Quand les Sorciers virent Connor s'avancer en direction du rivage, un étrange frisson leur ébranla l'âme. Intransigeant, fier et imperturbable, il marchait d'un pas assuré vers son équipage, le dos droit et le menton levé à mesure que ses pieds s'enfonçaient de moitié dans le sable... un sable désormais foulé par pas moins de quarante-deux pirates, dont les échos bavards et crachats épars, ne tardèrent pas à supplanter le remous mélodieux des vagues…

Grand Dieu… ils y étaient. C'était le moment ! Ils y étaient ! Et pourtant, jamais ils ne virent le petit trembler… Comme si rien ne comptait, que rien n'était arrivé et qu'il ne s'apprêtait pas à entrer dans une arène de fauves déchaînés, il toisait l'horizon avec solennité, marchait d'un pas vif et déterminé, fendait le vent sans sourciller et serrait les poings dans l'élan d'une adrénaline mesurée… Loin de ses blagues infantiles, œillades amusées et sourires naïfs, ses joues semblaient s'être creusées sous le poids des cris qu'il s'apprêtait à pousser, ses lèvres autrefois pleines de vie s'étaient fondues en une ligne acérée, tandis que sa mâchoire ne cessait d'osciller entre deux grondements étouffés. Un spectacle qu'aucun d'eux n'avait encore imaginé, mais dont la seule vue suffit à les pétrifier. Pourtant, ils auraient dû s'en douter… le voir venir et même y être préparés ! Mais jamais ils ne l'avaient vu ainsi... Jamais ils ne l'avaient vu aussi froid, dur et apathique. Jamais ils ne l'avaient vu aussi indifférent, fort et sûr de lui ! Et jamais ils ne l'avaient vu aussi charismatique... Indifférent aux cris, aux voiles noires ou à l'approche de ses navires, il n'offrait au monde qu'un visage angélique aux traits impassibles, qu'un pas énergique au cœur stoïque – que dire ! – qu'un corps d'enfant chétif à l'allure placide ! Un tableau à la profondeur cathartique, qui galvanisé par la froideur de ses pupilles et la rigidité de ses tremblements inaudibles, les renvoya aux portraits mythologiques des prophètes biblique… mais également des condamnés à mort prêts à affronter la véhémence divine. Un reflet pour le moins troublant de la part d'un si jeune enfant, mais dont l'honneur et l'indéfectible prestance, ne parvînt qu'à les plonger dans un profond silence.

Oui…

A cet instant, Connor n'était plus un orphelin vagabond.
A cet instant, Connor n'était plus une victime innocente.
A cet instant, Connor n'était plus un enfant…

Car à cet instant, Connor n'était rien de moins qu'un véritable Capitaine de Forbans... Un homme de fer aux valeurs intransigeantes. Une statue de marbre aux pupilles harassantes. Un soldat d'épées, de foudres et d'Océans ! Un pirate au cœur de feu et à la rage battante ! Un être de grandeur, de force et de magnificence… qui fier de ses milles périples et pillages sanglants, les transit du plus effroyable des frissons. Et pour cause ! Jamais il n'avait été aussi effrayant… Oui, effrayant. Tel était le seul mot capable de décrire la violence de son regard ardent, la sévérité de ses traits tranchant et la dureté de ses grincements de dents. Un mot qu'ils n'auraient jamais cru employer en de telles circonstances, mais qui sans qu'ils ne parviennent à en éprouver la moindre honte, réussit presque à leur redonner confiance… Après tout, peut-être avaient-ils leurs chances ? Peut-être ces hommes seraient-ils toujours guidés par le pouvoir de leur allégeance ? Peut-être feraient-ils preuve de respect, de tenue et d'obéissance ? Mais avec de telles hypothèses, ils pouvaient réécrire le monde… et quand bien même, y croyaient-ils vraiment ?! Là était une tout autre question… une question qu'ils n'eurent bien entendu pas le luxe d'approfondir, et qui disparut violemment de leurs esprits à l'écho du tout premier cri.

- Capitaine ?!

Se figeant instinctivement, les deux sorciers hoquetèrent entre leurs dents. Par tous les Sang… un pirate avait parlé. Un pirate avait crié ! Un pirate les avait repérés ! Un pirate dont la seule vue les fit se pétrifier… Grand, barbu et seulement vêtu d'un pantalon à l'imposant ceinturon, ils ne distinguèrent de lui qu'un large torse à la peau ambrée et aux abdos saillants. Trop éloigné pour véritablement détailler ses traits, ils crurent deviner une balafre sur le coin de sa joue, un crâne chauve et des joues rouges… avant que l'éclat de ses petits yeux plissés n'apparaisse à son tour, et que ne se dissipent les derniers doutes qui l'avaient gardé en joug.

- Oh bon sang... Capitaine !

Exultant d'une joie inédite, les sorciers virent sa figure boursoufflée se fendre d'un sourire, les stupéfiant alors presque plus que l'engouement de ses cris… des cris qui ne tardèrent pas à se faire multiples.

- C'est lui… c'est lui ! C'est le Capitaine !

« Le barbu à la balafre… c'est Carn. Un ancien bourreau qu'on a sauvé d'une attaque de barbares. Il a payé sa dette envers nous y a des siècles de ça, mais il a jamais voulu renoncer à la vie de pirate. Il est fiable et m'a toujours soutenu… alors si y a un combat vous pouvez-être sûr qu'il interviendra. »

- Capitaine ! Capitaine !

Frémissant au souvenir de ce que Connor leur avait dit, Hermione recula d'un pas dans un réflexe instinctif. Etait-ce lui ? Celui qu'il leur avait décrit ? Elle n'aurait su dire… mais ne put que violemment déglutir quand de nouvelles têtes commencèrent soudainement à sortir de l'ombre des navires. Des têtes aux figures ébahis… aux regards abasourdis… muscles transis et stupéfaction extatique… qui ne tardèrent pas à s'étouffer dans un mutisme ahurit. Combien étaient-ils ? A jauger leur petite assemblée, pas plus d'une vingtaine. Ou étaient les autres ? Probablement encore en train d'émerger de leurs sommeils… mais cela n'arrêta pas l'ascension de leur Capitaine. Indifférent à la confusion qui régna entre les rangs, Connor s'avança jusqu'à eux d'un pas puissant avant de ne se figer dans l'écho d'un profond silence. Un bref instant pendant lequel tous retinrent leurs souffles, mais que Voldemort ne put s'empêcher de saisir pour les mettre discrètement en joug… Et pour cause ! Il avait promis à Connor de ne pas faire de vague, mais n'avait jamais juré de baisser les armes ; en particulier devant une assemblée de pirates… Aussi, c'est baguette en main qu'il les compta du bout des lèvres, sa magie palpitant frénétiquement entre son poing à mesure qu'il peinait à calmer ses crépitement d'étincelles. Un stratagème tout aussi malin qu'incroyablement risqué, qu'Hermione ne put s'empêcher d'observer dans un hoquet mortifié. Bon Dieu… elle avait déjà affronté une armée de Sirènes, de Vampires et même de mangemorts ! Mais ces hommes… cet équipage… ces pirates… il n'y avait rien de comparable. Tous vêtus de haillons et armés jusqu'aux dents, ils se grandissaient dans l'ombre de leurs petits yeux perçants, leurs souffles emplis de rhum s'alourdissant fatalement au rythme de leur incompréhension. Mélange de curiosité et d'effarement, ils les toisaient avec une absolue véhémence, leurs joues creuses et grimaces orgueilleuses cinglant leurs traits d'un mépris harassant. Etait-ce à cause d'eux ? Non… ils n'avaient pas encore attiré leur attention. Alors celle de Connor ? Probablement… mais aucun d'eux n'avant encore haussé le ton. Ou de leur réveil ? Sûrement… en particulier à la vue de leurs jappements et vacillements. Pourtant, la jeune femme n'eut pour certitude que ses suppositions ; des suppositions qui loin d'être suffisantes, la fit s'accrocher à son Maître entre deux tremblements.

