Chapitre 15

Quand je rentre du lycée, je trouve Charlie dans le salon, assis sur le canapé mais la télé éteinte. Il a un album photos sur les genoux et contemple les images. Je pose mon sac et m'assois à ses côtés. C'est l'album de nos photos de famille, je suis un tout petit bébé sur la double page ouverte, plus petit que la moyenne parce que je suis née prématurément à 6 mois et une semaine de grossesse. Je suis dans les bras de ma mère, de mon père et dans mon berceau. Il tourne la page, nous regardons les photos en silence et je grandis au fur et à mesure des pages tournées.

« Tu te souviens de cette balançoire ? Me demande-t-il en glissant son doigt le long d'une des chaînes.

Je suis coincée dans le siège de la balançoire pour bambin, je dois avoir deux ans ou presque. Charlie est derrière moi son bras encore tendu après m'avoir poussée vers l'avant.

« Chaque fois que j'arrêtais de te pousser, tu te retournais pour me fixer du regard, me lançant un ordre silencieux pour que je continue mais si je te retirai de la balançoire, tu ne pleurais pas. Tu ne faisais jamais de caprice comme les autres enfants. Tu as compris toute seule que quand c'était non, c'était non mais ça ne t'empêchait pas d'essayer d'obtenir ce que tu voulais dans notre dos.

« Je ne me souviens pas, j'étais trop jeune mais je me souviens d'avoir volé des bonbons et des gâteaux en cachette, plus grande.

Un rire lui échappe.

« Tu pensais qu'on ne remarquerait pas les miettes que tu laissais derrière toi, sourit-il.

« Vous saviez ?

Il hoche la tête.

« Vous ne m'aviez jamais rien dit.

« Tu étais une enfant et ce n'était pas bien grave. On était déjà content d'avoir une fille si peu compliquée. Tu ne pleurais jamais, même quand tu avais faim ou quand tu étais malade.

« Vous n'avez pas trouvé ça anormal ? M'intéressé-je.

« Le pédiatre a dit que tu étais en bonne santé et qu'il n'y avait pas besoin de s'inquiéter, pour l'instant. Tu répondais toujours à nos sourires alors c'était juste que tu étais extrêmement calme.

Il tourne une nouvelle page et tapote l'une des photos, je suis un peu plus grande, j'ai un large sourire à pleines dents et je suis entourée par des morceaux de tapisserie que je semble avoir déchiquetés morceau par morceau.

« Ce jour-là, je ne savais pas si j'étais énervé ou fier de ma petite fille, me confie-t-il. On t'a laissé dans le salon cinq minutes et quand nous sommes revenus, on t'a trouvée comme ça. Tu nous as souris comme si déchirer la tapisserie était une chose tout à fait normale à faire. Maman t'a demandé qui avait fait ça, bien sûr elle connaissait la réponse mais elle voulait voir ce que tu dirais. Tu as répondu "C'est le chat". Ta toute première phrase et tes premiers mots entiers et compréhensibles.

« J'étais trop jeune pour me souvenir mais maman m'a raconté cette histoire plein de fois.

« Et tu as accusé un chat, probablement celui du voisin, alors que les fenêtres étaient fermées.

Ma toute première phrase, mon tout premier mensonge et je n'ai pas arrêté ensuite.


Je suis assise sur le muret du parking en compagnie d'Angie, nous attendons la sonnerie du premier cours mais il y a encore le temps avant de l'entendre. Je repère Ben en compagnie de Mike et Tyler près du van du dernier. Je les regarde se bousculer les uns les autres en riant joyeusement.

« Tu ne veux vraiment pas aller au bal ? Lui demandé-je.

« Si, j'aimerais bien, je n'ai jamais été au bal mais ce n'est pas une question de vouloir.

« Tu pourrais simplement te faufiler hors de la maison dans le dos de tes parents, proposé-je. Et inviter Ben.

« Pourquoi Ben ? S'enquiert-elle.

« Tu lui plais.

« Ah, eh bien, je ne suis pas ici pour très longtemps de toute façon, nous déménageons souvent avec mes parents et nous partirons vers septembre.

« Ah ouais ?

Elle hoche la tête puis hausse les épaules.

« Tu te faufiles souvent hors de chez toi, dans le dos de tes parents ? S'intéresse-t-elle.

« Non, mes parents ont toujours été plutôt cool et je n'ai jamais eu de rendez-vous secret, alors je n'ai jamais eu besoin de faire le mur.

Je vois la voiture d'Edward suivie par la Jeep d'Emmett passer devant nous. Je les suis du regard puis m'excuse auprès d'Angéla car je dois parler à Edward. Quand j'arrive près des Cullen, Rosalie me fusille du regard comme si j'avais écrasé son petit chiot, je me contente de l'ignorer et prends Edward par la main pour l'éloigner de toutes ces oreilles.

