Boya était assis en tailleur sur le sol de son bien trop confortable appartement.
Zhuque était installé en face de lui sur un coussin moelleux. Boya n'avait pas vraiment réfléchit lorsqu'il avait été faire un tour en ville la veille avec Sha ShengShi et Shi Weilan. Il avait "vu" le coussin apparaître sous son regard avec ses moirures tissées directement dans la soie grâce au talent de la tisseuse et l'avait voulu avec une rare intensité.
Pas pour lui, mais pour Zhuque.
Il s'était préparé à devoir négocier sec pour l'acheter à un prix raisonnable mais Sha ShengShi avait immédiatement sortit la bourse que QingMing lui avait confié pour l'acheter rubis sur l'ongle. Boya avait râlé avant que Weilan ne lui ferme la bouche. Ils se devaient de maintenir les apparences. Si Anbei Furen négociait ce qu'il achetait et pire, payait lui-même, ça allait faire mauvais genre pour la réputation de QingMing. A son corps défendant, Boya avait dû se laisser gâter comme une vielle pomme pendant toute la balade. Il était maintenant l'heureux propriétaire des plus de vêtements qu'il n'en avait jamais eu et une montagne de coussins, de couvertures et de décorations qu'il ne verrait jamais sauf s'il en faisait l'effort était en route pour ses appartements dans le Domaine Intérieur.
Boya avait un peu l'impression de s'être fait avoir. Il avait demandé à sortir se balader pour réfléchir. Pas pour relancer le commerce local ou faire monter un peu plus la popularité du maitre des lieux en exhibant sa prodigalité pour son "épouse".
Enfin.
Toujours était-il que Zhuque était confortablement installé en face de lui sur le coussin que Boya venait de lui offrir. Le phénix caquetait de contentement, l'étonnement satisfait évident dans les petits bruits qu'il émettait.
"- Je crois qu'il faut qu'on discute, Zhuque. Toi et moi… Enfin, surtout moi, je crois que nous ne sommes pas vraiment partit sur de bonnes bases." Ou en tout cas, des bases bien branlantes et fragiles une fois passées les quelques heures euphoriques de leur réunion.
"- Je crois que ce serait une bonne idée également, Boya. Je n'ai pas voulu trop te presser, mais il est temps."
Boya se servit une tasse de thé. Il hésita un peu puis en poussa une devant l'oiseau qui plongea son bec dedans pour boire.
"- Merci" Le dignité de l'oiseau était inversement proportionnelle à sa taille. Boya ne put s'empêcher de pouffer. C'était par trop ridicule. "Vous vous moquez de moi, Boya Daren ?"
"- Je n'oserais pas." Mais le rire vibrait trop au fond de la gorge de Boya pour qu'il soit crédible.
Zhuque renifla doucement avant de faire un peu plus son trou dans son coussin, si bien qu'il aurait pu le considérer comme un nid tellement il était confortable.
"- Boya. Es-tu heureux que je sois ton shishen."
"- Qui ne serait pas honoré d'avoir été choisi par Zhuque ?"
"- Ce n'était pas ma question et tu le sais."
Le bec du dieu-gardien claqua deux trois fois avec irritation. Boya baissa les yeux sur ses mains. C'était un réflexe qu'il avait conservé même s'il ne servait plus à grand-chose.
"- Je suis… Soulagé d'avoir de l'assistance si j'en ai besoin." Tenta le jeune homme.
Zhuque quitta son coussin pour venir s'installer sur les genoux de son maître dont la main se posa immédiatement sur son dos pour lui caresser les plumes.
"- Parle-moi, Boya. N'ai pas peur de me vexer ou de me mettre en colère. Laisse toi juste aller à tes sentiments. Je suis ton shishen. Il m'est impossible de te trahir de quelque façon que ce soit. Tu as tout pouvoir sur moi."
"- Et c'est bien le problème !" Éclata soudain le jeune homme avant de régner immédiatement sur sa colère et sa détresse.
"- Boya…."
Zhuque quitta les genoux de son maitre pour venir le prendre sous son aile. Boya resta stupéfait du changement de taille aussi ridicule que brusque de son shishen. C'était sous cette forme là qu'il était apparu lorsqu'il l'avait lié à lui. Ce n'était qu'après qu'il avait assumé une forme plus petite, à peine de la taille d'une poule.
