Yuan Tànli avait formé bien des élèves mais celui-là représentait une épreuve pour sa patience. He Shouyue avait les bases. Il avait même plus que les bases. Ses connaissances théoriques étaient exceptionnelles mais c'était comme si quelque chose l'empêchait de l'exprimer vraiment.
Les premières semaines, il avait traité le gamin comme ce qu'il était : un esclave.
Le gosse avait eu du mal à accepter de tempérer son caractère.
L'usage du fouet avait été salutaire pour lui apprendre le respect. Il était peut-être le rejeton de Zhong Xing dans l'absolu, mais pour l'instant, il n'était plus rien ni personne. Le lui faire rentrer dans le crâne avait été long.
Faire passer sa haine de Boya tout autant.
Depuis quelques semaines heureusement, il semblait accepter enfin que ses actes avaient des conséquences. Ses parents avaient été infiniment trop coulant avec lui dans son enfance. Quelques taloches quand il avait quatre ou cinq ans lui auraient épargné bien des coups de fouet maintenant.
"- Chong. Viens avec moi."
Lui retirer son nom pour lui en donner un autre avait été un impératif. Yuan Tànli n'avait heureusement pas eut la cruauté des anciens de JingYun. Il lui avait juste interdit d'utiliser son nom de naissance pour lui en imposer un autre. Tant qu'il n'aurait pas accès à son node de toute façon, ça ne changerait pas grand-chose.
Ye Shouyue se redressa difficilement. Son dos lui faisait mal. Il lui faisait toujours mal depuis qu'il avait été vendu par ses parents à JingYun. Il arrivait de mieux en mieux à tempérer son caractère pourtant. Il n'avait pas voulu insulter le maître qui l'avait fouetté mais… Il ne pouvait pas non plus le laisser frapper un gamin de six ans à coups de pied ! Alors il s'était interposé. Son maître l'avait sauvé d'être écorché vif par le fouet mais n'avait pu le protéger totalement. He Shouyue boita lourdement à sa suite. Au moins le petit gamin avait profité que l'attention du maître était sur lui pour se sauver. Ce n'était déjà pas mal.
Une fois à l'abri dans les appartements de Yuan Tànli, He Shouyue se laissa tomber à genoux, la respiration douloureuse. Sans son Node pour se soigner ou au moins repousser la douleur, simplement vivre était difficile. A vivre à une place proche de celle qu'avait eu Boya, les regrets lui rongeaient un peu plus le cœur chaque jour. Lui qui n'avait jamais eu le moindre remord avant ne pouvait que regretter tout ce qu'il avait pu faire subir au jeune homme qui avait fait tellement d'effort avec lui sans qu'il ne voit autre chose qu'une tentative de sa part de le rabaisser et de prendre sa place auprès de son père. Il avait été jaloux sans raison. Boya avait été aussi impuissant et perdu qu'il l'était.
He Shouyue finit par reprendre suffisamment son souffle pour se redresser. Yuan Tànli n'avait pas bougé pour l'aider. Il poussa néanmoins une tasse de thé vers lui.
"- Quelle était la raison de cet esclandre ?"
He Shouyue grimaça.
"- Xin Zhu allait tuer un shidi d'à peine six ans s'il avait continué à lui donner des coups de pied dans le ventre comme ça. Juste parce qu'il avait renversé un sceau d'eau plus lourd que lui et que ses pieds ont été mouillés. Alors je me suis interposé."
Yuan Tànli retenait difficilement un petit sourire. C'était quelque chose que Boya aurait pu faire. Avec plus d'efficacité et sans se faire massacrer au passage mais c'était un geste inattendu de la part de quelqu'un d'aussi égoïste que He Shouyue. Et une avancée rassurante.
"- Tu peux te retirer dans ta chambre pour le reste de la journée. Si tu peines à soigner tes blessures, demande à l'un de mes élèves." Pas l'infirmerie, il fallait être cintré pour y mettre les pieds sans raison. Un dos sanglant n'en était pas une. Surtout pas pour un esclave.
