Playlist
« Between me and the devil » Ghost Hounds
« Break my heart again » Finneas
« Lie to me » 5 Seconds of summer
« Grow as we go » Ben Platt
Chapitre numéro douze
Point de vue d'Illium
Je ne cesse de fixer l'écran de l'ordinateur de Vivek. Je suis allé voir notre informaticien dès l'aube pour avoir une explication au sujet du dessin. J'ai beau le regarder sous tous les angles, le pseudo est introuvable sur Instagram. Pas de trace du compte, comme s'il avait été désactivé, mis en privé. Je regrette de ne pas le retrouver, j'aurais voulu voir si d'autres anges de la Tour y étaient. Si d'autres personnes avaient leur publication sur le compte de dessin, sans succès. Il n'existe plus. Il a comme disparu alors que je m'interroge encore à l'identité du dessinateur. Comment le vent l'a apporté jusqu'au pallier de ma maison un soir ? Bonne question. Je n'ai pas d'élément susceptible de répondre à cette question qui me tracasse encore. Évidemment. Si l'informaticien recommandé par Elena est perdu, ma question restera dans les abysses de mon esprit. À regret. Je vais devoir passer à autre chose et laisser le mystère planer encore un peu au-dessus de ma tête.
Vivek manipule encore la page sous sa lampe afin de relire la signature, recommence à taper le nom dans la page de recherche. On attend une seconde et aucun résultat ne s'affiche sur la page. Comme si Instagram avait fait le ménage juste après la découverte du pseudo. Je ne savais pas que c'était possible de désactiver un compte de manière temporaire.
« Je suis désolé » est la seule phrase prononcé par le vampire pour l'instant.
Je reste le regard fixe sur l'écran qui commence à me faire mal aux yeux.
« Ok » finis-je par dire.
Je me redresse, m'avance vers la porte de sortie en ayant un objectif en mois sur ma liste de choses à faire. Peut-être qu'accorder autant d'importance, autant d'estime envers ce dessin anonyme, pas si anonyme que ça puisque le pseudo est celui d'un dessinateur, qui ne veut pas être connu. Pas même d'Instagram. Je ne comprends plus rien. Je veux quitter le bureau de Vivek, m'envoler dans les airs et rentrer chez moi.
« Attends, tu ne veux pas en savoir plus ? ».
Il lâche cette phrase sans se soucier du regard de Venin qui est dans un coin de la pièce. Je le connais depuis un certain temps. Deux siècles. Il est le plus jeune parmi nous Sept. Je ne comprends pas tout de suite l'issue de cette discussion. À ça sert de creuser davantage le sujet sachant que je compte est enfoui dans les méandres d'Internet. Autant tourner la page tout de suite. Le regard du vampire est neutre. Il peut souffler, regarder ailleurs, regarder de nouveau l'écran pour rafraîchir la page.
Il ne fait rien de tout ça. Je reste silencieux aussi. Le mot est sorti tout seul de ma bouche. Il fallait que ça sorte, à quoi bon perdre du temps ? Comment ce vampire en fuite a eu ce papier imbibé d'un produit inconnu dans nos fichiers, pourtant mis à jour toutes les semaines en ce moment. Les substances étranges prennent de l'ampleur en ce moment, elles circulent vite pour une raison que l'on explique pas. On n'a pas le temps de répertorier chacune d'elles. De plus, les vampires qui utilisent ces drogues de synthèse pour des fins glauques sont des cibles dangereuses. Des cibles qui peuvent causer de gros dégâts.
Un appel d'un chasseur de la Guilde me fait sortir de mes pensées.
Venin ne s'y oppose pas, comme s'il comprenait mon départ précipité. Je m'envole en laissant deux vampires silencieux derrière moi. Venin ne doit pas s'attendre à ce que je devienne coopératif sur le sujet. Il sait que la Chute m'a changé. Pas dans le sens où je prends conscience que ma vie sera différente. Elle l'est depuis mon arrivée chez les Sept.
En attendant, je file à travers le ciel noir d'encre de New-York. Je vais retrouver un chasseur de la Guilde qui a des difficultés à maintenir un vampire en fuite entre ses mains. Je règle le problème en question en peu de temps. Je ne me soucis pas de le trainer au sol comme un sac à pommes de terre (pour rester polie). Le pauvre Ransom est essoufflé à mes côtés. Les cheveux au vent qui se fondent avec la nuit noire. Il souffle une première fois, les mains sur les hanches, le regard rivé sur le corps que je traine par terre et qui se laisse faire tel un pantin.
