Playlist

« Moral of the story » Ash et Niall Horan

« Soul on fire » The last Internationale

« As it was » Harry Styles

« Cherry wine » Hozier

Chapitre numéro huit

Point de vue d'Illium

Comment puis-je en vouloir à Dmitri ?

Après ce que nous avons vécu autant l'un que l'autre dans nos vies respectives, je ne peux pas lui en vouloir. Je ne lui en veux pas. Au contraire, je comprends.

Prendre des risques, les assumer plus tard, ça me définit bien.

Je ne peux pas lui reprocher de prendre soin des autres, d'employer des mots un peu difficiles à entendre. La réalité fait mal à entendre sur le moment, les mots ont une puissance particulière mais avec un peu de recul, on réalise qu'être secoué comme un palmier pendant quinze ou vingt minutes n'est pas dramatique. Entendre les mots aussi durs soient-ils est nécéssaire. On peut reprocher des choses à Dmitri. Sous son armure en béton armée qu'il s'est forgé au fils des siècles se cache une personne incroyable. Loin de l'image stricte et sévère, à juste titre de son rôle de second de l'Archange. Il est d'une loyauté exemplaire envers nous tous.

Seulement quatre semaines après la... chute, je vole comme un oiseau. Un oiseau qui prend enfin conscience que voler est une chance, que cette chance a bien failli ne plus exister. Le second de l'Archange pense que ne suis pas conscient des risques alors que je suis le premier concerné. Ironique. C'est moi qui suit sujet à un destin d'Archange que je n'ai absolument pas demandé et je ne suis pas conscient de mon état. Si Dmitri, crois-moi. Dans l'histoire, je dois faire quoi ? Le trajet Tour-Maison, Maison-Tour ? Ou Tour-Maison-Refuge ? Ou juste Maison-Refuge ? Super. À ma place, il aurait pété un plomb. Je me contiens tous les jours de ne pas pleurer encore et encore, de ne pas me dire qu'il vaut mieux Dormir. Tous les soirs, je m'endors avec des somnifères, je prends des médicaments pour ne pas sombrer dans la tristesse. Rester chez moi m'a fait du bien, oui voir ma mère au Maroc a été bénéfique pour ma santé mentale. J'en ai eu besoin. Je dois prendre sur moi tout le temps, être constamment sur mes gardes quand je pressens que quelque chose ne va pas oui je le suis aussi. Aller voir un psychiatre ne va pas changer ma destinée, si ? J'ai envie de rayer ça de ma vie, de rayer l'Ancien de mon arbre généalogique et de n'être plus jamais confronté à ça. Je ne peux faire de vols sur de longues distances, sauf exception j'ai été voir ma mère mais j'ai pu jouer au baseball avec mon meilleur ami. Ce fut le meilleur moment positif que j'ai ressenti depuis longtemps. Je me suis senti vivant mais surtout libre. Libre de ne pas être sujet à une Cascade.

« Les conséquences peuvent être dramatiques ».

Je sais bien qu'il parlait du match de baseball, de la revanche lors du prochain orage pour donner du piquant à la partie. Une allusion à la Cascade, aux effets secondaires qu'elle a eu sur moi aussi car évidemment, ils continuent d'agir dans mes veines. Il est vrai que je ne suis pas peu satisfait qu'Aodhan lui ai répondu. Et appuyé du soutien de Venin, Dmitri a compris. La première fois que l'orage a frappé mes ailes, à cause d'un virage un peu trop serré, je n'ai pas anticipé cet éclair là et il m'a brûlé. Quoiqu'il en soit, la partie était géniale. Aodhan a beaucoup rit, je me suis aussi laissé prendre au jeu. La douleur fut foudroyante, sans mauvais jeu de mot. Elle a duré trois jours. L'éclair ne m'a pas loupé, les antidouleurs de Keir ont joué leur rôle et ma cicatrisation s'est faite rapidement. C'était il y a très longtemps. Deux ans ? Trois ? Mais depuis mon malaise le mois dernier, Dmitri ne veut pas que je me fasse frapper par la foudre encore une fois. Logique. Il a raison. Moi non plus. Je le conçois. La foudre fait vraiment mal. J'ai promis une revanche à mon meilleur ami au baseball, je me dois de tenir cette promesse. L'adrénaline que procure ce type de sport à haut risque au final, fait que l'on ne pense pas au danger en premier, on pense à l'enjeu de la partie, au piquant que cela donne au sport. Ridicule pour d'autres, je pense que nous passons pour des anges inconscients. On s'amuse. On profite du moment présent et il n'y a rien de mal à ça. Nous des anges qui aimons les défis, risqués je l'avoue.