La chaleur autour de lui le força à se détendre. Il se cacha un peu plus étroitement sous l'aile du phénix qui lui tritura les cheveux du bec jusqu'à ce que l'épingle qui les tenait soit assez délogée et tombe.
"- Je ne comprendrais jamais cet amour de votre espèce à se tirer les plumes du crâne. Ça fait mal et c'est laid." Renifla le dieu-gardien.
Boya eut un petit rire qui ressemblait à un sanglot. Qu'est-ce que ce serait lorsque ses cheveux auraient assez repoussés !
Zhuque se tortilla un peu plus sur le sol jusqu'à être bien confortable.
"- Tu n'aimes pas l'idée d'avoir du pouvoir sur moi."
"- Je n'aime pas l'idée de t'avoir mis en esclavage."
"- Je t'ai attendu pendant des siècles, Boya. J'attends un partenaire qui me convienne depuis bien longtemps. Je ne suis pas ton esclave. Tu es né pour moi. Parce que je te voulais, toi." Ou quelqu'un comme lui.
"- Mais si je te donne un ordre, tu es obligé d'y obéir !" Il avait été suffisamment un esclave sans même le réaliser pour accepter de mettre un autre en esclavage.
"- Est-ce donc si grave ? As-tu l'intention d'utiliser ce pouvoir sur moi de manière inconsidérée ?"
"- NON !"
"- Alors quel est le problème."
"- Je pourrais le faire. J'en ai la possibilité."
"- Ho ? Alors ça voudrait dire que j'ai choisi de te faire confiance ? Est-ce que tu accepterai de faire confiance à mon choix et ma volonté, Boya ? Ou est-ce que tu penses mieux savoir que moi ce que je fais ?"
Le jeune humain était un peu perdu. D'où qu'il regardait, il était en tort. Tout au moins de son point de vue.
Zhuque le laissa se perdre tout seul dans ses pensées. Quand la détresse du gamin fut si forte qu'elle avait sa propre odeur, le dieu gardien lui pinça gentiment la joue du bout du bec.
Boya sursauta. Il porta sa main à sa joue.
"- … je saigne !" Ça faisait mal !
"- Est-ce que j'aurais pu faire ça si j'étais ton esclave ?" Boya en resta bête. " Je t'ai choisi pour être mon compagnon et mon partenaire parmi les humains, Yuan Boya. J'attendais quelqu'un comme toi depuis une éternité. Mais je reste un dieu. Aussi mineur puis-je être, je reste un dieu-gardien. Tu ne peux me faire obéir san que je l'accepte quelque part."
Boya aurait voulu en être sûr. Alors il fit ce que fait n'importe quel enfant à qui ses parents interdisent de mettre la main sur la théière brulante parce qu'elle est chaude pour tester si ses parents sont de confiance. Il mis la main dessus.
"- Va-t-en !" Ordonna-t-il en poussant toute la force de son qi et de sa volonté dans son ordre, comme si sa vie ou au moins sa raison en dépendait.
Zhuque ouvrit le bec pour le gronder gentiment mais le dieu-gardien se sentit repoussé de plus en plus fort vers le monde intérieur de Boya. A la grande stupeur aussi bien de l'oiseau que du prêtre, il finit par devoir obéir et s'effacer de la réalité comme Boya le lui avait ordonné.
"- …. Zhuque... Zh…Zhuque ?"
Boya commençait à paniquer lentement. Il avait réussi à forcer son shishen à partir et se retrouvait seul, sans talisman pour l'invoquer parce qu'il n'avait jamais pensé à le faire, perdu et horrifié d'avoir réussi à le repousser.
"- ZHUQUE ?"
Shi Weilan se matérialisa quasiment sur les pieds de Boya après avoir entendu son cri. Le jeune assassin ne le quittait jamais vraiment. Même la nuit il restait à portée de voix puisque son Seigneur lui avait ordonné de prendre soin d'Anbei Furen.
Boya agrippa la manche du jeune homme avec désespoir.
"- Zhuque… il…"
"- Qu'est ce qui s'est passé, Anbei Furen ?"
Boya ne lui aboya même pas dessus pour utiliser ce titre.