- Capitaine…

Sursautant violemment, chacun d'eux frissonna à l'écho de cette nouvelle voix ; celle d'un maigre cinquantenaire à la jambe de bois et à la figure couverte de sable, qui indifférent au silence macabre qui avait pris place, s'avança d'un pas… puis d'un deuxième… avant que les sorciers ne frémissent aux scintillements de son œil de verre. Titubant de moitié dans son équilibre précaire, ses cheveux grisonnants avaient été relevés en chignon défait, ses muscles tremblaient frénétiquement après plus de cinq cent ans de sommeil tandis que sa main s'accrochait désespérément à son glaive… un homme à la stature de fer, dont l'étrange anxiété le fit se ronger les lèvres.

- Tu es revenu… souffla-t-il.

« L'homme à la jambe de bois… c'est Claudius, alias le Boiteux Invaincu. Il a perdu sa jambe dans un duel contre un prisonnier Germain. Ça l'a pas mal ravagé mais vous laissez pas berner par ses petits boitillements et sourires en coin… il est fort, hargneux et malin. Sa spécialité, c'est l'effet de surpris et le combat aux poings ; alors le laissez pas vous approcher par derrière ou il est vous briserait la nuque d'une seule main… »

- Je ne suis jamais parti. Lui répondit Connor d'un ton acide.

- Alors tu étais où ?!

Impassible malgré l'agressivité de ce nouveau ton, le petit garçon se redressa fièrement, son regard bleuté désormais ancré dans celui d'un… d'un… Par Salard, dans celui d'un véritable géant ! Etait-ce seulement possible d'être aussi grand ? Immense ? Et imposant ? Bouche bée, Hermione ne parvînt pas à trouver de réponse, l'esprit aliéné par cette montagne de muscles saillants. Un homme aux joues rouges, cou de taureau et barbe blonde, dont le front proéminant s'ornait déjà d'une veine palpitante.

« Le grand avec la barbe blonde, c'est Aulus… un enfant de la belle Roma du temps où elle n'était pas encore accoquinée à l'Empire Oriental. La légende raconte qu'il était si grand qu'il a lui-même déchiré le ventre de sa pauvre mère pour prendre sa première bouffée d'air ! Mais ses chevilles sont fragiles et il court pas très vite… gardez ça en tête. »

- Surveille tes manières Aulus… Gronda Connor acerbe.

- Pourquoi ?! Pour que tu nous la mettes à l'envers ?!

- Hé !

Sursautant brusquement sous l'exclamation outrée d'un vieillard édenté, les Sorciers sentirent leurs magies s'agiter sous la tension de ses poings serrés. Bon Dieu… ils n'étaient réveillés que depuis une demi-journée et commençaient déjà à s'échauffer.

- Un peu de respect Aulus ! Claqua-t-il outré.

« Le petit vieux, c'est Bubo. Il a presque plus de dents, d'ongles et de bon sens, mais il est pas méchant. En fait, il me rappelle un peu le Vieux Jérôme… d'ailleurs, c'est le seul qui m'ait toujours traité comme un Capitaine en dépit que je sois un enfant. C'est lui qui m'a prévenu pour la mutinerie, qui a tenté de tempérer les hommes, de calmer les esprits et de les convaincre d'abandonner leurs projets de fuites… Mais comme vous vous en doutez, ça a pas réussi. »

- La ferme Bubo ! Cracha Aulus.

- C'est notre Capitaine à qui tu parles là !

- Et j'continuerais à lui parler comme j'veux, tant que j'aurais pas les réponses de mes questions !

Oh bon sang… la grammaire se retournait dans sa tombe.

- Notre Capitaine a pas à se justifier ! Répondit Bubo déterminé.

- Bah moi je crois qu'il devrait !

Soupirant entre ses dents, Connor se crispa brusquement à l'irruption hargneuse d'un nain aux haillons trop grands ; le seul qui ne semblait pas effrayé par l'escalade houleuse de cette conversation et qui, une main posée sur l'imposant coutelas pendant à sa taille, trottina devant eux d'un air furibond.

« Le nain, c'est Pulex… ou si vous préférez « la puce ». Il est petit et saute partout. C'est pas une grosse menace mais il a la fâcheuse tendance à se ranger à l'avis général... »

- J'veux des réponses ! Tout de suite même ! Insista-t-il.

- On t'a pas sonné Pulex !

- Toi non plus Bubo !

Confuse devant toutes ces interventions, grondements et commentaires persistants, Hermione ne sut plus qui regarder, ses yeux quadrillant chaque visage avec anxiété. Bon sang… tous étaient agités. Tous voulaient comprendre ce qui s'était passé. Et tous commençaient sérieusement à s'agacer ! En particulier l'un d'eux, qui contrairement à son allure fluette et joues effroyablement maigres, n'eut besoin que d'un raclement de gorge pour imposer un étonnant un respect…

- Non… Cingla-t-il. J'suis d'accord avec la Puce. Il nous faut des réponses.

Un homme élancé, fin et aux couteaux gravés. Un homme jusqu'alors resté en retrait sur un tonneau renversé. Un homme dont les yeux avaient été bandés d'un linge de soie ensanglanté, et dont la seule voix suffit à les pétrifier…

- Quelque chose s'est passé ; quelque chose de grave… Quelque chose qui nous dépasse. Souffla-t-il la tête baissée.

« L'aveugle au bandeau, c'est Cae… un As du combat rapproché. On dirait pas comme ça, mais c'était un soldat de régiment armé avant de se faire envoyer aux galères pour dettes impayées. On sait pas trop comment il a fini par-dessus bord, mais ce qui est sûr c'est que c'est l'un des premiers naufragés recueillis par le Sorcier… Alors, autant vous dire qu'il se laissera pas berner. Il voit rien mais vous entendra venir avant même que vous ayez bougé ; il est malin, rapide et très expérimenté… je l'ai même déjà vu contrecarrer les attaques simultanées de plus six hommes armés ! Alors le sous-estimez surtout pas… »

- La ferme Cae ! Intervient le Bourreau qui les avait repérés. Bubo a raison ! Notre capitaine nous doit aucune réponse !

