Chapitre 3

Précepte 2
Choisir sa cible, traquer sa proie

Maintenant que tu sais mentir et avant d'apprendre à manipuler, il te faut choisir ta cible. Repère une personne qui n'est pas très entourée et qui te semble facilement influençable. Fais-lui sentir que tu es une personne spéciale et elle cherchera elle-même à se rapprocher de toi. Pour cela, cherche à en savoir le plus possible sur elle : ses goûts, ses passions, ses activités... Appropries-toi ses passions, glisse des petits mots à propos de cette activité que tu as découverte récemment et que, curieusement, elle pratique tous les mercredis. [...]

C'est machiavélique... j'adore. J'ai toujours plus ou moins menti, pas toujours pour obtenir quelque-chose en retour, juste... c'est quelque-chose d'inné chez moi alors utiliser ma faculté à mentir pour manipuler mon monde, ça me plaît plutôt bien. J'aimerais savoir jusqu'où je peux aller et donc je réfléchis à quel genre d'élève je voudrais comme cible. Un sportif harceleur serait classe ou la peste du lycée, ça serait grisant mais ils sont toujours bien entourés...

« Tu vas être en retard, Bella, hurle Charlie depuis le rez-de-chaussée.

Merde. Je pose mon livre sur ma table de chevet, récupère mon sac de cours et dévale les escaliers.

« Salut p'pa, lancé-je avant de sortir en trombe.


Le parking du lycée est petit, les places ne sont même pas délimitées, il manque juste un panneau "Démerde-toi" pour bien nous faire comprendre qu'ils se foutent de notre gueule. Je me rends compte qu'en fin de compte, je ne sors pas du lot avec mon pick-up, toutes les voitures ici sont des modèles de plus de 20 ans.

Je traverse le parking d'un pas énergique, j'entre dans l'unique grand bâtiment et repère directement le secrétariat. À l'intérieur, la secrétaire me sourit, comme si j'égayais sa journée ennuyeuse.

« Bonjour, je suis Mme Cope, tu es Bella, c'est ça ?

« Oui, c'est moi. Mon père m'a dit de vous donner ça.

Je lui donne les papiers.

« Merci. Tiens, voilà pour toi.

Elle me donne mon emploi du temps et un plan du lycée. Comme si quelqu'un dans le monde s'était déjà perdu dans un si petit lycée. Pour finir, elle me tend un post-it jaune.

« Voici la liste des livres que tu dois te procurer pour tes cours. Le plus tôt sera le mieux, il y a un magasin de livres scolaires à Port Angeles où tu pourras les trouver.

Je sors du secrétariat les yeux sur mon emploi du temps. Mon mardi matin commence par physique-chimie, puis anglais et enfin, deux heures de sport, c'est plutôt tranquille.

« Hey, me salue un gars qui se plante juste devant moi.

Je lève les yeux de ma feuille et lui souris. L'ado a des origines asiatiques, les cheveux noirs et lisses qui lui tombent sur le front, les yeux bruns.

« Salut.

« Tu es Bella Swan ?

« Oui, c'est moi, la petite nouvelle.

J'avance pour éviter qu'on reste plantés devant la porte du secrétariat, le gars se place à mes côtés.

« Je suis Eric Yorkie, membre du journal du lycée. On a prévu de faire un article sur toi, est-ce que t'es d'accord ?

« Bien sûr, aucun problème, souris-je.

Eric m'accompagne gentiment à ma première salle et patiente avec moi. Il en profite pour me poser quelques questions et je réponds à chacune d'elle. Je ne mens pas parce qu'il peut trouver toutes les réponses à ses questions sur les réseaux sociaux. Je pense à mon livre et à la cible que je dois choisir, Eric me semble une proie facile, ce qui serait idéale pour une première fois mais je renonce parce que ce serait justement trop facile.

La sonnerie retentit, les élèves qui traînent dans les couloirs se décrochent des casiers et très vite, une nuée d'ados envahit le couloir où nous nous trouvons. J'attends que plus personne n'entre dans ma salle pour y aller, n'oubliant pas de faire un petit signe à Eric avant qu'il n'aille à son propre cours.

La salle de physique-chimie sent les produits chimiques, tout le monde est installé devant sa paillasse, je me place à la première place libre que je vois, à côté d'une blonde aux yeux verts bien maquillés qui me sourit d'un petit air arrogant. Il y a des chances que cette fille valide le cliché de la peste populaire du lycée. Une cible qui me donnerait du challenge même si je ne suis pas censée m'attaquer à ce genre de cas pour un début mais... j'aime les défis. Et puis, j'ai de l'avance sur le programme.

« T'es là nouvelle ? Me lance-t-elle. Stella, c'est ça ?

« Oui sauf que c'est...

« Ok, Stella, écoute-moi, il y a des choses que tu dois savoir si tu veux que ton année se passe pour le mieux. Deux règles claires et précises.