He Shouyue se retira avec soulagement après avoir remercié son maître. Ce ne serait pas la première fois qu'il demanderait de l'aide à un des élèves de son propriétaire. Ils étaient rudes et sans pitié mais banderaient quand même ses plaies. Ils lui en voulaient pour ce qu'il avait fait à Boya. Pourtant, ils n'avaient jamais passé leur colère sur lui. Leur indifférence était plus difficile à vivre que leur colère.
Une fois seul dans ses appartements, Yuan Tànli soupira lourdement. S'il était heureux des progrès He Shouyue, il n'était qu'un projet auxiliaire qui lui prenait bien trop de temps.
Il finit d'écrire sa lettre pour Zhong Xing pour l'informer des progrès de son fils. Il allait devoir aller à la Capitale pour l'envoyer. Il ne faisait bien sûr aucune confiance au service de messagers de JingYun. Les autres anciens du Temple hurleraient probablement à la trahison s'ils savaient que Yuan Tànli utilisait les services de messagers démoniaques pour envoyer son courrier.
Seimei tapota gentiment la glace dans laquelle il venait d'enfermer les cadavres des nouveaux fonctionnaires envoyés par le trône pour récupérer Boya.
L'Empereur s'agaçait.
Il n'avait pas de nouvelles des hommes qu'il avait envoyé.
Zhong Xing avait plus d'une fois écrit sa confusion sous les ordres reçut de livrer Boya aux fonctionnaires venu le chercher. Personne n'était venu. Sans compter que Boya n'était pas au Temple du Yin Yang.
Seimei attendait que le trône s'agace vraiment et fasse une erreur. En attendant, lui faisait le ménage. Il s'en amusait même. C'était toujours si facile d'éliminer des humains…
Boya s'étira lourdement.
Sa migraine était forte mais moins que ses acouphènes. On lui posa sur les épaules un linge frais qui le fit grogner.
"- Weilan…"
"- Quoi ?"
"- Tu es plus mère-poule que Zhuque."
Le shishen caqueta sa réprobation. Il n'était pas mère-poule ! Père-phénix à la limite mais ressemblait-il vraiment à une POULE ?
"- Vous l'avez vexé."
"- Meuh non. Si je l'avais vexé, il m'aurait déjà picoré les doigts."
Le jeune assassin renifla lourdement. Il ne pensait pas qu'il s'entendrait si vite aussi bien avec son nouveau maître. Le Seigneur Anbei l'avait bien choisit pour lui. Après quelques jours assez malaisants entre eux, Boya avait fini par le prendre sous son aile comme un petit shidi de plus. Weilan en avait été surpris mais s'y était très vite fait. Boya était très facile à vivre quand on comprenait comment il fonctionnait. Il était plus aisé de l'inciter à faire quelque chose qu'à le forcer. Weilan était heureux d'avoir trouvé en lui autre chose que "juste" Anbei Furen avec tout ce que le terme pouvait contenir de dépréciation sociale sur la féminité. Anbei Furen était parfaitement capable de lui claquer le cul avec ses armes. Si Weilan tombait sous les coups de ses ennemis, Anbei Furen serait parfaitement capable de défendre encore sa vie. Le rôle de Weilan serait d'emporter le plus d'ennemis dans la tombe avec lui. Boya était sa propre ultime ligne de défense. Paradoxalement, ça rendait le boulot de l'assassin plus simple. S'ils en venaient là, il n'aurait pas à se soucier de la vie de Boya, juste de tuer le plus de monde possible. Pour un membre de la famille Shi, c'était un soulagement. Ils étaient des épées entre le monde et leur maître. C'était simple, c'était facile et ça ne demandait aucune réflexion. C'était quand on leur demandait d'être en plus des protecteurs que ça devenait compliqué pour eux.
Non, Weilan était très content de son nouveau maître si perdu et tellement à l'ouest. Le jour où il réaliserait qu'il appartenait au Seigneur Anbei serait à marquer d'une pierre blanche. Le combat entre le renard et le chasseur serait épique. Boya ne se laisserait pas épouser sans combattre.
