De la boue.
Des cris.
Du sang.
Des cadavres.
Partout… Partout où son regard se posait. Partout où ses mains s'appuyaient. Partout où son corps rampait. Partout où la survie le guidait… oui. Partout ; à tel point que c'est dans le grincement de ses genoux, que Drago se sentit céder sous l'assaut d'un nouveau courroux. Acculé, blessé, désorienté et épuisé, il ne parvînt plus à respirer, ses poumons s'oppressant douloureusement à chaque bouffée d'air qu'il se risquait à inspirer. Allongé au sol, sa vue vacilla entre deux mirages, ses sens s'obscurcirent, sa tête bourdonna et ses membres se raidirent, symptômes criant de la faiblesse qui ne cessait de l'assaillir… une faiblesse qui quoi qu'il fasse, ne cessait de grandir. Pourtant, il était préparé ; plus que ça même ! Il était déterminé ! Enragé ! Aliéné ! Transcendé ! Prêt à tout pour vaincre et triompher ! Mais la mort ne cessait de le lorgner… tel un rapace se gaussant devant les restes de sa proie, elle allait et venait, tournait et virait, s'éloignait et revenait, l'abandonnait et le hantait… à tel point que pendant un bref instant, un infime moment, une seule et unique seconde, Drago en vain à penser qu'il était peut-être temps. Temps de quoi ? Il n'était pas certain de le savoir. De mourir ? De se battre ? De partir ? De se relever ? De souffrir ? Il avait déjà enduré tant de chose ces dernières heures, qu'il n'était même plus certain de la suite à venir… mais savait une chose : il n'était pas question de fuir.
De la boue.
Des cris.
Du sang.
Des cadavres.
Oui… jamais il n'abandonnerait. Jamais il ne renoncerait. Jamais il ne fuirait ! Mais en dépit de cette certitude, que lui restait-il à faire ? Il n'arrivait plus à bouger, parler, ramper ou ne serait-ce qu'à respirer. Il n'arrivait plus à se relever, à user de magie ou à avancer ! Non… il n'arrivait plus à rien. Ne voyait plus rien. N'entendait plus rien. Ne ressentait plus rien ! Si, une chose… la douleur. Mais laquelle ? Celle d'être étendu sur le champ de bataille, à moitié éventré par l'impact d'un sort Noir ? Celle de ramper entre milles cadavres, sa main valide cherchant désespérément une lueur d'espoir ? Celle de voir les flammes dévorer les fenêtres, poutres, toits et tours de Poudlard, tandis que leurs ennemis affluaient en masse ? Ou celle de savoir qu'il pourrait bien ne jamais avoir la force de se relever une dernière fois ? Il ne savait pas… à vrai dire, il n'était même plus certain de savoir quoi que ce soit. Rien si ce n'était qu'il était là… qu'il commençait à avoir froid… que son corps agonisait dans le noir… et que cet instant lui-même n'était que le tapis rouge de son prochain purgatoire. Triste, n'est-ce pas ? De gésir, là ? Seul ? Blessé ? Condamné à ramper dans cette odieuse mélasse ? Oh bien sûr, tout cela n'était que le béaba des combats, de la guerre, des charniers et de tout ce qui faisait la laideur de son poste de Général… mais pour la première fois, Drago se surprit ne presque pas y penser. Car pour la première fois, sa seule véritable inquiétude était celle de « l'après » …
De la boue.
Des cris.
Du sang.
Des cadavres.
Que se passerait-il après ? Après cette guerre ? Cette bataille ? Cette débâcle ? Cet échec ? Et la chute de Poudlard ? Que se passerait-il pour sa mère, qui avait fui en Sombral ? Pour son père, plongé dans le coma ? Pour ses hommes, qui se transformaient en cadavres ? Pour le Royaume, qui n'avait plus d'espoir ? Pour Hermione, qui s'attendait un jour à le revoir ? Et pour son Maître qui l'avait fait gardien de leur victoire ? Que leur arriveraient-ils après tout ça ? Seraient-ils en colère ? Tristes ? Révoltés ? Effondrés ? Mortifiés ? Ou seraient-ils tellement choqués, que son échec sècherait leurs larmes avant même qu'elles ne se mettent à couler ? Il tenta de l'imaginer, son esprit divaguant entre ses dernières pensées… Il tenta d'imaginer sa mère brisée par la douleur, son père frappé par le déshonneur, sa sœur pétrifiée d'horreur, et son Maître prêt à le ramener d'entre les morts pour lui faire durement payer chacune de ses erreurs… Car il n'était pas naïf. Cette défaite n'était que le résultat de son incompétence la plus sublime. Que dire ! La plus évidente ! La plus comique ! Celle-là même que Voldemort n'avait pas décelé avant de lui donner les rennes de son empire, mais qui il le savait, n'en laisserait que des ruines! Grand Dieu… des ruines. Poudlard ne serait plus qu'un tas de ruine ! Et le pire était qu'il l'était déjà ! Un château rongé par les flammes, assailli de toute part, souillé par le sang, les combats et les larmes et dont le Général était tombé en disgrâce… Quelle honte. Quel drame. Quelle comédie. Quelle hérésie ! Mais dans sa consternation, une étrange question le saisit… que lui arriverait-il, à lui ? Car il ne pouvait plus se cacher derrière le moindre déni ! Il était blessé, estropié, acculé, épuisé et… Seigneur, allait-il mourir ? Il se le demanda. Une fois. Puis deux… puis trois ; avant que le doute ne l'habite dans l'éclat d'un nouvel effroi.