« C'est lui ton vampire ? ».
Un vampire jeune et banal. Il est vexé de s'etre fait attraper, visiblement en flagrant délit d'une agression qui a failli avoir lieu. Le chasseur à mes côtés ne dit pas un mot de plus, j'ai deviné à l'avance ses attentions. Je connais la procédure à suivre. Je laisse le chasseur régler cette affaire. En attendant les services de la Tour, je surveille l'individu maitrisé en deux temps trois mouvements stoïque, assis au sol.
Ransom se redresse car il s'est penché une seconde avant de me regarder. Il range ses couteaux dans leurs fourreaux respectifs. Il en a pleins cachés à différentes parties du corps afin de les utiliser le plus rapidement possible en cas de situation urgente. Le chasseur est un des plus doués de la Guilde. Je suppose que s'il a fait appel à mon aide c'est que le vampireétait déterminé à lui filer entre les doigts. Le pauvre est épuisé, à croire qu'il a couru dix kilomètres. Je le laisse reprendre son souffle puis le laisse ligoter le vampire en question.
Les services de la Tour arrivent. Les lumières bleues tranchent dans la nuit noire. Les services de la Tour l'arrête. Il entre dans la voiture en silence. Ransom regarde la scène en silence. Je ne l'ai jamais vu comme ça. Essoufflé et le regard dans le vide. J'ai l'impression que ce vampire ne lui ait pas inconnu. Je ne sais pas s'il a envie d'en parler. Je le laisse faire. Je range le couteau qui ne m'a pas servi au final dans le fourreau.
« Illium, je te dois un verre ».
Le bar est plein à craquer. Des gens se voient refuser l'entrée par manque de place. Des vampires sont en train d'hypnotiser des humains pour espérer obtenir des faveurs sanguines. C'est courant mais un serveur jette un coup d'œil pour s'assurer que ça va. La lumière tamisée est propice à ce type d'échange et certains vampires savent y faire. Ransom souffle une nouvelle fois. Je jette un nouveau coup d'œil en sa direction pour analyser son visage et outre les traces de fatigue habituelles, je ne vois rien de différent. Il faut dire que j'ai moi-même ces traces collées au visage et mon objectivité est moindre, je continue de consommer des médicaments. J'ai oublié d'en avaler un après les entrainements, je vais en avaler deux direct en rentrant à la maison ce soir et m'endormir dans les bras de Morphée. Pour ne pas passer pour un impoli, je pousse légèrement son verre et le mien pour les aligner afin de capter son attention. Une grimace apparait sur son visage. Une morsure. Le vampire en fuite lui a laissé une trace sur le bras gauche. Les vampires mordent les chasseurs nés mais ne deviennent pas immortels pour autant. Le venin n'a pas d'effets sur eux. Ce sont les anges qui transforment les humains en vampires. Le processus est tenu secret et le processus pour y parvenir est long et surveillé de près.
Nous sommes assis dans une zone un peu en retrait du reste du bar. Cet établissement est connu pour la discrétion. Le fait est que le chasseur né ne dit pas un mot. Nos verres sont posés sur la table. Le sien est déjà à moitié vide. Il a quelque chose à oublier. Je n'ose pas lui poser la question. Je le laisse un peu tranquille.
« Tu es sûr que ça va ? Tu ne m'as pas amené ici pour boire un verre et ne rien dire. À voir ton humeur... ».
Il aurait très bien pu me répondre « on peut parler de la tienne si tu veux ? » et il aurait eu raison. Cette dernière remarque est sarcastique. Étant donné mon humeur insupportable depuis des mois, je ne suis vraiment pas le mieux placé pour faire des remarques. Le chasseur lève la tête vers moi et au lieu de me donner un regard noir, un mince sourire ironique se dessine sur ses lèvres. Je sais piquer le point sensible. Mais je ne vais pas continuer; je lève les mains en guise d'excuse. Je suis étonné de l'attitude silencieuse de Ransom. Le connaissant depuis longtemps, ce n'est pas dans ses habitudes. Il reporte le verre à ses lèvres pour boire une nouvelle gorgée. Je suppose qu'il ne souhaite pas évoquer le sujet en tête à tête ce soir mais rester dans le silence n'apporte rien de plus, c'est bien le problème. Jouer au « Roi du silence » n'est pas dans mon programme de la soirée.