"- Zhuque. On discutait et… et…. J'ai forcé pour le renvoyer et… il est parti !" Weilan ne voyait pas le problème. C'était le principe avec un shishen non ? "Je n'aurais pas du pouvoir ! Je ne veux pas de ce pouvoir sur lui !" Boya paniquait lentement de plus en plus, à la frontière entre l'horreur de son geste et le dégout de lui-même.
"- Calmez-vous, Anbei Furen. Vous l'avez juste renvoyé dans votre monde intérieur. Il est toujours là. Vous devez juste le rappeler à vous."
"- MAIS JE NE SAIS PAS COMMENT !" Il savait en théorie mais n'avait jamais essayé. Avec la panique il ne savait plus grand-chose tout court.
Weilan se mordilla l'intérieur de la joue. Boya avait remercié tous les valets de pied que QingMing lui avait envoyé. Il y avait bien quelques serviteurs pour s'occuper de l'entretien courant mais pour l'instant, ils n'étaient que tous les deux dans l'aile du Domaine Intérieur où résidait Boya. Weilan avait besoin du Seigneur Anbei. Et Boya aussi. Surtout.
"- On va aller demander son aide au Seigneur Anbei."
Boya hocha la tête. Il avait beau mentalement chercher Zhuque, il n'arrivait même pas à saisir le fil qui les liaient entre ses doigts mentaux. Pas avec la panique qui le faisait trembler des pieds à la tête.
Weilan prit une de ses mains dans la sienne pour le conduire par les couloirs les plus discrets possible jusqu'à son époux.
QingMing était dans son bureau, occupé avec une délégation de marchands pour établir les nouveaux péages fluviaux autours des principales villes du Domaine.
Lorsqu'on toqua à sa porte, il en fut agacé. Il n'aimait déjà pas ça mais les marchands faisaient toujours preuve d'une avidité remarquable. Qu'on le dérange en plein milieu était irritant.
"- Quoi ?"
Weilan passa la tête par la porte.
"- Seigneur Anbei ? Si vous avez quelques instants, Anbei Furen a besoin de vous."
QingMing avait déjà bondit sur ses pieds. Jamais Boya ne demanderait à le voir de son plein grès sans une raison impérieuse.
"- Boya ?"
"- Q… QingMing ? Zhuque…. Il…"
Le renard démon lutta contre le mélange de délectation profonde et d'inquiétude lorsque le jeune homme s'accrocha à ses robes pour lui demander silencieusement du réconfort. Il l'engloutit dans ses queues sans se soucier des marchands qui observaient la scène avec curiosité. Certains avaient déjà vu Anbei Furen. D'autre avaient juste entendu parler de lui. Les derniers n'étaient même pas au courant que leur Seigneur n'était plus célibataire. L'affection entre le démon et le chasseur était évidente. La confiance aussi. Ils se retirèrent discrètement sur un signe du jeune Shi avant qu'il ne les égorge tous.
Yuan Tànli assistait aux obsèques d'un énième ancien. Son visage était aussi impassible que possible mais son regard ne pouvait mentir. Ses yeux brillaient d'une joie sauvage lorsque le corps fut placé dans un sarcophage puis scellé. De mémoire de membre de JingYun, il n'y avait jamais eu autant de funérailles en aussi peu de temps.
Il y avait des récriminations permanentes entre les anciens. Il y avait de la peur aussi. Tànli voyait ses confrères paniquer de plus en plus à mesure que la mort se rapprochait d'eux.
Le groupe "neutre" des anciens s'était cru à l'abri pendant un moment. Il était évident qu'il s'agissait d'une des nombreuses guerres internes qui émaillaient le temple depuis sa création. C'était cyclique mais il était rare qu'elles soient aussi violentes.
En six mois, une dizaine d'anciens étaient morts. Chaque clan avait trouvé un moyen pour regonfler son groupe en achetant la liberté des maîtres les plus acquis à leur cause pour les libérer de leurs dettes et les placer avec eux dans l'espoir de se protéger un peu mieux. Ça n'empêchait pas les plus vieux de mourir et les plus jeunes de hausser très fort les épaules de voir leurs "sauveurs" mourir avec de la mousse autour de la bouche ou éventré par un démon. Voir un enfant.