De la boue.
Des cris.
Du sang.
Des cadavres.
Mourir… Etrange chose qu'était cette ignominie. S'agissait-il d'une fin ? D'un début ? D'un accomplissement ? D'un échec ? Ou d'un but ? Tant de définition pouvait s'accoupler à ce terme… tant de théorie, de suppositions, d'espoir et de prières. Bien sûr, toutes étaient profondément personnelles, intimes et indubitablement incorrecte ! Pourtant, elles étaient l'unique chose à quoi se raccrochait l'âme mourante d'un mortel… la seule certitude qu'elle pouvait tenir avant de ne sombrer dans les ténèbres et le seul réconfort avant de ne se voir enlacer par les bras de Lucifer. Car personne ne détenait la vérité. Personne ne savait. Personne ne mourrait en paix ! Quiconque prétendait le contraire n'était qu'un désœuvré ! Car de tels mensonges étaient ceux des damnés… des faibles et des effrayés ! Pire encore, ils étaient l'arme préféré de ceux dont l'âme vomissaient à la vue de leur seul reflet ! Des fous ! Des dégénérés ! Des déchets du monde incapable de respirer sans que les Dieux eux-mêmes ne cherche à les étouffer ! Mais il n'était pas ainsi… du moins pas encore. Et n'eut donc aucun espoir face à l'évidence de sa prochaine mort.
De la boue.
Des cris.
Du sang.
Des cadavres.
Oui… personne ne savait ce qui les attendait au-delà de cette réalité. Personne ne vivait accompagné d'un savoir aussi faussé ! Personne ne pouvait prétendre connaître ce que même les Dieux ignoraient ! Ne restait donc que cette implacable ignorance comme compagne de leurs derniers instants… et l'espoir d'une mort digne comme seule pénitence.
De la boue.
Des cris.
Du sang.
Des cadavres.
Etait-ce qu'il devait faire lui aussi ? Se conforter dans son ignorance ? Son innocence ? Et l'illusion de quelques vaines croyances ? Drago se posa à nouveau la question. Une fois. Puis deux… puis trois ; avant que ses tempes ne s'échauffent et que le monde s'embrase. Que se passait-il ? Il n'était pas certain de le savoir, mais n'eut besoin d'aucun dessin pour deviner dans quel état était Poudlard ; et pour cause… l'incendie venait d'atteindre la salle du trône. Intarissable depuis le lancement de leurs bombes Feudeymon, les halls avaient explosé en premiers, les plafonds s'étaient écroulés peu après, les escaliers s'étaient consumés, les tours fumaient… et dans ce chaos de feu et cris enragés, ce n'était qu'une question de temps avant que l'intégralité de la structure ne s'effondre sur ceux qui tentaient encore d'y échapper. Ingénieux, non ? Créer une diversion, attaquer sur tous les flancs, disperser leurs troupes, lancer des bombes… c'était un bon plan. Un très bon même ! A tel point qu'il ne faisait aucun doute que sans l'intervention « surprise » des Solcogneurs, la Résistance aurait déjà gagné la guerre ! Mais il n'était pas question que leur défaite soit amère… et se faisant, c'est à la force de leur peu d'atouts que Drago avait mené ses hommes dans ce dernier enfer.
De la boue.
Des cris.
Du sang.
Des cadavres.
