Chapitre 53

"- Nous aussi nous sommes contents de te voir, Boya."

Zhong Xing hoqueta soudain lorsqu'il réalisa que Boya avait ouvert son troisième œil et les voyait vraiment.

"- Tu as réussi !"

"- Je n'y arrive pas encore très longtemps."

Zhong Xing échangea un regard fatigué avec QingMing. Comme souvent, le jeune chasseur ne réalisait pas la portée de son succès. Son estime de lui-même était si basse qu'il trouvait dans sa découverte une nouvelle raison de s'excuser plus que d'être content de son exploit.

"- C'est absolument exceptionnel, Boya. Tu es le premier depuis une éternité ou deux à y parvenir.

"- Anbei Furen a beaucoup travaillé pour parvenir à ce résultat." Souriait largement un jeune homme au regard fou que Zhong Xing connaissait très bien.

C'était un Shi.

Puis le chef de secte réalisa ce qu'il venait de dire. Près de lui, son épouse s'était figée.

QingMing lâcha un coassement de surprise lorsque le chef de secte lui sauta à la gorge pour l'étrangler.

"- QU'EST CE QUE VOUS AVEZ FAIT A BOYA !"

Les deux Shi se ruèrent sur Zhong Xing pour l'arracher à leur seigneur sans le tuer. Ils l'écrasèrent sur le sol pour l'immobiliser pendant que QingMing toussait en se frottant la gorge. Il ne s'était pas attendu à ça !
Boya avait appelé MiChong pour qu'elle vienne examiner son maître. Heureusement, ce n'était rien. Un peu de pommade et il n'aurait même pas de bleu

Fangyue suppliait les deux Shi de ne pas tuer son mari. Il suffirait d'un geste de QingMing. De mémoire de démon, personne n'avait osé lui sauter dessus comme ça.

"- ZHONG XING ! ÇA VA PAS BIEN ?" Rugit le chasseur aveugle une fois rassuré.

"- Mais… mais Boya…"

"- Je peux savoir ce qui vous prends ?"

"- Je crois qu'il veut savoir pourquoi il n'a pas été invité au mariage, Anbei Furen." Expliqua calmement Weilan.

Boya lui jeta une dague à la figure qui n'évita l'assassin que parce qu'il lâcha Zhong Xing pour se jeter au sol.

"- Hé !"

"- Silence !" Le sifflement de Boya était plein de colère.

Son assassin personnel se prosterna immédiatement comme il se devait devant son maître et resta immobile et silencieux, le front contre le sol.

"- Nous allons tous nous calmer et discuter tranquillement." La voix froide et autoritaire de Xue TianGou força chacun à descendre en pression. Il avait une aisance remarquable à faire passer chacun pour un sale gamin quand il le voulait, QingMing inclus.

"- Xue TianGou à raison. MiChong, peux-tu emmener les enfants s'amuser dans le jardin et leur offrir à manger ?" Ordonna QingMing.

Les élèves de Boya râlèrent un peu mais finirent par obéir lorsque leur shixiong fronça les sourcils.

Sha ShengShi accompagna les enfants dehors, suivit par Xue TianGou.

QingMing attendit qu'il ne reste que les deux frères shi, Boya, Zhong Xing, Fangyue et lui-même avant de reprendre.

"- Il n'était pas prévu que Weilan soit si effronté, j'en suis désolé."

"- Je m'en fiche, QingMing. Qu'est-ce que vous avez fait à Boya !" Jamais Zhong Xing n'imaginerait une seconde que Boya accepterait de d'épouser le démon. Lui produire le rejeton qu'il voulait, peut-être. Mais davantage ? Non.

"- Je n'ai rien fait à Boya, soyez en sûr. Il a juste la bonté de jouer un rôle bien utile qui a sauvé de nombreuses vies ici pendant que j'étais dans l'Ouest à lutter pour mon Domaine.

Zhong Xing se mis encore plus en colère.

"- JOUER UN ROLE ?" S'il était scandalisé d'entendre Boya être appelé Anbei Furen, il l'était encore plus de comprendre qu'il ne l'était pas vraiment. "COMMENT OSEZ VOUS JOUER AINSI AVEC L'HONNEUR DE BOYA ?"

QingMing resta interdit un instant. Qu'est-ce que racontait l'humain ?

