Chapitre 55

Boya avait la joue sur quelque chose de chaud, doux et moelleux.

Les oreillers et les coussins dans son appartement du Domaine Intérieur étaient toujours honteusement confortables aussi ne s'en étonna-t-il pas.

Ce qui le surpris fut d'abord sa migraine, puis le goût d'évier sale qu'il avait dans la bouche, et enfin l'odeur sucrée délicieuse qui lui montait aux narines.

Le chasseur se redressa lentement. Il essaya d'ouvrir son troisième œil mais sa migraine le calma instantanément. Un petit gémissement de douleur lui échappa alors qu'il enfouissait son visage dans la soie qui le protégeait de l'extérieur.

L'odeur sucrée lui envahit le nez plus fort.

La forme sous lui bougea quelque peu.

"- Boya ?"

"- …. QingMing ?" Qu'est-ce que le renard faisait dans son lit ? Qu'est-ce qu'il avait fait ? Qu'est-ce qu'ILS avaient fait !

Boya se souvenait d'avoir bu plus que de raison.

Il avait eu un besoin quasi physiologique de boire pour se mettre la tête à l'envers quelques heures. Il avait eu besoin d'oublier. il avait eu besoin de faire n'importe quoi.

Et voilà qu'il se retrouvait avec le Seigneur des lieux dans son lit ?

Boya se redressa d'un coup avec un coassement d'angoisse pour se palper de partout. Il était habillé. On lui avait juste retiré ses chaussures. Et le renard ? Il le palpa frénétiquement. il était habillé aussi.

"- Boya… Qu'est-ce que vous faites ?"

"- Je… rien… Désolé. j'ai été… surpris… je ne m'attendais pas à me trouver avec quelqu'un dans mon lit."

"- en fait, nous sommes dans le mien. Vous étiez tellement ivre hier soir que je n'ai pas voulu vous laisser seul. Je suis désolé, je me suis endormi aussi." Le ton penaud du renard démon fit renifler Boya avec amusement.

"- C'est à moi de m'excuser, QingMing. j'ai eu… j'avais besoin de cette échappatoire momentanée."

"- La présence de vos frères du Yin Yang ne semble pas vous faire le bien que j'espérai."

"- ….Zhong Xing…. est difficile."

QingMing prit le jeune homme dans ses bras. Boya se laissa faire. c'était… agréable. Être dans les bras du renard-démon ne lui faisait plus peur.

Il était, ou était en train de devenir, un ami. Sans surprise, il n'avait aucun souvenir de sa morsure.

Boya finit par repousser doucement le renard démon.

"- Je ne vais pas vous ennuyer plus longtemps." Il avait l'habitude de se réveiller dans un lit qui n'était pas le sien. Beaucoup moins de s'y réveiller sans avoir fait son office.

"- Vos amis humains ne repartiront qu'après demain. Profitez-en pour leur faire visiter la capitale si vous le souhaitez. Je suis sûr que vos shidi apprécierons la promenade. Prenez une voiture pour que votre Shixiong ne s'épuise pas."

Boya attrapa sa robe de dessus, ses bottes, remercia puis laissa QingMing seul dans ses appartements. Sa sortie ne passa bien sûr pas inaperçue quand il retourna à son propre logement. Les rumeurs n'avaient plus besoin d'en rajouter pourtant. C'était même un vieux collage. Le couple était amoureux, tout le monde le savait et le voyait. Qu'ils passent du temps ensemble n'avait rien de remarquable après tout.

QingMing s'était abattu à plat dos sur son lit après le départ du chasseur. Il était soulagé que Boya n'ai pas hurlé. Il avait dormit bien mieux que souvent. Pouvoir dormir avec celui qui était à présent son compagnon pour l'éternité avait eu quelque chose de particulièrement charmant et apaisant.

"- Ha Boya…"

Une bouffée de phéromones envahit les appartements du renard alors qu'il se laissait aller à se satisfaire manuellement. Il s'était bien tenu toute la nuit, il pouvait se laisser aller maintenant, non ? Surtout avec ses oreillers qui sentaient si bon Boya.

Les petits shidi étaient surexcités de leur nouvelle aventure. Leur Shixiong était venu les chercher juste après le petit déjeuner. Voulaient-ils aller se promener en ville ? Le Seigneur Anbei avait donné son autorisation.