Je peux percevoir un changement qui se lit sur son visage car quand on le connait, on apprend aussi sa manière de communiquer. D'accord, je vais continuer à lui poser des questions. Des questions qui vont se perdre dans le vide, parler seul face à un chasseur qui ne souhaite pas m'expliquer la situation.
« Ce vampire t'as arraché la langue ? ».
Cette fois-ci, je capte son regard. Je ressers mes doigts autour du verre. Je ne comprends plus. Je porte le verre à mes lèvres. Le liquide descend doucement dans ma gorge; c'est un alcool un peu fort mais au moins ce n'est pas du champagne, je déteste le champagne. Les fumées des cigarettes aux alentours, les vapeurs d'alcool, les odeurs de sang, les odeurs sensuelles, toutes ces diverses substances se mélangent dans la pièce dans laquelle nous sommes. Ce monde nocturne est particulier. Peu de paroles, tout se fait dans des échanges de regards et dans le silence. On entend la fumée inhalée par les clients, les verres qui s'entrechoquent, les commandes passées au bar par voix basse, les coups de pieds sous la table. Au moins ici, on peut être tranquille. J'ai connu Ransom ici. Il vient souvent quand on a des affaires en cours afin de collecter des informations. On arrive toujours à obtenir des informations ici. C'est à croire que ce chasseur ne me regarde plus. Il reporte à nouveau le verre à ses lèvres. Il boit une gorgée, se racle la gorge et regarde autour de nous. Il a l'air inquiet. Nous ne sommes pas en danger. Je vais tenter une autre question. Puisqu'il a envie d'aller droit au but alors, je n'ai plus rien à perdre non plus. Et j'ai besoin d'un verre d'alcool plus fort, j'interpelle une serveuse qui m'apporte un verre dans la foulée. La première gorgée me brûle la gorge et la sensation devient agréable.
« Pourquoi tu m'as amené ici ? ».
Question banale. Mon ton est plus impatient, je veux bien être sympa et rendre service à une heure tardive mais j'ai le droit à des explications. J'ai accepté de boire un verre pour discuter et non me confronter à quelqu'un de fermer qui me regarde dans les yeux sans répondre à mes questions simples. Histoire de lui faire avouer le pourquoi nous sommes ici aussi, je l'interroge du regard encore une fois. Cela ne le fait pas répondre dès les premières secondes. Je perds patience.
« Tu aimes les mortels » annonce t-il.
Réponse facile. Réponse plus qu'évidente. Ceux qui me connaissent bien le savent, je suis fasciné par les mortels. Les humains ont ce quelque chose d'unique. Inexplicable pour les autres qui ne voient en eux qu'une poche de sang disponible n'importe quand et n'importe où. D'autres personnes les voient comme des êtres vivants à durée limité dans la chaine alimentaire. Triste image. Mon intérêt intrigue beaucoup, pour cause j'ai eu des sentiments envers une femme humaine. Cette histoire s'est mal terminée puisque j'ai dû renoncé à tous mes sentiments par manque de discrétion de ma part, pour ne pas avoir su tenir ma langue. Quand la nouvelle a fuit aux oreilles de Raphaël, j'y ai laissé des plumes. L'image de l'ange pris par ses émotions, dans un filet gluant dans lequel je me suis empêtré, c'est moi. Je le regrette. On dit que le passé est derrière nous mais en réalité, il nous colle toujours à la peau. La vérité que m'annonce le chasseur est réelle et il me la jette en pleine face. Cette histoire me fait mal. Je suis dans une période charnière de ma vie et complexe en même temps alors ma vulnérabilité est au niveau cent. Sur une échelle de je ne sais pas combien. Mes émotions sont mises à rudes épreuves. De plus, j'avale des médicaments en ce moment, les mélanger à l'alcool est contre productif. Je suis un ange tête brûlée. Un ange comme moi n'a plus peur des conséquences de ce mélange dans le sens. En rentrant à la maison, je vais encore avaler deux cachets et m'endormir. Pas de somnifère en complément, l'alcool ingurgitée fera office de somnifère. Alors s'il a passé une mauvaise journée d'accord mais ce n'est pas une excuse pour en rajouter. Je me vexe face à cette remarque inappropriée. Si mon aide de ce soir ne lui a pas suffit, je n'y peux rien. Dans son message, il m'a bien précisé que mon intervention était « nécessaire pour attraper ce vampire en fuite ». L'affaire est réglée. Ransom m'invite à boire un verre et silence radio alors je suis perdu. Je ne vais pas me fatiguer à lui répondre et tout ce qu'il mérite est un regard noir. Qu'il crache le morceau tout de suite, ça ira plus vite pour nous deux. J'ai l'impression d'être de trop dans la pièce et c'est perturbant. Moi qui pensais lui rendre service, j'aurais dû m'abstenir de répondre à son message et de me déplacer.