- T'a pas fini de lui cirer les pompes ?! Cracha le nain avec véhémence.

- C'est dans le derrière que j'vais te foutre ma pompe !

Au bord de l'affrontement, on vit la Puce et le Bourreau se regarder en chien de faïence, une nouvelle rage coincée entre les dents à mesure que se dessinaient déjà les prémices de différents clans. Une scène pour le moins étrange à la vue de leurs différences flagrantes de corpulence, qui ne réussit qu'à susciter le plus vicieux des engouements…

- Bah vas-y ! Qu'est-ce t'attend ?! Provoqua Pulex.

- Me cherche pas le nabot !

- Pourquoi ? T'as peur que j'te trouve ?!

- J'vai te…

- La ferme vous deux !

Décontenancés par la gravité de la nouvelle voix qui venait de s'élever, les Sorciers cherchèrent son auteur d'un air inquiet… avant que ne se découpe soudainement une rangée de muscles armés d'épées, de cheveux tressés et poitrails surdimensionnés. Une rangée de trois hommes roux, aux visages pâles et grimaces enragées. Une rangée de véritables soldats aux ceintures côtelés, dont la largeur d'épaule n'eut d'égale que leurs ressemblances de triplés…

- Bande de pouilleux… Soupira-t-il.

- On a pas le temps pour vos conneries ! Continua le plus large des trois.

- Je suis d'accord.

« Les trois rouquins, c'est Ursus, Bestia et Aper… une portée de trois démons élevés dans les contrées des Hommes du Nords. D'après ce qu'on dit, Ursus aurait perdu les pédales après leur naufrage dans le Désert de la Grande Duchesse ; la crainte de manquer d'eau, de perdre l'un de ses frères ou de ne pas survivre assez longtemps pour trouver de l'aide lui serait montée à la tête, le poussant à assassiner froidement chacun des hommes de leur équipage dans l'espoir de prolonger leurs réserves… Bien sûr, c'était contraire aux règles ! Ceux qui trahissent, tuent et mentent pour survivre sont condamnés à mourir en mer ! Mais d'après le Sorcier, Marise aurait été tellement émue de le voir sacrifier tous leurs amis dans le seul espoir de sauver ses frères, qu'elle aurait eu pitié de lui et aurait décidé de les sauver de son courroux mortel… On va pas se mentir, ça force au respect ; mais je sais aussi que sont eux qui ont commencé à se lasser de la vie de pirate. D'ailleurs, je me demande même si c'est pas eux qui ont monté la tête de l'équipage contre moi ! Bien sûr, ils adoraient les pillages, les meurtres et les carnages… mais de ce que j'ai compris, ils voulaient plus d'horizons, d'alcools et de femmes. Ils sont forts, imprévisibles, entraînés et redoutables… de vrais sauvages déterminés à honorer l'héritage de leurs sangs barbare ! Mais ils sont extrêmement soudés… et très respectés. La moitié des hommes se range toujours de leurs côtés alors si l'un d'eux se décide à attaquer… autant vous dire qu'on pourra pas s'en relever. »

- Ouai… mais la Puce et le Boiteux ont raison. Reprit Aper à la suite de ses frères. On mérite des explications.

Mal à l'aise devant eux, Voldemort se grandit dans un réflexe nerveux, sa baguette vibrant que jamais face à l'imminence de leurs statures de bœufs. Du moins, jusqu'à ce qu'un jeune adolescent aux boucles brunes ne les rejoigne dans une grimace belliqueuse et ne commence à jeter de l'huile de feu...

- Bien dit ! S'écria-t-il d'une voix fluette. Y en a marre de se faire balader !

« Spica, c'est la grosse tête bouclée au coutela d'ivoire… il a pas l'air comme ça, mais c'est une vraie tête de lard ! Une vipère de premier choix ! Le laisser jamais vous donner à boire ; il empoisonnerait votre verre juste pour le plaisir de vous voir vomir vos entrailles… C'est lui qui m'a fait grimper plus six fois la même montagne, convaincu que je trichais quand les hommes regardaient pas ! Bon sang, qu'est-ce que je donnerais pas pour le laisser pourrir dans les cales celui-là… »

Spica… Etait-ce lui ? L'un de ceux qui n'avait jamais cessé de douter de lui ? De l'humilier ? Et de le trahir ? Ils n'eurent le temps de se le demander ; car déjà leurs souffles s'étaient coupés devant la carrure des nouveaux arrivés… quatre hommes dont la seule vue ne réussit qu'à les pétrifier.

- Ne parle pas pour rien dire Spi. Claqua l'un d'entre deux d'une voix acerbe.

Des hommes à la peau d'ébène, à la stature princière et aux sabres mortels.
Des hommes vêtus de djellaba et à la tête intégralement drapée d'immenses chèches.
Des hommes dont la majesté, la prestance et le porté solennel, n'inspira qu'une contemplation muette.

- Ce sont de ces paroles qu'ont germé nos conflits…

Envoûtée, Hermione se sentit frissonner à la chaleur de leurs accents, mélange de « R » mal roulés et voyelles chantantes. D'où venaient-ils ? Qui étaient-ils ? Connor le lui avait déjà dit… et pourtant, jamais elle n'aurait cru pouvoir mettre de tels images sur ses récits ; celles de véritables chevaliers d'Afrique, dont l'habit traditionnel et sévérité inflexible, ne laissa apparaître d'eux que l'éclat cinglant de leurs pupilles…

- Et de ces conflits, qu'a germé notre mutinerie…

« Les quatre en blanc avec des sabres… ce sont des fils d'esclaves de l'air de la Pax Romana. De ce qu'on sait, ils étaient une fratrie de cinq jusqu'à ce que leur Maître de l'époque – un pourceau de l'ordre sénatorial – fasse assassiner le plus jeune de leur frère pour le vol d'une volaille… c'est là que ça a tourné au drame. Déterminés à venger l'honneur de leur cadet, ils ont pris les armes, ont éventré leur Maître dans son sommeil, l'ont pendu par les pieds à un cheval de trait et l'ont fait traîner jusqu'à la plèbe sans le moindre regret. L'horreur et l'effroi étaient total, mais ils n'ont pas cherché à nier les faits… en fait, on dit même qu'ils se sont rendus de leur plein gré aux gardes. Mais bien que ce soit un beau geste, fallait pas espérer la moindre clémence de la part de la belle Roma. Ainsi ils ont tous été condamnés à la mort par noyade… mais heureusement pour eux, leurs cœurs étaient braves. Guidé par la magie de l'île, Marise leur a épargné un naufrage et les a menés directement sur le rivage. Le Sorcier les a accueillis, soignés et nourris et après ça, ils ne sont jamais partis… par contre, ce qui est amusant c'est qu'aucun des quatre n'a jamais voulu nous révéler leurs véritables prénoms. C'était pas très pratique alors on les appelle tous par leur ordre de naissance : Primus, Secundus, Tertius et Quartius. Ils parlent pas beaucoup mais ont toujours été très sages. D'ailleurs et même s'ils se sont eux aussi désintéressés de la vie de pirate, ils ont jamais levé les armes contre moi… Je sais pas si on pourra leur faire confiance, mais quoi qu'il arrive, je sais qu'ils garderont leurs distances. »

- Mais… Secundus ! T'es pas sérieux ?!