Les enfants comme leurs ainés avaient acceptés avec enthousiasme. Le shixiong de Boya avait hésité. Il n'aurait pas la force… La petite voiture à un cheval que Boya demanda pour lui régla le problème. Le véhicule était petit mais confortable. Il y aurait même la place pour un ou deux enfants si les shidi fatiguaient.
Weilan alla prévenir Sha ShengShi et les habituels gardes du corps de Boya pour préparer l'expédition. Les petits shidi furent fasciné par les poneys aussi larges que haut que les serviteurs sortirent des écuries pour eux. Ça se montait ça ? Comme la plus part des créatures du nord, leur fourrure était aussi impressionnante que leur tour de taille au point que les enfants faisaient presque le grand écart sur leur dos.

Les chevaux carnivores fournis aux adultes furent à peine moins remarquables.

"- On pourrait rester avec vous, Boya ?"

"- Ho oui ! C'est tellement bien ici !"

"- Et puis votre mari est tellement gentil !"

"- Ça fait comment d'avoir un garçon comme mari ?"

"- Il vous mord pas trop fort ?"

Une douleur fantôme pulsa soudain à la jonction de l'épaule et du cou de Boya. Il repoussa la sensation. Il devait avoir un bleu de plus.

"- Vous êtes vraiment amoureux hein ? C'est pas un mariage arrangé." S'inquiétaient encore les petits."

Boya soupira silencieusement. Même les gamins… Halala. C'était le genre de question que Zhong Xing aurait dû poser. Pas des enfants de huit ans maximum.

Les trois séniors restaient silencieux mais Boya savait qu'ils n'en pensaient pas moins. Voir même qu'ils avaient dû encourager les petits à poser les questions.

"- QingMing et moi nous entendons parfaitement." Ce qui n'était pas du tout la même chose que de l'amour. "Il est adorable avec moi." Sans doute même beaucoup trop. "Il me laisse même le maltraiter comme je veux." Son sourire tendre était bien plus signifiant que ses paroles finalement.

"- Le maltraiter ?"

"- guère plus que lui râler dessus, ne vous en faites pas. Et lui tirer les poils de la queue quand il fait n'importe quoi." Jamais il ne ferait de mal à quelqu'un sans raison.

Les enfants hochèrent la tête, rassurés.

Ils montèrent sur leurs poneys, le Shixiong de Boya fut installé avec précaution par son shishen dans la petite voiture puis Xie Weizhe vint s'assurer qu'ils étaient tous prêt à partir.

"- Anbei Furen ? Nous sommes à vos ordres."

"- Alors allons-y" Soupira Boya. Venant de Xie Weizhe ou Sha ShengShi, le titre le faisait toujours soupirer.

Le petit groupe encadré par les gardes du seigneur Anbei sortit du Domaine Intérieur. Immédiatement, les simples gens s'écartèrent pour les regarder passer. On souriait à Anbei Furen, on le saluait, on l'appelait par son titre.

Très calme, Boya répondait aux saluts, souriait tranquillement avec une décontraction résignée assez remarquable.

Ses shidi observaient tout autour d'eux avec la curiosité des enfants qu'ils étaient. Ce n'était pas la première fois qu'ils allaient découvrir le monde mais c'était la première fois qu'ils pouvaient voir de leurs yeux ce monde qu'ils allaient devoir défendre tout autant que le leur. Découvrir que les démons étaient des gens comme les autres était à la fois étrange et exaltant. Ça faisait sa lessive un démon ? ça pleurait un bébé démon ? ça souillait sa couche ? A vue de narine, oui !

"- Shixiong ! On pourra aller jouer avec les autres enfants ?" Souffla un des petits.

"- Peut-être dans l'après-midi, si vous êtes sages."

Meme s'ils étaient des petits disciples, comment résister à l'envie d'aller jouer avec des copains de leur âge ? A avoir grandi au Yin Yang, peu importait que les autres enfants aient des cornes, la peau violette, des ailes ou des becs. C'était des copains potentiels. Plus forts qu'eux, plus violent, plus brutaux sans doute, mais ils étaient des disciples. ils avaient de quoi se défendre.

la petite troupe fit d'abord le tour de la ville avant de descendre de leurs montures juste avant le marché. Les petits shidi se serrèrent contre leur shixiong alors qu'ils observaient tout autour d'eux, les yeux brillants.

