Chapitre 22

Cette année encore, Navy avait eu l'autorisation d'utiliser ses jours de congé pour se rendre au Royaume de Goa. Comme chaque année, elle se recueillit sur la tombe du duc, y déposa des fleurs et partit ensuite en ville afin de prendre son habituel frappé. Cette fois, elle le prit à emporter et le savoura en marchant, bien contente de ne pas être interrompue. Elle s'arrêta devant les portes menant à la haute ville et se fit dévisager par les gardes postés à l'entrée. Elle n'avait jamais songé à y retourner mais, quitte à être devant, elle pouvait bien y faire un tour. A son approche, les gardes voulurent l'empêcher de passer. Elle sortit alors l'insigne portant les armoiries du duc et, après une brève hésitation, ils la laissèrent passer. La jeune femme s'engouffra donc et eut le déplaisir de voir que l'atmosphère n'avait en rien changé par rapport à ses souvenirs. Elle traversa des rues lui remémorant les vagabondages avec Sabo et, bien que dévisagée par tous ceux qui croisaient son chemin, elle n'accéléra pas le pas, prenant le temps d'observer les alentours. Arrivée devant la propriété des Ronan, Navy put constater que tout avait été refait à neuf, comme si rien ne s'était jamais passé. Plus personne n'habitait dans le manoir et, à cause de l'incendie, aucun noble ne souhaitait racheter ce bien mais comme tout était dans le paraitre, le manoir continuait à être régulièrement entretenu afin de mettre en avant la beauté de la haute ville du Royaume de Goa. Navy n'avait pas protesté quand il lui avait été ordonné de faire remettre le tout en état et, à présent qu'elle le voyait de ses propres yeux, elle comprenait le prix exorbitant qui avait été demandé.

Avec une certaine appréhension, elle déverrouilla la porte principale du manoir et entra. Il n'y avait, bien évidemment, rien à l'intérieur. Bien qu'elle le sût, elle fit tout de même un tour. Chaque pièce avait été refaite à l'identique et elle aurait presque pu se retrouver projetée plusieurs années en arrière s'ils avaient pu meubler le tout.

Peut-être pourrait-elle un jour revenir décorer le manoir ?

Navy regarda l'heure et, voyant qu'il était déjà tard, elle ferma le tout et partit précipitamment : elle avait des comptes à rendre, une place à réclamer et il fallait qu'elle le fasse avant d'aller à un bal.

Les actions pro-Révolutionnaires ayant été gardées secrètes, le duché de Ronan n'avait pas été saisi à la mort du duc et le testament de ce dernier avait mentionné Armencia comme seule héritière du titre. A l'époque, elle n'avait pas su pourquoi elle avait été privilégiée par rapport à son frère mais à présent qu'elle avait toutes les informations, elle se doutait que le duc ne souhaitait pas que ce titre tombe entre les mains de la précédente duchesse. Quoi de mieux que de le léguer à l'enfant qu'il avait élevé. Cependant, la légitimité d'Armencia aurait pu être remise en question et ce fut pour cela que le duc avait ajouté une clause : Ronan Armencia n'aurait le droit de réclamer ce titre qu'à partir de sa majorité , c'est-à-dire dix-huit ans. En faisant cela, le duc s'assurait que personne d'autre ne puisse prendre le rôle d'héritier, pas même son fils, et que la jeune fille puisse grandir et gagner une position assez forte pour que personne ne remette en doute sa légitimité.

Cependant, arrivée à ses dix-huit ans, Navy n'avait pas réclamé cette position, n'en ayant pas trouvé l'intérêt ni le temps. En restant héritière, elle ne pouvait certes rien toucher à la fortune du duc mais elle n'en avait pas besoin. Quant au duché, il était sous la supervision d'une famille d'anciens majordomes fidèles au duc de Ronan alors elle ne s'en préoccupait pas. Rester héritière bloquait la succession et elle était la majorité du temps bien trop loin du Royaume de Goa pour qu'elle ait des comptes à rendre.

Cependant, si elle prenait officiellement le titre de duchesse, l'énergumène lui servant de frère aurait officiellement le droit de demander à ce qu'elle soit convoquée pour à son tour réclamer ce titre. Il était plus jeune mais sans le testament du duc, il aurait été premier dans la succession du fait de son statut d'homme. Si la décision de leur père n'était pas jugée convenable, Shelly aurait donc le droit de prendre la position de duc.

Toutefois, avec les récentes révélations, Navy n'avait plus envie de les laisser vivre leur vie librement. En tant que duchesse, sa ''mère'' avait eu droit à la moitié des terres et de la fortune du duc et la brune comptait bien reprendre le tout.

Arrivée devant une immense résidence, Navy replaça correctement sa casquette et sonna. Elle attendit un peu avant qu'une femme ressemblant à une servante n'arrive, restant de l'autre côté du portail. La servante émit un léger bruit méprisant mais se réfréna et demanda en gardant un ton le plus neutre possible :

« Vous désirez ?
- Je souhaiterais parler à Madame Leloy, l'ancienne duchesse Ronan. »

Navy insista sur le terme ''ancienne'' sciemment, pour faire tiquer la servante qui mordit aussitôt à l'hameçon.

« Madame est l'actuelle duchesse et ne reçoit pas de visite.
- Je suis sûre qu'elle peut faire une exception. Je viens de la part de Ronan Armencia, héritière légitime du duché. »

Le nom la fit tressaillir, comme si elle venait de voir un fantôme. La femme se précipita à l'intérieur pour ressortir l'instant d'après et ouvrir le portail.