- Si…

- Mais on mérite quand même des…

- La ferme Spica ! Répliqua Primus.

- Tu nous fatigue… Ajouta son frère.

- Et ça vaut pour vous tous. Tonna le troisième.

Seigneur… ils étaient si grands. Si élégants. Si impressionnants. Des hommes comme il n'en existait plus au monde et dont la carrure n'avait d'égale que leur magnificence ! Mais garderaient-ils vraiment leurs distances ? Sonnés, les sorciers n'osèrent émettre la moindre supposition, trop troublés par le tranchant de leurs lames étincelantes pour ne serait-ce que les jauger avec défiance. Des lames recourbées, aiguisées et vibrantes, qui n'ayant jamais perdues de leur éclat au fil du temps, ne manquèrent pas de leur arracher le plus macabre des frissons…

- Vous oseriez vous rallier à lui ? Après tout ce qu'il nous a fait subir ?! S'étouffa Urus.

- Non. Déclara Primus sans sourciller. Mais si vous lui laissiez une chance de parler, peut-être alors aurions-nous une chance de comprendre ce qu'il s'est vraiment passé…

Frémissant sous l'exigence de leurs regards, Connor serra les dents, affligé par l'enjeu que lui incombaient « ses explications ». Et pour cause ! Si même la fratrie de Primus se mettait à l'interroger, alors il n'avait pas la moindre chance de leur échapper… de trouver une excuse ou d'espérer s'en sortir avec un peu de fierté ! Pourtant, il ne pouvait le nier… leurs questions étaient légitimes ; tout comme leurs confusions, doutes et réclamations avides. Mais qu'aurait-il pu leur dire ? Qu'il s'était laissé gagner par l'horreur de leur mutinerie ? Qu'il avait imploré l'île de les maudire ? Qu'il les avait trahis ? Endormis dans les cales de leurs navires ? Réduis à un tas de corps somnolant dénués de vie ? Laissés pourrir dans l'obscurité de leur ignominie ? Et espéré que la tragédie de leur existence ne s'efface derrière les affres de son déni ? Bon sang… ils se jetteraient sur lui ! Le condamneraient aux pires des supplices ! Le lapiderait avec délice ! Lui ferait goûter le courroux de leur immonde perfidie ! Et se repaitraient goulument de la justice de ses cris ! Un sort qu'aucun mot n'aurait pu décrire… mais qui, il le savait, ne serait rien comparé à celui qu'il recevrait s'il se risquait à leur mentir. Et encore… c'était à supposer qu'il le puisse ! Mais face à la méfiance du Boiteux, la clairvoyance de Cae, la détermination d'Aulus, la rage des Triplés et la sagesse inébranlable des quatre chevaliers, il n'avait pas plus de chance de parvenir à les tromper que de ne voir le Grand Sorcier sortir de sa tombe pour jouer aux dés… Aussi, c'est contraint et résigné que Connor commença lentement à se redresser, le cœur lourd et le regard changé à mesure que ses hommes le détaillaient avec hostilité. S'apprêtait-il à parler ? A avouer ? A capituler ? Hermione ne put que le supposer, car avant même qu'il n'ouvre la bouche et ne proclame ses premières vérités, c'est dans l'écho d'un brouhaha inédit que les Sorciers virent les trois navires soudainement s'éveiller… et une myriade de nouveaux pirates sortirent de l'obscurité. Titubant entre leurs cris ensommeillés et exclamations outrées, les ponts se noircirent de leurs échines courbées, les cales s'ouvrirent sur leurs braillements effrénés et les voiles frémirent sous leurs pas saccadés, répandant alors sur le rivage une nouvelle frénésie que Connor ne put endiguer… une frénésie synonyme de danger.

- Il s'est passé quoi ?

- Oh mon dos…

- Regardez !

- Il est là !

- Mais qu'est-ce qui se passe ?!

- Capitaine !

Seigneur… ils étaient si nombreux. Des hommes de tout âge, de toutes corpulence, de toutes couleurs et de toutes tailles ! Un véritable éventail d'origines, de cultures, de traditions et de langages ! Des hommes ayant traversé plus de mille cinq cent ans d'histoire et dont ils étaient eux-mêmes les vestiges inestimables…

- Venez !

- Capitaine ?!

- Vous le voyez ?!

- J'rêve pas…

- C'est lui !

Tantôt grands, petits, gros ou maigres, ils avancèrent dans un équilibre précaire, leurs corps encore à moitié pétrifiés peinant à traîner leurs carcasses sous l'irradiant soleil…

- C'est bien lui !

- Où ça ?!

- Là !

- Mais oui !

- T'es sûr ?!

- Capitaine !

Des hommes dont la seule présence n'eut pour effet que de souffler sur les braises… et de déclencher la cohue tant redoutée par leur capitaine.

- Bon sang…

- Attention !

- J'me sens mal…

- T'as trop bu !

- C'est quoi ce bordel !

- On s'est endormis ?

- C'est quoi tout ça ?!

Des hommes désorientés, agacés, ébranlés et profondément effrayés… qui ne tardèrent pas à les entourer de leur confusion et regards assommés.

- Je me sens bizarre…

- On était mort ?!

- Dit pas n'importe quoi !

- C'est le rhum, c'est sûr…

- Impossible !

Horrifiée devant une pareille assemblée, Hermione vacilla dans une nouvelle apnée. Par tous les Dieux… c'était pire qu'ils ne l'avaient imaginé ; pire que ce que Connor leur avait laissé présager et pire que tout ce qu'ils avaient redouté ! Car bien qu'ils soient désormais tous réveillés, que la malédiction ait été levée et qu'un profond malaise ne cesse de les faire tituber, la majorité d'entre eux semblait être restée figée dans les élans de leur dernière soirée… Un détail qu'aucun d'eux n'avait anticipé, mais qu'ils ne purent ignorer devant leurs vomis, rots alcoolisés et haillons déchirés. Une bouteille de rhum à la main, chacun d'eux se mit à les entourer de leurs sourires malin, mélange de fatigue, surprise, confusion et espoirs mutins. Trop ensuqués pour saisir la gravité de leur Destin, certains tapaient dans leurs mains, inspiraient avec force les embruns, baillaient comme de bon matin ou riaient à gorges déployées devant leurs figures tâchées de sel marin. Non pas qu'ils soient à blâmer… mais les questions commençaient à fuser, les cœurs à s'échauffer et les esprits à s'agiter ! En particulier quand ils se mirent tous à les détailler du plus vil des intérêts.

- Ils sortent d'où eux ?

- On les connais pas !

- Y a une femme ?!

- Tu crois ?!