Boya aussi était perplexe. Ce n'était pas la première fois qu'on lui demandait de jouer un rôle. Au moins cette fois, il n'avait pas eu besoin de vendre son cul.

"- Reprenons depuis le début, voulez-vous ? Je crois qu'l y a eu assez d'incompréhensions comme cela." Boya n'avait pas mérité une fois de plus d'être au milieu de jeux de pouvoir.

QingMing expliqua calmement la situation et l'aide que Boya lui avait apporté, à lui et au Domaine entier. Et ce qu'il lui devait.

"- A ce propos, Zhong Xing." Un portal s'ouvrit près de QingMing qui en tira un lourd sac de soie qu'il jeta aux pieds du chef de secte. Des rouleaux d'or roulèrent sur sol. "Je pense que deux milles taels d'or suffisent comme payement pour service rendus." Ce qui, par la force des choses, libérait bruyamment Boya de ses chaines.

"- QINGMING !"

"- Chut, Boya. Ce n'est même pas une fraction de ce que ton aide a économisé au Domaine. Il est normal que tu sois dédommagé pour ton travail."

"- Il a raison, Boya." Insista Kuang HuaShi qui surveillait le vieux chef de secte avec suspicion.

Le jeune homme ferma son bec et baissa le nez. Et si pour QingMing et Zhong Xing, le problème que représentait son "esclavage" était une fois pour toute derrière lui, ce n'était toujours pas le cas pour Boya. La paye d'un esclave allait à son maître. Pas à l'esclave.

Le renard démon et le chef de secte allaient s'en taper la tête contre les murs quand ils auraient réalisés. Mais pour l'instant, Zhong Xing était à la fois heureux que Boya ne soit Anbei Furen que de nom et en même temps dépité. Il aurait préféré que QingMing le fasse sien, finalement. Il n'aurait plus eut à craindre pour Boya. Il aurait été réellement protégé de JingYun, de ses propres limitations et ….. de tout. Enfin, sans doute un parent voulait-il toujours voir ses enfants mariés, heureux et à l'abri n'est-ce pas ? Qu'il se mette à voir Boya comme une fille à marier était sans doute insultant, mais avec les limitations qui étaient les siennes ce serait une solution élégante. Il voulait que Boya s'épanouisse de son mieux. Mais il voulait surtout le savoir à l'abri des difficultés du monde.
Sans le vouloir, il reportait sur Boya toute l'affection et la protection dont il avait passé des années à noyer He Shouyue. Il n'y avait pas que son fils qui avait un problème.

"- Maintenant que ce détail est éclaircit, après tout Boya a offert ses services généreusement au Domaine, peut-être pourrions-nous nous concentrer sur ce qui compte, à savoir votre visite ?" Sourit largement QingMing.

Boya sentit son dos se détendre. On allait enfin s'occuper d'autre chose que des stupidités.

"- Zhong Xing, Fangyue, peut-être puis-je vous présenter mon shishen ?"

Il y eut un instant de flottement avant que le chef de secte, son épouse et le shixiong de Boya fassent éclater leur joie.

"- Vraiment ? BOYA ! quelle excellente nouvelle !"

"- Présente le nous !"

"- Qui est-il ?

QingMing s'était laissé aller en arrière dans ses coussins. Il laissait la place au jeune homme.

"- Zhuque ? Si tu voulais bien ?"

Le phénix vint se poser sur les genoux de son maître en caquetant de contentement. Il toisait les humains avec hauteur, assez peu impressionné par leurs manières.

"- Shifu, Furen, Shixiong, je vous présente Zhuque, le Dieu-Gardien du Sud. Pour une raison étrange, il a décidé que j'étais son animal de compagnie." Zhuque qui gonflait le bréchet jusque-là se tourna vers lui avec un trille outragé qui fit sourire Boya. "Ai-je vraiment tort ? Tu as minutieusement chassé tout autre démon ou esprit qui aurait voulu répondre à mon appel. Tu as attendu avec la patience du dieu que tu es pour que j'arrive à pouvoir t'appeler. Je suis plus ton animal de compagnie que tu n'es mon shishen." Souriait Boya avec affection tout en caressant les plumes du phénix qui finit par cesser de caqueter son outrage.