« Où est-ce que tu me traînes comme ça ? Demande Edward avec amusement.

« Loin d'oreilles curieuses.

C'est pour mon plan de sauvetage. Je me suis dit que je pourrais peut-être le sauver de l'ignorance. Sans doute que ça marcherait. Je nous arrête lorsque nous sommes suffisamment à l'écart des autres, sur le côté du bâtiment, je le dirige vers le mur pour qu'il s'y adosse, il en aura besoin.

« J'ai quelque-chose à te dire et ça peut être un choc.

« Je t'écoute, m'assure-t-il.

« Tu fais de l'hypothermie parce que tu as des problèmes de circulation sanguine. J'ai bon ?

« C'est ça, oui, acquiesce-t-il.

« Tes frères et sœur aussi, n'est-ce pas ?

Il hoche la tête.

« Je sais que ton père adoptif aussi.

« Et tu en a tiré des conclusions ?

Je hoche la tête.

« Ton père adoptif n'est peut-être pas ton père adoptif.

« J'ai du mal à te suivre.

« Il est ton père biologique, il est votre père biologique à vous tous, il l'a su et vous a tous adoptés pour vous avoir près de lui. Ça explique la même maladie et les mêmes yeux dorés.

Edward se mord la lèvre inférieure pour ne pas trop rire de moi.

« Tu n'me crois pas ?

« Carlisle n'est pas mon père biologique, pas plus qu'il ne l'est de mes frères et sœurs. Il n'a que 27 ans, c'est donc impossible. Et à part Alice, on a tous connu nos parents.

« Oui bah moi aussi et pourtant, mon père n'est pas mon père.

« Certes mais, en tout cas, si mon père n'a pas été mon père, mon père biologique n'est pas Carlisle.

« Alors ils vous a adopté parce que vous avez tous la même maladie que lui ?

« Ouais, c'est ça. Il connaît alors il peut nous aider avec ça.

Je serai déçue si je pouvais l'être. Je ne peux pas sauver Edward de l'ignorance parce que ma théorie du père est fausse. Shit.


J'ai passé deux heures à me triturer l'esprit pour trouver quelque-chose qui me permettrait de sauver Edward mais je n'ai rien trouvé alors ma seule option n'est autre que l'accident de voiture orchestré. Je vais prendre Tyler et Mlle Garner en photo pour avoir une preuve solide et faire chanter Tyler avec, il va donc falloir que j'achète un nouveau téléphone, ça devient urgent. Dès que j'aurais la photo, je ferai chanter Tyler et mon plan machiavélique pourra commencer. La sonnerie retentit et je suis les élèves dans la cour extérieur pour un peu d'air frais. Je repère mon groupe d'amis et me dirige vers eux.

« Bella, m'interpelle Edward.

Je me tourne vers Edward qui a l'air préoccupé.

« Il faut que tu me sauves la vie ! s'écrie-t-il.

Je lui lance un sourire encourageant. Le karma est si bon avec moi, aujourd'hui. Peut-être pour s'excuser à propos de mon père.

« Pour quoi ? » je m'enquiers.

« Tu es toujours prête à brûler le monde pour moi ?

« Ouais, évidemment.

« Invite-moi au bal, dans ce cas.

J'ai un moment d'arrêt.

« Au bal ? Répété-je.

« S'il te plaît.

« Mais tu as dit...

« Ouais, nous ne sommes pas mondanité dans ma famille mais ma mère m'oblige à y aller. Elle dit que ça ne peut que me faire du bien vu que je suis toujours tout seul. Tu connais les mères. Bref, je sais que tu m'as dit détester les bals mais quitte à être obligé d'y aller, autant que ce soit avec toi alors, s'il te plaît, invite-moi au bal et je te serai redevable.

« Edward ?

« Oui ?

Il attend ma réponse, se balançant d'un pied sur l'autre, dans l'expectative. Il est un peu mignon, comme ça, je dois l'avouer.

« Accepterais-tu de m'accompagner à ce bal ?

Son sourire apparaît enfin, ravi et soulagé de ma décision.

« Avec plaisir, Bella.

Nous échangeons un sourire puis il me dit qu'il doit retrouver Alice avant qu'elle ne décide d'annoncer aux autres filles qu'il attend une invitation de l'une d'elles. Bien, bah voilà, je viens de sauver Edward et après ce bal, il me sera redevable. Il l'a dit. Je suis un génie du mal. Enfin... un génie du mal pas maléfique.