"- C'est l'heure de votre entrainement de cultivation musicale." Rappela soudain le tueur.
Boya avait déjà pris sa flute.
Zhuque et l'assassin le laissèrent seul dans sa chambre avant que Boya n'active les sorts de silence sur la pièce. Si Sha ShengShi travaillait toujours avec Kuang HuaShi, lui était toujours puni. Il n'aurait pas le droit de retourner apprendre tant qu'il ne maitriserait pas son Nom correctement. Il lui faudrait du temps. Comme il lui faudrait du temps pour maitriser pleinement son troisième œil.
Boya médita quelques minutes avant de se sentir dans l'état d'esprit nécessaire pour voir enfin le monde autour de lui. Petit à petit, la vision uniquement dorée qu'il avait à travers le filtre de son troisième œil s'était affinée. D'autres couleurs s'étaient mêlée à sa vue. Il voyait encore un peu trouble, comme à travers de la vapeur, mais il voyait pour de bon. Il voyait la Réalité autour de lui ce qui ne lassait pas de le décontenancer. Il voyait la vraie forme de Zhuque même si son shishen était assez petit pour dormir dans son giron. Il voyait la vraie forme de Sha ShengShi lorsque le démon de pierre et de feu venait s'entrainer au combat avec lui. Et surtout, il voyait la vraie forme du Seigneur Anbei.
Comment pourrait-il un jour avouer qu'il mourrait d'envie de glisser ses mains dans ses poils et d'enfouir son visage dans cette masse moelleuse et toute douce ? Sans compter les neufs longues queues qui devaient être un plaisir sans limite de s'enrouler dedans. Le renard-démon était énorme. Sous son troisième œil, il le voyait comme il était réellement, bien différent de ce que QingMing voyait de lui-même, même sous sa forme vulpine, il en était sûr. Il n'était pas possible que la vraie forme du Seigneur Démon soit aussi énorme.
Boya n'avait pas encore eu le courage de lui en parler. Il était retenu par une espèce de pudeur un peu stupide. Voir les gens nus n'aurait plus jamais la même saveur qu'avant. Lorsque vous pouviez voir l'image de l'âme d'un individu, le corps n'avait plus vraiment de valeur.
Un énorme soupir échappa au jeune homme. Il monta son dizi à ses lèvres pour jouer encore et encore cette mélodie sans fin qui hantait ses jours et ses nuits jusqu'à la nausée. Chaque jour, elle lui semblait plus proche. Chaque jour, il avait l'impression qu'elle s'éloignait un peu plus de lui.
Boya était… perdu.
Encore.
Il jeta sa flute au loin pour prendre son front dans ses mains. Il avait envie de hurler.
Zhong Xing reposa la lettre qu'il venait de recevoir.
Une de plus.
Il en recevait une toutes les deux semaines du Seigneur Anbei et une toutes les deux semaines aussi de Yuan Tànli.
Chacun donnait des nouvelles de leur jeune charge.
S'il était fier et soulagé de l'évolution de Boya, la liste des punitions reçues par son fils lui serrait le cœur.
Sa relation avec Fangyue ne s'arrangeait pas davantage. Elle lui en voulait mais elle s'en voulait tout autant si ce n'était plus. He Shouyue était ce qu'il était à cause d'elle après tout. C'était elle qui avait fait de lui l'homme qu'il était.
Gold Spirit avait de la peine pour son maître. Il avait été le shishen de tous les Zongzhu du Yin Yang depuis la création de la secte bien des siècles auparavant, par les deux premiers cultivateurs qui s'étaient perdu dans le nord. Le couple était venu dans les montagnes pour s'y mettre à l'abri après avoir perdu presque tous ceux qui avaient une valeur à leurs yeux. L'un avait perdu sa sœur le jour de son mariage, tuée avec son tout jeune époux par le père adoptif du marié qui ne pouvait accepter l'union, l'autre avait tout perdu depuis bien longtemps déjà. Il ne leur restait qu'un fils adoptif qui avait pris leur suite des décennies après. Certains disaient même que le couple était encore quelque part dans les montages. Gold Spirit savait qu'ils étaient effectivement encore là, à l'abri.