Dmitri ne me fermera pas la porte au nez si je vais le voir dans son bureau. Mon but n'est absolument pas de le vexer une nouvelle fois ou de me montrer arrogant vis-à-vis de lui, de lui faire mal inconsciemment. Les choses sont plus compliquées que je pensais, logique puisque je tombe de haut aussi. Le fait est que ce n'est pas moi qui fait lui expliquer les conséquences d'une Cascade, il a été le premier témoin des effets sur notre Archange. Il a vu les étapes et à quel point notre Archange est ce qu'il est, un membre du cadre des Dix respecté et puissant. En soi, trouver des réponses ne m'apportera pas de joie mais comblera des peines. J'ai besoin de connaitre des éléments. Regarder ma vie défiler tel un film ne va rien m'apporter à part des remords. Et je n'ai plus le temps pour eux. Je suis un jeune ange, pas question de terminer ma vie sur ces interrogations qui ne m'apporteront pas grand chose d'autres que des remords. D'abord, c'est à mon père d'avoir des regrets, de se remettre en question mais c'est une longue histoire. J'ai beau remuer l'histoire dans tous les sens, ça ne va pas arranger les choses.

Du haut de cet immeuble, je peux me permettre de faire ce type de rétrospective. Je décide de rentrer à la Tour. Avant, je m'arrête acheter un beau bouquet de fleurs. Un mélange de tournesols, de fleurs sauvages entourés d'un feuillage vert. Un beau bouquet digne de la reconnaissance que j'ai pour Nisia. Je l'aurais bien fait moi-même mais je ne suis pas doué en botanique et je risquerais d'associer les mauvaises plantes. Celle qui m'a sauvé la vie mérite un bouquet digne de ce nom. Atterrir sur la terre ferme m'arrive peu. Les regards se posent déjà sur moi. Je ne fais pas attention aux possibles interactions, je ne suis pas là pour ça. Les anges aiment se montrer sous leur meilleur jour. La boutique a son charme. Les murs sont eux-même recouverts de végétaux, des pancartes en ardoise indiquent le prix et le nom des fleurs, la décoration est travaillée. Un mélange d'ancien et d'atypique. Une boutique rustique comme je peux les apprécier. Je demande quand même à la vendeuse si c'est possible d'offrir un an de fleur à quelqu'un, livré à la Tour et elle me répond que oui. J'adresse une carte avec le bouquet. Ses yeux grands ouverts sont posés sur moi, mes ailes en l'occurrence. Honnêtement, je sais qu'elle regarde mes plumes et j'en ai assez perdu. Avant, d'humeur joyeuse et généreuse, je pouvais en offrir une. De toute façon, certaines personnes récupèrent les plumes tombées au vol des anges pour les collectionner, certaines doivent valoir leur prix. Les miennes sont belles oui mais de là à valoir une somme je n'en suis pas sûr. Une fois le bouquet et le reste réglé, je ressors en décollant aussitôt. À peine atterri, aussitôt reparti dans les airs.

