Chapitre 58

Kuang HuaShi était heureux de retrouver ses élèves. Avec la visite des nordistes, ils avaient pris du retard. Il doutait même que Sha ShengShi et Boya se soient entrainé pendant une semaine.

"- Asseyez-vous." Ses deux élèves prirent place sur leurs coussins, leurs instruments devant eux. "Vous avez à présent tous les deux les bases nécessaires pour progresser sans moi sur votre usage de l'Harmonie. Sha ShengShi a besoin de beaucoup de pratique mais rien qu'il ne puisse faire seul. Boya, ton talon d'Achille reste ton contrôle et ta force. Tu as les inconvénients de tes avantages. Fais très attention à toi."

Les deux frères d'adoption hochèrent la tête.

"- Maintenant, nous allons travailler votre capacité à l'improvisation. L'Harmonie est la capacité à utiliser les musiques qui vivent autour de vous, à les copier, à les utiliser et à les tordre. Pour cela, il n'y a pas trente-six solutions. Vous allez apprendre à composer. Sur le papier d'abord, puis petit à petit, vous devrez être capable d'improviser. Pour cela, le travail que vous allez faire sur les mois à venir va être d'établir des tableaux d'Harmonie." Les deux apprentis hésitaient. Des quoi ? "Ce n'est pas très compliqué. Pour faire simple, vous allez devoir créer votre propre alphabet musical. Quelque chose qui vous parle à vous. Vous avez déjà du remarquer que chaque Harmonie est composée de briques, de sons, de notes. Elles s'articulent entre elles toujours de la même façon. Vous allez devoir découvrir ces articulations et apprendre comment fonctionnent et ce que provoquent les permutations. Ai-je été clair?"

"- J'ai rien compris !" Avoua Sha ShengShi.

"- Pareil." Confirma Boya.

Kuang HuaShi eut un large sourire.

"- L'inverse aurait été étonnant. Commençons voulez-vous?"

Zhuque s'installa sur son coussin. Il resta silencieux un moment à écouter son maître jouer de son dizi. Petit à petit, il devenait curieux de ses capacités. L'Harmonie de Boya lui ébouriffait les plumes assez agréablement. Au bout d'un moment, il se sentit pousser des ailes.

Une patte sur le crâne de Boya et assit sur son épaule, il se mit à chanter avec la musique de son maître.

Boya s'immobilisa. Son regard croisa celui de Sha ShengShi même sans le voir. Les deux jeunes hommes ne purent se retenir très longtemps. Ils se mirent à glousser d'abord, puis éclatèrent d'un rire explosif qui ne fit qu'augmenter lorsque Zhuque leur caqueta son outrage à la figure.

Même Kuang HuaShi gloussait derrière sa main.

"- Je suis désolé Zhuque. Mais tu chantes vraiment comme un patate douce plongée dans un bouillon de légumes et pressée trop fort."

"- JE SUIS OUTRE !"

Les cris de Zhuque ne firent que faire rire plus fort les musiciens, tant et si bien que Boya finit par prendre le dieu-gardien dans ses bras pour le cajoler. Il était désolé de s'être moqué ainsi. Mais c'était si ridicule.

Le Dieu-Gardien était toujours scandalisé mais il acceptait de ne pas se mettre en colère puisque Boya s'occupait de lui.

Boya avait été triste de voir partir ses shidi mais soulagé de voir Zhong Xing et Fangyue partir. Il culpabilisait toujours autant auprès de Fangyue pour le départ de son fils et Zhong Xing commençait à sérieusement lui courir sur le haricot. Le chef de secte avait été alité pendant les deux derniers jours de son séjour mais avait fait demander après Boya en permanence. A cause de lui, le chasseur n'avait pu passer autant de temps qu'il l'aurait voulu avec ses petits shidi. Les pauvres gamins s'étaient accrochés à lui de toutes leurs forces jusqu'à ce que leurs ainés les décrochent physiquement de Boya pour les entrainer avec eux. A les voir partir, Boya n'avait pu que repenser à la demande de QingMing qu'il n'avait jamais pu lui faire: lui faire des bébés.