- C'est des nouveaux ?

- Et lui, c'est qui ?!

Loin de se laisser intimider, le Mage affronta chaque regard avec sévérité, gronda bruyamment au moindre commentaire déplacé, gonfla le torse dès que l'un d'eux voulu approcher et resserra sa prise sur une Hermione désormais mortifiée. Une Hermione qui sans grande surprise, ne tarda pas à faire l'objet de toute les convoitises…

- Mais c'est qu'on a de la compagnie !

- Tu crois qu'elle est à lui ?

- Elle est mignonne celle-là…

- C'est sa femme ?!

- C'est peut'êt sa sœur ?

- Arrête tes conneries !

A l'affut du moindre geste, de la moindre approche et de la moindre stratégie traîtresse, Voldemort laissa sa magie prendre possession de son être, le cœur en feu devant la quarantaine de pair d'yeux qui les dévisageaient. Des yeux cinglants, curieux, sanglant et pernicieux… des yeux aux contours plissés, crevés, balafrés et vitreux ; des yeux dont chaque regard ne lui inspira qu'un dégoût nauséeux. Bon Dieu… il comprenait mieux pourquoi Connor les avait maudits désormais ! Ces pirates étaient un véritable enfer ! Un ramassis d'éclopés, de rustres, de pouilleux, de brutes et de pervers ! Une bande de soldats dépassés de plus de deux millénaires, – que dire ! – l'exemple même de ce qui aurait toujours dû rester poussière ! Et pourtant, ses propres mangemorts n'avaient pas inventé la lumière ! Un détail qui plus que tous les autres, lui arracha une grimace amère…

- J'serais curieux de savoir ce qu'il vaut au combat…

- Il a l'air fort !

- Je le trouve bizarre…

- Ça doit être un soldat !

- Il est trop propre pour ça !

Qu'ils se taisent…
Qu'ils se taisent…
Qu'ils se taisent…

- C'est peut-être un prince ?

- Tu crois ?

- Ou un Roi ?!

- T'es à la ramasse !

- C'est un soldat, ça se voit !

- Il a bon goût en matière de femme en tout cas…

Bon Dieu, faîtes qu'il se taisent !

- Elle a les cheveux longs… ça doit être un bon parti.

- Il la payé combien à ton avis ?

- Si elle a pas d'enfant, un sacré prix !

- T'as vu ses jambes ! Même engrossée, j'aurais pas les moyens d'me la réserver pour la nuit !

Au bord de l'implosion, Voldemort se grandit sous les affres de sa colère, sa baguette tremblant plus que jamais à l'écho de leurs immondes commentaires. Peinant à contenir les milles supplices qui hantaient son esprit, il sentit son corps trembler sous l'étau de ses réflexes, sa gorge se serrer sous les maléfices qu'il contenait et ses pupilles s'embraser d'une lueur incendiaire... Pourtant et bien que son cœur se languisse déjà de châtier cette bande d'ignobles insectes, c'est les poings serrés et les lèvres pincées qu'il se tu dans un grondement funeste.

- Tu ne nous présentes pas à tes nouveaux amis ? Demanda soudainement le Boiteux dans un sourire.

- Non. Claqua Connor entre ses dents.

- Pourquoi ? Tu veux garder la fille pour toi ? Renchérit Aulus dans un rire gras.

Ne pas faire de vague…
Ne pas faire de vague…
Ne pas faire de vague…

- Tu parles ! Il saurait même pas quoi en faire !

- Et puis, elle a l'air prise !

- J'y crois pas !

- Combien tu paris ?!

- Je prends les mises !

Ne pas faire de vague !
Ne pas faire de vague !
Ne pas faire de vague !

Mais par Salazar… que n'aurait-il pas donner pour les faire taire ? Pour leurs faire payer leurs œillades perverses ? Sourires acerbes ? Et manque de respect envers leur Capitaine ? Pour les congédier d'un Avada mortel ? Les renvoyer pourrir dans leurs sommeils ? Ou les expédier brûler en Enfer ?! Il ne savait pas… mais connaissait déjà les conséquences qu'engendrerait sa rage. Une rage ardente, létale, battante et si palpable, que Connor la sentit résonner jusque dans son âme…

« Tu as conscience que j'émasculerais le premier qui osera la regarder ? »

Frémissant violemment au souvenir de ses menaces, le petit garçon déglutit amèrement face au silence du Mage. Bon sang… c'était un miracle qu'il ne les ait pas déjà frappés d'un Sort Noir ; et d'avantage qu'il se taise et honore sa promesse de ne pas faire de vague ! Mais de là à espérer le voir garder profile bas ? Alors même que ses hommes ne cessaient de reluquer sa femme ? Que sa haine lui nouait les entrailles ? Que son honneur lui ordonnait de châtier ces pirates ? Et que sa magie exigeait un massacre ? Par tous les Diables… un tel espoir ne pouvait qu'être illusoire ! En particulier à l'écho de ses grondements macabres…

- Ne vous occupez pas d'eux. Tonna-t-il brusquement.

- Pourquoi ?

- C'est qui ?!

- Arrête tes cachoteries !

- Ils viennent d'où ?

- C'est tes nouveaux amis ?!

Assez de questions...
Assez de questions…
Assez de questions !

- Ça vous regarde pas. Siffla-t-il.

- Mais…

- La ferme !

Sursautant sous l'assaut d'un cri aussi violent, on entendit les hommes se taire dans un jappement, leurs rires s'étouffant brusquement devant la colère du petit garçon. Une colère hurlante, bouillante et assourdissante, qui galvanisée par les élans harassants de sa magie latente, suffit à imposer le plus absolu des silences… Mélange de stupeur et de résignation, les sorciers virent le regard des pirates s'écraser mécaniquement, leurs lèvres se plisser instantanément et leurs échines s'hérisser entre deux tremblements. Guidés par leurs réflexes d'obéissance, les rangs se formèrent en un instant, révélant alors la servilité de leurs siècles d'allégeance alors même que leurs espoirs mutins esquintaient encore leurs langues ; des réflexes tout aussi ancrés qu'implacablement instinctifs, qui ne laissèrent d'eux qu'une assemblée de figures fautives, surplombé d'un mutisme étrangement… craintif.

- Que les choses soient claires… Tonna-t-il. J'tolèrerais aucun affront, aucune insulte, aucun défi… et aucun des petits pièges tordus qui ont l'habitude de vous faire rire ! Cet homme et cette femme sont les nouveaux protégés de l'Île… et tout comme elle, je châtierais le premier qui aura l'audace de ne pas ravaler sa salive.

Impressionnés, les Sorciers s'échangèrent un regard muet, le souffle coupé devant l'aura que Connor se mit à dégager. Bon Dieu… ils n'avaient pas pour habitude qu'on cherche à les défendre ; qu'on les soutienne et protège d'une quelconque véhémence ! Alors de la part d'un enfant ? Plus précisément, d'un petit garçon n'atteignant même pas la hauteur de leurs hanches ?! C'était ahurissant... et profondément déconcertant.