« Ce n'est pas une information difficile à trouver » lâchais-je en me redressant sur ma chaise de bar, prêt à partir si besoin dans la seconde. « Explique-moi pourquoi tu m'as fait venir ici ? ».
« Ce vampire était recherché. Je le surveille depuis une semaine et j'aurai pu l'attraper seul. Il m'a échappé pour une raison que je n'explique pas mais il avait une odeur que je ne saurais décrire. Il m'a fallu de l'aide, j'ai pensé à toi ».
Enfin. Il prend la parole. Je lève un sourcil d'incompréhension. Comment ce vampire en fuite a pu s'attaquer à un humain ? Qui plus est, Ransom est un chasseur né et un des plus doués avec Ellie. Je ne comprends pas le lien entre cette situation accidentelle et le silence de mort qui règne dans la pièce. Enfin, le silence qui règne dans l'espace où nous sommes. Le reste du bar n'assiste pas à la scène. Tous sont occupés à leurs divertissements. D'autres préfèrent oublier leur soucis en se plongeant dans les verres. De plus, le vampire en question a été arrêté alors pourquoi s'inquiète t-il davantage ? Mais j'attends d'en apprendre plus. Il me doit des explications et je ne me vois pas partir, le laisser seul à sa table sans les entendre de sa bouche.
« Cet imbécile m'a mordu » reprend t-il.
« J'espère qu'il n'a pas de maladies ».
« Je mourrai en honneur ».
« Que va dire ta secrétaire ? ».
« Elle m'a quitté ».
« D'où l'invitation à venir boire un verre ? ».
« En partie. L'alcool aide à oublier ».
« Noyer le problème » rectifie-je sans savoir quoi dire d'autre.
Donc ce soir, je dois l'aider à régler un problème de cœur ? Je ne suis vraiment pas le meilleur. Songer à donner des conseils sans penser à elle me fait mal au cœur. Les siècles ont beau s'écouler, la sensation douloureuse est encore présence. Comme quoi, certaines choses ne changent pas. La douleur est universelle. Alors consoler le chasseur n'est pas spécialement dans mes cordes. Noyer le problème en buvant ne va pas le régler non plus. Il le fait ce soir. Il a juste besoin de faire le vide dans son esprit et on sait bien que les vapeurs d'alcool savent le faire. Et moi dans tout ça, je l'accompagne. Le laisser seul dans cet état revient à nier les faits. J'ai envie de lui dire que noyer sa peine en buvant n'arrange absolument rien. On cache le problème.
On met la tête dans le sable pour oublier le reste, être dans une sorte de bulle euphorisante.
Je peux concevoir ça dans une durée limitée mais à long terme, ça détruit tout.
Une bombe à retardement.
Oui, c'est moi qui dit ça alors que je me trouve actuellement dans cette situation. Un comble.
