la Multitude lui présenta.

"- Comment vous adaptez-vous, Boya Daren ? Je sais que ces premières semaines ont été difficiles pour vous. Surtout avec votre passé. Je dois vous avouer que je suis heureusement surpris que vous n'ayez tenté de tuer personne."

Boya pinça les lèvres, un peu vexé.

"- Me prenez-vous pour une brute sanguinaire ?"

"- Vous êtes un tueur de démons. Vous êtes entouré de démons. Je n'espérai pas que vous accepteriez aussi facilement de revoir ce que votre éducation vous à bourré dans le crâne pendant vingt ans." La voix du renard démon souriait, à l'irritation croissante de l'humain.

"- Je suis un tueur, mais je ne suis pas totalement stupide. Je sais me remettre en question avec ce que j'ai sous les yeux. Si je peux dire."

Il n'avait pas voulu faire d'humour mais le résultat était là.

Boya frémit quelque peu sous le regard du Seigneur Anbei. Même s'il ne pouvait le voir, il savait qu'il le surveillait avec quelque chose de prédateur dans l'œil. Tous ses instincts de chasseur se hérissaient à cette surveillance qui n'en était pas vraiment une. Avoir été invité là, ce soir précisément, après tout ce qui s'était passé… Boya savait que le moment où il devrait faire un choix approchait. Pour une fois, il ne voulait pas être mis devant le fait accompli. Pour une fois, il voulait prendre l'initiative.

"- Seigneur Anbei. Pardonnez-moi d'être direct." Il avait reposé sa tasse de thé. "Mais que voulez-vous de moi." Boya sentit dans son dos les serviteurs se raidir puis sortir discrètement mais aussi vite que possible.

Le Seigneur Anbei reposa sa tasse de thé devant lui. Son qi n'était pas agité ni en colère. C'était déjà plus que ce que Boya espérait.

"- Boya Daren... Pourquoi voudrais-je quelque chose de vous ?"

"- Parce que personne n'est généreux sans attendre quoi que ce soit de cette générosité."

"- Je crains que vos jeunes années à JingYun vous aient donné une mauvaise image de ce que peuvent vouloir et faire les gens autour de vous."

Boya claqua de la langue, irrité.

"- S'il vous plait, Seigneur Anbei. Ne jouons pas à ce petit jeu tous les deux. Vous avez été affreusement généreux avec moi avant même mon arrivée chez vous. Et nous le savons tous les deux. " Et encore était-il loin de tout savoir justement. " Je ne suis pas dupe non plus de l'aisance avec laquelle vos gens les plus proches de vous sont venu graviter autour de moi. Personne ne donne autant sans attendre quelque chose."

"- Ne puis-je pas être juste un philanthrope?"

"- Je ne doute pas que vous soyez un philanthrope, Seigneur Anbei. Mais la philanthropie n'est que le masque socialement accepté pour enchainer un peu plus le suppliants. Que me voulez-vous."

QingMing soupira doucement.

"- Tout n'es pas forcement une dette que vous devez payer, Boya Daren."

"- Non. Tout ce que je fais seul pour moi-même ou pour les autres n'est pas une dette."

"- Boya Daren..." Le renard-démon était réellement désolé de ce qu'il entendait.

Et en même temps, il le comprenait. Son désir personnel d'utiliser Boya lui semblait bien égoïste devant l'angoisse intense qu'il sentait sous-jacente dans les paroles du jeune homme. QingMing ne pouvait mentir. Il voulait effectivement quelque chose de Boya. C'était même pour ça qu'il avait participé à son achat alors qu'il le surveillait depuis déjà bien des années. Et pourtant... Pourtant... Depuis l'arrivée du jeune homme au Yin Yang, puis dans son Domaine, le renard-démon se surprenait à être d'accord avec la Maison de l'avoir installé dans l'aile Sud. Il se surprenait à espérer que l'aile familiale ne soit pas que remplit de quelques renardeaux mais que leur autre géniteur serait là avec eux pour les élever. Le renard démon s'était retrouvé quasi instantanément attiré par le jeune chasseur dès qu'il avait pu interagir avec lui. D'abord par curiosité, maintenant par un intérêt véritable pour l'individu. L'idée de le décevoir parce qu'il voulait effectivement quelque chose de lui fut soudain insupportable au grand renard blanc. Une sensation glacée remonta soudain dans le ventre du Seigneur Anbei. Il avait pali si fort et une bouffée d'angoisse si intense le balaya soudain que tous ses shishen le sentirent.

MiChong se précipita la première, la Multitude et Killing Stone sur ses talons.

"- Seigneur Anbei ? Qu'est-ce qui vous arrive ?"

"- QingMing... Qu'est ce qui se passe, QingMing ?" La petite démone avait pris ses mains dans ses siennes pour les serrer très fort.

Perdu, Boya ne savait que faire. Il sentait le qi du renard démon plus perturbé qu'il ne l'avait jamais senti. A la limite de la déviation presque.

"- Qu'est ce qui se passe ?"

"- Ce serait plutôt à moi de vous le demander, Boya Daren. Qu'est-ce que vous avez fait ?"

"- Mais... Mais RIEN !"