Zhong Xing échangea un coup d'œil avec son épouse. Zhuque ? C'était Zhuque ? C'était un dieu gardien, ce pigeon géant ? Pourtant, ils ne ressentaient rien de la force prodigieuse qui aurait dû être la sienne. Le poulet sur les genoux de Boya caquetait en faisant claquer son bec tout en se tortillant de plaisir sous les caresses de son maître.

"- Boya, puis-je vérifier si le lien entre vous est correctement établi ?" finit par demander Zhong Xing. Il était inquiet que l'avien ne soit pas ce qu'il disait être.

"- Et bien… Si Zhuque n'y voit pas d'inconvénient, moi non plus."

Zhuque sauta sur les genoux de Zhong Xing. Il le foudroya du regard. Il savait parfaitement ce qu'il avait en tête mais le laissa faire.

Le chef de secte posa deux doigts sur le front de l'oiseau. Le sigil entre Boya et Zhuque s'enflamma pour laisser Zhong Xing l'étudier puis remonter délicatement le lien entre eux.

"- Le lien est fort, propre et pur. Bravo Boya. Ton premier shishen est remarquable." Il n'espérait pas que le lien entre le premier shishen de Boya et son maître seraient aussi étroit et fort.

Zhuque caqueta avec hauteur. Evidemment que leur lien était fort ! Pour qui le prenait-il ?

"- Puis-je récupérer mon Zhuque ?" Finit par demander Boya, mal à l'aise d'avoir son oiseau loin de lui et surtout, à la merci de quelqu'un d'autre même si c'était Zhong Xing.

"- Oui, bien sûr. Excuse moi." Le premier lien était souvent grandement possessif.

Zhuque changea de forme sous les éclats de surprise des humains pour venir prendre Boya sous son aile.

"- Ma seule crainte était que Zhuque était bien petit pour s'occuper de toi, mais à présent, je n'ai plus la moindre inquiétude. Vous allez parfaitement ensemble." Souriait largement Zhong Xing.

Un soucis de moins. Le soulagement de savoir Boya protégé était grand. Il n'aurait plus à s'en faire autant. Entre ça et sa réputation de Anbei Furen, il était protégé, avec une place qui s'affirmait de jour en jour. Peut-être que le ramener au Yin yang serait une erreur lorsque JingYun aurait fini de leur souffler dans le cou.

La petite collation s'était terminée mieux qu'elle n'avait commencé. Boya avait pu s'échapper pour ses appartements avec le concours discret de Weilan et Sha ShengShi. Il savait que son shixiong surtout était désolé de ne pas avoir encore eut de temps pour discuter avec lui, mais les nordistes n'allaient pas repartir immédiatement. Il aurait le temps un peu plus tard. Pour l'instant, Boya voulait juste du calme et de la tranquillité. Il avait oublié à quel point les humains pouvaient être vibrant. Les démons l'étaient aussi mais c'était différent. D'avoir passé juste quelques heures en compagnie de son Shifu, sa femme, son shixiong et ses shidi l'avait émotionnellement drainé. Il ne s'était pas rendu compte à quel point il avait été protégé et choyé depuis son arrivé dans le Domaine du Seigneur Anbei.

Vautré sur son lit, Zhuque sur son ventre qui somnolait doucement pendant que Boya lui caressait les plumes, l'humain avait fermé les yeux pour se reposer mentalement lui aussi. Il se baignait dans le lien qu'il partageait avec l'oiseau gardien comme un enfant s'abandonne aux bras de sa maman pour un dernier câlin avant d'aller dormir. Zhuque était son protecteur, son professeur, son ami et son frère. Sans doute était-ce un peu insultant pour la magnifique créature d'être considéré ainsi par un simple humain, mais Boya ne pouvait qu'avoir de plus en plus d'affection pour sa boule de plumes.

"- Je t'aime aussi, mon humain." Finit par râler Zhuque. "Mais maintenant, cesse de réfléchir, tu m'empêches de dormir."

"- Pardon mon pigeon. Aie." Boya éclata de rire quand Zhuque lui balança une claque avec ses longues queues chatoyantes.

"- Un peu de respect pour tes ainés, deux pattes."

"- Jamais quand c'est toi."