Je toque à la porte du bureau de Nisia, personne. Dans le dispensaire non plus. Où est-elle passée ? Peut-être au laboratoire ? Je constate que oui une fois sur place. Derrière la porte, j'entends sa respiration et depuis l'ouverture de celle-ci, la guérisseuse a la tête dans le creux de ses bras sur le bureau. Elle dort ? Depuis combien d'heures est-elle en train de travailler ? Elle manque de sommeil la pauvre. Ses ailes grises sont collées à son dos, ses cheveux sont rassemblés en une queue de cheval dont quelques mèches dépassent. Sa blouse blanche lui couvre les épaules. Je n'ose pas rester plus longtemps. Le temps de trouver un vase assez grand pour le bouquet, je le remplis d'eau et le pose sur la table derrière elle. Avec la baie vitrée, ça donne une autre dimension aux fleurs. Le jaune du tournesol contraste déjà avec les premiers rayons du soleil qui se lève dans le ciel. J'ai choisi le bon moment pour venir lui apporter le bouquet et je suis content de mon achat, j'espère que Nisia le sera aussi. D'ailleurs, l'Archange commence à se manifester dans mon esprit. Du sel. La mer. Le vent salé.

« Ce n'est pas ce que vous croyez Sir ».

« À qui sont destinés ces belles fleurs ? ».

« À Nisia, elle le mérite ».

« Très bon choix de bouquet si je peux me permettre ».

« Merci Sir ».

Nisia dort toujours.

« Tu es libre pour discuter Illium ? ».

« Oui Sir je le suis, donnez moi dix minutes ».

Nisia commence à bouger et ses ailes grises se redressent légèrement. L'idée de laisser les fleurs et de partir ne m'enchante pas. Je commence à être nerveux à l'idée de rester la regarder dormir. Elle est silencieuse quand elle dort. Sans doute a-t-elle travaillé toute la nuit sur un projet. En penchant un peu la tête, mon dossier est juste à côté d'elle. Mes analyses. Mon sang ne fait qu'un tour. Limite si mon cœur ne commence pas à palpiter plus vite que la normale. Je ne connais pas encore l'entièreté du rapport pour être honnête. J'ai esquivé ça. Je n'ai entendu que les mots les plus importants. Pas le reste. Au risque de faire une syncope sur place. Entendre certains détails ne m'enchante absolument pas.

Son regard marron croise le mien. Un regard marron contre un regard doré. Ses yeux clignent une première fois, une deuxième et le regard de la guérisseuse change. Elle vient d'ouvrir les yeux et je la dérange déjà.

« Mon dieu Illium, tu es là depuis longtemps ? ».

« Non » dis-je en cachant le bouquet derrière moi.

« Des fleurs ? Pour moi ? » dit-elle enthousiaste.

« C'est la moindre des choses Nisia, tu m'as sauvé la vie ».

« Oh Illium, je suis heureuse que tu sois en vie, j'ai cru que... » dit-elle les larmes aux yeux.

« N... ».

« Pardon » dit-elle en s'essuyant les yeux. « Ça vient tout seul depuis quelques jours ».

« Je ne veux pas te faire pleurer ».

« Merci pour les tournesols, ils sont très beaux » dit-elle en humant leur parfum délicat.

On discute un peu dans le bureau, elle ouvre mon dossier médical et me regarde avec bienveillance. Elle me pose plus des questions sur comment je me sens que moi sur ses derniers travaux ou sur comment elle va. Travailler toute la nuit n'est pas dans ses habitudes, sauf si c'est urgent. D'habitude, c'est Dmitri qui travaille la nuit, quand il n'y a personne dans les bureaux aux alentours. Quand je suis à proximité, je peux voir la lumière allumée dans son bureau. Il aime bien travailler tout en haut de la Tour, là où on approche le ciel étoilé quand la ville dort un peu. Il apprécie la solitude nocturne et le calme de la Tour, pour une fois qu'elle est calme. Une vraie fourmilière.

« Tu peux me dire si quelque chose ne va pas » dis-je un peu nerveux.

« Rassure toi, tu vas bien. Je n'ai rien relevé d'inquiétant. Dis, ta couleur de peau change, tu...tu brilles ? ».