L'esprit avait vu bien des situations de crise. Il avait vu bien des morts, bien des naissances et bien des drames. L'histoire avec He Shouyue n'entrait même pas dans les cent pires.
"- Zhong Xing ? Je ne vois là que des bonnes nouvelles."
"- Ha oui ? Des bonnes nouvelles ? Mon fils se fait martyriser chaque jour, Boya nous oublie chaque jour."
L'esprit de chance eut un calme sourire.
"- Les punitions de He Shouyue diminuent un peu plus chaque semaine et Boya s'adapte. Il a un shishen et accepte sa vie au milieu de démon. Vous devez cesser de voir tout en noir, Zhong Xing. Je sais que c'est difficile. Mais vous vous blessez tout seul."
Le vieil homme soupira doucement. Il savait que son shishen avait raison. Mais il s'en voulait tellement ! Se faire mal était presque un soulagement pour lui-même. Il se punissait aussi de son incompétence.
"- Concentrez-vous plutôt sur la secte et laissez le reste à ceux qui peuvent faire quelque chose." Insista encore l'esprit. Pour lui, les multiples maîtres de secte ne seraient jamais autre chose que des enfants qui se débattaient avec les difficultés de l'existence. Son rôle serait toujours de les épauler. Jusqu'à ce que son vrai maître le relève de ses fonctions, en tout cas. "Boya devrait nous revenir dans quelques semaines. Cela fera bientôt six mois."
Tout au moins si les demandes du trône s'éteignaient. Plus le temps passait et plus elles devenaient pressantes au point d'inquiéter vraiment l'esprit. Qu'est ce qui se passait dans son dos pour que l'Empire devienne aussi agressif ? Il lui manquait des informations.
Sha ShengShi évita l'épée qui menaçait sa gorge avec un coassement de panique. Boya était furieux et passait sa colère dans leur entrainement. Si le chasseur avait assez confiance en Sha ShengShi pour ne pas se retenir avec lui, le jeune démon était un peu moins confiant dans ses capacités à éviter de se faire couper un bout. Surtout face à un chasseur aussi remonté. Normalement, ils faisaient jeu égal, mais là…
"- Boya Di ! Je me rends !" Finit par glapir le démon en lâchant son arme.
L'épée de Boya s'arrêta à quelques millimètres de son nez. Boya jeta l'épée à l'autre bout de la petite cour d'entrainement avec un cri de rage.
Weilan se précipita pour ramasser l'arme. Il la prit dans ses bras comme un bébé précieux et fragile. L'assassin fixait son maître avec une évidente satisfaction béate. Anbei Furen était un danger public et un malade. Il adorait ça !
"- Boya Di…." Tenta timidement Sha ShengShi.
Depuis qu'il n'était plus la nounou du jeune homme, leur relation avait évoluée en une vraie relation familiale. Tous les deux s'étaient bien entendu depuis leur première rencontre hors de la Capitale. Le temps qu'ils passaient ensemble ne faisait que renforcer cette affection facile.
"- Je suis désolé." Soupira Boya avant de se laisser tomber assis par terre dans la poussière.
"- Tu es sur les nerfs depuis quelques semaines. Qu'est ce qui se passe ?"
Boya se frotta le visage avec les mains.
"- Ça va faire six mois que je suis ici."
Sha ShengShi compta sur ses doigts avec surprise. Boya avait raison. Encore trois semaines et ça ferait six mois. Déjà ? C'était passé si vite ! Il ne voulait pas voir Boya partir, lui !
"- Tu as eu des nouvelles de Zhong Xing ?"
Boya tira une lettre de ses vêtements pour la lui lancer. Le jeune démon la lut rapidement avant de grimacer.
"- Le Seigneur Anbei est au courant ?"
"- De quoi devrais-je être au courant ?"
"- Zhong Xing a écrit à Boya."