Boya s'inquiéta de son propre shixiong mais son shishen l'avait pris dans ses bras pour qu'il puisse profiter lui aussi de la promenade.

"- Anbei Furen, bienvenue !"

"- Anbei Furen, ce sont vos élèves ?"

"- Anbei Furen…"

Boya se retint de grincer des dents. Il ne se ferait jamais à avoir autant de gens qui s'intéressaient ainsi à lui.

"- Shixiong, on peut goûter les gâteaux ?" Comment pouvaient-ils résister alors que des vendeurs ambulants leur tendaient des petits biscuits ?

Boya hocha la tête.

"- Bien sûr."

Zhuque caqueta doucement à son oreille. Lui aussi il en voulait !

Autour d'eux, on observait la réaction de Boya. Allait-il aimer ? détester ? Comme à chaque fois qu'il sortait, la fortune des petits artisans étaient suspendu à ses papilles.

Weilan paya les gâteaux de chacun, rubis sur l'ongle. Boya lui avait confié les cordons de sa bourse puisque lui au moins pouvait voir ce qu'il y avait dedans. Si Boya était toujours aussi irrité que QingMing lui donne de l'argent, il en avait fait son deuil en acceptant qu'il s'agissait ici de relations publiques. Ce n'était pas lui qui dépensait de l'argent que le renard démon lui avait donné. C'était Anbei Furen qui s'assurait de la satisfaction des habitants du Domaine comme c'était son devoir. Bancal sans doute, mais rassurant. Il rendait service. il ne profitait pas des largesses de QingMing.

Les enfants s'extasièrent des gouts inconnus jusque-là. C'était si bon !

La bonne ambiance disparu soudain lorsqu'un des petits se mis soudain à respirer de plus en plus difficilement. Sa gorge gonflait et l'empêchait de respirer. il faisait une allergie.

Le vendeur était livide ! Comment aurait-il pu savoir qu'un des humains ne supporterait pas des produits du cru ? Comment les enfants eux-mêmes auraient-ils pu savoir ? C'était impossible.

Boya se précipita près de l'enfant pour le prendre dans ses bras pendant qu'on hurlait au guérisseur. Avec l'aide des trois séniors, ils luttèrent contre l'allergie pour forcer les chairs qui gonflaient à toute vitesse à rester suffisamment écartées pour que l'enfant puisse un peu respirer. Une démone habillée du rouge-marron des guérisseurs finit par se précipiter près d'eux. Elle avait les sourcils froncés et des manières brusques qui ne souffraient ni délais, ni excuses.

"- Qu'est ce qui s'est passé ?"

"- Allergie à quelque chose dans les gâteaux."

Boya était un peu pareil.

La démone lui prit l'enfant de ses mains. Les curieux autour d'eux attendaient avec inquiétude. L'artisan était terrifié, jeté à genoux par les gardes qui avaient mis leurs armes sous sa gorge. Si l'enfant mourrait, s'en serait finit de lui.

Le pauvre shidi s'accrochait à la main de son shixiong avec terreur. pourquoi son corps le trahissait comme ça ? Avec l'allergie, la panique n'aidait pas à lui permettre de respirer.

"- Calme toi, garçon. Ca va aller." le ton de la guérisseuse était à la fois froid et distant.

Ce n'était pas ce qu'il fallait pour rassurer le bambin qui gémit avant de se mettre à tousser. Sa gorge se serrait de plus en plus. l'enflure s'était rependu sur son visage, son cou, ses mains, ses bras et descendait lentement.

La guérisseuse l'examina rapidement puis fouilla dans sa sacoche. elle en sortit plusieurs fioles qu'elle mélangea.

"- Aidez-moi à lui faire avaler ça."

Les trois séniors aidèrent l'enfant à se redresser et luttèrent pour dégager encore sa gorge. Lui faire avaler le liquide fut une épreuve. La respiration douloureuse et laborieuse de l'enfant se calma progressivement à mesure que l'enflure diminuait.