Leurs atouts ? Ils étaient bien maigres, il ne pouvait que le reconnaître. Mais ils n'étaient pas inexistants ; chose qui pour leurs ennemis alors bien trop confiants, avait été… quelque peu surprenant. Bien sûr, les Détraqueurs n'avaient pas tenus longtemps face aux Patronus de la Résistance, mais ils étaient parvenus à leurs faire perdre un précieux temps et à percer leurs défenses. Les Solcogneurs eux, avaient considérablement affaiblit leurs flancs, les poussant alors à devoir battre en retraite sur de nombreux versants. Les Sombrals en revanche n'avaient pas fait de grands dégâts… mais – et cela fut à la surprise générale – n'avaient pas manqué de corser les combats ! Invisibles dans le ciel, leurs cavaliers s'étaient chargés de faire pleuvoir flammes, enfer, désespoir et sortilèges, déjouant alors le lancement de nombreuses bombes incendiaires ! S'en était suivi le succès de quelques pièges, l'anéantissement de plusieurs de leurs régiments et la satisfaction de les voir battre en retraite ; mais cela n'avait duré qu'un court instant… avant qu'ils ne rassemblent leurs troupes et ne décident d'attaquer de front. Aussi, c'est à cet instant précis que Drago avait senti la mort lui baiser le front... Pourquoi ? Pour une seule et simple raison : lui et ses hommes s'apprêtaient à marcher dans un No Man's Land.
De la boue.
Des cris.
Du sang.
Des cadavres.
Mais bien qu'ils soient blessés, peu nombreux, acculés et d'apparences miséreuses, il aurait été mal connaître les mangemort que de croire qu'ils capituleraient sans chercher à les entraîner avec eux... Et c'est ainsi que dans l'éclat d'une dernière folie, ses hommes s'étaient élancés dans l'ultime combat de leurs vies. Déterminés à mourir la tête haute, ils s'étaient lancés dans la rage de leurs honneurs bafoués, leurs cris surpassant alors tout ce que le monde avait déjà entendu résonner. Insensibles à leurs nombres, forces, armes et renforts, ils avaient combattu dans l'éclat de mille sorts, avaient déversé leurs haines sur chacun des centaures, avaient crachés leurs magies sur tous les hommes et avaient même usé d'explosifs moldus dans l'espoir de faire le plus de morts… Avaient-ils réussis ? Oui. Mais cela avait-il suffit ? Son agonie répondait pour lui…
De la boue.
Des cris.
Du sang.
Des cadavres.
Oui… leurs déterminations n'étaient pas parvenues à surpasser leurs ennemis. Et se faisant, la guerre serait bientôt finie. Le Ministère serait conquis. La Résistance possèderait l'Empire. Les Centaures détruiraient leurs pays. Les raffleurs traqueraient leurs familles. Et leurs noms seraient à jamais associés aux affres de la pire ignominie. Un avenir prévisible… et peut-être même mérité ! Qui sait ? Après tout, il n'avait pas la prétention de n'avoir commis aucune atrocité. Mais cela ne signifiait pas qu'il doive s'y résigner…
De la boue.
Des cris.
Du sang.
Des cadavres.
Oui… sa mort ne signifiait pas la fin de son combat. Sa défaite ne signifiait pas le déclin de son âme ! Ses blessures ne signifiaient pas l'annihilation de sa rage ! Mais pour cela, il ne devait pas se poser de question. Il ne devait pas philosopher sur ses derniers instants ou se complaire dans sa souffrance ! Non… il devait avancer. Il devait se relever. Il devait persévérer ! Mais il avait beau prier, s'acharner et se concentrer, ses lèvres ne cessaient de goûter le sang dont le sol était nappé. Face contre terre, il semblait presque s'en abreuver, sa bouche cherchant plus que jamais à inspirer l'air dont il était privé ; mais tel l'ignoble nectar de sa défaite, seul son goût amer le gardait en éveil. Tiède, épais et fraîchement arraché des veines de ses adversaires, son visage en ruisselait comme d'une pluie d'été, sa langue s'écœurait de sa saveur boueuse, ferreuse et hérissée, son corps se noyait dans son ras de marré et ses pensées s'étiolaient sous la lourdeur de sa mélasse troublée ! Incapable de bouger sans hurler, il sentit son corps se contracter, ses muscles se déchirer, sa peau s'esquinter et ses blessures saigner tandis qu'il tentait désespérément de ramper. Accroché à la vie, sa main de verre se saisissait de boue, de branches et de racines, déblayant alors son chemin pavé de tous ceux ayant perdu la vie. Frissonnant de magie, sa main valide tenait sa baguette entre deux cris inaudibles, prête à préserver ses derniers instants de survie ! Mais pour cela, il lui fallait se remettre sur ses jambes, surpasser la douleur de ses boyaux en sang, zigzaguer entre les Centaures, les Furies, les Raffleurs et les Résistants, éviter les Solcogneurs et leurs odieuses branches, courir jusqu'à s'en arracher les poumons et défier les Dieux pour les frapper de sa vengeance ! Oui… il lui fallait faire tout cela. Pour gagner la bataille ? Grand Dieu non… Mais pour elle.