"- Ho…." QingMing aussi avait reçu un courrier du Temple concernant Boya. "Je suis navré que vous deviez rester ici encore quelques temps, Boya Daren."
"- Faites au moins semblant d'être désolé, Seigneur Anbei. Je pense que même le Domaine le plus lointain d'ici entends votre sourire." Railla Boya, écœuré.
"- Boya… Etes-vous à ce point malheureux ici ?"
Zhuque piqua doucement la joue de Boya de son bec. Pourquoi faisait-il son ronchon encore ?
"- Non. Mais je devrais retourner chez moi."
"- Vous êtes ici chez vous."
Boya pinça les lèvres. Il n'aimait pas se sentir aussi bien dans le monde des démons. C'était sans doute la meilleure raison qui lui faisait attendre avec impatience de partir. Zhong Xin lui manquait, son shixiong aussi, ses shidi également. Et… Seimei. Seimei lui manquait beaucoup. Mais il était bien ici. Trop pour un humain élevé pour tuer des démons. Il se sentait en sécurité. Plus même qu'au temple du nord. L'arrivée de Zhuque n'avait qu'ajouté à son impression de sécurité générale. Il en était encore à tâtonner dans sa relation avec son shishen, mais c'était Zhuque. Il pourrait sans doute faire cramer la ville pour le protéger s'il le fallait.
Il entendit l'approbation de Zhuque a cette idée au fond de son crâne. Bien sur qu'il ferait cramer l'Empire pour lui !
"- Pourquoi dois-je rester ici, QingMing. Zongzhu ne l'a pas détaillé dans sa lettre."
"- Sha ShengShi…"
Le jeune shishen attrapa Weilan par le col pour le trainer hors de la pièce. Il y revint quelques minutes plus tard avec un plateau de thé qu'il porta sur la terrasse. Boya s'était installé sur un des énormes coussins, le Seigneur Anbei sur un autre. Le shishen se retira avec toute la discrétion possible.
"- Il semble que JingYun soit déterminé à faire de vous un exemple. Vous n'étiez pas sensé survivre. Vous n'étiez pas sensé retrouver une vie ou votre indépendance. Vous avez empêché un de vos anciens camarades de mener à bien sa mission dans le Nord. Vous avez échappé une fois encore à leurs manigances… JingYun est déterminé à vous récupérer. Ho ! et vous serez sans doute heureux de savoir que votre ancien Shifu à fait quelques progrès dans la réformation de He Shouyue. Pour l'avoir vu naitre et grandir, pour savoir ce qu'il est, je suis le premier étonné de voir quelques changements chez lui. Si votre Shifu parvient à faire de lui un humain décent, il obtiendra ma reconnaissance la plus sincère. En plus de vous avoir élevé, bien sûr."
Boya grogna.
"- J'ai accepté de venir ici pour éviter des problèmes au Yin Yang, et je leur en cause quand même." Il était écœuré.
"- Ne vous en faites pas pour Zhong Xing. JingYun est en train de gentiment l'énerver. C'est un calme mais il n'est pas devenu le chef du Yin Yang juste parce qu'il sait sourire et qu'il fait des risettes aux enfants."
"- Mais parce qu'il vous convient comme Zongzhu ?" Railla encore l'ancien chasseur.
"- Aussi. Mais pas que. Zhong Xing était un énervé dans sa jeunesse. Il s'est calmé avec son mariage mais un volcan ne s'endort jamais vraiment même sous la glace la plus épaisse. Une fois qu'il se sera décrassé de sa brioche d'homme marié, JingYun va finir par l'apprendre à ses dépens. Si la révolte qui gronde en son sein n'éclate pas la première. Dans les deux cas, je mangerai des grattons au piment en regardant leur monde brûler avec grand plaisir."
"- Le piment est mauvais pour les canidés, vous allez encore avoir mal à l'estomac."
QingMing resta stupéfait un instant. Comment Boya était-il au courant de ses petites préférences alimentaires et de ses effets ?
"- Vous me surveillez, Boya ?"
"- J'entends vos intestins protester à longueur de journée quand vous mangez des piments. Et je les sens dans votre haleine. Entre autre."