« Madame m'a demandé de vous escorter jusqu'au petit salon. »

Navy ne se fit pas prier et suivit docilement la domestique jusqu'à l'intérieur. Elle fut laissée dans une pièce à part et elle eut tout le temps d'observer le décor. Visiblement, sa très chère mère vivait toujours dans un certain luxe. Si sa personnalité était abjecte, la brune admettait que les goûts de cette femme étaient toujours à la pointe de la mode. Elle attendit, debout près de la fenêtre. Elle attendit longtemps. Navy ne s'en étonna pas, connaissant par cœur les stratégies de Leloy. En faisant cela, la femme voulait d'abord montrer que c'était elle qui décidait dans cette résidence et qu'il était très déplacé de venir sans invitation. Elle espérait certainement aussi que Navy se lasse et parte. Cependant, la soldate était patiente. Au bout de très exactement une heure, un domestique entra et proposa une tasse de thé, thé que refusa poliment la jeune femme. Toutefois, alors que l'homme repartait, Navy l'interpela :

« Pourriez-vous dire à la maitresse de maison de cesser de feindre de meilleures occupations pour ne pas venir ? Elle ne voudrait pas qu'un scandale apparaisse mystérieusement dans le journal de demain. »

L'homme se figea un instant et partit rapidement. A peine un instant plus tard, la dénommée Leloy rentra avec fracas, le rouge aux joues.

« Je ne vous permets pas de me menacer indirectement ! Osez me le dire en face !
- Bonjour Madame Leloy, dit simplement Navy en gardant son ton calme.
- Je suis la duchesse… !
- Bonjour Madame Leloy. » Répéta Navy d'un ton un brin plus menaçant.

La pression se fit soudainement sentir, faisant taire la femme qui s'assit. Profitant que la maitresse des lieux soit assise, Navy en fit de même et s'installa en face, un sourire aux lèvres et sa casquette toujours vissée sur sa tête.

« Je viens vous parler de quelques fâcheuses affaires vous concernant, commença la contre-amirale.
- S'il s'agit de Ronan, j'ai déjà tout dit à vos collègues. Il n'a eu que ce qu'il méritait, cracha-t-elle. Je suis innocente dans cette affaire et je l'ai déjà répété. »

Navy serra un instant les poings et, sans quitter son faux sourire, elle sortit de sa poche intérieure plusieurs documents.

« Je ne suis pas venue pour ça. L'affaire est déjà classée. Je parle bien d'affaires vous concernant, vous, dit-elle en posant les papiers sur la table basse face à elle. Corruptions, chantages, jeux d'argent, tous ces méfaits ne sont pas très beaux, surtout venant d'une personne si estimée.
- Qu… Quoi ? »

Leloy pâlit et attrapa les feuilles. Après lecture, elle les froissa rageusement et les déchira.

« Inutile de vous énerver sur ces pauvres feuilles. Ce ne sont que des copies.
- C'est Armencia, c'est ça ?! Cette sale menteuse est comme son père, il ne faut pas la croire ! Cette bâtarde n'a même pas eu le courage de venir elle-même. Ah, si je l'avais devant moi… ! »

Navy haussa un sourcil. La brune la savait violente mais visiblement, l'âge n'avait pas arrangé les choses. Profitant de cette occasion plus qu'idéale, la soldate retira sa casquette, se redressa et se pencha vers son interlocutrice, ouvertement menaçante.

« Mais je vous écoute. Qu'avez-vous à dire à la bâtarde ?
- A… Armencia ? »

Navy vit son visage blêmir à vue d'œil mais, se rendant pleinement compte de l'identité de son interlocutrice, Leloy grinça des dents, se leva et voulut la gifler, toute peur envolée.

« Comment oses-tu, sale insolente ! »

Son coup ne partit pas très loin, Navy attrapant son poignet assez fermement pour l'empêcher tout mouvement.

« Je ne suis plus l'enfant que vous battiez, mère. Je suis simplement venue vous prévenir que je récupère le rôle qui me revient de droit et vous avez deux possibilités : rendre les terres et les biens appartenant aux Ronan et disparaitre ou tenter vainement de récupérer le titre pour Chelly, rater et vous retrouver humiliée par la prochaine une des journaux. Beaucoup paieraient cher pour les informations que je détiens vous concernant.
- T… Tu veux nous mettre à la porte sans le sou ? Jappa l'ancienne duchesse
- Bien sûr que non. Je sais que les Leloy sauront très bien vous accueillir… si vous arrivez sans encombre jusqu'à North Blue. Je peux vous procurer un aller simple tout confort… mais ça dépendra bien entendu de votre décision. Le choix est vôtre.
- Monstre, cracha la femme face à elle en tentant de se dégager. Comment oses-tu m'embarrasser après tout le mal que je me suis donnée pour toi.
- Pardon ? »

Navy passa aisément par-dessus la table basse et força Leloy à se rassoir, la surplombant de toute sa hauteur.

« Estimez-vous chanceuse que je me montre clémente malgré tout ce que vous avez fait subir à cette famille. Le duc Ronan aurait pu survivre s'il ne vous avait pas rencontrée. La seule raison pour laquelle je ne vous laisse pas croupir en prison est qu'il vous a réellement aimée. »

La dernière phrase sembla particulièrement déstabilisée l'ancienne duchesse. Elle ne répondit rien de plus alors que Navy se redressait et remettait sa casquette. La discussion était close. Elle quitta donc la résidence sans perdre plus de temps.

Elle avait tout juste le temps de rentrer afin de rejoindre le navire pour Marijoa.