Luna.
- Non ! S'il te plaît !
La seule pour qui, il continuait de se battre.
- Luna, attend !
La seule pour qui, il continuait de garder espoir.
- Je t'en prie !
La seule pour qui, il endurerait mille fois ce cauchemar.
- Reviens !
La seule qui le détenait corps et âme…
- Luna !
Frissonnant à la seule pensée de la jeune femme, Drago se sentit se perdre dans le souvenir son visage, de son sourire, de son regard, de son rire et de sa voix… Comme si la guerre, la mort et les cris n'étaient plus que d'infimes détails, il ne se noya plus dans le sang mais dans la douceur de ses bras… n'inspira plus l'odeur des cadavres mais son indescriptible fringance florale… ne gouta plus l'amertume de la boue mais l'exquise saveur de sa peau de nacre… avant que le mirage de ses lèvres sur les siennes ne transcende son âme. Des sensations volatiles, fugaces et intangibles, qui alors même que le monde brûlait devant lui, le ramena à ses derniers instants passés avec sa saule raison de vivre…
- Non ! Luna attend ! S'était-il époumoné à sa suite.
Incapable de lui faire face sans sentir son cœur tomber en miette, Luna s'était mordu la lèvre dans un soupir amer. Ils avaient déjà essayé de ne rien faire. Ils avaient déjà prié le ciel… ils avaient déjà tenté d'échapper à cet enfer ! Mais à quoi bien faire perdurer pareil calvaire ? Ils étaient déjà en train de perdre.
- Nous ne pouvons plus attendre… avait-elle dit sans le regarder.
- Non… non ! Luna !
- Je suis désolée…
Oui… elle l'était. De toute son âme. De tout son être. De tout ce qui la constituait !
- Mais je dois le faire…
Ignorant les cris qui résonnaient dans son dos, la jeune femme avait alors dévalé les berges du lac sans se retourner, son Sombral hennissant avec force à l'approche de son pas empressé ; la même monture qui lui avait permis de le sauver, et qui aujourd'hui serait incombé de la plus lourde tâche que le monde puisse imaginer… retrouver son Initiée.
- Il… il y a forcément un autre moyen ! S'était-il écrié, désespéré. On trouvera un autre moyen !
Un autre moyen...
Une autre solution…
Un nouvel espoir…
Que de belles promesses qu'il voulait croire. Que de beaux mots qu'il voulait boire. Que de beaux rêves qu'il voulait entrevoir… mais que de mensonges après plus de six mois de profond désespoir. Car Drago le savait : ils avaient déjà tout fait. Tout fait pour les retrouver. Tout fait pour les contacter. Tout fait pour ne serait-ce que savoir ce qui leur était arrivé ! Or, tout cela avait échoué... Depuis le premier jour jusqu'à cette dernière heure, aucune nouvelle leur avait été donné ; aucun indice, aucune lettre, aucune piste, aucune missive ! Ne leur restait que cet incontestable vide… cet insupportable tord-boyaux d'ignorance insipide… cet horripilant silence aux échos morbides… ce rire gras de mort et de souffrance qui ne cessait de les suivre. Aussi et bien qu'il préfère s'arracher la langue que de le dire, le jeune homme comprenait pourquoi elle voulait partir ; pourquoi elle s'acharnait à croire en cette ultime théorie et à nier le bon sens des simples risques ! Mais face à elle et son départ précipité… face à sa hargne et regard déterminé… face à son urgence et Sombral harnaché… le Malfoy était prêt à tout tenter. A tout faire ! Tout dire ! Tout promettre ! Tout accomplir ! Pour ne serait-ce qu'un instant de plus avec l'amour de sa vie…
- Nous n'avons plus le temps… avait-elle soufflé, résignée.
Plus le temps…
- Les Centaures sont là !
Les Centaures…
- Harry et Ron aussi !
La Résistance…
- Leurs armées sont sur le point de nous anéantir !
Anéantir…
- Tu le sais aussi bien que moi…
Il le savait…
- Nous ne tiendrons pas la nuit.