"- Vous lui redonnerez une gorgée de ce médicament toutes les heures jusqu'à demain matin au lever du soleil. Meme cette nuit. Réveillez le s'il le faut."

Boya remercia la guérisseuse qui accepta tranquillement sa paye avant de partir.

l'artisan se prosterna avec terreur devant Anbei Furen. Il était désolé, il ne savait pas ! Il n'avait voulu faire de mal à personne ! Surtout pas un de ses enfants.

Boya mit un terme à ses excuses.

"- C'est un accident. les accidents arrivent. Il n'y a pas de conséquences, c'est tout ce qui compte. et vos gâteaux sont délicieux." Il croqua encore un des gâteaux qu'il avait encore à la main.

La générosité de l'humain jeta une fois de plus l'artisan au sol qui se prosterna pour le remercier. Boya aurait eu toute latitude de le faire tuer pour les risques causés à son petit élève.

Les gardes cessèrent finalement de menacer le pauvre homme. le démon avait voulu faire croitre son petit commerce et avait failli y laisser sa peau et sans doute celle de sa famille. Si le petit humain était mort, il savait que Anbei Furen n'aurait pas été si généreux.

Boya avait soulevé le petit garçon dans ses bras une fois le pire de la crise écartée.

"- Ca va aller ?"

"- Oui, Da Shixiong !" Il ne toussait presque plus. Sa gorge restait désagréablement serrée mais il pouvait à nouveau respirer.

"- On va rentrer.

"- Non ! S'il vous plait. je vais bien, je.." Il se mis à tousser encore.

"- Je vais le porter." Assura un des séniors. Aucun d'eux ne voulait écourter la ballade.

L'enfant se reposerait dans les bras de son ainé et s'il faisait une rechute, ils pourraient rentrer aussitôt.

Boya hésita.

"- Si tu es sure."

"- Oui, s'il vous plait shixiong."

Il ne voyait pas les regards humides de chiots malheureux que lui jetaient les six enfants aussi bien que les trois jeunes adultes mais les sentait.

"- D'accord, d'accord. mais si ça ne va pas…."

"- Promis !"

Près de Boya, son shixiong riait à mi-voix.

"- Tu t'es fait complètement avoir."

"- Sans doute mais comment leur résister ?" C'était impossible. "Et on arrête de manger n'importe quoi."

"- Hoooooo."

"- On ne sait jamais." Ce n'était pas parce que lui n'avait jamais eu de réactions que tout était sûr pour ses poussins.

Zhuque claqua du bec avec appréciation. il avait aimé la façon de Boya de s'occuper de ses petits élèves. il ne les connaissait pas encore bien mais s'ils étaient les poussins de Boya, ils étaient les siens aussi. Zhuque n'était pas le seul à apprécier. Les gens murmuraient entre eux sur la générosité de Anbei Furen, à quel point il était attentif et maternel avec ses petits. C'était de bon augure pour les futurs rejetons de leur Seigneur !

Si on se souvenait que Boya était un tueur et un barbare, on le voyait de plus en plus comme un protecteur qui tuait pour les siens comme l'exterminateur qu'il avait été.

Le Shixiong de Boya secoua la tête avec un mélange d'amusement et de résignation. Qu'attendre d'autre de Boya ?

Il était heureux pour lui. Il le voyait plus heureux ici qu'il ne l'avait jamais vu, pas plus à JingYun quand il était tout jeune qu'au Yin Yang. Ici, il le voyait épanoui.

Il ferait tout pour que Boya reste aussi heureux. S'il fallait qu'il reste ici, il le soutiendrait. Il n'était peut-être Anbei Furen que de nom, mais c'était un rôle qui était parfait pour lui.

Les gardes qui encadraient les prêtres du Yin Yang savaient qu'ils n'auraient rien pu faire pour éviter l'incident mais culpabilisaient quand meme. A moins d'interdire à Anbei Furen de toucher à quoi que ce soit et à ses poussins également, c'était un véritable accident. Restait à espérer que le Seigneur Anbei serait aussi généreux que son compagnon.