Zhuque lui pinça plus ou moins gentiment les doigts du bout du bec mais finit par mettre la tête sous l'aile pour s'endormir. Boya aurait voulu se reposer aussi aisément. Pourtant, le sommeil le fuyait malgré la fatigue. Il ne s'attendait pas à ce fond de malaise, de gène même, à se trouver à nouveau au milieu d'humains. Avec les démons, c'était plus facile. Ils étaient plus directs. Même la Cours de QingMing était plus directe. Ca rampait bien un peu, mais ça gueulait clairement quand quelque chose n'allait pas. Il avait eu des nouvelles du couple dont les parents étaient venu demander un jugement. L'épouse avait fait comme proposé par Boya. Elle avait lavé le sol avec les gencives de son mari dès qu'il avait à nouveau voulu lever la main sur elle. Depuis, l'indélicat époux avait revu ses manières et apprenait à travailler sa patience. Son épouse n'avait pas eu à le cogner une fois de plus heureusement. Elle aurait pu renverser la terreur et se venger mais elle voulait juste être traitée comme une égale. Le jeune marié avait de la chance que son épouse ne veille que sa considération et son respect.

Boya soupira doucement. Ses pensées le conduisaient naturellement vers QingMing. Son 'mari'. La blague n'était pas moins formidable à la 2549eme fois. Boya jouissait de tous les avantages de son 'statut', en gagnait chaque jour un peu plus les responsabilités par la force des choses même s'il n'avait rien demandé et ne pouvait que remercier le ciel que la blague en reste là. Il n'avait pas de problème à gagner sa place et sa pitance par son travail. Il en était même fier. Avec un petit rire méprisant pour lui-même, Boya ne pouvait qu'accepter qu'il soit un imbécile tordu.

Il se sentait enfin si bien dans le Domaine Démoniaque parce qu'il pouvait y gagner sa croute. Il n'était dépendant de personne (enfin...). Il n'était pas un poids pour la communauté comme à son arrivée. Et c'était ce qui lui donnait la force de traiter QingMing comme il le faisait. Et le renard adorait ça, Boya le savait. QingMing voyait comme un défi d'avoir quelqu'un qui lui tenait tête comme il le faisait. Boya n'était pas son suivant. Il n'appartenait même pas à son Domaine. Boya pouvait lui tenir la dragée haute.

Un petit sourire monta aux lèvres du chasseur aveugle. Le Seigneur Démon n'avait rien à voir avec ce qu'il avait cru au début. Maintenant qu'il le voyait au quotidien, ce n'était pas un digne dirigeant et un puissant seigneur qu'il voyait. C'était un renardeau tout fou qui voulait juste s'amuser mais était contraint par des responsabilités qu'il n'avait ni cherché ni voulu.

Alors peut-être, peut-être que c'était pour ça que Boya faisait de son mieux pour l'aider aussi. A jouer à Anbei Furen, une partie des responsabilités qui étaient celles du renard démon lui étaient lentement transférées. Et Boya adorait ça.

Finalement, la situation s'accordait parfaitement à leurs besoins, leurs envies et leurs aspirations à tous les deux. Alors… Pourquoi pas ?

"- Je crois que j'aurais fait un bon chef de secte." Murmura le chasseur à Zhuque qui dormait comme un caillou. Boya gloussa encore sans jamais cesser de caresser. "Tu as raison. Bonne nuit Zhuque.

La matinée avait débutée sur les chapeaux de roue pour Boya en ce second jour de la présence de son Shifu et des siens.

QingMing était venu le chercher avec un enthousiasme de gamin pour lui faire découvrir les nouveaux morceaux de musique qu'il avait fait rechercher pour Kuang HuaShi, Sha ShengShi et lui, dans tout son Domaine.

L'esprit et le démon avaient profité de la cécité de Boya et de l'enthousiasme débordant de leur ami et maitre pour rouler très fort des yeux. Pouvait-il cesser de les prendre comme alibi ? Ils savaient tous très bien que les recherches avaient été faites exclusivement pour Boya. Ils en profiteraient aussi par la bande, mais les cadeaux étaient pour faire la cour au chasseur.

Comme les vêtements.

Comme rétrospectivement la feifei.

Comme les bijoux que le chasseur dédaignait.

Comme les armes qu'il avait accepté parce que c'étaient des armes de qualité ainsi que les livres recopiés par la main de QingMing pour que Boya puisse les lire.

Tout le monde, non, tout l'univers ! voyait QingMing faire ce qui ne pouvait être autre chose qu'une cours ardente et enthousiasme au jeune humain.

Sauf Boya.