Pas la nuit…
A ces mots, Drago avait mordu sa main valide pour étouffer ses cris, mélange d'amertume et d'horreur face à l'évidence de leur défaite à venir. Car elle avait raison… ils le savaient tout deux ! Le sang les avait souillés, Poudlard était assiégé, leurs hommes tombaient, les Solcogneurs allaient céder et l'existence même de leur Dynastie ne tarderait à pas s'effondrer ! Et se faisant, ils ne leur restaient que cet espoir à prier ; que cette ultime théorie à tester… cette ultime tentative à essayer ! Celle de les retrouver, eux… leur Maître et Initiée. Car ils ne pouvaient plus se leurrer. Sans eux, ils ne pourraient pas gagner…
- Nous n'avons pas le choix…
Non… ils ne l'avaient pas. Mais les Océans étaient si vastes… et leurs informations si vagues ! Jamais elle ne parviendrait à les trouver sans la moindre carte ! Jamais ! Un maigre détail qui, il le savait, lui était profondément égale…
- Non ! Non ! Attend ! Avait-il paniqué en le voyant rejoindre sa créature.
- Il le faut !
- Non ! Luna ! Je…
Mais elle ne l'écoutait pas… et d'un coup de baguette, avait déjà sellé son Sombral.
- Non ! Je t'en prie ! Luna !
L'agrippant soudainement par le bras, Drago lui avait fait face, le cœur en feu à mesure qu'elle cherchait à éviter à son regard. Seigneur… il ne voulait pas qu'elle parte. Il ne voulait pas qu'elle parte ! Il ne voulait pas qu'elle parte ! Plus qu'une prière, c'était un cri de son âme ! De son cœur ! De ses entrailles ! Un souhait tout aussi destructeur qui viscérale, qui aliénait sa conscience à chacun de ses pas ! Mais les tambours de guerre avaient résonné… les troupes avaient commencé à marcher… les premiers morts s'étaient mis à tomber… et le temps leur était désormais compter. Et se faisant, leur répit ne pouvait plus durer…
- S'il te plaît… avait-il murmuré.
Accrochés l'un à l'autre dans l'écho de son propre sanglot, Drago l'avait senti trembler, le souffle court et les mains tremblantes à mesure que son Sombral commençait à s'agiter. Piégée dans cet instant d'éternité, il avait voulu croire que son toucher la ferait renoncer… que son ardeur la convaincrait de rester… et que son amour pourrait la résonner. Mais ce qu'il ignorait était que ses supplications l'assassinaient…
- Je t'en prie… avait-il soufflé. Je t'en supplie, ne pars pas.
Incapable de le regarder sans sentir son cœur saigner, la jeune femme s'était pincée la lèvre dans son apnée, consciente que la moindre faiblesse la ferait irrémédiablement céder… que le moindre doute la mènerait fatalement à abandonner… et que le moindre regard la ferait tragiquement flancher. Mais après tant d'efforts, de luttes et de sacrifices, avait-elle encore le droit de se montrer égoïste ? De privilégier sa survie au détriment de l'Empire ? De se résigner sous les remparts d'un déni hypocrite ? Et de choisir la chaleur des bras de l'homme qu'elle aimait, à leur avenir ? Elle l'avait envisagé… pire encore, elle l'avait fait ; pendant des jours, des semaines, des mois et presque une demi-année ! Elle l'avait fait sans réfléchir, sans douter, sans mentir ! Elle l'avait fait par peur, volonté, amour et désir ! Mais maintenant que la guerre était là, la vérité n'était plus à fuir : sans Voldemort et Hermione pour les sauver, leur combat serait fini… Aussi, c'est sans parvenir à respirer que Luna s'était risquée à le regarder… tout aussi couvert de sang qu'elle, il ne restait rien de sa peau de lait, de sa crinière platine, de la pâleur de ses lèvres ou de la finesse de se cils… Non. Ne perdurait que le sang. Ce rouge, épais, tiède et insupportable sang, qui non content d'imbiber leurs cheveux et vêtements, dévalait leurs traits de ses coulures infâmantes. Etait-ce un signe ? Une punition ? Un supplice gratuit ? Ou une ultime chance de pénitence ? Elle ne savait pas ; mais savait qu'elle ne devait pas céder au désespoir de son regard… Bien sûr, elle ne demandait que ça ! Plus encore, elle en implorait Rowena ! Rester à jamais entre ses bras, se noyer dans le caprice de ses pupilles d'orage, ne respirer que son odeur de miel et de savon noir, ne vivre que sous la douceur de sa peau d'ivoire, ne se nourrir que de ses lèvres écarlates, ne parler que de son bonheur de lui avoir donner son cœur, son corps, son âme… là était tout ce qu'elle désirait ! Tout ce qu'elle convoitait ! Tout ce pourquoi elle vivait ! Mais le sang de cette incantation barbare révélait tout ce qu'elle avait refusé de voir : les mensonges d'un bonheur illusoire.