Le groupe s'arrêta dans une maison de thé pour boire et manger des produits sans risques qu'ils connaissaient tous. le petit shidi s'endormit sur les genoux de son sénior pour une petite sieste, vite imité par ses frères. les adultes les laissèrent faire pendant qu'ils finissaient de manger.

Des musiciens et des danseuses s'approchèrent pour les distraire. Shi Weilan les fit reculer de quelques mètres. ils étaient nombreux, il n'aimait pas ça. Les gardes n'aimaient pas ça non plus. Ils resserrèrent les rangs autours des humains.
Boya et ses poussins se trouvaient protégés étroitement par son assassin personnel et les gardes qui les avait accompagnés.

Lorsqu'un des musiciens tenta quand meme sa chance sans doute plus par désespoir de ne pouvoir remplir sa mission qu'autre chose, Boya ne se rendit même pas compte de la tentative. Il était trop occupé avec ses shidi, son shixiong et Zhuque. Les premiers pesaient lourds sur ses jambes, le second riait de ses manières maternelles et Zhuque réclamait son attention.

Weilan trancha les doigts de l'assassin avant qu'il ne puisse jouer du couteau sur Boya puis lui trancha la gorge avant d'entrainer le cadavre en devenir à l'extérieur sans un bruit. L'abattage avait eu lieu si vite et si efficacement que même les autres musiciens ne réalisèrent pas l'absence de leur nouveau collègue avant la fin de la musique.

Ils pâlirent en comprenant. les mains de Weilan étaient encore couvertes de sang qu'il essuya sur un chiffon humide qu'une servante lui apporta. Le propriétaire de l'établissement était ulcéré qu'on ait tenté de porter atteinte à Anbei Furen.

Qui avait osé ?

Le Seigneur Anbei allait rugir de colère.

Weilan était dépité de ne pas avoir pu arrêter l'assassin vivant. il aurait adoré le faire parler. enfin, l'assassin était un démon. Ce n'était probablement que de la politique interne, rien de plus. Si on ne pouvait atteindre QingMing, on s'en prenait à son épouse. C'était pour ça que Weilan était là après tout. Boya ne semblait s'être rendu compte de rien. C'était tout ce qui comptait.

Le groupe avait repris son chemin après le réveil des enfants. La ville était encore grande. Ils n'en avaient vu que quelques détails. Comme Boya fatiguait un peu, il avait refermé son troisième œil et demandé à un des gardes de le guider. Il ne voulait pas qu'un de ses shidi soit encombré de devoir le guider. Même s'il avait sa canne, il avait accepté qu'il avait le droit de demander de l'aide.

Le garde sur le bras duquel il avait posé la main avait un grand sourire. Zhuque pestait et claquait du bec. Il n'avait pas la forme nécessaire pour guider Boya. Il lui fallait un second shishen. Zhuque pouvait le protéger, mais pas le guider.

"- Ne soit pas jaloux, Zhuque. YanShi va très bien s'occuper de moi."

Le jeune garde hocha la tête, le torse un peu bombé. Bien sûr qu'il allait bien s'occuper de Anbei Furen !

Les autres gardes avaient le même sourire amusé. Boya avait une capacité remarquable à se faire apprécier des autres. Lui qui était un tueur avait réussi à se mettre toute la garde de leur Seigneur dans la poche. Il n'attendait aucun traitement de faveur, il était direct, agressif et tête brulée mais en même temps efficace, respectueux et il n'avait pas peur de prendre des risques. Ils avaient encore tous en mémoire la façon qu'il avait eu de prendre la défense de la Capitale sur ses épaules en quelques secondes alors que rien ne l'y forçait.