C'était ainsi qu'était mort le Maître des Disciples. Un petit gamin de huit ans à peine enlevé dans la rue pour en faire un disciple lui avait enfoncé sa dague dans le ventre pour l'ouvrir et le vider comme un cochon. Tànli ne savait pas, bien sûr, que le petit gosse qui avait disparu sans laisser de trace derrière lui était le plus jeune membre de la famille Shi actuellement en exercice. C'était sa première mission d'assassinat et le bambin, déjà aussi fanatique que le reste de sa famille s'en était sorti comme un chef. Son père, Shi HuJian, serait affreusement fier quand il rentrerait sur le Domaine du Seigneur Anbei.
Tànli savait que les plus jeunes étaient en train de fêter sa mort avec bruit. Les autres anciens le savaient également. Personne n'allait regretter le vieux sadique qui utilisait sa position pour torturer les plus jeunes depuis des décennies.
Près de Tànli, à genoux sur le sol, He Shouyue fixait les pierres tout en surveillant les autres maîtres avec autant de discrétion que possible. Avant qu'ils ne descendent dans la crypte, Tànli lui avait donné des ordres très stricts. A mesure que les semaines passaient, He Shouyue réalisait que la politique au sein de sa secte de naissance n'était que des balbutiements d'enfant par rapport à la violence et à la cruauté de JingYun. Comment Boya avait-il réussit à survivre ici ? Enfin, de ce qu'il restait de lui quand il était arrivé au Yin Yang, il n'en avait réchappé que d'un cheveu. C'était à croire que le nombre de morts étaient plus important des mains des membres de JingYun que de celles des démons qu'ils combattaient.
He Shouyue pinça les lèvres lorsqu'il surpris un regard échangé entre le chef de secte, le maître des archives et le maître en charge de l'infirmerie. Depuis qu'il était là, il avait commencé à apprendre la dynamique entre les différentes factions. Ces trois-là avaient chacun la leur mais trouvaient généralement le moyen de s'entendre quand il s'agissait de mettre des bâtons dans les roues du clan Yuan. Encore quelque chose que Boya n'avait jamais expliqué. chaque clan interne à JingYun portait le nom de son chef de famille. Boya et tous ses frère portaient le nom de leur Shifu. Ce qui perturbait He Shouyue était qu'à sa connaissance, Boya était né "Yuan". Même s'il avait aussi hérité de ce même nom en arrivait à JingYun, il le portait déjà avant. C'était même le nom de jeune fille de sa mère s'il ne se trompait pas. Se pourrait-il qu'il soit le petit fils de son Shifu ? Autre chose de plus tordu ? Sans doute. He Shouyue aurait voulu pouvoir poser la question à quelqu'un mais n'avait que le choix de se taire. Il avait appris à la dure que le silence était l'une des seules armes qu'il avait. Même lorsqu'un autre maître le cognait, il devait garder le silence. Être invisible à leurs yeux était la meilleure solution qu'il puisse avoir pour espérer survivre. Boya était finalement un petit lapinou adorable face au reste de sa secte. Enfin… Boya cachait ses dents et ses griffes mieux qu'eux, surtout. He Shouyue savait à présent que Boya était le meilleur des jeunes de sa génération. Même si lui-même savait très mal se battre… (son cœur se serra. Boya avait pris tellement de temps pour découvrir d'où venaient ses problèmes puis l'aider à progresser. Il s'en voulait tellement) il avait vu assez de combattants pour réaliser que même aveugle, Boya était meilleur que la majorité des anciens et des maîtres. A mesure que les semaines s'écoulaient, He Shouyue comprenait un peu mieux ce qui était arrivé à Boya.
Les anciens avaient eu peur de lui. Bien davantage que de Yuan Tànli, ils avaient eu peur que Yuan Boya s'affranchisse et devienne un ancien avant ses trente ans. S'il y était parvenu, il était évident pour la majorité des anciens que les plus jeunes et tout son clan se seraient ralliés non pas derrière Tànli, mais derrière Boya. Il était jeune, il était fort, il était séduisant… Il avait toutes les qualités pour ramasser la mise et partir avec le pot gagnant.
Même Tànli ne semblait pas réaliser qu'il n'était qu'une excuse facile et pratique pour cacher la réelle cause de la guerre larvée actuelle. Boya devait disparaitre pour que le statu quo se maintienne au sein de JingYun.