- Je n'ai pas le choix… avait-elle dit du bout des lèvres. Tu le sais aussi bien que moi.
- On a toujours le choix !
- Mais…
- C'est toi qui me l'as appris ! Avait-il scandé.
Oui… c'était vrai.
Mais elle avait tort.
La foi ne surpassait jamais la mort.
- Tout comme tu m'as appris qu'une victoire implique des sacrifices… avait-elle répondu meurtrie.
Mortifié, Drago avait dégluti dans une grimace enragée, sa main de verre cherchant désespérément à raffermir son emprise sur son corset. Seigneur… pourquoi les Dieux ne l'avaient-ils donc pas fait muet ? Pourquoi ses maudits vampires ne lui avaient pas ôté la langue plutôt que de l'amputer ? Pourquoi le monde avait-il décidé qu'il puisse un jour parler ?!
- Bon sang…
Jamais ses propres mots ne l'avaient autant dégoûté…
- Peut-être… avait-il grincé. Mais pas celui-là.
- Drago...
- Pas toi !
Transpercée par la puissance de ses mots, Luna avait frissonné contre lui, ses larmes roulant silencieusement sur sa main valide. Ancré l'un dans l'autre, leurs regards s'affrontèrent en une joute silencieuse, mélange de rancœur, d'incompréhension, de douleur et fièvre amoureuse… une fièvre qui n'avait cessé de les consumer depuis la fin de sa captivité, et qui était aujourd'hui la seule et unique raison de leurs combats acharnés.
- Je le refuse. Avait-il ajouté.
- Mais…
- Qu'importe la guerre ! Qu'importe la victoire ! Qu'importe la défaite !
- Drago…
- Je refuse de te perdre !
Assommée, Luna s'était sentie vaciller.
- Ni aujourd'hui ! Ni demain ! Ni jamais !
Dieu qu'elle l'aimait…
Dieu qu'elle souffrait…
Dieu qu'elle désespérait…
- Mais… mais pourras-tu te regarder en face après ? Avait-elle soufflé.
- Je…
- Et ton père ? Ta mère ? Hermione ? Ton Maître ? Pourras-tu leur faire face, si tu n'as pas tout fait pour gagner cette guerre ?
Non… il le savait. Mais si tel était le prix à payer pour qu'elle reste sienne, alors qu'importe ; il le payerait.
- Ça m'est égal.
- Nous serons traqués Drago… nous serons tués. Avait-elle dit la mort dans l'âme.
- Je nous protégerais !
- Et le royaume ?
Il brûlerait.
Poudlard brûlerait.
Le Ministère brûlerait.
Le monde brûlerait.
Et leur avenir serait perdu à jamais…
- Je ne veux pas partir. Avait-elle avoué. Mais je le dois.
- Non…
- Je le dois pour toi. Pour Lucius. Pour Narcissa. Pour Hermione ! Je… je le dois pour nous.
Pour eux…
- Non !
- Dra…
- Dès le premier jour, c'est toi qui m'as donné espoir. Dès le premier jour, c'est toi qui m'as appris à écouter, ressentir, penser et voir ! Alors ne me demande pas ça… ne me demande pas de te laisser disparaître à dos de Sombral, seule et sans escorte à la recherche d'un miracle ! Avait-il dit avec hargne.
Un miracle… oui. C'était cela. Ils avaient besoin d'un miracle.
- Je ne te demande rien. Avait-elle soufflé du bout des lèvres.
- Alors, ne…
- Seulement d'avoir confiance en moi.
Confiance en elle ? Par Merlin… bien sûr qu'il l'avait ! Plus que personne au monde même ! Mais confiance en cette guerre ? En leurs recherches ? En leurs prières ? Et destinées cruelles ? Non… il ne pouvait pas ; et encore moins quand il pouvait la perdre.
- Luna…
- Je… je suis désolée… avait-elle bégayé en se détachant de son emprise.
- Non !
- Je dois le faire. Je dois les trouver !
- Non… non ! Luna ! Attend !
Mais elle n'avait pas attendu et au risque de capituler sous les larmes de son regard vaincu, avait déjà enjambé le squelette rachitique de sa monture.