Le petit groupe s'arrêta devant une petite scène où des démons jouaient une petite pièce de théâtre avec des marionnettes. Les petits shidi qui accompagnaient Boya et ses séniors n'avaient jamais vu quelque chose comme ça. Ils en avaient déjà entendu parlé, avaient déjà vu la version humaine, mais les marionnettes démoniaques c'était autre chose. Elles crachaient du feu, elles volaient, elles s'attaquaient pour de vrai sans qu'ils n'arrivent à comprendre comment ça marchait. Boya avait rouvert son troisième œil pour suivre l'intrigue autant que la méthode. C'était judicieux ! Les marionnettes étaient mues à la fois par des fils chargés de qi, des talismans et des joyaux qui avaient été gravés de sigil. Voir le flux et le reflux du qi dans les petites poupées était instructif. Plus que Boya ne l'aurait imaginé. Maintenant qu'il pouvait s'essayer à autre chose avec sa cultivation que le pur combat et la survie, il se surprenait à être plus curieux qu'il ne l'avait imaginé. C'était sans doute ce qui lui manquait le plus ici. Le Yin Yang était un temple orienté vers la recherche et l'apprentissage. S'il apprenait beaucoup avec Kuang HuaShi, le reste de ses études se limitaient pour l'instant à lire des vieux livres, de la calligraphie et… C'était à peu près tout. Il y avait des mois qu'il n'avait plus fait de recherches. Avec le contrôle croissant qu'il avait sur son troisième œil, même cette partie de ses études c'était arrêté. Il avait bien sûr rédigé un traité précis sur son expérience et continuait à le mettre à jour avec ses découvertes, mais ce n'était pas la même chose que quand il était dans le temple nord.

Un soupir lui échappa.

"- Anbei Furen ? un problème ?" Le garde qui le conduisait était immédiatement sur le qui-vive.

"- Non, tout va bien YanShi. Je vous remercie. Je réfléchis juste."

Le garde fronça quand même les sourcils. Weilan était venu se caller dans le dos de Boya, Zhuque était plus attentif que jamais à leur environnement au cas où et le reste des gardes aussi s'étaient redressés. Xie Weizhe échangea une question silencieuse avec YanShi qui secoua la tête. Non aucun danger repéré pour l'instant. Juste leur Furen qui était troublé.

Xie Weizhe chercha immédiatement à détourner l'attention de Boya.

"- Vous faites du lard, Anbei Furen. Ça fait des jours que vous n'êtes pas venu vous entrainer avec nous. C'est pour ça que vous vous inquiétez pour rien. Venez nous voir davantage et on se chargera de vous aider à brûler vos craintes les armes à la main."

Boya eut un petit sourire reconnaissant. Ce n'était pas faux dans l'absolu.

"- Je n'y manquerai pas." Les dernières semaines avaient été un peu étourdissantes il fallait l'avouer.

Retrouver le train-train qui avait été le sien depuis son arrivée serait un soulagement. Même s'il fallait ajouter à cela ses devoirs de Furen. Ça ne le crispait même plus maintenant.

La petite pièce de théâtre se termina avec la victoire du QingMing de bois et de peinture sur ses ennemis avec ses troupes pour l'épauler. Boya fit un signe à Weilan pour qu'il donne une somme plus que généreuse à la petite troupe qui ne put que le remercier avec enthousiasme. Avec ça, ils avaient de quoi manger pendant facilement une demie année même s'ils ne se produisaient pas.

Le groupe reprit sa balade dans la ville. Les enfants continuaient à s'émerveiller de tout et de rien, les jeunes adultes testaient la moindre nourriture et surtout le moindre alcool. Les gardes étaient toujours sur le qui-vive après la tentative de meurtre du jour jusqu'à ce que le soleil commence à descendre sur la ville.

"- Nous devrions rentrer, non ?" S'inquiéta soudain un des séniors. La ville n'était-elle pas plus dangereuse la nuit ?

"- La ville est encore plus belle la nuit." Assura une voix inattendue qui fit sourire Boya.

"- QingMing."

"- Furen." Boya donna un petit coup de poing dans l'estomac du renard démon qui attrapa sa main pour poser ses lèvres sur ses phalanges. La rougeur des joues de Boya n'était pas feinte.

"- Que faites-vous ici, QingMing ?"

"- Je n'ai pas le droit de me languir de ma Furen adorée ?" Et puis, on lui avait remonté la tentative de meurtre, l'allergie du petit shidi qui allait bien mieux maintenant aussi avait-il décidé d'aller jouer avec ses frères avec les gamins du cru.

Deux des queues du renard démon s'étaient enroulées autour de la taille de Boya pendant qu'une troisième était venue quémander des caresses entre les doigts du jeune humain.

Boya avait immédiatement prit la queue libre pour la caresser comme un adorable chiot un peu envahissant.

Les gardes avaient quelque peu rougit devant cette débauche sentimentale. Le couple s'adorait, c'était une évidence.