Parfois je m'impressionne d'avoir un instinct si performant pour cerner les gens. Il n'est jamais bon de se mettre la peste populaire à dos, surtout quand tu viens d'arriver et que tu n'as donc, pour l'instant, aucun allié. Le mieux est donc de se la jouer fille inoffensive.

« Tyler Crowley et Mike Newton, tu t'en approches pas. Ils sont chasses gardées. T'as compris ?

« Ils sont quoi ? Petits-amis officiel et officieux ?

Ma question ne semble pas la faire sourire.

« J'essayais de faire de l'humour, dis-je avec une grimace contrite.

« Ah ? Oui, très drôle Stella. Jessica s'intéresse à Mike, c'est ma meilleure amie, je te la présenterai plus tard. En ce qui concerne Tyler, il est à moi.

« Je vois. Pas de problème, pas touche à Tyler ni à Mike, facile. Et la deuxième règle ?

« Tu n'adresses pas la parole aux Cullen.

« Pourquoi ?

« Ne pose pas de question, contente-toi de faire ce que je dis.

« Ok, fais-je en levant les mains.

« T'as pas l'air d'une fille stupide, toi. J't'aime bien.

Cinq minutes, c'est le temps qu'il m'a fallu pour me faire apprécier par la peste du lycée. Je sais qu'une minute peu suffire pour inverser la vapeur alors je dois faire attention pour la garder dans ma poche jusqu'à ce qu'elle finisse par dégringoler de son piédestal. Le prof arrive et coupe court à toute autre discussion. Lauren profite que je sois sa nouvelle partenaire pour me laisser faire toutes les parties chiantes de notre expérience, je fais semblant de ne pas m'en rendre compte.

Au deuxième cours, il n'y a que trois places, au dernier rang, une table entièrement inoccupée et une place à côté d'une fille au teint blafard. Ses cheveux bruns sont coupés dans un carré effilé. Elle fixe sa trousse avec concentration, je décide de m'installer à ses côtés plutôt qu'à la table libre. Elle est presque surprise quand je recule la chaise à ses côtés, elle m'offre un léger sourire et retourne à la contemplation de sa trousse. La couleur de ses yeux est plutôt étonnante. Ils sont de la couleur de l'ambre, je ne pensais pas qu'une telle couleur puisse exister. À moins que ça ne soit des lentilles de couleur ?

« Bonjour tout le monde, chantonne la prof en entrant.

Son regard balaie la salle, elle sourit quand elle tombe sur moi.

« Bella, c'est ça ?

J'acquiesce.

« Je suis Mlle Garner, ta professeure d'anglais. N'hésite pas si tu as la moindre question, surtout. Alice partagera son livre avec toi en attendant que tu aies le tiens.

« D'accord, souris-je.

Mlle Garner semble douce et gentille. Brandon qui adorait foutre la merde n'aurait fait qu'une bouchée d'elle. À l'intercours, je prends la direction que prennent les gens de ma dernière classe pour sortir sur une cour à l'arrière du bâtiment. Je croise une blonde qui met Lauren au tapis niveau beauté, la peau aussi pâle qu'Alice et les mêmes yeux dorés. Elle ne calcule personne autour d'elle et est peut-être la seule à ne pas me lancer un seul regard. Je ne sais pas trop dans quel groupe la situer. Je repère la cafétéria qui longe la cour dont je peux voir l'intérieur à travers la baie vitrée, une information que je note pour tout à l'heure. Je passe le temps de ma pause à observer les autres, définir les groupes.

Quand la sonnerie retentit à nouveau, je me dirige vers le gymnase, une grande salle au sol en bois brillant sur lequel des lignes ont été tracées pour délimiter le terrain. Il y a un panier de basket à chaque bout. Des filets de volley-ball ont été attachés au centre de la longueur du gymnase et des petits plots ronds délimitent les différents terrains. Le prof qui vient de finir d'attacher la dernière ficelle du filet se redresse et me repère. Je me dirige vers lui comme il semble vouloir me parler.

« Bella Swan ?

« Oui.

« Comme tu n'avais pas ton emploi du temps, j'imagine que tu n'as pas pensé à amener tes affaires de sport, au cas où ?

Je pourrais dire que non, je n'y avais pas pensé mais je peux aussi mentir sur mon ancien programme lycéen. Juste parce que je le peux.

« Le sport était une activité extra-scolaire dans mon ancien lycée alors je pensais qu'il n'y en avait pas dans le programme ici non plus.

« Je vois. Et bien, tu arbitreras le dernier terrain, là-bas, dans ce cas. Tu connais les règles du volley-ball ?

« Ouep.

« Bien.

Mes camarades de sport sortent des vestiaires et commencent à s'échauffer puis chacun se place sur un terrain par équipe de trois. Je me place au bout du dernier terrain et m'appuie contre le poteau du panier de basket. Tout se passe bien jusqu'à ce qu'un idiot m'envoie la balle en pleine tête. Heureusement, mes réflexes sont bons et je l'attrape avant la catastrophe. Le garçon maladroit trottine jusqu'à moi et m'offre un sourire de toutes ses dents, faisant gonfler ses pommettes enfantines.