- Mais… mais ils viennent d'où ? Se risqua Spica mal à l'aise.

- On veut juste savoir…

- C'est vrai !

Affligé, Connor se frappa le front dans un roulement d'œil excédé… bien sûr, il ne pourrait y échapper.

- Bande d'ignares… ce couple a fait naufrage il y a des mois ! Cracha-t-il en rage. Ils ont perdu leurs navires, leurs amis et l'intégralité de leur équipage, exactement comme vous et moi ! Alors montrer leur un peu de respect et bouclez-là !

Assommés par la puissance d'un tel ordre, un nouveau silence naquît des hommes, mélange de gêne et de coups d'œil mornes… Loin de leurs précédentes fanfaronnades, les sorciers virent leurs regards se faire plus distants, honteux et presque compatissants, révélant alors le peu de respect qu'ils avaient pour de nouveaux compagnons de deuils et d'abandon.

- Pardon Capitaine… souffla le Bourreau du bout des lèvres.

- On est juste curieux. Renchérit le Boiteux. Y a pas eu de nouveaux depuis longtemps !

- Tu peux pas nous en vouloir !

- Et puis y a une dame !

- Et elle a pas l'air d'avoir la galle…

Retenant un haut-le-cœur devant la lubricité d'un tel commentaire, Hermione se ratatina sur elle-même, sa main s'accrochant plus que jamais à sa baguette. Bon sang, elle devait rêver... C'était ça, elle devait rêver ! Mais il aurait été inutile de le nier… rien ne pourrait jamais tromper l'immondice de leur triste réalité ; celle où la femme n'était qu'une propriété, et où après plus de cinq cent ans de sommeil, des pirates vieux de deux milles ans ne pensaient qu'à se soulager. Une évidence toute aussi suicidaire et que révélatrice de leur immonde bassesse, dont le constant rappel ne réussit qu'à attiser la fureur latente de son Maître.

- Qu'est-ce ça peut te faire le Boiteux ?! Cingla Connor acerbe.

- Bah ça dépend… elle est mariée ou y a moyen de la marchander ?

Manquant de s'étrangler devant la perversité d'une pareille question, Voldemort senti le tressaillement de sa mâchoire lui fracturer une dent…

- A ton avis sale charognard ?! Claqua le Capitaine acerbe.

- Bah quoi ?! Elle est mignonne !

Par Salazar… il allait les tuer.

- Plus que ça même !

- Elle est à croquer !

C'était fait. Acté.

- La ferme ! Exulta Connor.

- Oh allez !

Il. Allait. Tous. Les. Tuer.

- Il peut bien la partager !

- Répond le nouveau !

- On veut savoir !

- Tu la partages ou pas ?!

Pourtant ce n'était pas faute de tenter de garder ses distances… de se mordre la langue et contenir la magie qui lui retournait le ventre ! Mais face à eux et à leurs clins d'œil pernicieux, un tel espoir était perdu d'avance... Aussi, c'est dans l'écho d'un nouveau grondement que Voldemort senti son cœur rater un battement, l'étau de son dégoût intoxiquer son sang et le vrombissement de sa rage lui vriller les tympans… avant que l'horreur de leurs petits yeux perçants ne vienne à bout de son insupportable silence.

- Repose la question et tu ne vivras pas assez longtemps pour entendre la réponse.

Oh non…

Ebranlé par la mortalité de son ton, les pirates se pétrifièrent violemment, leurs rires s'étouffant brusquement dans l'écho de leurs soudains jappements. Abasourdis, plus aucun d'eux ne renchérit, leurs figures stupéfiées ne révélant alors que surprise et consternation ahurit. Pourquoi ? La réponse était facile ; aucun naufragé ne s'était encore permis de les assommer de paroles aussi vindicatives… de les affronter d'un regard aussi hostile… et de les menacer d'un sort aussi fatidique. Sûrement pensaient-ils que leur nombre suffirait à l'intimider ? Que leurs armes, rires gras et balafres le garderait en retrait ? Qu'il n'afficherait que soumission et regard résigné ? Et n'aurait de répondant qu'un souffle haché derrière une paire de lèvres scellées ? Mais tout comme leurs espoirs de le voir s'écraser, une telle croyance ne pouvait qu'échouer… en particulier face à un Mage Noir aux pupilles acérées, dont la magie ancestrale s'imaginait déjà les éventrer. Oui… il ne se laisserait pas intimider. Il ne se laisserait pas insulter ! Et certainement pas par une bande de bœufs décérébrés… C'est dons sans jamais trembler que Voldemort se redressa fièrement devant leurs airs éberlués, ses veines se gonflant brusquement sous l'afflux de son sang enragé. Implacable, déterminé, le dos droit et le menton levé, il les toisa dans l'éclat de son incontestable supériorité, les dévisagea avec autant de mépris que de férocité, laissa son aura les déstabiliser et frémit d'extase en voyant certains d'entre eux frissonner. Une attitude pour le moins risquée… dangereuse… provocatrice et profondément historique, qui alors même que Connor se sentait fatalement frémir, ne laissa qu'un étrange silence leur retourner les tripes. Un silence lourd, pesant et synonyme de mille risques ; un silence comme on n'avait encore jamais entendu sur l'île et qui sans que personne ne le voit venir, se brisa d'un rire… suivit d'une hilarité collective.

- Ohoh… vous avez entendu ça !

- Mais c'est qu'il parle le nouveau !

- Et qu'il menace !

- T'espère nous faire peur ?!

- Je savais que c'était un soldat !

- Un guignol oui !

- C'est qu'elle a dû lui coûter cher !

Horrifié face à cet assaut de nouvelles moqueries, Connor sentit son cœur s'arrêter. Oh non… non, non, non, non ! Il lui avait dit de ne pas parler ! Il lui avait dit de ne pas parler ! Il lui avait dit de ne pas parler ! Mais bien sûr, il avait fallu que ses hommes le poussent à la faute en l'insultant ! Et utilisent son orgueil pour lui délier la langue…

- Qui tu crois être pour nous parler comme ça ?! Lança Ursus au Mage. Un Prince ? Un Roi ?

Faîte qu'il se taise…
Faîte qu'il se taise…
Faîte qu'il se taise…

- Pourquoi ? Tu veux t'agenouiller ? Répondit-il sans sourciller.

Oh bon sang…

Ahurit devant l'audace d'une réponse aussi effrontée, on entendit les hommes exulter, siffler et s'exclamer dans une clameur effrénée, leurs mains tambourinant leurs cuisses au rythme de leurs rires saccadés. Comme si ses mots avaient donné un coup de pied dans une fourmilière, tous se mirent à sautiller, hurler, courir et se bousculer, renvoyant alors une image de parieurs sportifs sur le point d'assister au combat de l'année… une comparaison bien plus crédible qu'il n'y semblait et face à laquelle Connor se sentit brusquement vaciller. Par tous les Dieux… maudit soit ce Sorcier ! Ils étaient faits ! Ils étaient faits ! Car Ursus avait beau s'être pétrifié dans un silence mortifié… sa main, elle, s'était resserrée sur le pommeau de son épée. Un geste que personne ne manqua de remarquer, et qui ne réussit qu'à attiser la frénésie meurtrière qui commençaient à régner.