"- Votre Furen adorée est assez grand pour se débrouiller tout seul." Rappela Boya, un peu acerbe.

QingMing embrassa encore une fois ses phalanges.

"- Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, Boya. Je vous sais parfaitement capable de vous défendre et de défendre vos poussins. Surtout avec votre garde en plus."

Le petit groupe de soldats échangea un coup d'œil entre eux. "Votre" garde ? Quoi ?

Boya aussi avait entendu la nuance. Contrairement à ses habitudes jusque-là, il ne reprit pas le renard. Il lui demanderait des comptes plus tard. Il allait lui faire une "Weilan", Boya en était sûr. Comme QingMing lui avait "donné" l'assassin, Boya voyait gros comme une maison que le renard avait décidé de lui "donner" Xie Weizhe et ses hommes pour son propre usage. A force, même Boya allait finir par oublier qu'il n'était qu'une Furen fantoche pour la galerie. Même si le geste de QingMing était politiquement compréhensible et même attendu, ça devenait beaucoup trop. A croire que le Seigneur Démon voulait vraiment quelque chose de lui ? Mais il n'avait jamais vraiment eut un geste. Enfin… A part ce fichu baiser que Boya avait enterré au fond de sa mémoire et qu'il cherchait à oublier de toutes ses forces parce qu'il lui faisait bien trop d'effets.

QingMing s'habituait-il simplement à sa présence et à tout ce qu'elle lui apportait ?

Ou… Voulait-il… autre chose ? Boya avait suffisamment joué les étalons pour se poser la question confusément. QingMing n'y avait jamais fait allusion mais… Toute cette débauche de cadeaux et de pouvoirs qu'il lui donnait auraient alors une cause ! Ça ne pouvait être juste ce petit baiser échangé !
Malheureusement.
Ha, il ne pouvait pas penser aux sentiments.

Si Boya était sa Furen et lui donnait des petits, ils seraient légitimes. Renforcer ainsi leur légitimité avant même leur éventuelle naissance était non seulement logique mais parfaitement réfléchie ! Faire de Boya sa "véritable" épouse même si ça ne restait qu'une vaste blague entre eux était également un moyen de payer autant que de protéger Boya pour l'avenir même des renardeaux.

Non, ça ne pouvait pas être ça. Il lui aurait parlé avant. Il n'avait qu'à payer le tarif normal pour qu'il l'engrosse après tout. Boya lui aurait même fait un prix. S'il le voulait dans ce sens-là, Boya aurait fait son boulot comme il l'avait déjà fait des dizaines de fois.

Zhuque roula très fort des yeux.

Boya ne pouvait-il accepter que QingMing le voulait vraiment pour lui-même et pas juste comme étalon ? Ne lui avait-il pas donné assez de preuves de son affection croissante ? Idiot d'humain. Quand il allait réaliser qu'il avait lui-même de l'affection pour le renard, ça allait être marrant. Enfin… Boya le savait déjà. Il refusait juste de le voir. Pour une raison qui échappait au phénix, Boya estimait que personne ne pouvait être amoureux de lui.

Le petit groupe agrémenté du Seigneur des lieux attendit calmement que les petits shidi finissent de s'épuiser avec les enfants du coin. Lorsqu'un des petits déboula soudain en tenant la main d'un des jeunes démons pour demander à ce qu'il soit son shishen, ce n'était pas si inattendu. Les voir au bord des larmes lorsque Boya leur expliqua que le jeune démon était trop jeune serra le cœur du chasseur.

"- Vous pouvez être amis pour l'instant. Rien ne vous empêche de venir vous voir de temps en temps et de vous écrire. Quand vous serez tous les deux adultes, nous en rediscuterons."

Les deux bambins étaient tristes mais les parents du petit démon étaient soulagés. Leur fils était trop jeune pour prendre une décision aussi drastique. Si le deux gamins restaient proches, il y avait de grandes chances qu'ils ne deviennent pas maître et shishen mais quelque chose de plus intimes. Dans tous les cas, il faudrait une solide éducation au jeune démon.