« Oh oui, c'est un effet secondaire qui dure quelques secondes ou deux minutes. Quand je suis nerveux, anxieux par exemple je brille et ça cesse tout seul ».

« Tu me dis ça le plus naturellement du monde. C'est récent ? ».

« C'est arrivé quand je suis resté chez moi me reposer, avant d'aller chez ma mère, ça dure depuis deux semaines ».

« Je vois. Je ne sais pas si c'est rassurant, tu ressens quelque chose ? De la fièvre ? Des vertiges ? Maux de têtes qui persistent ? Insomnies ? » demande t-elle en plissant les yeux.

« Je suis insomniaque depuis le début. Je ne peux pas me permettre de voler la nuit sans qu'on me prenne pour une luciole ou pire un clignotant ».

En temps normal, rire aurait été logique pour moi mais je suis sérieux.

« Un clignotant ? Sérieux ? » rit-elle.

« C'est l'image la plus concrète » répondis-je sur le même ton.

« Oui je suis d'accord avec toi. Si ça perdure, fait le moi savoir. J'en apprends tous les jours sur cette Cascade et avec toi, c'est exceptionnel ».

« Tu crois que ça peut s'aggraver ? ».

« Apriori, non tu as survécu au pire. Tes analyses sanguines sont bonnes, tes radios ne montrent rien d'anormal. Tu cicatrices très bien. Tu es cohérent quand tu parles. La mémoire n'a pas été touchée contrairement à ce que je pensais. Tu es un mystère pour la Science angélique ».

« Un mystère, je n'ai pas signé pour ça ».

« Avec la Cascade, personne ne l'est mon cher Campanule ».

« J'aurais du m'en douter » dis-je en me tournant les pouces.

« Reste sur tes gardes. Je n'ose imaginer combien c'est difficile pour toi. Ton tatouage ne te fait pas mal non plus ? ».

« Non. Tu penses qu'il signifie quelque chose ? ».

« Aucune idée, j'ai justement rendez-vous avec Jessamy pour en discuter ».

« Tu l'as pris en photo ? ».

« Oui, pleins de clichés sous tous les angles. Ne t'inquiète pas, on va trouver une solution ».

« Une solution à quoi ? ».

« Il y en a une quelque part. Si Jessamy ne trouve pas, je ne sais pas quoi faire ».

« Tu sais, je commence à haïr fortement quelqu'un... ».

« Dans ton arbre généalogique ? ».

« Qui d'autre et ça me poursuit. Ça me ronge ».

Mon ton est coléreux, lucide en même temps. Il contient de la colère et de l'incompréhension. Un mélange spécial. À la fois plein d'espoir comme rempli de peurs. Je ne peux pas contrôler mon anxiété à ce stade. Je ne sais pas à quoi m'attendre pour la suite et l'ironie du sort est que personne ne le sait non plus.

« Tu devrais y aller, la présence de Raphaël me dit qu'il t'attend ».

« Oui, je suis resté un moment avec toi, j'avais besoin de te remercier en personne ».

« Illium, on va t'aider, ok ? » me dit-elle en me prenant la main comme une promesse.