QingMing tremblait de tous ses membres dans les bras de sa petite shishen. Son qi était tellement turbulent que Boya ne put se retenir plus longtemps.

Pendant que MiChong donnait des ordres à Sha ShengShi pour qu'il aille lui chercher au plus vite sa sacoche de guérisseuse, Boya s'agenouilla près du Seigneur Démon. Avec toute la timidité du monde, il prit sa main dans la sienne pour jauger l'état de ses méridiens. Le chaos y était impressionnant. Était-ce sa simple question, bien qu'insistante, qui avait créé ce cataclysme? Il était pourtant légitime dans sa question. Et jamais le vieux démon ne devrait réagir aussi fort ! Les tremblements et l'agitation frénétique des queues du renard se calma petit à petit après que MiChong lui ai fait avalé un calmant. Suffisamment pour qu'il se laissa aller dans les bras de Sha ShengShi qui le berça dans les siens. Boya en fut... Jaloux. Une jalousie tout aussi confuse que la réaction du seigneur démon. De quoi Boya était-il jaloux ? De Sha ShengShi ? Du renard ? Que Sha ShengShi s'occupe de son maitre ? Non. Ou peut-être un peu. Mais Boya était surtout jaloux de l'absolue confiance entre le maitre et son shishen. Il n'y avait pas vraiment eut de question posée. Il n'y avait pas eu de réponse. Juste des créatures qui se faisaient une confiance absolue, sans calcul, sans réflexion et sans crainte.

Et c'était ça le cœur du problème. C'était ça qui avait attisé les questions de Boya. Il ne pouvait, malgré tout, faire confiance à personne. Jamais. Nulle part. Pas alors que quelqu'un avait voulu le tuer dans l'enceinte même du Yin Yang. Pas alors que JingYun l'avait traité comme un outil bon à jeter une fois cassé. Pas alors que He Shouyue l'avait vendu pour sa propre protection au lieu de venir lui réclamer sa sienne.

Avec la journée que Boya avait passé avec Sha ShengShi et leurs amis militaires, ce manque de confiance ancré au fond de son cœur laissait Boya de plus en plus confus. Il aurait tellement voulu faire confiance ! Mais à cette idée, il ne pouvait penser qu'à ce qui l'avait amené ici, dans le monde des démons.

Le cœur de Boya se serra. Malgré ce qui s'était passé, si He Shouyue était venu lui dire la vérité, il aurait fait tout son possible pour le sauver de la mauvaise situation dans laquelle il était tombé. Boya dut se mordre la langue. Il était jaloux. Affreusement jaloux. Les doigts du Seigneur Anbei se serrèrent sur les siens. Boya sursauta. Il avait oublié qu'il tenait la main du vieux renard.

"- Seigneur Anbei..."

"- Ha, pardonnez à ce vieux renard, Yuan Boya. Il m'arrive parfois de réagir vivement à des situations ridicules."

"- Etes-vous sur de bien aller, Seigneur Anbei?" MiChong était sur les dents.

"- Je vais bien, MiChong, Je vais bien. Je ne m'attendais pas à une question tout à fait légitime du jeune Boya et elle a fait remonter des souvenirs que j'aurais voulu conserver loin de ma mémoire." Boya se mis immédiatement à bafouiller des excuses mais QingMing les balaya d'un signe de la main. "Ne vous excusez pas, Yuan Boya. Votre question était absolument légitime. Vous pouvez nous laisser." Assura-t-il à ses shishen qui hésitèrent une seconde mais finirent par obéir. "Ils s'inquiètent beaucoup trop pour moi."

"- Ils vous sont attachés."

"- Oui, c'est ce que les shishen font de mieux : se comporter comme des mères poules. Vous avez dû voir Sha ShengShi. "

"- il n'est pas mon shishen."

"- Non, il est le mien. Mais il est votre ami. Et son désir de protéger s'exprime de la même manière envers vous. Il a décidé que vous étiez comme un petit frère pour lui. Je doute que vous puissiez lui faire passer cette idée un jour. Si vous n'aviez pas de famille en arrivant ici, soyez certain que vous en avez une en lui à présent. Et qu'il n'acceptera jamais "non" comme une réponse."

"- Seigneur Anbei... Vous tentez de noyer le poisson."

Le renard resta silencieux un instant. Effectivement il noyait le poisson.

"- Je veux effectivement quelque chose de vous, Yuan Boya. Je souhaite que vous appeliez à vous votre shishen."

"- Seigneur Anbei…" Ça commençait à bien faire cette histoire.

"- Entendez moi s'il vous plait. Je sais que vous ne voulez pas que quelqu'un sacrifie sa liberté pour vous. Je peux le comprendre. Mais je vous l'ai dit et je ne suis pas le seul. Il y a quelqu'un qui a besoin de vous et qui attends que vous l'appeliez." Boya tressaillit. "Vous le savez. Vous l'avez sentit. A chaque fois que vous lancez votre appel, il y a quelqu'un, toujours le même."

"- Comment..."