Même si QingMing avait retiré sa demande avant même de la faire, l'humain en était un peu plus perturbé à chaque jour qui passait. S'il avait pris la nouvelle un peu par-dessus la jambe au début, l'idée d'aider le vieux, très vieux renard démon à produire ses petits lui faisait faire un grand écart mental et émotionnel assez pénible. D'un côté, ce n'était rien de nouveau. De l'autre, c'était ajouter du monde à sa famille. Et en même temps... SA FAMILLE ? Le "Anbei Furen" lui portait un peu trop à la tête.

Il grogna. Pour quelqu'un qui s'était débattu seul de son mieux depuis qu'il avait sept ans, l'acceptation sans condition du domaine démoniaque était assez intimidant. Même le Yin Yang ne l'avait pas accepté aussi totalement ni aussi vite. Il était pourtant comme eux finalement : dangereux et sans pitié.

S'il ajoutait à ça son affection réelle et croissante pour QingMing, Boya avait juste envie de se ficher des claques. Pourquoi était-il aussi compliqué ? Pfff, pour un peu, il aurait presque voulu être un démon pour ne pas avoir besoin de s'arranger avec sa conscience. Il aurait taclé QingMing au sol pour trousser ses robes et lui exprimer physiquement son intérêt et son affection.

"- Boya Di ?"

Le chasseur reposa son pinceau.

"- Sha Ge ?"

"- Mi Chong te cherche."

"- C'est pas ma faute !"

Sha ShengShi se mis à glousser. Au moins Boya avait-il vite compris la marche du monde.

"- Le Seigneur Anbei veut que tu sois à ton avantage pour notre départ." Qu'est-ce que c'était encore que cette nouvelle ? "Tu as oublié ?" Ou QingMing ne lui en avait pas parlé ? "Vous partez pour le Domaine Sous-terrain dans quelques jours."

Boya en resta bête. Ha ? On lui en avait parlé ?

"- Rafraichis moi la mémoire ?"

"- BOYA ! Je vous attends !"

MiChong déboula comme une furie pour l'attraper par le bras pour le trainer avec elle jusqu'à la grande pièce où des dizaines de petites mains lavaient, coupaient, cousaient, réparaient et préparaient sans relâche les vêtures de chacun des membres de la maisonnée. MiChong faisait souvent les finitions de ses chouchous et de son maitre, mais la plus part de l'habillement était préparé par des tailleurs, brodeuses et des tisseuses entrainés.

Boya se retrouva très vite en sous-vêtements sous les mains des tailleurs qui prirent ses mesures tout en grommelant.

"- Ha oui, vous avez fait du muscle et du gras. Il va falloir relâcher les coutures de vos vêtements. C'est bien."

On le déposa comme un bébé ou presque dans de nouveaux vêtements pour en estimer la coupe et la forme. Comme il ne voyait rien, Boya faisait totalement confiance aux professionnels pour ne pas être ridicule.

A la porte, respectueux des hommes de l'art, Sha ShengShi et Weilan observaient la débauche de soie et de fanfreluches d'un œil critique.

Boya se laissa faire sans protester pendant près de trois heures avant que la fatigue et l'agacement finissement par lentement monter. N'en avaient-ils pas finit ? Et c'était quoi maintenant ? Des bijoux ? Mais qu'on le laisse tranquille !

"- Le Seigneur Anbei va se ruiner à l'habiller comme ça."

"- Bof, si ça l'amuse. Au moins ça lui va bien."

"- Combien peut peser ce guan?"

"- Beaucoup trop, certainement."

Boya paillait de douleur sous la beaucoup trop lourde décoration que MiChong venait de lui poser sans douceur sur le crâne et qu'elle s'ingéniait à lui attacher avec des piques en or. L'horreur en or et jade était indéniablement féminine.

"- Allons Boya Di. C'est superbe et cela vous va très bien !" S'agaça-t-elle devant ses tortillements.

"- Et je vais finir décapité par ce machin à cause de son poids juste en tournant la tête !" Aboya le jeune homme.

MiChong fit la moue.

"- Boya Di..

"- Non !"

"- Mais..

"- J'ai dit non ! Enlevez moi toutes ces sucreries ! Je veux bien faire un effort sur les vêtements même si c'est totalement ridicule mais je refuse qu'on me traite comme un lampion à la fête des lumières."

La jeune démone soupira. Elle lui retira l'espèce de couronne mais lui en colla une autre sur le crâne encore plus lourde. C'était certes somptueux, digne de l'impératrice sans doute mais... Boya finit par l'arracher lui-même de son crâne et la jeter par terre. Sa patience avait atteint la limite. Il n'avait plus peur de laisser exprimer son aversion pour l'excès. Si jusque-là, il avait accepté à peu près toutes les idées de MiChong, là, ça allait trop loin.