En sortant dans le couloir, je souffle car un poids en moins pèse sur mes épaules et je retrouve un sourire sur les lèvres, j'ai pris le temps de remercier Nisia en personne. Je m'avance dans le couloir qui mène au bureau de l'Archange. Je suis surpris de voir la Tour aussi calme, d'habitude c'est tout le contraire. Les bureaux sont tapissés de manière chique, je ne me ferais jamais à ce style. En ouvrant la porte, Raphaël est assis à son bureau en train de parler avec un autre Archange, je reconnais la voix de Titus. Il rit toujours très fort. Quand on le voit pour la première fois, on est un peu déstabilisé par sa prestance, sa carrure imposante qui force de respect mais au final, il est tout le contraire, spontané, très drôle, loyal. Et il a crée une alliance avec Raphaël depuis le Réveil de Lijuan, il le considère comme un fils spirituel. Leur relation paternelle est adorable. J'attends donc qu'il termine sa conversation et regarde l'étagère sur laquelle est entreposée des objets et le souvenir douloureux de ma plume bleue arrachée contre mon gré m'interpelle tout de suite. Elles ont repoussé sans problème par la suite bien sûr, je suis quand même frileux en y repensant. Elles sont plus belles, moins ternes que les précédentes fois. Plus éclatantes aussi. La voir ici dans un état intact me surprend un peu mais je ne m'en préoccupe pas longtemps puisque mon attention se reporte sur Raphaël. Il me regarde de ses yeux bleus azur qui fascinent la plupart des gens. Les yeux d'un ange sont ce qu'il y a de plus beau après les plumes.

« Je me demande pourquoi vous l'avez gardée ».

Un souvenir amer dont j'ai fait le deuil.

Une plume parmi tant d'autres.

Quand je prononce ces mots, de la rancune se fait sentir alors que j'ai balayé cet épisode de ma vie depuis des années, des siècles pour être précis. En dévoilant des secrets importants à la femme qui a partagé ma vie quelques années, j'en ai payé les conséquences sachant qu'elle n'a pas su tenir sa langue. Mon châtiment était inévitable. Je ne l'ai pas très bien vécu pendant un moment mais au final, c'était juste. Je n'avais pas pris en compte le fait qu'elle le répète. Je me suis senti trahi. J'ai craché le morceau parce qu'elle me reprochait de garder le silence sur certains sujets. Il est vrai et ce jour-là, j'aurai aimé me planquer en Alaska. Suffisamment loin pour que personne ne puisse me retrouver et suffisamment de temps pour ne plus y penser. Une erreur qui me reste encore au travers de la gorge des siècles plus tard. C'est pour ça que je deviens distant dès qu'une fille me regarde, s'approche sans que je ne connaisse ses attentions. Pas que je sois gêné, je reste méfiant. Pourtant j'ai eu des petites histoires depuis.

« Une si belle plume se doit d'être gardée. Tu étais jeune ».

« Ce n'est qu'une plume ».

Je baisse les yeux, comme si je n'assumais pas alors qu'il s'agit de ma propre plume. Et il n'y a pas beaucoup d'anges aux ailes bleues dans cette ville. Les miennes sont uniques. Quand elles ont repoussé, je me sentais un peu moins nu. Un ange sans ses plumes n'est plus un ange. C'est une créature étrange qui ne peut plus voler avant des semaines. Je me souviens de ma tête dans le miroir, à afficher une mine décomposée mais heureusement, elles ont retrouvé leur éclat plus vite que je ne le pensais.

« Pas n'importe laquelle, elle t'appartient ».

Nombre d'humains se précipitent pour en ramasser une quand ils aperçoivent un ange en vol. Certaines plumes peuvent valoir une jolie somme d'argent, sans parler de la poussière d'ange qui elle vaut une vraie fortune. Les plumes fascinent les gens. Je ne comprends pas en quoi, ce ne sont que des plumes pour moi. Certes, elles forgent l'identité d'un ange. Et c'est ce que voient les gens quand il lève les yeux vers le ciel. Ils aperçoivent les plumes en premier.

Le silence de l'Archange en dit long et je me sens un peu gêné de le laisser en suspend. Il m'a demandé dans son bureau sans m'en dire la raison. Je présume que c'est pour savoir comment je me porte. Ou alors, il va me dissuader de disputer ma partie de baseball dans les airs au prochain orage. Je reporte mon regard sur lui, cherchant un indice sans en trouver un. Je pense que peu de personnes possèdent des yeux bleus aussi captivants et une faculté de compréhension telle que possède Raphaël. Il ne se vexe pas. Pourtant j'ai été sur le fil du rasoir à deux reprises en quelques minutes. Il ne m'en veut pas.