He Shouyue apprenait à avoir les oreilles ouvertes en plus de la tête baissée. Son dos lui faisait assez mal d'avoir appris à la dure à le courber mais il avait compris la leçon. La partie mesquine et revancharde tout au fond de lui aurait pu concentrer sa haine et sa colère sur Boya. Après tout, c'était sa faute s'il était là. Il avait failli s'y abandonner d'ailleurs. Mais à chaque fois, il revoyait le visage trahit de Boya, la peine et la surprise lorsque He Shouyue l'avait abandonné. He Shouyue ressentait un peu plus chaque jour la honte et le dégout de lui-même à mesure qu'il subissait la violence et la barbarie locale. Boya était un gentil. Boya avait honnêtement essayé de devenir son ami et de l'aider. Et lui… lui…
Non, ce n'était pas la faute de Boya si He Shouyue était ici. Ce n'était finalement même pas celle de ses parents non plus. Ils avaient fait eux aussi ce qu'ils avaient pu. Non. Les responsables étaient les hommes qui enterraient l'un des leurs, un de plus. S'ils n'avaient pas eu si peur de Boya, s'ils n'avaient pas cherchés à maintenir leur secte dans cet état fragile de délabrement et de violence, jamais Boya n'aurait été envoyé au Yin Yang. Jamais He Shouyue ne l'aurait rencontré.
Jamais He Shouyue n'aurait découvert la douleur de se regarder dans un miroir et d'être horrifié par son propre reflet.
C'était leur faute.
QingMing avait ramené Boya dans ses appartements. Il l'avait installé dans son giron, bien à l'abri dans ses queues.
Calmer le jeune homme lui avait pris plus de temps qu'il ne l'avait anticipé. Boya paniquait sans qu'il ne comprenne pourquoi et n'avait pas vraiment envie de se calmer.
Il fallut un moment à QingMing pour comprendre pourquoi Boya paniquait autant. Parce qu'il se donnait le droit de paniquer. Pour la première fois depuis une éternité, Boya se laissait aller à paniquer parce qu'il pouvait le faire sans risque et parce qu'un autre était là pour prendre les rênes de la situation à sa place.
"- Calmez-vous, Boya. Tout va bien. Je vais vous aider à tracer le talisman nécessaire pour appeler Zhuque. Vous pourrez l'invoquer et il pourra vous gronder très fort pour l'avoir renvoyé comme vous l'avait fait."
L'idée de se faire gronder par Zhuque sembla faire plaisir au jeune homme. Il avait besoin d'être punit pour ce qu'il avait fait. Ou croyait avoir fait. Il y avait quand même une certaine goutte de masochisme tout au fond du chasseur. Elevé comme il l'avait été, ce n'était pas si étonnant. Il aurait succombé depuis longtemps s'il n'avait pas appris à apprécier la douleur et la violence d'une façon ou d'une autre. C'était ce qui faisait également de lui une si excellente Furen pour QingMing. Boya avait la sauvagerie que QingMing avait passé sa vie à réprimer.
"- Il va me détester."
"- Il va peut-être être en colère, peut-être ronchon. Mais sans doute très fier aussi. Vous ne réalisez pas la force qu'il faut pour renvoyer un esprit aussi fort que lui.
Boya posa sa joue contre l'épaule du vieux démon renard qui ne fit pas le moindre commentaire. Il était trop heureux pour ça.
Boya s'abandonnait à lui parce qu'il lui faisait confiance. Ça aurait pris six mois, son absence pour fait-de-guerre, Boya qui se retrouvait catapulté au rôle d'Anbei Furen et la découverte de son Nom mais Boya lui faisait enfin confiance !
QingMing devait lutter de toutes ses forces pour retenir ses queues de battre follement à en casser les murs. Il garda le jeune homme étroitement contre lui le temps qu'il se calme.
il fallut plus de temps que le renard-démon en l'aurait imaginé, une fois encore.
"- Boya ?"
"- … je suis désolé. Je suis ridicule."
"- Non, vous vous sentez assez en sécurité pour vous laisser aller à confier vos craintes et vos angoisses a un autre. Avec votre passé, je suis certain que ça ne vous est que peu arrivé."
"- Mmm."
"- Laissez-vous aller, Boya. Laissez-moi vous soulager un peu de vos craintes. Nous allons vous permettre de rappeler Zhuque à vous très vite."
"- …C'est promis ?"
"- Sur mes queues !"
Il fallut encore une bonne demi-heure pour que Boya soit assez calme pour qu'il commence à se sentir gêné d'être sur les genoux du seigneur démon.