"- J'AI DIS NON !" Aboya encore le chasseur.

Les tailleurs se jetèrent à genoux pour échapper à sa colère. Anbei Furen était un calme mais même lui avait des limites semblait-il. Même le Seigneur Anbei ne tolérait pas de se faire tripoter aussi longtemps avant de fuir.

"- Boya ! Ca suffit maintenant, ces caprices." Aboya à son tour MiChong.

Sha ShengShi et Weilan échangèrent un coup d'œil. Le premier fila chercher son maitre pendant que le second se préparait à intervenir.

"- Je ne suis pas une poupée, MiChong ! Et encore moins la tienne." La colère dans la voix de Boya était palpable, autant que dans celle de la petite démone papillon.

"- Je suis responsable de votre trousseau. JE décide comment vous vous habillez et JE suis encore la maitresse de cette Maison, Anbei Furen." Rappela MiChong avec tout mépris possible pour le titre.

Boya se figea.

"- Anbei Furen oui. Effectivement. Il serait bon de ne pas l'oublier, MiChong.

"- Pfff. Comme si ça avait la moindre valeur."

"- Veux-tu que j'appelle des gardes et qu'on voit ce qu'il se passe ?"

La démone étrécit les yeux. Il se prenait pour qui, l'humain, là ? Il était certes utile, la blague était toujours aussi drôle, mais il ne restait qu'un humain. Même si son maitre s'était entiché de lui et en espérait toujours quelque chose il devait rester à sa place.

"- Fais très attention à ce que tu fais, humain." Siffla la démone avec de la soie autour des doigts.

Elle se figea soudain en sentant la lame d'une arme sur sa gorge. Incrédule, elle jeta un regard noir à Shi Weilan. Le visage exempt de toute émotion, il était prêt à la tuer si elle tentait de lever la main sur son maitre. Boya retint la main de Weilan.

"- C'est entre nous deux, Weilan. Ne t'en mêle pas, s'il te plait."

"- Bien Anbei Furen. Tant qu'elle ne vous blesse pas."

"- Elle ne s'y essaierait pas." "

A la porte, QingMing observait la scène, un peu perdu. Il avait voulu intervenir dès qu'il était arrivé mais s'était finalement décidé contre. Boya était son épouse après tout. Pour de vrai. Qu'il ne le sache pas encore n'entrait pas en ligne de compte. MiChong, elle, le savait. Si elle ne pouvait respecter l'épouse de son maitre, il serait peut-être obligé de la remercier. Qu'est ce qui avait fini par déclencher cette tension ? Le départ du Yin Yang ? un agacement des deux zozos ? qu'est ce qui se passait, enfin ?

"- Ne me mettez pas en colère, Boya. Vous allez faire très précisément ce que je vous dis et c'est tout. Vous n'êtes qu'un misérable humain." Rappela-t-elle encore avant de bondir en arrière lorsque l'épée de Boya lui coupa une mèche

"- Je vous ai laissé beaucoup trop de latitude avec moi, jeune fille. Encore une fois, je ne suis pas votre poupée. J'ai dit "NON" à ces fanfreluches et vous ferez comme j'ai dit. Sinon, j'irais me vêtir moi-même à l'extérieur."

"- Avec quel argent?" Railla encore la démone.

Boya hésita une seconde avant de froncer les sourcils. S'il cédait un pouce de terrain, ce serait finit. Il ne comprenait pas trop ce qui avait débuté cette confrontation et surtout l'agressivité croissante de MiChong à son égard mais se devait d'y répondre.

"- Anbei Furen à un traitement plus que généreux il me semble. Et je n'ai pas touché à grand-chose."

"- Vous n'oseriez pas !"

"- Ne me cherchez pas."

"- Vous !"

"- Suffit!" Aboya soudain Boya de sa voix de fashi. "Respectez mon titre à défaut de me respecter, moi. Je ne sais pas ce qui vous arrive, MiChong, mais reprenez-vous ! Je n'aurais aucun complexe à vous coller une dérouillée s'il le faut pour que vous vous rappeliez qui je suis et ce dont je suis capable !"