C'était à se taper la tête contre les murs.

Et encore. Ils ne savaient pas pour le baiser échangé et oublié depuis. Ou a défaut d'oublié, au moins mis sous silence parce que Boya n'était pour l'instant émotionnellement pas capable d'assumer à quel point le baiser lui avait fait ressentir plus de choses qu'il n'en avait ressentit entre les cuisses des plus belles de femmes de la capitale.

Conduit par Mi Chong dans la salle de musique où QingMing encourageait Boya à s'essayer à une des nouvelles balades qu'il lui avait trouvé, Zhong Xing et Fangyue étaient un peu perplexes.

"- Boya se rends compte ou...

"- Nan." Fut la réponse collégiale.

"- Il faudrait peut-être lui dire."

"- Nan !"

Le chef de secte leva lentement les mains pour ne pas se faire arracher la tête. Ce n'était pas ses affaires il était vrai. Mais à chaque seconde qui passait, il était un peu plus certain que jamais Boya ne reviendrait au Yin Yang. Sa vie n'était plus là.

Zhong Xing pinça les lèvres. Il ramènerait Boya à la maison dès que possible, qu'il le veuille ou non. Il ne laisserait pas QingMing acheter l'affection du jeune aveugle pour le jeter après comme un malpropre une fois obtenu ce qu'il voulait.

Puis la plaisanterie se fit infiniment moins drôle quand un garde déboula en excusant son

interruption mais le Seigneur Anbei était demandé d'urgence dans la salle du trône. Des nouvelles du sud venaient d'arriver et elles n'étaient pas bonne.

Toute plaisanterie disparu du visage du seigneur démon. Le dos de Boya se fit rigide

"- Boya.

"- Allez-y, je m'occupe du reste."

QingMing eut un petit signe de tête. Si Boya n'avait pas pris physiquement la responsabilité du Domaine Intérieur et de la Capitale sur ses épaules, tous les cultivateurs présent avaient pu sentir le transfert de témoin entre le renard et l'humain. La Maison se remettait entre les mains de Boya et avec elle, c'était la Capitale entière qui se soumettait à Anbei Furen. Ce qui n'était qu'une vaste plaisanterie était pourtant bien plus réelle que nombre de mariages.

Zhong Xing hésita. Le partenariat était évident. Il n'y avait peut-être pas de sentiments ici, pas encore, mais un partage de responsabilités fascinant.

Le chef de secte aurait pu s'en arracher les cheveux. D'un côté il voulait que Boya soit à l'abri et en sécurité, apaisé après la vie qu'il avait eu jusque-là et de l'autre il voulait qu'il puisse se prendre en mains et se défendre.

Zhong Xing était perdu dans sa propre tête depuis que ses deux fils lui avaient été arrachés. Revoir Boya alors qu'il n'avait pas fait la paix avec lui-même n'avait peut-être pas été une si bonne idée. Et il ne parlait pas de la douleur évidente qui était celle de son épouse depuis la veille.

"- Boya ?"

"- Il faut que j'aille m'occuper des diplomates invités, Shifu. Si vous voulez bien m'excuser." Zhong Xing le laissa partir avec Zhuque sur l'épaule et la main sur le bras de Shi Weilan

"- Par ici, Anbei Furen." Le pressa l'assassin.

Sha ShengShi était resté avec les invités du nord.

"- Les urgences ne s'annoncent jamais." Excusa le shishen en s'inclinant. "Si vous voulez me suivre, je peux vous faire visiter le Domaine Intérieur. Boya ne verra sans doute aucun inconvénient à ce que vous visitiez ses appartements et son jardin."

"- Son jardin ?"

"- Un cadeau du Seigneur Anbei."

Le chef de secte commençait à s'agacer à nouveau. Son épouse posa une main sur son poignet pour le calmer alors que les enfants explosaient de curiosité. Bien sûr qu'ils voulaient voir ! Zhong Xing avait l'impression désagréable de s'être totalement fait arnaquer sur tous les tableaux. Que QingMing lui avait volé ses deux fils.

Il commençait à vraiment lui en vouloir.