"- Je suis vieux, Yuan Boya. Je sens je genre de chose. Surtout ici, dans mon domaine. Je sens la trame de chaque appel que vous lancez. Et la trame de chaque réponse que vous obtenez. Je vous sens appeler à vous presque chaque nuit mais ne pas aller plus loin. Je sens la réponse fébrile de l'autre côté. Je ne vous demande pas d'accepter un shishen pour vous. Mais pour l'esprit ou la créature qui vous attends désespérément."

Boya resta silencieux. Était-ce vraiment ce que le vieux démon voulait lui demander ? il était dubitatif. Mais pourtant... Pourtant... Il pinça les lèvres. Il était sûr qu'il y avait autre chose. Un simple esprit dans le besoin ne pouvait être une raison suffisante pour impacter aussi fort quelqu'un comme Anbei QingMing, Boya en était sûr. Mais pour le Seigneur Anbei..." soit, il voulait bien accepter cette explication. Pour l'instant. Ce n'était, finalement, pas cher payé pour toutes les bontés du démon. Et si ça pouvait lui donner un peu de temps avant qu'il ne lui demande ce qu'il voulait réellement, c'était toujours ça de gagné. Et puis, Boya ne venait-il pas d'exploser de jalousie devant le renard et ses shishen ? Décidément Boya ne se comprenait plus vraiment lui-même.

"- Vous avez commencé votre carrière avec la protection des autres au cœur, Boya Daren." Insista le renard. "Même si je suis un misérable démon, mon but est le même que le vôtre. Je protège les miens. Et un des miens, même si je ne le connais pas pour l'instant, vous appelle encore et encore parce qu'il a besoin de vous. Je ne peux rien faire pour lui à part tenter de vous convaincre de l'accepter."

C'était frapper bas. C'était mesquin même.

"- Très bien."

"- Boya ?"

"- Très bien, je vais l'appeler. Une fois. S'il ne vient pas, vous ne m'en parlerez plus."

QingMing écrasa les réactions conflictuelles qui lui montaient dans la gorge. Il mentait bien sûr. Ce n'était pas ce qu'il voulait de Boya. Mais c'était une concession plus importante que le jeune chasseur n'imaginait que d'accepter enfin un shishen.

"- Merci Boya Daren."

"- Boya."

"- Boya Daren ?"

"- Juste... Juste Boya, s'il vous plait. Le Daren... Il me renvoie à mon temps passé à JingYun." La grande main aux doigts fins de QingMing se posa sur la sienne. Boya réalisa qu'il n'avait toujours pas retiré sa main du poignet de QingMing.

"- Merci, Boya."

L'ancien chasseur détourna la tête. Il regrettait déjà d'avoir accepté.

Le seigneur Démon le raccompagna gentiment à sa place pour qu'ils reprennent, non, commencent leur diner. Même si ce n'était pas ce que le renard voulait demander à Boya à la base, Boya en était soulagé. Il avait quelque chose à échanger contre l'hospitalité du Seigneur Démon. C'était... profondément rassurant pour lui de savoir ce qui s'agitait au-dessus de sa tête. Au moins un peu.

QingMing tapa dans ses mains. Une unité de la Multitude apporta un plateau chargé de victuailles et un autre une tasse qui rependait une odeur de mort autour d'elle.

"- Je vais bien" Souffla doucement QingMing avec un sourire crispé à son shishen.

"- Buvez votre tisane."

"- Maiiis elle pue !"

"- Buvez."

"- Et puis elle donne un mauvais gout aux aliments."

"- Buvez." Insista la multitude

"- Après le repas ?"

"- Buvez. Maintenant." Le ton du shishen était carrément flippant.

Le renard protesta encore un peu mais finit par avaler sa tisane non sans geindre sur tous les tons à quel point c'était dégoutant. La Multitude se retira enfin, satisfait.

"- Et vous voulez que j'accepte quelqu'un pour me maltraiter ainsi, Seigneur Anbei ?" Le ton de Boya était ouvertement moqueur.

"- Si seulement cette tisane n'était pas aussi mauvaise."

"- Etes-vous malade ?"

Le démon secoua la tête.

"- Non, mais nous arrivons bientôt à l'automne. Je vais commencer à muer. Je suis toujours ronchon quand je mue. Ça gratte." Soupira le démon. "La tisane aide le poil à tomber plus facilement."

Boya resta interdit un instant avant de hurler de rire. C'était… Tellement inattendu comme réponse ! Tellement bassement pragmatique qu'il ne l'aurait jamais imaginé.

Le regard jaune du Seigneur démon s'adoucit en même temps qu'il se mis à sourire avec affection. L'humain avait un joli rire. Et il était très triste de ne pouvoir le lui dire au risque de causer encore un drame.

"- Pa… Pardonnez-moi, Seigneur Anbei. Je ne m'attendais pas à ça."

"- J'imagine. Avec l'hiver qui arrive, il faut bien que je mette ma livrée d'hiver."

"- N'êtes-vous pas blanc toute l'année ?"

"- Principalement mais le bout de mes queues, de mes oreilles et de mes pattes sont noirs l'été"

Boya fut soudain très triste de ne pouvoir voir ça.

"- Cela doit être charmant."

QingMing se sentit rosir, charmé.

"- Il parait"