Ils s'étaient déjà affrontés, mais c'était il y avait bien longtemps. Le Boya qui se remettait doucement et qui retrouvait son arme avait depuis longtemps retrouvé toutes ses sensations et toutes ses capacités. MiChong n'aurait plus la partie aussi facile s'ils se battaient à nouveau.

MiChong sursauta fortement avant de pâlir. Furieuse, elle tourna les talons et quitta la salle de couture.

"- Et bien débrouillez-vous ! Ca ne fera qu'une chose de plus que vous me volerez !"

Lui voler ?

QingMing aurait pu s'en frapper lui-même. MiChong avait peur de perdre son statut maintenant qu'il y avait une véritable Furen dans la Maison. Pourquoi avait-il fallut que ça éclate maintenant ? Parce que Boya allait l'accompagner mais pas elle dans le Domaine Souterrain. Normalement, c'était elle qui aurait dû venir avec lui. Là, elle allait devoir rester sur le domaine à jouer le rôle de Gouvernante de son Seigneur parce qu'elle n'aurait de toute façon pas supporté de fouler le Domaine Souterrain. Pas avec Long Ye.

Tout un pan des responsabilités de MiChong depuis des siècles lui échappaient en prime d'un coup. Avec la rébellion de Boya, c'était comme si le peu qui lui restait était arraché une fois de plus. La nouvelle Furen arrachait à l'ancienne ce qui n'était plus de sa responsabilité. Comme il se devait.

QingMing culpabilisa immédiatement. Il fallait qu'il discute avec elle. Mais avant tout : Boya. Avant qu'il ne culpabilise et panique. Encore.

"- Boya."

"- QingMing. Je suis désolé. Je ne voulais pas..."

"- Vous avez fait ce que vous deviez, Boya. MiChong est ma shishen et je l'aime beaucoup, mais elle n'a pas à vous manquer de respect ainsi. Vos ordres supplantent les siens. Surtout en des manières aussi... Bref. Quelqu'un peut-il terminer la présentation de son trousseau à Boya ?"

Le chef des tailleurs repris les vêtements pour finir de les présenter l'un après l'autre mais oublia les bijoux pour se concentrer juste que des guan aussi délicats que discrets. Malgré leur taille relativement petite, ils puaient la richesse et la rareté.

"- Allez voir MiChong, QingMing et présentez lui quand même mes excuses pour l'avoir menacé."

"- Pendant que vous finissez Boya..." Mais certainement pas pour avoir refusé de lui obéir. "Weilan..."

"- Je reste avec Anbei Furen, Seigneur Anbei.

Le renard démon attrapa la main de Boya pour lui embrasser les phalanges. Boya avait pris l'habitude de cette fausse marque d'affection pour la galerie. Pour la peine, il renversa la main de QingMing avant qu'il ne le lâche et effleura son poignet de ses lèvres.

Il ne le vit pas rougir mais les gloussements des tisseuses le firent sourire. Boya pouvait parfaitement imaginer le visage écarlate du renard qui serrait ses queues contre son torse. C'était un jeu auquel il s'habituait. Faire semblant d'avoir une réelle affection pour QingMing n'était pas compliqué quand ce n'était pas un mensonge. Il l'aimait comme un ami après tout. Au moins. Il savait qu'il mentait davantage à lui-même qu'aux autres mais s'ils ne le faisaient pas, il allait finir par lui sauter dessus. Il en était là.

Boya entendit filer le renard avec un certain plaisir. Le chasseur se passa la langue sur les lèvres. La peau du renard démon était... douce. Elle avait un gout assez addictif autant qu'inattendu.

A son tour, Boya se sentit rougir. Il dut lutter pour ne pas lui courir après pour vérifier si sa peau avait le même gout partout.

"- Il me reste encore beaucoup à essayer?" Autant qu'il se change les idées.

"- Juste quelques tenues de parade, Anbei Furen. Et... quelques bijoux si vous voulez bien les examiner."

Boya s'y soumis de bonne grâce. Il accepta même quelque épingles un peu exagérées à son gout mais qui seraient du meilleur effet avec ses riches atours. Qu'est-ce qu'il ne fallait pas faire pour de la politique...

"- MiChong."

"- Il m'a menacé !"

"- Ca suffit."