"- Je vous ai dérangé pendant que vous travailliez. Je suis navré."
"- Ne le soyez pas, Boya. De toute façon, j'étais à deux doigts que leur arracher la gorge tellement ils m'ennuient avec leurs demandes idiotes. Les marchands oublient souvent ce qu'ils me doivent. Mais ce n'est pas la question. Si vous êtes assez calme, nous allons rappeler Zhuque, d'accord ?"
Boya hocha la tête, affreusement gêné d'être toujours sur les genoux de QingMing.
Pourtant, il ne chercha pas à le repousser ou à les quitter. Une partie de lui était bien trop bien installée et satisfaite pour vouloir déménager.
MiChong apporta rapidement des talismans vierges, des pinceaux et du cinabre ainsi qu'un petit écritoire que QingMing installa devant Boya. Le dos du jeune chasseur était agréablement chaud contre le torse du Seigneur Démon. Retenir une réaction intempestive lui prenait une bonne partie de son attention. Heureusement pas assez pour qu'il ne puisse guider le jeune chasseur.
"- Trouver la graphie nécessaire pour appeler Zhuque peut mettre plusieurs heures. Mais il n'y a aucun risque à le faire quelque peu patienter. Il ne souffre pas là où il est alors ne culpabilisez pas. Le temps n'a pas la même valeur non plus."
Boya hocha la tête. Les longues queues toutes douces le caressaient et le retenaient agréablement contre le renard.
La voix douce et apaisante de QingMing expliqua longuement ce que Boya allait devoir faire. Boya ne connaissait pas les caractères du nom de Zhuque mais il s'en doutait quelque peu.
Boya traça le caractère de 'oiseau' sans même y réfléchir. Mais pour le premier ? Il lui semblait évident aussi. Trop ? Sans doute. Et il ne parlait pas de sa calligraphie personnelle qui n'avait jamais été la meilleure. Avec la perte de sa vue, s'il restait lisible, elle s'était largement dégradé malgré son encre si pratique.
"- Continuez." Encouragea QingMing avec douceur.
Boya recommença encore et encore jusqu'à tomber dans une véritable transe légère. QingMing changeait les rouleaux de papier à mesure que Boya les remplissait, d'abord de plusieurs noms et de plusieurs graphies.
Celle de dieu d'abord, c'était presque logique. puis, celui de chasser. Ça aussi c'était logique non ? Frapper alors ? Non plus ? Zhuque n'avait rien à voir avec l'argent aussi Boya balaya une graphie sans même l'essayer. Pourquoi aucune ne lui semblait… bien ? Non, vraiment, il n'y en avait qu'une qui semblait venir naturellement sous ses doigts.
A mesure que Boya se rencognait sur lui-même et sur le lien qu'il partageait avec Zhuque, une seule se répétait encore et encore.
D'abord hésitante, elle se fit de plus en plus assurée.
D'abord incertaine, elle se fit de plus en plus lisible.
Lorsque QingMing retira le dernier rouleau pour le remplacer par du papier à talisman, Boya traça le nom de son shishen avec aisance et perfection.
"- Boya."
Le jeune homme sursauta doucement.
"- Ha… pardon… je… Ça ira ?"
"- J'en suis certain. Il faudra peut-être plusieurs essais. Mais tu connais la théorie. N'ai pas peur de te tromper. Encore une fois, tu ne peux blesser Zhuque."
Boya avala sa salive. Il s'entailla le pouce sur sa dague pour mettre un peu de sang sur le talisman. Il connaissait la procédure. Il concentra son qi dans le talisman, le lança en l'air puis tenta d'invoquer son shishen.
Le talisman retomba mollement au sol.
"- Ce n'est rien. Recommence." Encouragea encore QingMing.
Boya prit une grande inspiration. La chaleur autour de lui le troublait légèrement. Il se racla la gorge. Aussitôt, QingMing lui mis une tasse de thé entre les doigts. Boya avala le liquide chaud à petites gorgées. Il prit un nouveau talisman vierge, son pinceau, attendit que l'encre sèche dessus puis remis un peu de sang dessus.
L'odeur du sang de Boya agitait grandement le renard-démon dans son dos mais QingMing restait aussi calme que possible. Ses queues étaient aussi ébouriffées que ses oreilles.