« Vous m'avez demandé ? ».

« Je voulais simplement m'assurer que tu allais bien ».

« Je vais bien » répliquais-je aussitôt.

Les yeux bleus de Raphaël ne se détachent pas des miens. Je me demande ce qu'il souhaite savoir. Il me connaît bien, presque par cœur au final. On se connait depuis des siècles, il m'a vu grandir. Je le regardais voler dans les airs avec Uram. À l'époque où il n'avait pas succombé à la Folie. Il aurait pu être un autre Archange, un Archange incroyable et marié avec Michaela. Il est devenu tout le contraire. Il est devenu un être devenu sanguinaire sans que personne ne s'en rende réellement compte. Les choses ont dérapé. J'ai quand même gardé cette image de ces deux anges volants dans le ciel, en riant, en souriant, en profitant de la vie. Quand Raphaël m'a annoncé vouloir que je fasse partie de sa garde, j'ai hésité un peu parce que je ne voulais pas qu'il m'accepte par défaut. Je ne voulais pas qu'il se sente obligé de le faire. Si j'accorde ma confiance à un ange, je suis honnête, sincère. Et j'ai mérité ma place en faisant mes preuves. Je ne me suis pas reposé sur mes lauriers. Il fallait que je montre à Raphaël que j'ai des compétences, qu'elles méritent d'être reconnues à leur juste valeur. Être aux côtés de Raphaël signifie forcément quelque chose d'autre que de faire partie de sa garde. C'est symbolique.

« Ne te sens pas obligé de prétendre le contraire ».

Il prononce ces mots en étant très calme mais je devine sa tristesse et ses nombreuses interrogations. Il savait que j'allais dire le contraire. Ma journée s'annonce bien. Je déteste m'apitoyer sur mon sort. Il ne veux pas me vexer, il veut s'assurer que j'aille bien, il se soucie de mon bien-être. À croire qu'il lit dans les yeux des gens. Il n'essaie pas d'obtenir des informations via notre lien mental pour m'épargner de prononcer des phrases qui me feront mal. Je continue de fixer ses yeux. Mes bras se croisent comme pour émettre une distance, une manière aussi de me protéger moi-même. Je n'ai pas l'habitude d'être considéré à ce point, d'être pris à part, entre quatre yeux à me demander comment je vais réellement. Les larmes me montent aux yeux. Me montrer vulnérable aux yeux de Raphaël est la dernière chose dont j'ai envie aujourd'hui. Elles coulent toutes seules le long de mes joues. J'essuie les grosses larmes qui apparaissent aux coins de mes yeux d'un revers de manche. J'ai l'air d'un ange en détresse à qui on a envie de faire un câlin et de lui murmurer que tout va bien.

On dit que derrière les personnalités joyeuses, se cachent des êtres fragiles et abîmés parfois. Je n'ai jamais compris pourquoi. En quoi la joie veut dire que quelque chose de plus sombre se cache derrière ? Ce n'est pas une raison. Je suis d'accord qu'afficher un sourire est bien plus facile qu'on ne le pense. J'ai compris cela récemment quand je me suis isolé chez moi après ma chute vertigineuse. Cette fichue Cascade m'a fait comprendre ça, que cacher la tristesse, un mal-être, derrière un sourire donne une illusion parfaite. En fait, sourire est comme un masque, une sorte de pansement pour penser une plaie ou un sentiment de tristesse. J'ai été surpris de l'impact que ça donnait aux gens. Un sourire fait penser à autre chose, ne donne pas de signe négatif particulier, on s'attache à ce sourire et on lui fait confiance. Alors, oui je suis heureux, j'aime la vie parce que les siècles m'ont apporté des amis qui se comptent sur les doigts d'une main, j'ai pris du recul, j'ai connu un amour qui n'est plus depuis des siècles mais je l'ai connu quand même. L'image heureuse que je renvois est ma marque de fabrique. Je la conserve précieusement. Elle m'aide.