QingMing avait renvoyé une de ses armées sur le terrain pour régler le problème dans le sud avant le déjeuner. C'était l'avantage des portails. A condition d'avoir l'image mentale de la zone d'arrivée et la force pour l'ouvrir, une armée pouvait aller réprimer une révolte en quelques heures. Sa Seconde Générale, Hai XiuTuzi, serait rentrée avant la fin de semaine si tout se passait bien. La petite rébellion n'était pas grand-chose. Sans compte qu'elle touchait autant son domaine que le Domaine Sous-terrain. Long Ye allait envoyer des hommes à elle également. Les deux armées fonctionnaient bien ensemble en général. Les protestataires allaient être invités à se calmer et expliquer la cause de leur rébellion. S'ils ne cherchaient qu'à se battre ils finiraient écrasés entre le marteau et l'enclume. Même dans un cas comme celui-là, aussi bien QingMing que Long Ye privilégiaient le dialogue avant tout. Ils ne voulaient pas envoyer leurs troupes au casse-pipe sans raison.

QingMing laissa ses conseillers régler les derniers détails pour se mettre à la recherche de Boya. Ses hommes avaient géré ce genre d'escarmouche presque autant que QingMing avait géré de filles en âge de se marier jetées dans ses bras par leurs mères.

Maintenant heureusement, Boya était là. Il était une bénédiction. Même s'il refusait de devenir son partenaire quand il le lui demanderait officiellement, QingMing voulait quand même qu'il reste comme son premier conseiller en plus de son rôle d'épouvantail à femelles en rut. QingMing n'était pas étranger aux guerres. Il n'était pas étranger à l'abandon momentané, récurent et non programmé de sa capitale dès qu'il devait aller rappeler quelque part qu'il était le chef. Les démons ne restaient jamais silencieux très longtemps quand ils étaient loin de leur maitre. Avoir la compétence de Boya pour le suppléer était un soulagement dont il ne réalisait l'importance que maintenant qu'il l'avait. Le renard-démon serait prêt à tuer pour le conserver. Le Seigneur démon remonta la piste olfactive pour retrouver son Invité. Il le trouva dans son propre bureau, très occupé à engueuler deux nobles venus pleurnicher comme ils savaient si bien le faire dès que QingMing avait le dos tourné parce qu'ils croyaient que Boya serait plus coulant avec eux. Mauvaise pioche, Boya n'avait aucune patience avec la stupidité et les faux semblant. QingMing était connu pour ne pas les supporter non plus, mais Boya n'avait encore tué personne pour ça. Pour l'instant.

"- Tu sais que tu pourrais les faire écarteler." Sourit largement le renard.

L'horreur qui se peignit sur le visage des nobles fut une récompense en soi.

"- Ca fait des taches sur les tapis." Grogna Boya après avoir fait semblant d'y réfléchir. "Ils vont plutôt aller aider à nettoyer les écuries pendant deux semaines, ça devrait calmer tout le monde. Et attachés par la cheville l'un à l'autre histoire de mettre leurs différents à plat. Comme des petits shidi mal élevés."

"- C'est cruel mon Boya."

"- Je suis un chasseur. Je ne peux pas me dédire si vite de ma cruauté envers les démons." Le rire du renard était communicatif.

Les deux nobles filèrent aussi vite que possible. Ils s'en tiraient bien et le savaient.

QingMing s'assit près de Boya. Trop prêt, bien trop près pour la moindre bienséance mais Boya avait l'habitude. Ça ne le dérangeait plus vraiment d'être quasi sur les genoux du renard. Des fois, il le considérait un peu comme Zhuque : une digne et puissante créature affamée de gratouilles et d'assurance qu'il était un bon garçon.

La preuve en étant lorsqu'il levait la main pour gratouiller le menton du renard et qu'il se mettait à battre furieusement des queues sur le parquet.

La première fois avait été inattendue. Maintenant, Boya savait que le renard lui réclamait la caresse comme un chiot une friandise.

L'énorme tête blanche s'était finalement posée sur ses genoux.

"- Vous savez que vous voir ainsi va encore causer des rumeurs."

"- Il n'y a plus aucune rumeur à créer, Anbei Furen." Boya tira une oreille du renard mais ne repoussa pas sa grosse tête. "Plaisanterie mise à part, Boya. Je sais que j'abuse affreusement de votre gentillesse." Soupira QingMing. Jamais Boya n'aurait accepté que le renard s'installe ainsi sur ses genoux sous forme humaine. "Je suis navré de vous utiliser ainsi"

Boya caressait la grosse tête d'une main absente.