Après le quatrième ou cinquième essai, le Seigneur Démon ne put plus y tenir. Il attrapa la main du jeune homme dans la sienne pour porter des doigts sanglant à sa bouche. Il les suça doucement.
Paralysé de stupeur, Boya n'osa même pas retirer ses doigts des siens. Lorsque QingMing les lui rendit, les blessures avaient disparues.
"- S…Seigneur Anbei."
"- Pardonnez-moi. L'odeur du sang frais est toujours une source de distraction pour un renard comme moi."
Boya serra sa main contre son torse.
"- Je… "
"- Reprenez, voulez-vous ?"
Boya se racla la gorge mais repris timidement. Il lui fallut encore une vingtaine d'essais et plusieurs fois ses doigts dans la bouche de QingMing, au contact d'une longue langue chaude et douce, pour qu'il parvienne à établir le contact avec Zhuque.
L'oiseau vermillon se projeta dans leur réalité avec un cri d'outrage et de scandale.
Il se posa immédiatement sur la table devant Boya pour lui caqueter au visage à quel point il était outré de ses manières. Comment avait-il osé l'envoyer à la niche comme un chiot ! Ou comme un enfant mal élevé !
Boya se laissa gronder dans protester, le nez bas, la tête rentré dans les épaules et le mains sur les genoux.
"- Zhuque, Boya va finir par pleurer à ce rythme." Murmura QingMing.
Boya s'était lentement reculé dans ses bras comme s'il cherchait à se cacher dans ses poils de la colère de Zhuque.
Le Dieu-Gardien cessa immédiatement de caqueter avec colère. Il pencha la tête d'un côté, puis de l'autre, avant de sauter gentiment sur les genoux de son maître.
"- Boya ?"
"- Je suis désolé, Zhuque. Je n'ai jamais voulu te chasser comme je l'ai fait. Je voulais… je voulais être sûr que je ne pouvais pas. Et… et… j'ai réussi !" Le pauvre chasseur était horrifié.
Le dieu-gardien lui piqua la joue du bout du bec pour le sortir de la spirale d'angoisse qui a nouveau menaçait de le submerger.
"- Allons, allons. C'est surtout ma faute. Je ne pensais pas que tu essayerais. Et quand tu as essayé, je ne pensais pas que tu aurais autant de force."
Boya s'excusa encore, désespéré, jusqu'à ce que Zhuque lui pique encore la joue. Il allait finir avec une cicatrice à ce rythme.
QingMing était immobile et silencieux. Zhuque lui envoyait régulièrement des regards noirs. Il ne savait pas s'il était à ce point content de voir son maître aussi à l'aise aussi vite dans les bras et les queues du renard. Le dieu-gardien allait avoir une longue discussion avec lui.
"- Boya." Insista Zhuque. "Je suis ton shishen. Tu as le droit de me renvoyer si tu le souhaites et."
"- NON !"
"- Boya…" Encore une fois, Boya faisait sa tête de mule bornée. Zhuque laissa tomber.
"- Boya. Tu sais que tu peux renvoyer Zhuque si tu le veux vraiment." Finit par murmurer QingMing. "Mais maintenant qu'il sait de quoi tu es capable, je doute qu'il se laisse aussi aisément repousser. Fais confiance à ton shishen, Boya. A défaut de te faire confiance à toi-même."
Boya se laissa aller encore un peu plus contre le renard démon. Il aurait presque pu se cacher totalement sous une seule de ses queues. QingMing rayonnait de satisfaction de son abandon.
Zhuque ne pouvait même pas protester pas alors que Boya venait de timidement glisser ses doigts dans ses plumes pour le caresser gentiment.
Un doux roucoulement finit par passer le bec de l'oiseau vermillon. Petit à petit, il fit son nid dans les bras de Boya, ferma les yeux et se laissa cajoler. S'il n'avait pas apprécié être renvoyé comme il l'avait été, il s'était plus inquiété de l'angoisse de son maître que d'avoir été repoussé comme un malpropre. Maintenant que Boya pouvait l'appeler à la demande, tout allait bien. Et s'il pouvait gratter un peu plus à droite, là ?
QingMing ne bougeait pas. Boya avait posé sa joue contre son épaule. Le jeune homme cajolait son shishen comme s'il avait totalement oublié où il était assis et surtout, sur les genoux de qui. Le renard-démon n'allait certes pas protester.