« Je... suis là, en vie et... ».

Les larmes coulent encore toutes seules et je ne fais rien pour les arrêter. D'une, je n'en éprouve pas l'envie et j'en ai marre de me cacher, de me montrer souriant alors que depuis deux mois maintenant j'aurais pu être réduit en poussière. Alors, à quoi bon tenter de cacher la réalité des choses ? Je continue d'essuyer mes yeux humides. Mes mains tremblent, je tente de les cacher derrière mon dos, de passer la main dans mes cheveux qui ont bien poussé ces derniers temps. Je me sens vulnérable, sans arguments pour me justifier auprès de l'Archange qui me regarde toujours dans les yeux. Ses yeux bleus rassurants. Il renvoie bien plus que l'image froide, cruelle d'Archange qu'il arborait jusqu'à ce qu'il rencontre Elena. Depuis, son regard s'est attendri. Aujourd'hui, je pleure dans son bureau. S'il a envie de se moquer de moi auprès des autres, il peut le faire, mes larmes sont servies sur un plateau d'argent. Ce serait difficile au début mais je pourrais encaisser. Je suis vulnérable. Moi qui croyais que mes carnets remplis de mes notes, de mes états-d'âmes allaient arrangé les choses, du moins en surface mais il y a beaucoup plus de choses sous la surface.

Sans m'en rendre compte tout de suite, je sens la peau fraîche de l'Archange contre ma joue. Il m'enveloppe le plus délicatement possible dans ses bras. Ma fine carrure musclée contre sa peau fraîche. Je me laisse faire comme une poupée de chiffon. Là, j'oublie le reste. Il me rassure. Il me murmure que tout ira bien, qu'il veut juste savoir comment je me porte parce que la sécurité de ses Sept lui importe. Et que son soutien est sans faille. Je me laisse porter par le son de sa voix qui me rassure. Raphaël m'explique qu'il a lu le rapport de Nisia en premier et celui de Keir à mon sujet et que tout va bien. Le point qui l'inquiète c'est ma santé mentale. Les effets de la Cascade sur moi ont fait peur à tout le monde, je le sais. Dmitri et Venin m'en ont parlé. Jason aussi est venu chez moi prendre de mes nouvelles. Aodhan. Maintenant Raphaël est au courant et je ne veux pas que d'autres personnes le soient, juste les Sept et celui qui me serre fort dans ses bras. Je ne me retire pas pour autant, les larmes coulent encore le long de mes joues. Il faut qu'elles sortent. Même si ça fait mal, même si mon ventre se tord, si des frissons parcourent mon corps.

« Ne t'excuse en aucun cas Illium, tu es l'un de mes Sept et je prends soin d'eux ».

Ses mots me réchauffent le cœur. Il a compris ce qui se trame dans mon esprit sans que je ne m'étende sur le sujet. Je n'ai pas envie de parler de ça ce soir. Je continue de refouler des sanglots sans me détacher de lui. Ses paroles me rassurent. Je ressers mon étreinte autour de lui. Et ce simple contact me fait du bien. Me montrer vulnérable est rare. Aujourd'hui, j'en ai besoin. Je continue de réguler ma respiration et me calme un peu à son contact. Tant pis si ma chemise est mouillée de mes larmes.

« Si tu veux savoir, Jason ne m'a pas donné de détails de sa visite chez toi. Il m'a juste dit que tu allais bien » ajoute l'Archange.

Quand j'ai vu Jason devant ma porte, cela m'a surpris et touché en à la fois car il est venu après sa mission en Chine sans passer par sa maison d'abord. Il s'est inquiété. Il est resté chez moi quelques heures. Et j'ai beaucoup apprécié discuter avec lui et répondre à ses questions. Différentes de celle passée avec Venin et Aodhan, Jason accorde sa confiance à peu de personnes. Ne pas répondre à ses questions aurait été impoli, après tout il a des espions partout dans le monde et il n'aurait aucun mal à obtenir toutes les informations qu'il jugera nécessaire de recueillir. Là, il s'agit d'une confiance mutuelle. Discuter avec le maître espion a été bénéfique.