"- M'utiliser ainsi ? Autrement que comme votre fausse épouse de pacotille ? J'ai hâte de vous entendre m'expliquer à quel point vous m'exploitez, Anbei QingMing."

"- Maître ? Anbei Furen ? Excusez-moi, les nordistes commencent à s'agacer de l'absence de Anbei Furen."

MiChong grimaçait doucement.

Le grand renard blanc souffla très fort du nez. Il était bien là, à se faire cajoler par Boya. Les doigts du chasseur s'enfoncèrent profondément dans sa fourrure pour lui gratter l'arrière des oreilles jusqu'à ce que le renard démon lâche un profond soupir de contentement.

"- Fais les entrer."

Ce n'était que son bureau après tout. Ca n'avait pas d'importance du moment que Boya continuait à le gratouiller pendant qu'il lui dictait quoi écrire pour le former gentiment aux subtilités de la gestion de son Domaine. Boya était un excellent meneur d'urgence, mais il lui manquait la subtilité nécessaire pour diriger en période de paix. Quand ils seraient mariés pour de vrai, QingMing comptait bien avoir Anbei Furen pour l'épauler pour de vrai et pas simplement en s'occupant de leurs petits ou en période de crise. Le trône du Domaine était bien assez large pour deux postérieurs.

Zhuque caquetait doucement à l'oreille de son maitre. Ils faisaient une jolie image tous les deux. L'Humain et le Démon, le Chasseur et le Renard, l'Aveugle et le Seigneur. De quoi en écrire des ballades qui leur survivraient pendant bien ses siècles.

Boya se sentit rougir. Zhuque adorait se moquer de lui ainsi.

Au début, Boya avait été furieux. Maintenant...

Maintenant il ne s'en offusquait plus vraiment. Comment être en colère quand il s'habituait à ce rôle qui n'était qu'une farce, à cette fourrure si douce sous ses doigts.

Quand il sentit encore la douceur de ses lèvres sur les siennes ?

Parfois, Boya avait presque l'impression que QingMing se comportait comme s'il était son shishen. Ou comme s'il était réellement un époux aimant avec son épouse.

Les joues de Boya s'enflammèrent soudain. Il enfouit son visage dans la fourrure de QingMing par reflexe pour cacher son trouble. Le renard démon lâcha un petit glapissement d'inquiétude.

"- Excusez-moi, Seigneur Anbei. J'ai soudain eut une pensée troublante." QingMing pressa son museau dans son cou.

"- J'espère que je n'en suis pas la cause ni la conséquence."

Boya resta silencieux. Comment expliquer au renard qu'il était probablement en train de lentement succomber à la situation et à prendre plaisir à ce statut qui n'était qu'une farce ?

"- Seigneur Anbei, Boya." L'énorme renard démon ne bougea pas de sa place. Pas alors que les doigts de Boya continuait à lui gratter les oreilles. Boya ne bougea pas non plus, trop encombré par la grosse tête sur ses genoux.

Zhong Xing fronça les sourcils.

"- Seigneur Anbei." Ne pouvait-il montrer un peu de retenue ?

Ils étaient au courant de la supercherie. Il n'avait pas besoin de jouer les époux aimant avec Boya. Mais le renard-démon resta où il était. Pire, Boya ne le repoussait pas et continuait à lui gratouiller les oreilles tout en finissant d'écrire des ordres sur un morceau de papier.

"- Juste un instant, Zongzhu. QingMing. Où est..." Une des queues de QingMing pointa une boite noire sous la "vision" de Boya. Pour quelque chose d'aussi basique que lire du courrier et y répondre, il n'allait pas s'épuiser avec son troisième œil. Boya prit la boite un peu à tâtons, en sortit un énorme sceau en jade blanc avec un renard léopardé à neuf queues gravé dessus qu'il pressa sur l'éponge d'encre blanche puis sur le document.

QingMing y ajouta la trace de son énorme patte à coté puisque Boya avait signé lui-même "Anbei Furen", plia le document pour le placer dans une plaquette qu'il confia à un messager rapide. Le démon prit la plaquette, les ordres, puis fila sauter sur sa monture pour aller transmettre le document à qui de droit.

Incrédules, Zhong Xing et Fangyue ne savaient comment réagir. QingMing laissait Boya utiliser son sceau ? Quelle était cette folie ! Même s'il renforçait le sceau de son empreinte, Boya n'aurait jamais du pouvoir... Jamais dû avoir le droit..