"- Il m'a menacé ! Il veut quoi ensuite ? Que j'obéisse à ses ordres ? Ce n'est qu'un misérable petit humain qui…"

"- MICHONG! Ça suffit !" La petite démone se figea. L'ordre avait transité brutalement dans le lien entre son maitre et elle pour la heurter lourdement. "Boya est Anbei Furen. C'est même en grande partie à cause de toi."

"- Ce n'est qu'une vaste plaisanterie !"

QingMing écarta son col.

"- Non. Ca ne l'est pas." Rappela-t-il. Comment avait-elle pu oublier ?

Elle hoqueta avec horreur.

"-Vous... Vous... Vous avez... C'est un HUMAIN !"

"- Mais c'est le mien." Gronda le seigneur démon.

Pour une fois, il se présentait devant sa servante comme le maitre qu'il était et qu'elle avait oublié depuis bien longtemps. L'écrasante présence du prédateur la força à tomber à genoux.

"- QingMing."

"- SEIGNEUR ANBEI, S'il te plait." Rugit le renard, furieux qu'elle ait manqué de respect à son compagnon.

Elle ne put retenir un petit sanglot. Lorsque QingMing posa une main donc sur son crâne, elle se crispa.

"- MiChong… Tu savais que je finirai un jour par trouver quelqu'un n'est-ce pas ? Et tu aimes bien Boya. Alors qu'y a-t-il ?"

"- Maintenant qu'il est là, vous allez me forcer à partir n'est-ce pas ?"

"- Pourquoi ferais-je cela ?"

"- Vous ne gardez jamais vos shishen."

"- Je ne garde pas près de moi ceux qui veulent me quitter, MiChong. Mais si tu es heureuse à mon service, je ne vais pas te chasser. Tu le sais."

"- Mais à quoi puis-je servir maintenant ? Il a pris toutes mes fonctions !"

QingMing tenta de la rassurer encore.

"- Ce n'est pas vrai et tu le sais." Il en avait le cœur crevé. Avait-il manqué autre chose dans sa maison ? Il fallait qu'il parle à tous ses shishen pour s'assurer que tout allait bien. "Tu es comme une petite sœur pour moi, MiChong. Si tu décidais de rompre notre lien, tu le pourrais. Si tu voulais malgré tout rester ici, personne ne te prendra jamais ta place. Si tu préfères rester mon shishen, je ne m'y opposerais pas."

Elle sanglota encore.
Elle avait tellement peur d'être remplacée.

"- Ho, Meimei…" Il s'agenouilla devant elle pour la prendre dans ses bras. Elle se serra contre lui avec abandon." Je suis tellement désolé, MiChong. Je n'avais pas compris à quel point l'arrivée de Boya t'avait blessée."

Caché dans les bras et les queues de son maître, elle secoua la tête. Elle ressentait la désolation, la tristesse et l'affection de son maître dans le lien qu'ils partageaient. Comment avait-elle pu s'en couper aussi fort, juste par sa crainte de perdre sa place, sa jalousie et sa colère ? Elle était stupide.

"- Non, non. Tu n'es pas stupide. La vie dans la Maison a été immuable depuis bien avant ton arrivée. Un changement aussi soudain que l'arrivée de Boya est forcément déconcertant."

QingMing n'avait pas prévu de s'attacher aussi profondément et aussi… facilement à Boya. Le jeune humain avait quelque chose de profondément adorable en lui. Y résister était impossible pour le renard-démon.

"- Je ne sais plus quelle est ma place." Finit par avouer MiChong. Maintenant qu'elle se rassurait sur l'affection de son maître, elle pouvait s'inquiéter de sa place et de ses fonctions au sein du Domaine.

"- Celle que tu as toujours eux, MiChong. Tu es l'Intendante de ma Maison. Boya est mon épouse, avec les devoirs et les droits qui s'y attachent. Tu en as pris une partie à ta charge avec le temps parce qu'il n'y avait personne pour le faire. Mais maintenant, tu n'as plus à t'épuiser jour après jour.

"- Boya Daren…"

"- Oui, Boya Daren. Même s'il est ma Furen, il reste avant tout un fashi. Avec les devoirs qui s'y attachent eux aussi. D'ici quelques mois, il retournera au Yin Yang." Et cette idée faisait physiquement mal à QingMing.

"- Mais…"

"- Il ne réalise pas qu'il est réellement mon épouse. Et je ne compte pas le forcer à le réaliser. Il prendra le temps nécessaire. Je veux lui manquer et qu'il ait envie de me revenir."