« Je ne suis pas prêt à quitter les Sept, j'en suis incapable ».

Voilà, les mots sont dits.

Ceux que j'ai sur le cœur depuis longtemps. Il devine ma peur refoulée de puis trop longtemps, que je ne peux plus contenir. Cette Cascade me rend nerveux et anxieux.

« Pas question de te laisser partir non plus. Je ne peux pas prévoir l'avenir mais sache que nous sommes liés, je te sauverai autant de fois que nécéssaire ».

Ses mots me heurtent le cœur, de façon positif. L'entendre de vive voix a une importance à mes yeux. Mes larmes ont cessé de couler et un mince sourire prend place sur mon visage. J'ai le droit à une nouvelle étreinte, plus courte que la précédente. Il comprend que je n'ai pas besoin de parler pour le moment. Il respecte mon choix. Il m'explique que sa porte est toujours ouverte. Ensuite, il me sourit et me dit d'aller me reposer un peu avant la soirée de ce soir, j'avais complètement oublié et je ne suis pas d'humeur à faire la fête. Mon regard indique que je n'ai aucune idée de l'heure qu'il est.

« Je ne veux pas devenir quelqu'un d'autre ».

« Tu penses à Uram ? ».

Un rapprochement entre moi et lui plutôt clair. Pas question de me laisser envahir par quelque chose d'opposé à moi. Je présume que des peurs lui ont été propres. Un Archange aux ailes grises dont les yeux verts ont envouté ceux de Michaela de la même couleur. Deux Archanges invincibles. Invincibles sur le papier, si Uram n'avait pas sombré dans la folie, son destin avec elle aurait été tout autre. Je ne veux pas me laisser consumer de la même manière.

« Oui, la comparaison n'a pas lieu d'être je le sais mais c'est un exemple récent » dis-je en reprenant mes esprits.

« Tu es l'opposé d'Uram. Jamais tu n'iras sur sa voie. Uram était dans un état tel que... La réalité n'était pas adaptée, il a perdu pied tout seul et j'ai dû y mettre un terme. Il fallait un point final. Je m'en souviendrais toute ma vie. Rare sont les fois où je verrais une autre Ascension dans ma vie. Si la sienne a merdé, ce n'est pas le cas de tout les anges. Illium, c'était à ton tour de la subir. J'avais le double de ton âge et pourtant j'ai trouvé ça brutal. Je n'imagine pas à ton âge une Ascension ».

Les mots de l'Archange sont confus sur le moment, il se remémore son amitié lointaine qui a pourtant beaucoup compté dans sa vie. Le pauvre a eu un deuil amical à faire et je ne veux jamais m'y confronter. Et il évoque la réalité qui l'a frappé car sa puissance est venu lors de son premier millénaire et elle s'est diffusée dans ses veines. Je ne veux pas me retrouver dans une situation encore plus délicate. Il a raison, la jeunesse est un argument déterminant. Je ne suis pas assez mature pour affronter toute ce que la Cascade comporte et encore moins endosser ça sur mes épaules. Une partie oui mais dix pourcent seulement. Je ne suis qu'un ange précoce.

« Merci Archange » murmurais-je quand le soleil descend dans le ciel.

C'est dans un murmure que je prononce deux mots et pourtant pleins de sens. Ils veulent dire beaucoup de choses et c'est le parfait résumé. Je reprends une respiration normale. Le regard bienveillant de l'Archange se pose sur moi.

« C'est normal Campanule. Tu as besoin de soutien, on est tous là pour toi. Et je comprends si tu ne veux pas venir ce soir, Elena serait ravie de te revoir ».

Je sors du bureau, soulagé parce que je n'ai pas eu à me justifier autant que je le pensais auprès de Raphaël et il ne m'en veut pas.