Zhuque hurlait de rire sous le crâne de son maître. Le renard était écarlate de gêne.
"- B… Boya Daren ! Enfin !"
"- Vous savez que j'ai de meilleurs sens que bien des cultivateurs depuis que j'ai perdu mes yeux."
"- Ce ne sont pas des choses à dire !" le renard était vraiment outré comme rarement.
"- Alors cessez de vous goinfrer de ces cochonneries." Pesta encore Boya.
Il finit sa tasse de thé et se leva pour quitter la terrasse. Il avait envie d'aller fouiller un peu dans la bibliothèque avant qu'il ne soit trop tard.
QingMing lui courut après, toujours en protestant.
"- Boya ! Vous êtes d'une rare cruauté avec moi !" Gémit doucement le renard, les queues en berne.
Dans leur sillage, les autres invités vivant dans le Domaine s'écartaient et s'inclinaient devant eux. Voir Anbei Furen, une main sur le mur pour ne pas rater le chemin, tenir la dragée haute à son Seigneur et Epoux avait quelque chose de cocasse.
"- Boyaaaa !"
Le Seigneur Démon eut un petit mouvement de recul lorsque le chasseur se tourna brutalement vers lui pour lui enfoncer un doigt dans le torse.
"- Cessez de vous comporter comme un renardeau geignard ! n'avez-vous donc aucune dignité ? On vous regarde !"
Un petit couinement désolé échappa au puissant démon qui attrapa trois de ses queues dans ses bras pour se cacher derrière.
"- Qu'est-ce que vous faites encore ? Seigneur Anbei ? On vous entends piailler depuis l'autre bout du Domaine Intérieur.
"- Xue TianGou ! Boya est méchant avec moi !"
Boya grogna. Il sentait les regards sur eux et était de plus en plus mal à l'aise.
Il attrapa la queue la plus proche de lui et traina le seigneur démon avec lui jusqu'à l'autre bout du Domaine qu'il savait être les appartements du maître des lieux.
Xue TianGou ouvrit de grands yeux, livide. L'humain ne savait pas ce qu'il faisait ! Il ne pouvait pas savoir ce qu'il faisait n'est-ce pas ? Sinon, il n'aurait pas attrapé leur Seigneur par la queue pour le trainer comme ça ! Son geste était à peine moins intime que s'il l'avait attrapé par l'entrejambe !
QingMing avait cessé de couiner pour se laisser trainer derrière Boya, totalement paralysé par le geste inattendu.
D'accord, il espérait quelque chose de cette eau-là. Mais pas maintenant. Ni comme ça ! et encore moins pour une raison aussi ridicule que des gaz parce qu'il aimait les piments !
"- Boya Daren…"
Boya ne le lâcha qu'une fois derrière les lourdes portes des appartement du Seigneur Démon.
"- N'avez-vous donc aucune honte ? Même un petit shidi de huit ans ne serait pas aussi sans gêne que vous !" Et ce que Boya venait de faire alors ?
"- C'est l'avantage d'être le chef" Marmotta le renard avant de glapir quand Boya lui tira une oreille. "Cessez de maltraiter votre hôte !"
"- Alors cessez de vous comporter comme un sale gamin !"
Zhuque avait suivi le couple en volant mollement dans les couloirs. Il se reposa sur l'épaule de Boya, toujours hilare.
"- Et sinon, voulez-vous des vraies nouvelles de votre temple ou pas ?" Marmotta le Seigneur Démon, toujours boudeur. Il lissait la fourrure de sa queue et de ses oreilles avec ses griffes.
Sha ShengShi leur avait couru derrière mais pas assez vite pour battre Mi Chong sur le fil. La petite démone avait déjà eu le temps de leur apporter du thé que le renard et le chasseur s'installaient sur un lit de jour dans l'une des nombreuses pièces des appartements personnels du maître des lieux.
"- Bien sûr que j'en veux."
"- Alors arrêtez de me maltraiter."
"- Je suis à deux doigts de vous tirer la langue, QingMing."