« Désolé, je ne t'ai pas fait mal ?

Une fille de l'équipe adverse nous rejoint, ses bras pliés dans son dos, tout sourire aussi.

« T'inquiète.

Je donne la balle à la fille puisque la balle et le point reviennent à son équipe. Elle fait donc apparaître ses mains pour la prendre.

« Je suis Mike, se présente le mec aux cheveux châtains.

« Newton ? Demandé-je.

« Ouais, c'est moi, sourit-il visiblement content du fait que j'ai entendu parler de lui.

« Bella, me présenté-je.

« Tu n'as pas l'air de venir d'Arizona, lance la fille, un brin de jalousie chante dans le ton de sa voix.

« C'est pour ça que je me suis fait virée.

La fille ne sait pas si elle doit rire ou passer à autre chose, son regard passe constamment de Mike à moi. Mike, quant à lui, rit un peu trop.

« Vos coéquipiers vous attendent, les préviens-je avant que le prof ne remarque qu'ils restent trop longtemps sans gesticuler.


Au déjeuner, je me trouve à l'une des tables les plus au centre, près du kiosque des entrées, des boissons et des desserts avec le groupe de Lauren. Elle me présente à Jessica, la fille du volley, et Mike, du volley aussi, ainsi que Ben et Tyler. Ils parlent d'une soirée pendant que mon regard se perd dans la salle.

À travers la baie vitrée, je découvre un groupe de cinq ados sur le point d'entrer par la porte côté cour. Je reconnais Blondie de l'intercours, celle qui ne calcule personne. Elle tient un grand musclé par la main. Le couple suivant comporte Alice et un grand blond, fin et élancé au visage crispé. Le dernier est aussi grand que le blond, ses cheveux sont brun cuivré en bataille. Tous ont la même peau pâle qu'Alice et semblent avoir la même couleur de yeux.

« C'est qui, eux ? Demandé-je à ma tablée en pointant le groupe du menton.

Groupe qui est en train de s'installer en arc de cercle autour d'une table ronde, près de la baie vitrée. Le dernier du groupe me regarde mais je n'arrive pas à définir s'il se sent intéressé ou agacé.

« Ce sont les Cullen, me répond sèchement Lauren.

Je détourne le regard des Cullen pour le fixer au sien.

« Ah... c'est eux.

Je pensais que les Cullen étaient les parias du lycée mais ils n'ont pas le physique de l'emploi. Le monde lycéen est cruel, ce n'est pas moi qui fais les règles.

« Ils sont les enfants adoptifs du docteur Cullen et sa femme, m'informe Jessica ravie de m'apporter son savoir. De gauche à droite, tu as Emmett, Rosalie, Alice, Jasper et Edward. Ils sont... un peu spéciaux. Ils ne traînent qu'entre eux et sortent les uns avec les autres. Emmett est avec Rosalie, Alice est avec Jasper. Edward pourrait faire l'effort de sociabiliser, franchement, il est le seul célibataire, avec son physique d'apollon, c'est du gâchis de rester seul mais il se contente d'être la cinquième roue du carrosse de ses frères et sœurs adoptifs.

« Apparemment, personne n'est assez bien pour sa majesté, fait Lauren avec mépris.

Je souris à Lauren et à Jess pour leur montrer ma complicité puis regarde à nouveau les Cullen. Deux d'entre eux se lèvent pour chercher des victuailles, Rosalie et Emmett, d'après les présentations de Jess. Mon regard se fixe sur Edward qui lit un livre, un léger sourire moqueur plane sur ses lèvres. Je pense qu'elles ont tort, je ne pense pas qu'il se trouve trop bien mais qu'au contraire, il est fort introverti. C'est pour ça qu'il se cache derrière un livre au lieu de discuter avec ses frangins et ce qu'il lit l'intéresse vraiment puisqu'il coince inconsciemment sa lèvre entre ses dents pour s'empêcher de rire.

« Vous avez déjà essayé de lui parler ? M'enquiers-je.

« Bien sûr et nous ne sommes pas les seules mais... répond Jess en terminant sa phrase par une grimace dédaigneuse.

« Comme je l'ai dit, il est trop bien pour le commun des mortels, souffle Lauren de mauvaise humeur. De toute façon, ce n'est pas que les Cullen ne nous parlent pas, c'est surtout que personne ne leur parle.

« Je vois, fais-je faussement compréhensive.

Si j'étais introvertie, moi non plus, je n'aimerais pas me faire draguer. Je repense aux préceptes, Lauren serait un défi à manipuler mais... et si je le choisissais, lui ? La cinquième roue du carrosse d'une fratrie adoptée que personne ne semble vouloir comprendre, il serait facile à manipuler. Je ferai en sorte de devenir sa personne spéciale et ensuite... ensuite, je ne sais pas, je le laisserai tomber quand j'en aurais assez.