- S'il te plaît… Avait-il imploré en s'accrochant à sa jambe.
Eventrée, Luna s'était détournée dans un sanglot étouffé, ses jambes frémissant à chaque endroit où ses mains la retenaient. Mais bien que la douleur soit insupportable, qu'elle agonise de le voir dans un tel état et manque de s'écrouler sous la détresse de sa poigne, c'est sans hésiter qu'elle avait resserré son emprise sur la crinière du Sombral…
- Je te jure de revenir…
- Les Dieux te feront mentir ! Avait-il sifflé.
- Pas si j'y arrive !
Peut-être… mais combien de sacrifices lui demanderont-ils ? Combien de peines ? De douleurs ? De pleurs ? Et de supplices ?! Elle-même ne savait pas… mais elle n'avait pas l'intention de laisser passer leur victoire. Aussi, c'est dans l'élan d'un dernier geste d'amour que la Serdaigle caressa sa joue, ses larmes mouillant sa paume dans l'écho palpitant de son pouls…
- Crois en moi… Lui avait-elle demandé.
Une dernière caresse.
- Reviens-moi. Avait-il répondu.
Un dernier regard.
- Toujours pour toi…
Et alors même qu'il embrassait sa main une toute dernière fois, c'est le cœur au bord des larmes que Drago la vit s'envoler dans le noir…
Dieu qu'il l'aimait…
Dieu qu'elle lui manquait…
Dieu qu'il désespérait de se savoir loin d'elle.
Mais dans sa bonté, ce Dieu était cruel ; car après lui avoir offert la femme de ses rêves, il avait fallu qu'il l'oblige à la voir disparaître dans les airs… Bon sang, existait-il plus abjecte ? Plus fourbe ? Plus cruel ? Non, il ne pouvait le concevoir. Et c'est précisément dans cette certitude, cette douleur et agonie insoluble, que Drago trouva la force de ne pas se croire vaincu.
- La peur, le doute, le désespoir… ce ne sont pas des faiblesses…
Oui… il pouvait y arriver.
- Ce sont des armes.
Il pouvait se relever.
- Utilise-les à ton avantage. Manie-les avec courage. Fais en sorte que nul ne puisse jamais les retourner contre toi !
Il pouvait se surpasser !
- Ainsi rien ne te surpassera ! Rien ne te vaincra ! Et la Mort elle-même reculera…
Et c'est dans l'écho des mots de sa bien-aimé, que le Malfoy se dressa sur ses jambes ensanglantées. En apnée, Drago sentit son corps sur le point de céder, sa tête se mettre à tourner, ses poumons prêts à exploser et chaque fibre de son être hurler… combien de temps lui restait-il avant que son propre cœur ne décide de s'arrêter ? Il ne voulut pas le deviner, conscient que ses propres doutes suffiraient à le tuer… et s'empressa de brandir sa baguette sans hésiter. Délaissé dans un coin du champ de bataille, il rassembla ses pensées et usa de ses dernières forces pour se repérer ; chose qui aux vues des rochers éventrés, corps empilés, arbres couchés et tranchées effondrées, ne lui apporta pas plus d'informations que lorsqu'il rampait… Pourtant et bien qu'il soit en retrait, une occasion se laissa deviner. Oui, il était blessé. Et oui, il n'avait plus aucune chance en combats rapprochés ! Mais ces derniers instants ne pouvaient être gaspillés… Aussi, c'est profondément indifférent qu'il ignora la localisation de ses hommes, des centaures et même l'identité des morts. Non… à la place il se contenta de cracher l'une de ses dents, de se concentrer sur sa respiration, d'étouffer un grondement et de lever sa baguette dans le vent. Une ultime seconde de silence, pendant laquelle résonnèrent feu et désolation, avant qu'il ne déverse sa haine sans sommation…
Combien d'Avada lança-t-il dans le noir ? Il ne compta pas.
Combien d'ennemis s'écroulèrent dans la mélasse ? Il ne sut pas.
Combien de temps pourrait-il faire ça ? Il s'en ficha… car là était tout ce qui lui restait à faire désormais.
Tuer autant qu'il le pouvait.
Attaquer sans jamais s'arrêter.
Condamner tous ceux qu'il pouvait toucher.
Partager la mort qui ne tarderait pas à le frapper…
Et rentabiliser les dernières minutes de vie qui lui restait.