- Mais c'est qu'il a dû répondant le petit !

- Alors Urus, t'as perdu ta langue ?

- Montre-lui c'que t'as dans le ventre !

- Qu'est-ce t'attend ?!

- Aller ! Vas-y !

- Répond !

Loin de partager les rires et exclamations de ses compagnons, Voldemort vit le sourire du pirate se faner en un instant, ses joues rougir violemment, ses muscles commencer à se tendre et son regard changer sous l'élan de son humiliation… Oui. Il devait répondre. Maintenant ! Sur le champ ! Plus qu'un devoir, il en valait de l'honneur de son sang ! Pourtant, jamais le soldat ne parvînt à desserrer les dents…. Immobile, confus et transit de nouveaux frissons, Ursus sentit son souffle s'alourdir, son corps être pris de tétanie, ses mains trembler et son esprit s'engourdir. Pourquoi ? Il n'aurait su dire… mais ne put que déglutir devant l'obsidienne cinglant de ses pupilles. Des pupilles à la lueur incendiaire, aux contours acerbes et mirages mortels ; de véritables portes sur l'enfer, aux promesses de supplices éternels… deux billes de braises aux reflets de pure ténèbres, qui pour la première fois en plus d'un millénaire, réussirent à le mettre mal à l'aise.

Oui. Mal à l'aise… Pour la première de sa vie, Ursus le Barbare fait Pirate était mal à l'aise ! Un sentiment étrange, peu commun et profondément amer, qui alors même qu'il humidifiait ses lèvres, ne réussit qu'à le faire taire. Comme s'il était pétrifié, acculé ou soudainement hypnotisé, son regard resta ancré dans celui de son adversaire, son corps vrombit d'une nouvelle fièvre et ses mains tremblèrent contre son glaive. Assommé par ce mélange de feu incandescent et d'obscurité mortuaire, le viking ne trouva même pas la force de se tourner vers ses frères, ses entrailles se nouant plus que jamais sous l'étau de cette joute muette ! Pourtant, il avait affronté bien des hommes au fil des siècles ; des soldats, des marins, des gardes, des généraux et même des armées entières ! Mais cet homme-là… cet homme n'avait rien de similaire. Pourquoi ? Il se le demanda. Etait-ce à cause de ses origines ? De son histoire ? Ou de son grade ? Il ne savait pas. Mais comprenait une chose : jamais il n'avait vu ça. Jamais il n'avait vu un tel regard ! Et jamais il n'en était resté aussi béat… Aussi, il en fut certain ; cet homme-là n'avait rien d'un simple soldat. Pas plus que d'un prince ou d'un Roi ! Non… il semblait être plus que ça. Plus fort. Plus puissant ! Plus redoutable ! Animé d'un tressaillement bestial, tout son corps semblait avoir été taillé dans le marbre, dévoilant muscles ciselés, veines gonflées, peau halée et grondement animal. Un tableau de force brute, de puissance et de rage, le tout surplombé d'un sourire narquois… Un tableau que lui-même ne comprit pas, mais qui lui fit resserrer son emprise sur le fourreau pendant à sa taille.

- Ursus ?

Immobile à ses côtés, ses deux frères le regardaient sans respirer, tout aussi choqués par son silence que par l'affront qu'il venait d'essuyer ; un affront bien plus grave que les sorciers ne purent l'imaginer… et qui devrait être réparé.

- Tu… Tu te crois drôle ?! Finit-il par répliquer les dents serrées.

- Ça dépend… souffla Voldemort amusé. T'ai-je fait rire ?

Deuxième réplique.
Deuxième assaut de rires hystériques.
Et deuxième affront fatidique…

- Ne joue pas avec moi l'étranger ! S'écria-t-il enragé.

- Urus… siffla Connor entre ses dents.

- Quoi ?!

- Calme toi !

- Cet homme lui manque de respect ! S'horrifia Bestia en défendant son frère.

- Il l'a provoqué ! Corrigea Connor.

- Et alors ? On peut plus causer ?! Cracha-t-il menaçant.

Consternée, Hermione ne sut plus où se cacher devant une telle escalade des hostilités… et le pire était qu'elles ne faisaient que commencer.

- Restez à votre place ! Tonna l'enfant gravement.

- Ou quoi ?!

- C'est un ordre !

- D'accord. Mais seulement s'il reste à la sienne… Ajouta Aper une main sur son glaive.

Amusé devant leur démonstration de muscles bandés, mâchoires serrées et de roulements d'épaules échauffés, Voldemort laissa un sourire lui échapper, sa baguette frémissant plus que jamais sous les palpitations de son cœur enfiévré. Quelle bande de sots… de sots, d'ignares et d'immondes pourceaux ! Oser le menacer ? Lui ? En Public ? Par Morgane, c'était de la folie ! Pour preuve, n'importe lequel de ses mangemorts préférait s'ôter la vie plutôt que d'affronter les conséquences d'une pareille hérésie ! Que dire ! D'une telle vésanie ! Mais eux ignoraient tout de lui ; tout de ses pouvoirs, de son empire et de sa magie ! Et se faisant, ils ignoraient également quel démon ils venaient de sortir de son lit. Une certitude qui étrangement, ne parvînt qu'à le réjouir ; après tous, il n'avait encore jamais torturé un pirate de sa vie…

- Vous feriez mieux d'obéir à votre Capitaine... Lança froidement le Mage.

- Et pourquoi on t'écouterait ? Siffla Bestia.

- Ça vaudrait mieux pour vous…

- Tu crois nous faire peur ?!

Sentant la situation lui échapper, Connor jaugea le Mage avec sévérité, ses petits poings tremblant de colère devant l'évident mépris des conseils qu'il lui avait donné. Un regard que Voldemort ne put éviter, mais qui ne réussit cependant pas à le garder muet…

- Peur ? Répéta-t-il amusé. Non.

- Maît… Maître ? Balbutia Hermione devant les étincelles de sa baguette.

- Mais je pourrais être tenté de vous donner une leçon…

- Maître !

- Si vous n'obéissez pas immédiatement.

- Tom !

Oh non…

- Tu oses me menacer l'étranger ? Souffla Ursus sans respirer.

Oh non, non, non…

- Le rapace ne menace pas le rat… Il le chasse.

Ça y est…

La menace était lancée.
L'affront était assumé.
Et la première épée fut dégainée.

D'abord celle d'Ursus, qui ne put plus se contrôler ; suivit de celles de ses frères, déterminés à le venger… avant d'être fatalement accompagné par celles de tous ceux qui se rangèrent de leur côté. Combien furent-ils à lever leurs glaives ? A mettre un couteau entre leurs lèvres ? A s'écrier en se saisissant de filets, de cordes et de chaînes ? Et à frapper le sable de leur nouvelle haine ? Hermione n'eut pas le temps de les compter… mais n'eut besoin d'aucun indice pour comprendre que la moitié d'entre eux ne tarderait à les encercler.