Charlie est en congé aujourd'hui et je remarque en rentrant à la maison qu'il n'a même pas pris la peine de s'habiller aujourd'hui, il est resté en pyjama. Je dois aller à Port Angeles pour acheter mes livres scolaires, un nouveau téléphone et une robe de bal. Je pense qu'il aimerait participer au shopping pour le bal, c'est un truc important dans la vie des ados et les parents aiment bien être impliqués, généralement.

« Papa ? L'appelé-je.

Il se redresse sur le canapé et me sourit.

« Oui ma fille ?

« Il y a un bal, vendredi soir, je sais c'est dans deux jours et je préviens tard mais en vrai, je ne suis au courant que depuis hier. Il me faut une robe de bal, donc, et j'ai aussi besoin d'un téléphone correct et des livres pour le lycée alors, je me demandais si tu voulais venir avec moi, tu sais, m'aider à choisir la robe.

« Oh, fait-il touché. Ça me fait plaisir que tu veuilles y aller avec moi alors que la plupart des filles y vont entre copines.

Il se lève, éteint la télé.

« Tu n'as pas de problème avec tes copines, au moins ? S'inquiète-t-il.

« Non, aucun problème. C'est mon premier bal alors... je me suis dit que tu voudrais être impliqué.

« Bien sûr, je vais me préparer et nous partons.


Je baille en entrant dans ma chambre. Mon devoir est accompli, j'ai un nouveau téléphone, une robe de bal et mes livres scolaires. On a profité d'être à Port Angeles pour manger au resto alors je n'ai même pas eu besoin de faire à manger ce soir et surtout, je n'ai pas de vaisselle à nettoyer. Je me stoppe en regardant ma pile de livres, je m'approche et récupère le premier, je le tords un peu dans mes mains. J'étais sûre de l'avoir jeté à la poubelle, l'autre jour. Soit j'ai des problèmes de mémoire soit Charlie l'a trouvé dans la poubelle et me l'a ramené en pensant que je l'avais fait tomber dedans par erreur. Je le jette plus qu'autre chose à côté des autres livres et me prépare pour dormir.


Je pique la raquette de badminton si discrètement que l'élève qui faisait ses lacets ne m'a pas remarquée et a fermé son casier sans se rendre compte de l'objet manquant. Je traverse le bâtiment en direction de la cafétéria et interpelle Lauren avant qu'elle n'arrive dans la file. Elle se tourne et me sourit avant de poser les yeux sur la raquette que je tiens.

« Dis, tu peux me rendre un service ? Je te revaudrai ça, c'est la raquette de Théo, il m'a demandé de la ranger dans les vestiaires des mecs mais j'ai vu Tyler y entrer et je ne veux pas le voir se changer alors, je me suis dit que toi, ça te dérangerait peut-être pas.

Je me tourne vers Jess.

« Ou toi, sinon, peu imp...

« Je vais le faire, me coupe Lauren en m'arrachant la raquette des mains.

« Merci, t'es géniale, soufflé-je avec soulagement.

« J't'en prie, sourit-elle.

Puis elle s'en va et je réprime un sourire en consultant mon téléphone. Tyler est bien dans ces vestiaires mais il n'est pas seul. Pauvre Lauren, il ne lui reste plus qu'une demi-journée pour se trouver un nouveau cavalier, à moins qu'elle ne décide de serrer les dents pour ne pas perdre pieds. Je laisse l'écran de mon nouveau smartphone se mettre en veille, je remarque que mon reflet sourit et je tente de l'ignorer en rangeant mon téléphone. J'essaye de suivre la conversation entre Jess et Mike tout en ignorant ma schizophrénie avec assiduité.

Mon regard se pose sur Edward qui discute avec sa famille en piochant une frite dans l'une des trois assiettes sur leur table. Chaque fois qu'il y a des frites, c'est ce qu'ils mangent et ils ne prennent jamais une assiette pour chaque, ils se partagent tous trois assiettes. J'imagine que c'est plus pratique. Je ne les ai jamais vu prendre de viande, je me demande si c'est par choix éthique ou parce qu'ils ont un régime stricte à cause de leur maladie ou du traitement de leur maladie.

Après le repas, je me pose près d'un arbre et Edward me rejoint. Il s'assoit en tailleur à mes côtés mais ne dit rien. Je lui parlerais bien de ma schizophrénie pour qu'il demande discrètement à son père s'il y a un traitement qui supprime les hallucinations mais je ne peux pas tant qu'il n'est pas amoureux de moi, parce que s'il apprend qu'en plus d'être une psychopathe, je suis aussi schizophrène, il va prendre peur.

« Quelque-chose te préoccupe ? S'enquiert-il finalement. Tu es ici toute seule et tu n'as pas dit un mot depuis que je suis arrivé.