La petite démone posa sa joue contre l'épaule de son maître. Ils étaient deux idiots.

"- Vous êtes un imbécile."
"- Sans doute. Mais je veux qu'il veuille de moi parce qu'il m'aime. Je ne veux pas qu'il reste par devoir. Ou pire, parce qu'il pense que je le paye pour ça."

Elle soupira encore. Elle ne se sentait pas prête tout de suite à faire la paix avec Boya. Pas tant qu'elle n'aurait pas fait la paix avec elle-même.

"- Je m'occuperai du Domaine Intérieur pendant votre absence."

QingMing eut un sourire affectueux.

"- Bien sûr que tu vas t'en occuper. En qui d'autre pourrais-je avoir confiance ?"

"- TianGou et HuaShi ?"

"- Ces deux-là ficheraient le feu à mon Domaine juste pour s'amuser." Rit QingMing. "Et puis ils nous accompagnent."

Il adorait ces deux amis d'enfance, vraiment. Mais ils étaient des catastrophes naturelles cherchant un endroit où se poser, il fallait être honnête. Ils faisaient les dignes vieux sages mais QingMing les connaissaient. Ils étaient plus dangereux pour son Domaine que tous les Seigneur et leurs alliés qui pourraient chercher à les attaquer.

Il les adorait.

QingMing adorait invariablement ce qui était mignon et dangereux. Sans doute pour ça qu'il aimait Boya si fort.

Il l'aimait.
Pour de vrai.

"- MiChong ?"

"- Maître ?"

"- Je suis heureux que nous ayons pu en discuter. Mais je ne peux quand même pas laisser passer ton éclat comme ça." Elle baissa le nez, désolée. "Tu vas rester confinée dans tes appartements jusqu'à ce que nous partions."

Elle hocha encore la tête. Elle l'avait mérité. La punition était gentille. Elle avait besoin de repos, ce serait plus des vacances qu'autre chose.

"- Merci, Seigneur."

Puisque MiChong était incapable de se comporter correctement et qu'elle avait été punie par son maitre à la grande stupeur de tout le Domaine Interne, c'est la Multitude qui avait terminé d'organiser le départ de leur Seigneur pour le Domaine Souterrain. Boya était inquiet pour MiChong. Il culpabilisait, bien évidemment, malgré les assurances de chacun qu'il n'était pas responsable. MiChong seule avait décidée de se montrer odieuse et la punition de son Seigneur n'était pas bien violente. Il y avait pire après ce qu'elle avait fait que quelques heures dans le jardin pour réfléchir sur ses fautes puis d'être confiné dans ses appartements quelques jours. Surtout que les appartements de la jeune démone étaient quand même de la plus haute qualité et du meilleur confort. De par sa nature, elle avait aussi accès à un immense jardin remplis de fleurs. Sa punition était plus une petite tape sur la main et quelques jours de vacances pour qu'elle se remettre de sa crise de nerf qu'autre chose. Même furieux, QingMing restait généreux avec les siens. Surtout pour une première offense. MiChong était avec lui depuis trop longtemps pour qu'il lui en veuille très longtemps.

Weilan s'assura que Boya avait toute sa garde-robe de rangée dans le coffre qui allait le suivre. La garde personnelle de Boya, menée par Xie Weizhe, était sur le départ elle aussi. Comme QingMing avait sa garde personnelle, Boya avait la sienne à présent en plus de Shi Weilan. Les trois autres généraux de QingMing allaient rester à la capitale pendant l'absence simultanée du Seigneur Anbei et de Anbei Furen pour protéger à la fois le Domaine et sa Capitale. Sans Anbei Furen pour les protéger, la population avait été mal à l'aise de savoir que leur Seigneur partait aussi.
C'était remarquable à quel point les habitudes se prenaient vite ! La chose faisait beaucoup rire QingMing et beaucoup rougir Boya.

La feifei de Boya piétinait déjà avec excitation. Elle avait hâte d'aller se balader avec son maître sur son dos. Zhuque aussi était surexcité. Le dieu-gardien avait envie de voir le monde. Il n'avait jamais visité le Domaine Souterrain. Il ne savait même pas qu'il existait, en fait. Il voulait faire de nouvelles découvertes. Boya caressa le bréchet de son shishen avec affection. Il se prenait en pleine figure son excitation.