Sha ShengShi obéit à un signe de son maître. Il prit les parents à part pour leur proposer d'integrer leur fils avec les jeunes apprentis soldats qui faisaient leurs armes dans les casernes autour du Domaine Intérieur. Il recevrait une éducation complète. Au pire, il saurait lire et écrire une fois assez grand pour choisir de s'enrôler pour de bon ou pas. Au mieux, il serait prêt à servir un maître. Ou l'épouser.

Pour les parents qui n'étaient pas dans le besoin mais pas riches non plus, c'était une aubaine. Pour la garde, s'en était une aussi. Sha ShengShi élargi la proposition aux autres parents présents. S'ils le voulaient, ils pourraient déposer leurs enfants le lendemain matin à la caserne nord pour les inscrire pour la prochaine session de recrutement, dans quelques mois. D'ici là, ils pourraient apprendre à lire et écrire.

Boya s'était installé dans le giron de QingMing. Il s'habituait de plus en plus à la fraicheur chaleureuse qui l'entourait immédiatement lorsque le démon le prenait dans ses bras. Il ne s'en offusquait plus. Pas alors que c'était si… Naturel et confortable.

Il fit un peu plus son trou contre le torse du Seigneur Démon.

Boya sentait les regards des gens sur eux. Une impression de malaise finit par lui remonter dans le dos. Il ne se ferait jamais à être ainsi sous le regard de tous et chacun.

QingMing passa ses bras autours de sa taille pour poser son menton sur son épaule. Le souffle frais du Seigneur Démon fit frémir Boya. Il aurait dû se sentir encore plus mal à l'aise. Pourtant, il s'y sentait mieux que jamais.
Boya n'avait pas conscience du lien entre eux qui le rassurait et l'apaisait. Par contre, il était très conscient de l'odeur sucrée affreusement agréable qui montait du renard démon.

"- Vous nous donnez en spectacle, Seigneur Anbei."

"- Vous n'avez pas l'air d'avoir quelque chose contre, Boya Daren."

Boya avait posé ses mains sur celles du renard, au début pour les repousser, maintenant pour juste les poser sur les siennes.

Ses shidi gloussaient doucement.

"- Shixiong ? Si vous êtes notre Shixiong, ça veut dire que le Seigneur Anbei est notre Shijie ?"

Boya rougit affreusement.

"- Les enfants !" Mais QingMing riait dans son dos. "Ne manquez pas de respect au Seigneur Anbei."

"- Mais ! C'est votre mari ! Alors il est à nous aussi !" Protestèrent les gamins à la grande hilarité de Zhuque.

Les gamins du Yin yang étaient de véritables rémoras agressifs et possessifs. S'ils pouvaient collecter quelqu'un de plus dans leur petite famille bancale, peu leur importait qu'il s'agisse d'un seigneur démon, d'un chat sauvage, d'un serviteur ou d'un planche à pain. La facilité qu'avaient les nordistes pour accepter tous et chacun avait terrifié Boya au début. Maintenant, elle lui réchauffait le cœur. Il tapota gentiment les mains du Seigneur Démon posées sur son ventre.

"- Pourquoi êtes-vous venu, Seigneur Anbei ?"

"- Je n'ai pas le droit de venir chercher mon épouse ?"

"- QingMing…"

Le renard fit la moue. Les queues autour de Boya le serrèrent un peu plus.

"- Je m'inquiétais."

Boya renifla sans savoir à quoi il avait échappé dans la journée.

"- Il n'y a vraiment pas de quoi. Encore moins avec tous les protecteurs que vous m'avez collé aux fesses." Comme s'il était un incapable ! Tsss.

QingMing eut un petit gémissement d'excuses. Il faisait confiance à Boya pour se défendre. Mais ce ne serait jamais suffisant pour Anbei Furen. Heureusement que ce n'était que pour la galerie, n'est-ce pas ?

Les petits shidi avaient tous finit par revenir dans les jupes de Boya. Leurs copains démons étaient tous rentrés chez eux avec leurs parents. Il faisait nuit noire à présent mais personne ne bougeait. Pas avec la présence du Seigneur des lieux qui noyait le quartier de sa présence calme, possessive et autoritaire.

Ne manquait finalement que Zhong Xing, toujours perdu dans son analyse et son acceptation de la situation. Vraiment, Boya lui causait problème.