"- Gamin."
"- Voyez qui parle."
Mi Chong était extatique. Qu'est ce qui s'était soudain passé pour que la relation entre les deux hommes change aussi vite et aussi profondément ? Le seul réel changement dans leur dynamique était la place de Sha ShengShi qui n'était plus le serviteur de Boya mais son grand frère et… HO ! Elle comprenait mieux tout soudain. Il n'y avait plus de rapport de subordination entre Boya et le Seigneur Anbei à travers son shishen ! Était-ce si simple ? Mais Boya avait l'honneur chevillé au corps. Il n'aurait rien fait pour mettre en danger la relation entre le jeune shishen et le renard démon. Sans compter qu'il était un ancien militaire. Les rapports de hiérarchie lui avaient été entré dans la gorge depuis des années.
Rhaaaa ! le gamin était à la fois un cauchemar et une perle. Mi Chong était heureuse que leur maître lui ai mis les pattes dessus avant qui que ce soit d'autre.
"- JingYun a envoyé une protestation officielle à l'Empereur pour se plaindre que le Yin Yang leur avait volé l'un des leurs et refusait de leur rendre. Evidemment, Zhong Xing a préparé tous les documents sur votre vente pour un fonctionnaire qui n'est jamais venu pour les voir. Malgré tout, JingYun a argué que vous aviez été revendu et racheté. Ils ont même produit des documents. Documents qui se sont révélés être des faux bien sûr puisqu'ils ne portaient ni la signature, ni le sceau de Zhong Xing qui est votre propriétaire exclusif. JingYun a donc prit un blâme pour leur volonté délibérée de causer une faille entre les relations diplomatiques entre le nord et le capitale. Zhong Xing a envoyé en prime les preuves de l'implication de JingYun dans l'épidémie que vous avez nettoyé avant de partir. Les fonctionnaires envoyés pour vous trouver n'ayant jamais atteint le Yin Yang, JingYun est soupçonné de les avoir fait disparaitre."
"-…Pour résumer, JingYun a tenté de péter plus haut que son cul et s'est ramassé lamentablement par terre."
"- Qu'avez-vous pour insister si fort sur les métaphores de postérieur ce soir, Boya ?"
"- C'est votre faute, Seigneur Anbei. Ça s'accroche aux poils."
"- BOYA ! CE N'EST PLUS DROLE !"
"- Si, très. Et c'est votre faute."
"- …. Je comprends que vous soyez irrité de ne pouvoir retourner chez vous, Boya." Il y avait de la peine dans la voix du renard. "Mais s'il vous plait, ne passez pas votre irritation sur moi."
Boya baissa les yeux sur ses mains. Il oscillait entre "vision" et "troisième œil" de son mieux. Assez pour ne pouvoir visualiser le visage du renard. La peine du renard démon lui serra une seconde la gorge de culpabilité. Après tout ce que QingMing avait fait pour lui, il réagissait violement juste parce qu'il était en colère.
"- Pardonnez-moi. Vous avez fait plus fait pour moi que la secte qui m'a élevé et je vous traite avec rudesse."
Une longue queue touffue se posa sur les genoux de Boya.
"- Faites-vous pardonner alors."
Une brosse tomba dans les mains du chasseur qui grogna un peu pour le principe. Ce n'était pas cher payé de brosser les queues du renard, sans doute. Et s'il ne connaissait absolument pas la portée de ce brossage non plus, Boya brossa chacune des neuf queues l'une après l'autre. A son corps défendant, il fut forcé de reconnaitre que ce n'était pas agréable que pour le renard.
"- QingMing ?"
"- Boya ?"
"- Merci de me laisser ici et de prendre soin de moi."
"- Je vous en prie, Boya. Et j'aimerai vraiment que vous me considériez comme un ami. Seimei vous considère déjà comme un ami très cher. J'aimerai que vous me permettiez de vous considérer aussi de la même façon."
Boya eut un sourire timide.
Comment refuser sans être odieux ? Sans compter qu'il n'avait aucune envie de refuser à sa grande horreur.