"- Nous allons bientôt y aller, Zhuque. Calme toi."

Heureusement que Zhuque le noyait de ses impressions sinon, il aurait réfléchit à ce qui se passait vraiment.

"- Boya ? Vous êtes prêt ? On n'attends que nous."

Boya hocha la tête. QingMing prit sa main dans la sienne pour le conduire à sa monture comme il se devait, lui fit la courte échelle pour qu'il saute sur le dos de sa feifei puis le renard-démon sauta sur le dos de sa propre monture. le cheval était comme tous ceux du Domaine : carnivore et agressif.

Le Seigneur Démon ouvrit un portail juste devant le groupe. Ils étaient une large délégation qui pourrait facilement passer pour une armée d'invasion s'ils ne faisaient pas attention.

La feifei s'avança à côté du cheval de QingMing.

"- Nous pourrons passer le portail dès que les troupes seront passées."

Le front du renard était plissé d'une ride verticale. Ouvrir un portail aussi longtemps pour une distance aussi longue était usant, même pour lui.

Sha ShengShi avait pris la bride du cheval de son maitre pour le guider lorsque ce serait leur tour de passer.

"- Où allons-nous arriver exactement ?" Boya était curieux.

"- Dans les contreforts du Domaine Souterrain. Près de la secte sud. De là, nous pourrons passer le voile dans le Domaine Souterrain. Nous aurions pu directement passer un portail pour le Domaine, mais ça n'aurait pas été très honorable."

Pas plus que QingMing n'aimait qu'on vienne chez lui sans être annoncé, débarquer avec ses troupes chez Long Ye aurait été un manque flagrant de savoir-vivre.

"- …La secte Sud ?"

"- Elle est au Domaine Souterrain ce que le Yin yang est pour moi."

Boya faillit demander une explication précise mais préférait ne pas savoir. il préférait encore croire que les relations entre le Yin yang et QingMing étaient de bon voisinage et pas totalement de subordination.

"- J'en viendrai à me demander ce qu'il en est pour la secte ouest et JingYun."

"- JingYun est totalement indépendante." Et la pire des quatre.

"- … je ne sais si je dois être dépité, écœuré, résigné ou en colère." Avoua Boya. Les humains étaient pires que les démons. Il refusait d'y croire juste avec la parole de QingMing. Il lui faisait confiance mais il voulait un autre son de cloche. Après tout, il cherchait peut-être à le protéger ou quelque chose.

La feifei passa le portail en meme temps que la monture de QingMing.

Dès qu'ils eurent passé le seuil, le portail se désagrégea. Sha ShengShi remonta sur sa propre monture pendant que son maitre accompagné de Boya prenait la tête de la petite délégation.

Ils risquaient de croiser quelques humains en plus des cultivatrices du sud aussi leurs vêtements à tous étaient proches des vêtements que portaient le Yin yang. Si quelqu'un les voyait, ce serait juste un groupe de prêtres du nord qui venaient rendre visite à leurs cousins du sud.

Le temps que QingMing et Boya sortent du portail et qu'il soit refermé, des éclaireurs étaient partit en avant pour s'assurer qu'ils n'étaient pas en danger.

Boya avala sa salive.

il se sentait en danger, lui. Encore une fois, il découvrait un nouvel endroit. même avec son troisième œil qu'il n'osait d'ailleurs pas utiliser pour l'instant, il se sentait vulnérable. Maintenant qu'il était aveugle, Boya savait que ce serait probablement le cas à chaque fois qu'il arrivait quelque part. L'inconnu n'était plus une source d'exaltation et de curiosité pour lui mais d'angoisse. Zhuque frotta sa joue pour la sienne. il lui preta ses yeux comme il l'avait déjà fait pour que Boya puisse découvrir le Sud.

"- … un marais ?"

"- La secte sud est en plein milieu oui. Il y a plus à craindre des moustiques que des humains ici."

Des serviteurs faisaient brûler de la poudre de plante et de bois dans d'énormes encensoirs. Toute la troupe se trouva bien vite avec le nez prit par l'odeur entêtante de l'encens mais cela valait mieux que se faire empaler par des moustiques de cinq centimètres.

"- Long Ye m'a promis qu'un jour elle me donnerait ses sigils pour éloigner les insectes." Un jour..