Pourtant et alors que ses ennemis se mettaient soudainement à affluer, que son sang continuait frénétiquement de couleur et que la fin de son combat se profilait, Drago se sentit brusquement frissonner. Doucement, imperceptiblement et presque délicatement, c'est tout son être qui se vit agiter de ce frisson… de cette soudaine chaleur… et étrange pressentiment… avant qu'elle ne commence lentement à échauffer ses tempes, et n'aliène fatalement les restes de sa conscience.
- Drago !
Vive et oppressante, elle grandit avant même qu'il ne puisse en comprendre le sens, incendiant son sang de son gong harassant, nouant son ventre d'une douleur latente, électrisant ses sens d'un élan urgent et distordant son esprit de pensées hurlantes ! Etait-ce la mort qui le sommait de se rendre ? Les effets d'un sortilège à retardement ? Une folie induite par ces derniers instants ? Ou une conséquence de sa perte de sang ?! Il l'envisagea, son esprit s'embrassant malgré lui au rythme des flammes qui dévoraient Poudlard… pourtant, il l'aurait juré. Ce qu'il ressentait avait quelque chose de familier.
- Drago !
Mais ce n'était pas à cause des sorts qui l'effleurait, des sabots qui se rapprochaient ou encore du froid qui le paralysait… Non, c'était autre chose. Quelque chose de plus fort et pourtant lointain. Quelque chose de plus vivant et pourtant presque éteint. Quelque chose qu'il ne comprit pas, mais qu'il sentit fatalement sien… quoi donc ? Il n'en savait rien. Divaguait-il ? Hallucinait-il ? Rêvait-il ? C'était certain ! Mais plus il y pensait, plus se dérobait son destin.
- Drago !
Bon sang… quelque chose se passait ! Quelque chose arrivait ! Quelque chose approchait ! Oui… mais pas ce qu'il imaginait. Car dans sa confusion, sa douleur et ses frissons, Drago n'avait pas remarqué le Centaure chargeant furieusement dans sa direction. Levée en avant, son épée tranchait l'air de son éclat rougeoyant, ses sabots frappaient le sol de leurs galops ardents et ses cris divisaient la foule de leur vengeance hurlante… Un bref instant pendant lequel sonna le tambour de ses ultimes secondes, avant que le Malfoy ne tressaille violemment.
- Avada Kedavra !
Un éclair l'avait devancé.
Un cri avait résonné.
Et le Centaure s'était écroulé.
Abasourdi, le jeune sorcier ne parvînt pas à réagir. Son ennemi gisait là… devant lui… encore fiévreux et tremblant de vie tandis que son épée trempait déjà dans la boue de son infamie. Comment était-ce possible ? Il n'aurait su dire… jusqu'à ce qu'il n'entende enfin cette incessante litanie.
- Drago !
Hurlé depuis le ciel, il ne comprit pas pourquoi les nuages l'accablaient d'un tel appel… avant que ne lui parvienne un étrange bruissement d'aile… que sa marque ne s'embrasse d'une nouvelle fièvre… et qu'une épaule n'effleure subitement la sienne.
- Drago.
Pétrifié, le Malfoy ne parvint pas à le regarder… non pas qu'il ait besoin d'un quelconque regard pour reconnaître l'ombre qui se dressait à côté. Mais après tant de mois à prier, chercher et espérer, le jeune homme ne réussit pas à s'y risquer… pas peur de rêver ? De fabuler ? Et de ne voir qu'un vide atroce l'effleurer ? Probablement. Mais jamais sa marque n'avait été si brûlante…
- Suis-je… suis-je mort ? Souffla-t-il d'une voix tremblante.
Un instant…
Un silence…
Avant l'ultime transcendance.
- Pas tant que je n'en aurais pas donné l'ordre.
C'est là que la vie l'anima.
C'est là que Drago le regarda.
C'est là que le Général s'agenouilla devant son Roi…
- Maître…
Que les Dieux soient damnés… la guerre était gagnée.
Helllooo !
Voici le chapitre du jour et avec lui... un petit aperçu de ce qu'il s'est passé après la captivité de Drago aux pays des vampires ! Et comme vous pouvez le voir, lui et Luna se sont beaucoup rapprochés ;) non pas que ce soit une surprise... un mangemort endurci et une Serdaigle érudite ne peuvent que former une paire de génie. J'espère que vous le penserez aussi ! Sans parler bien entendu du retour particulièrement empressé de notre Mage préféré ! ;)
Mais ne vous en faîte pas ! Vous saurez très vite comment Voldemort est parvenu à quitter l'île et à revenir aussi vite... et avec qui ;)
Mais je n'en dis pas plus !
Rendez-vous la semaine prochaine pour la suite !
Bisssseee :-*