Zhong Xing allait finir par bouffer la gorge de quelqu'un à ce rythme
"- ET OU EST SEIMEI QUAND ON A BESOIN DE LUI ?"
"- Un message lui a été envoyé, Zongzhu." Assura un des maîtres en rasant les murs.
JingYun commençait vraiment à crisper tout le monde.
Pire, Seimei n'était pas reparu depuis des mois. Personne ne savait qu'il était en embuscade et qu'il chassait le fonctionnaire. Maintenant que Boya n'était plus là, il semblait n'avoir plus aucune raison pour revenir au temple. Avant, Zhong Xing en aurait été ravi. Maintenant… Qu'est-ce que fichait le vieux pervers ?
Il aurait voulu le jeter à la gorge de JingYun après lui avoir mis sous le nez ce qu'ils avaient tenté pour récupérer Boya. Le vieux maître était assez attaché à Boya pour aller les égorger dans leur sommeil, il en était sûr. Ça aurait réglé le problème pour tout le monde.
"- Vous avez reçu un message de JingYun."
Une chance sur deux que ce soit pour son fils.
La colère du vieux chef de secte diminua quelque peu de lire les bonnes nouvelles sur son enfant. Il voulait qu'il revienne à la maison. Il voulait que Boya rentre aussi à la maison.
Il avait hâte d'avoir ses deux fils de retour à la maison. Fangyue était inconsolable depuis leur départ à tous les deux.
Devoir se protéger de JingYun tout en les utilisant pour réformer He Shouyue lui donnait mal à la tête en prime. Si son fils n'avait pas été confié à l'ancien Shifu de Boya, Zhong Xing n'aurait eu aucun scrupule à aller éliminer totalement JingYun lui. Il avait ce qu'il fallait sous le pied pour. Certains de ses shishen n'attendaient qu'une bonne occasion d'aller casser du chasseur de démon. Ceux-là… Zhong Xing doutait que même sa femme soit au courant de leur existence.
le Seigneur Anbei avait raison. Il était un gentil mais il pouvait se montrer intraitable quand il le fallait.
Il se frotta très fort le front. Depuis quand n'avait-il pas ressentit cette envie de casser des bouches ? Depuis que Fangyue lui avait demandé sa main probablement. Sans doute de savoir que son fils était à la merci d'une secte aussi répugnante de JingYun n'était pas pour rien dans sa colère. Savoir en prime qu'il en était le seul responsable était pire. Et pourtant.
Pourtant son fils progressait et leur reviendrait comme un homme neuf, il voulait en être persuadé.
Ha, il détestait se trouver ainsi le cul entre deux coussins.
"- Zongzhu ? On fait quoi alors ?"
"- Yuan Tànli semble déterminé à nettoyer lui-même JingYun. Nous allons lui laisser six mois de plus avant de nous en mêler autrement que politiquement."
"- Zongzhu… Ça veut dire que Boya…"
"- Va rester à l'abri encore six mois."
Sa décision allait faire grincer des dents. Plus d'un le pétitionnait sans fin pour avoir le droit d'aller le voir.
"- Je demanderai au Seigneur Anbei la permission d'aller le voir avec qui le veut."
Avoir des lettres, c'était bien, mais le voir en vrai… Surtout depuis que Seimei avait quitté le domaine du Seigneur Anbei. Leurs informations se limitaient aux lettres de Boya lui-même et quelques courriers trop courts et trop rares du Seigneur Démon.
Zhong Xin savait déjà que la moitié de la secte voudrait venir et qu'une partie de l'autre moitié tenterait quand même de s'incruster. A moins qu'il ne demande à QingMing de venir avec Boya ? C'était difficile de se décider. Ce qui comptait était Boya. Pas leurs petits états d'âme à eux. Le faire revenir juste quelques heures au temple avant de le faire repartir semblait cruel.
Ha qu'il était dur d'être chef de secte…
Et avec la situation actuelle, les Jeux annuels allaient probablement devoir être annulés. Ce ne serait pas la première fois, mais c'était toujours désagréable.