"- Seigneur Anbei, cette plaisanterie d'Anbei Furen va trop loin ! Vous le savez !"

"- Boya m'aide davantage que vous ne semblez l'imaginer, Zhong Xing. Dites-vous simplement qu'il paye pour son entretient."

L'ironie était majuscule. D'autant que Boya hochait la tête avec un air pénétré. Il était heureux de payer pour sa place ici en faisant quelque chose. Maintenant qu'il avait un rôle et qu'il n'était plus "juste" un invité au mieux, une cause perdue à défendre au pire, il se sentait libre de vraiment s'investir. Jusqu'à ce que QingMing lui demande officiellement de mentir pour lui et de travailler à ses côtés, Boya était resté mal à l'aise et maladroit. Que Sha ShengShi le reconnaisse comme un petit frère officiellement et lui donne ainsi un statut avait aidé. Mais que QingMing lui donne un rôle autre que d'élève ou simplement décoratif, avait été un soulagement.

Zhong Xing grinçait des dents.

Fangyue regardait le renard et le chasseur avec le même air un peu perdu depuis que son fils lui avait été arraché.

Quant au shixiong de Boya, il était de plus en plus amusé par la situation.

"- Ha Boya... Je te savais un séducteur mais parvenir à charmer le Seigneur Anbei ? C'est à se demander qui est le renard démon des deux."

"- SHIXIONG!" Le rire de QingMing fit rougir encore plus Boya qui lui balança une tape sur le crâne. "Arrêtez de vous moquer, QingMing."

"- Pourquoi ? Ce n'est que la vérité. Le grand renard démon a été charmé par le délicat chasseur depuis le premier jour. Aie." Cette fois, Boya lui avait tordu une oreille. "Cessez de me maltraiter, Boya !"

"- Vous aimez ça."

"- Vrai. Ce n'est pas une raison quand même."

Zhong Xing en fulminait presque. Les deux individus devant lui se comportaient comme un vieux couple !

Fangyue les regardait faire, presque hébétée par la situation, sans réellement comprendre pourquoi son mari s'énervait. Ne voulait-il pas que Boya et QingMing convolent encore la veille au soir?

"- A-Xing... S'il te plait. Calme toi."

Mais le chef de secte s'agitait de plus en plus.

"- Me calmer ? Alors que Boya se comporte comme... comme..."

Le visage du chasseur se fermait lentement.

"- Comme quoi ?"

"- Comme si tu avais été envouté !" Zhong Xing ne savait que trop ce que voulait QingMing

Le renard changea de forme pour une plus humaine. Boya le laissa quitter ses genoux avec un évident regret.

"- Zhong Xing ! Enfin ! Comment osez-vous ! Je n'ai pas pour habitude de prendre de force ce que je veux !" Le chef de secte sursauta, choqué par l'éclat presque violent du seigneur démon. Il était parfois aisé d'oublier qu'il était un vrai démon. "Je crois que vous avez besoin de vous reprendre un peu, zhong Xing." QingMing n'avait rien dit mais deux membres du clan Shi se présentèrent pour l'évacuer de force du bureau en le soulevant de son coussin par les aisselles. Ils n'allaient pas le tuer, juste l'isoler quelques heures pour qu'il se calme.

Fangyue était blême. Allait-on aussi lui prendre son mari ?

"- Boya, pourquoi n'irais-tu pas faire visiter tes appartements à ton shixiong et tes shidi?"

Boya tira encore quelques poils de queue au passage.

"- Nous en rediscuterons, Seigneur Anbei." Mais il avait compris le message. Le tirage de poils avait été plus gentil qu'une vengeance.

Boya offrit son bras a son ainé qui le prit avec reconnaissance. Les shidi attendaient dans les jardins. Malgré la présence de leurs shishen pour ceux qui en avait et des démons serviteurs pour les occuper, ils s'ennuyaient secs.

"- Venez." Il les entraina avec lui, content de n'être qu'avec eux. Il pouvait se débarrasser un peu de Anbei Furen pour ne plus être que Boya.

Les gosses s'accrochèrent à lui avec une joie sauvage. Il leur avait tellement manqué ! Les séniors lui serrèrent l'épaule avec le même enthousiasme. A eux aussi il avait manqué