La troupe se mis lentement en route. Le chemin à suivre était étroit. Deux chevaux pouvaient cheminer de front mais pas plus. Et encore devaient-ils se serrer l'un contre l'autre. La moindre erreur ou une marche trop rapide aurait pu mettre leurs voitures dans les sables mouvant, les mares ou les canaux qui les attendaient de chaque côté de la route.

Toujours à travers les yeux perçant de Zhuque, Boya était choqué par les couleurs vibrantes des marais. il avait toujours imaginés que des marais seraient partout comme ceux près de Tiandu : boueux, gris, sales, puants et répugnants.

Ici, les marais étaient vibrant de vie, de verdures, d'arbres et de buissons. il y avait de l'eau partout, des canaux tout autour d'eux et des animaux qui faisaient bruire la végétation.

"- … C'était quoi ça !" Piailla soudain Sha ShengShi.

Le pauvre démon était à deux doigts de grimper sur la tête de son maitre. Il n'était pas le seul. Les soldats qui n'étaient jamais venus dans le sud n'étaient guère plus rassurés que lui.

"- Un serpent, Sha ShengShi."

"- IL DEVAIT FAIRE AU MOINS QUINZE METRES !"

"- Oui, c'est un constricteur. Il doit pouvoir avaler des vaches. Ou des crocodiles.

"- Parce qu'il y a des crocodiles ? Je veux rentrer à la maison." Geignit le démon, lugubre. Il était un garçon des villes, lui. Il n'avait pas pour habitude d'aller crapahuter dans la pampa.

Boya ne dit rien mais il n'était guère plus rassuré. Un serpent de quinze mètres… Déjà qu'il n'aimait pas ces bêtes-là, son dégout avait cru à force de supporter celui de He Shouyue.
Alors une saucisse a écaille de quinze mètres ? Lui aussi il voulait rentrer à la maison !

"- Nous n'avons rien à craindre, rassurez-vous. Le chemin que nous prenons est protégé.

Ses hommes voulaient bien croire QingMing mais ils n'étaient quand meme pas rassurés.

"- Nous allons vite arriver au bateau."

"- ….. Le bateau ?" Boya se demandait où ils étaient tombés.

Zhuque avait cessé de lui prêter ses yeux pour s'envoler et aller explorer un peu. il revint un petit quart d'heure plus tard après s'être tapé un petit gueuleton sur la faune locale. Son contentement et son estomac plein firent plaisir à Boya.

"- Tu as bien mangé ?"

"- Oui, c'était bon."

Boya lui caressait le bréchet avec un sourire aux lèvres. il faisait entièrement confiance à sa feifei pour suivre le chemin pendant que Zhuque reposait sur son avant-bras pour se faire cajoler. Les longues queues du phénix effleuraient l'eau tant et si bien que lorsqu'un énorme poisson chat chercha à les gober, Zhuque glapit d'outrage. il s'envola en colère pour aller cramer le poisson qu'un garde récupéra pour le charger sur un cheval. Le machin dépassait les trois mètres et rependait une bonne odeur de poisson cuit.

Le pauvre phénix revint se poser sur l'épaule de son maître

"- Il a failli m'arracher une plume ! C'est un scandale ! Elle est toute fripée maintenant !

Boya eut un sourire un peu forcé. les serres de Zhuque lui avait méchamment entaillé le bras autant que ses robes.

"- Boya ! Tu saignes !" QingMing était horrifié.

Il fallut faire un arrêt pour soigner le chasseur puis rassurer Zhuque qui n'en finissait pas de demander pardon à son maitre. un shishen qui blessait son maitre ? Non, c'était un outrage !
Boya finit par prendre Zhuque dans ses bras pour le rassurer. il n'était pas si fragile. ce n'était qu'une égratignure.

Zhuque se laissa convaincre avec difficulté mais une chose était sure. Boya avait besoin d'être plus fort et plus résistant. Il en aurait besoin pour survivre à son renard de toute façon. Pour l'instant, Boya n'était qu'un cultivateur humain. Zhuque allait devoir travailler sur leur lien pour lui donner ce qui lui manquait pour survivre au temps et aux évènements.

"- Vous êtes en retard !" Lâcha soudain une voix féminine.

"- Salutation, Long Ye Fashi." Souriait largement QingMing.

La jeune femme ne put que leur faire signe de la suivre.

"- Les bateaux sont juste au coin. Nous discuterons une fois derrière les boucliers de la secte."