« Toi non plus, lui fais-je remarquer.

« Parfois, le silence, c'est bien, dit-il en haussant les épaules. Alors, dis-moi ? Tu peux me parler, tu sais ? À moins que tu aies peur.

« Je ne peux pas avoir peur, tu le sais. C'est juste...

« Quoi ?

« Un autre secret.

« Je garde déjà l'un de tes secrets, tu penses que je ne peux pas en garder deux ?

Je le regarde de travers et lui souris.

« Un secret pour un secret, proposé-je.

Son sourire amusé apparaît.

« D'accord, un secret pour un secret. Tu commences ?

« Non, toi.

« Évidemment, souffle-t-il.

Il se déplace légèrement de sorte à m'avoir en face de lui, ce qui fait que nous sommes assis perpendiculairement, l'un par rapport à l'autre. Lui, à ma droite et moi, devant lui, je dois donc tourner la tête pour voir ses yeux dorés me fixer.

« D'abord, je dois te dire que je ne te demande rien et je n'attends rien de ta part, m'annonce-t-il.

Qu'est-ce que ça peut bien être ?

« D'accord.

« Voilà, souffle-t-il avant de prendre une inspiration. Tu me plais, Bella.

« Oh ?

C'est en train de marcher ? Les préceptes et tout ça, c'est en train de marcher ? Comment ? Qu'est-ce qui a fait que ça aie marché?

« Pourquoi ? Demandé-je.

Je dois savoir, si un jour je dois répéter l'expérience, il faut que je sache ce qui a marché.

« Pourquoi ? Fait-il perdu. Pourquoi tu me plais ?

« C'est quelque-chose que j'ai dit ? Quelque-chose que j'ai fait ?

Il se penche vers moi.

« Tu as besoin que ce soit rationnel, n'est-ce pas ? Chuchote-t-il.

Il se redresse et me sourit.

« Je ne saurais pas vraiment te dire, j'imagine que c'est un tout. Peut-être ton esprit silencieux.

C'est donc principalement quelque-chose que je ne maîtrise pas, génial. Je ne vais jamais pouvoir le refaire.

« Et ma maladie mentale ? Ça te plaît, ça aussi ?

« Non, bien sûr. Ce serait problématique si tu me plaisais parce que tu as un trouble psychiatrique.

« Ça te dérange, alors ?

Il plisse les yeux et penche la tête.

« Non, ça ne me dérange pas. Tout n'est pas tout noir ou tout blanc, tu sais ? Je l'ai appris, récemment.

« Ah ouais ?

« Ouais mais je ne dirai rien de plus. C'est ton tour, maintenant, sourit-il.

« Ok, soufflé-je.

J'essaye de réfléchir à la meilleure formulation pendant qu'il attend patiemment en me scrutant.

« Je suis aussi schizophrène... ou quelque-chose d'autre, je ne sais pas exactement. J'ai toujours des hallucinations, visuelles et auditives. Les hallucinations auditives surviennent toujours avec une visuelle mais les hallucinations visuelles peuvent venir seules et c'est toujours quand je me regarde. Ça doit vouloir dire quelque-chose, n'est-ce pas ? Genre par rapport à ma crise d'identité, le miroir, le mensonge à l'intérieur. Ça n'est pas arriver souvent, d'après mes souvenirs, deux fois, peut-être trois ou quatre en dehors de l'enlèvement mais trop éloigné pour que ça soit dû à une drogue ou à l'air de la maison.

Voilà, j'ai lâché la bombe. Edward ne semble pas me fuir, pour l'instant, il est solidement assis à mon côté.

« Je me demandais si tu voudrais bien demander discrètement à ton père s'il y a un traitement pour ça, pour les faire disparaître.

« Pourquoi ne pas consulter un psychiatre ? Il pourrait t'aider.

« Je ne veux pas être enfermée, refusé-je en secouant la tête. Ils vont m'enfermer, c'est sûr. Promets-moi que tu ne diras pas que c'est pour moi, je ne veux pas qu'il contacte Charlie. Dis-lui que c'est pour l'école, je sais pas.

« Ne t'inquiète pas, m'assure-t-il.

Je me demande si je ne viens pas de tout ruiner. C'était si bien parti, je lui plais... ou lui plaisais mais maintenant, je ne suis pas qu'une fille atteinte de psychopathie, je suis aussi schizophrène et la voix m'a déjà demandé de tuer quelqu'un, une fois. Même si cette personne le méritait.

« Tu as peur de moi ? Demandé-je.

Il pouffe et affiche clairement son amusement avant de reprendre un air plus sérieux.

« Non, Bella, tu ne me fais pas peur.