- C'est qui que tu traites de rats ?!

- Tu veux te battre ?!

- Redis-ça pour voir !

- Aller !

- On va régler ça !

- Viens te battre l'étranger !

- Aller !

- Viens te battre si t'es un homme !

- Avance ! Avance !

Désabusé, Connor se frappa le front dans un soupir mortifié. Par Marise… cinq minutes. Cinq petites minutes. Il n'avait fallu que cinq minutes à cet imbécile de sorcier pour déclencher une nouvelle émeute. Cinq minutes pour balayer ses conseils d'un revers dédaigneux. Cinq minutes pour transformer leurs maigres espoirs de paix en une issue désastreuse … Le regrettait-il ? A juger son sourire et parfait immobilisme – en dépit de la furie de vingt hommes prêts à se faire un collier avec ses tripes… non. De quoi lui faire amèrement grincer des dents…

- Retire c'que t'as dit… siffla Ursus, sa lame en avant. Maintenant !

Indifférent au scintillement de la vingtaine d'épée qui le menaçait, Voldemort sentit sa baguette frétiller contre son poignet, symbole de l'impatience qui le taraudait. Une impatience que les prières d'Hermione ne parvinrent pas à calmer, et dont la mortalité ne tarderait pas à les frapper…

- Ou quoi ? Demanda-t-il innocemment.

- Tu veux pas connaître la réponse...

- Je suis curieux de nature… je pourrais te surprendre.

Par tous les dieux… Etait-il fou ? Suicidaire ? Ou seulement stupide ? Connor n'aurait su dire ; mais comprit qu'il était le dernier rempart à l'usage de sa magie et à l'avènement d'une ultime mutinerie…

- Ursus ! Range ton arme ! Scanda Connor.

- Non ! Vas-y ! S'embrasa Bestia.

- Fais lui ravaler ses mots !

Ils ne l'écouteraient pas… quoi qu'il fasse, ils ne l'écouteraient pas !

- Tom ! S'écria-t-il désespéré.

- Je ne m'excuserais pas.

Oh bon sang !

- Tu as cinq secondes pour qu'on t'épargne… menaça le plus jeune frère.

- Tu sais compter jusque-là ?

- Maître ! S'étouffa Hermione.

- J'vais me le faire !

- Du calme Aper !

Tout dégénérait.
Rien ne pouvait l'endiguer.
Un combat allait éclater… et Connor le savait, aucun des triplés ne s'en relèverait.

- Arme-toi ! Hurla Bestia jetant son coutelas au Mage.

Interloqué, Voldemort jaugea l'arme reposant à ses pieds dans un haussement de sourcil amusé, son sourire ne l'ayant toujours pas quitté. Qu'il s'arme de leur propre coutelas pour les affronter ? C'était fairplay, il ne pouvait le nier… et également symptomatique d'un profond respect pour les valeurs des combats armés. Mais de là à ce qu'il s'en saisisse ? Qu'il se battre selon leur rite archaïque ? Et se donne en spectacle avant de ne les voir mourir ?! Par Salazar… il était Mage Noir, pas meneur de cirque ! Et quand bien même, à quoi une telle arme aurait-elle pu lui servir ? Son corps tout entier n'était fait que de magie ! Aussi il le savait… même désarmé, les mains liées et les yeux bandés, ces hommes seraient morts avant même de pouvoir l'approcher.

- Allez !

- Affronte-nous comme un homme !

- Dépêche-toi !

Quel dommage… ils avaient l'air de bons soldats ; d'homme forts et de caractères braves. Leurs pertes seraient regrettables, à n'en pas douter ! Mais ils étaient si ignares et dépravés… si bavards et désœuvrés… si détestables et enragés… que Connor n'aurait aucun mal à les remplacer.

- Je n'ai besoin d'aucune arme. Souffla-t-il.

- Oh… tu crois ça ?!

Oui… et encore c'était peu dire ! Car en de telles circonstances, même sa magie lui semblait inutile.

- Dans ce cas, tu as fait ton choix… Répliqua Bestia.

- Et tu mourras en lâche !

Qu'ils l'espèrent… leurs défaites n'en seraient que plus cruelle.

- Nous verrons ça… leur répondit Voldemort narquois.

Affligé, c'est dans l'écho soupir désespéré que le petit garçon regarda le ciel d'un air résigné. Par tous les Dieux… ils allaient se battre. Rien ne pouvait l'empêcher, ils allaient se battre ! Ou si… une chose le pouvait. Une chose dont la seule pensée lui donna la nausée, mais qui ne semblait plus pouvoir être évitée…

- Mes frères ! Scanda Ursus.

Bon sang… il détestait devoir faire ça.

- En garde !

Mais il n'avait aucun choix.

- Charg…

Et le premier éclair frappa.


Heyyyy ! Voici le nouveau chapitre avec LA rencontre... celle de nos chers pirates et de leur première confrontation ! :DDDD Olalala que j'avais hâte de vous partager ça ! Comme vous le voyez, il n'a pas fallu longtemps à Voldemort pour déraper XD même si on en toute honnêteté, on s'en doutait ! XD Hermione et Connor n'en mènent pas large mais ce serait mal connaître notre petit Capitaine de laisser ses hommes se battre avec notre cher Mage Noir ;) Que va-t-il faire ? D'où vient cet éclair ? Vous le saurez la semaine prochaine !

En tout cas, j'espère que ces nouveaux personnages vous plaisent et suscitent votre curiosité... car il se pourrait bien que tous aient une certaine utilité à un moment donné ;)

Par contre : PETITE ANNONCE ! Le chapitre de la semaine prochaine sera le dernier de l'année 2022 ! Je m'explique : Le prochain chapitre signera la fin de la deuxième partie de ma fiction... et se faisant, la suite entamera la toute dernière partie de cette histoire. Je vous laisse deviner ce qui risque d'arriver mais dans tous les cas, ce sera la fin de leur épopée et le début d'une nouvelle. Ainsi, je veux faire les choses bien et marquer ce changement. En plus de ça, j'ai une fin d'année très chargée et je ne veux surtout rien bâcler. Donc, après la semaine prochaine, il n'y aura pas de chapitre de tout le mois de décembre et la suite sera publiée dès le premier mardi du mois de janvier ! Je suis désolée si cela suspend un peu les choses mais je refuse de précipiter les publications et de vous donner quelque chose de bâcler à lire !

Oh ! Et le site beug énormément en ce moment, je ne reçois plus aucune notification de mes chapitres et des reviews, alors ne vous étonnez pas si je ne réponds pas de suite à vos commentaires ! Je les découvre en retard et je m'en excuse sincèrement !

En tout cas, merci énormément à tous ceux qui restent fidèles à cette histoire et qui envers et contre tout m'encourage ! Vous êtes mon carburant et je meurs d'impatience de vous faire lire tous les prochains rebondissements !

Sur ce je vous dis à la semaine prochaine ;) BIZZEEE