Depuis le temps que je connais Ransom, c'est-à-dire depuis que la Tour a accepté de collaborer avec la Guilde, notre Archange l'a officialisée récemment quand on s'est retrouvé en tête à tête avec la force de l'Archange de Chine mais bien avant ça, avant même l'arrivée d'Ellie dans nos vies éternelles, nous avions déjà quelques contacts avec des chasseurs de la Guilde. Dont Ransom puisque nous nous retrouvions dans le même bar (celui où nous sommes actuellement). Lui aussi apprécie la discrétion du lieu et comme il a rapidement deviné ma fascination pour les humains, nous n'avons pas mis beaucoup de temps avant de s'entendre. C'est un chasseur né, comme Ellie. Il suit son instinct comme personne d'autre et il se fie à ses contacts. Il complète ses informations en venant ici pour résoudre ses enquêtes. Il a raison, une grande partie des vampires les plus influents de la ville se retrouvent ici, quelques anges aussi dont moi mais j'essaye de me faire discret. Je viens la plupart du temps avec Venin. On ne peut pas venir seul, pas sans le parrainage d'un puissant vampire. Parfois, Dmitri vient et Naasir quand il n'est pas en mission dans une partie du monde. Ce soir, c'est à mon tour d'être avec un chasseur né. Je l'apprécie mais pas dans cet état. Il est perdu. Je suis déçu pour lui que son histoire avec sa bibliothécaire se soit terminée. Il ne doit pas se laisser abattre pour autant et je ne comprends pas pour quelle raison, il a demandé à en discuter autour d'un verre. Je ne veux pas me montrer ingrat face à la détresse du chasseur. Il termine de boire son verre en une seule fois. Je fais de même histoire de me préparer à la suite de la soirée.
« Je suis au courant au sujet du dessin ».
Ce mot « dessin » a le don de me poursuivre. Le chasseur prend enfin la parole après des minutes de silence interminable.
« Tu m'as amené ici pour en parler ? ».
Je prononce cette phrase comme si cela me passe au-dessus de la tête alors que non, cela m'intrigue. Je n'ai pas non plus demandé si les analyses du dessins avaient révélées des empreintes digitales susceptibles d'être exploitables pour donner une identité à l'auteur. Aucune information ne m'est parvenue. Alors je ne sais pas s'il va m'en donner en retour. Il hoche la tête négativement.
« C'est... ».
« Je ne suis pas menacé Ransom. Pourquoi vous vous inquiétez tous ? » dis-je en perdant un peu de ma patience d'habitude inébranlable.
« Après ce qu'il t'est arrivé... ».
« Je ne suis pas en sucre » le coupais-je.
Cette fois, je n'attends pas plus longtemps pour quitter l'établissement sous le regard du chasseur.
À trop s'inquiéter, on risque de se heurter à un mur. Je n'ai pas été dans les bureaux d'analyses ni dans le bureau de Vivek pour connaitre la réponse. Ce que je ne comprends pas, c'est l'attitude du chasseur comme s'il était au courant de quelque chose, une intuition me dit que ça n'est pas qu'un simple dessin. Après tout, je me pose peut-être trop de questions, ce qui n'est pas nouveau. Les autres Sept s'inquiètent mais j'en ai marre que tous s'inquiètent pour moi.
Les autres clients du bar sont trop concentrés sur leur verre ou sur leur partenaire de soirée pour prêter à l'agitation de notre table. Quitte à passer pour un idiot, je ne vais pas me gêner pour ce soir.
Je m'envole jusqu'à chez moi. En moins de temps qu'il n'en faut à Venin ou Dmitri en voiture pour rouler jusqu'à chez moi. La mine un peu décomposée, j'ouvre le portail. Mon foyer est la chose qui m'aide à me sentir en sécurité et ce soir, je ne veux pas occuper ma chambre à la Tour. Je veux être chez moi. Tout est fermé à clef, le système d'alarme est activé comme tous les jours. Je me dirige vers la salle de bain, une douche me fera le plus grand bien. Encore une fois, j'évite mon reflet dans le miroir. Mes cicatrices extérieures ont disparu mais mais celles qui inondent mon âme de mélancolie tous les jours. M'occuper l'esprit pour ne pas y sombrer.
La discussion de Ransom n'avait aucun sens.
Je n'ai rien compris.
Un coup il m'explique pourquoi ce vampire l'a énervé et une autre fois il a su pour le dessin qui s'est envolé dans mon jardin.
Le sommeil ne daigne pas à venir.
J'ai beau regarder le plafond de ma chambre, il ne lui manque que la parole. Oh une légère fissure dans un coin.
Ressasser les mêmes choses n'a rien d'utile. J'ai lu la déception dans le regard de Ransom tout à l'heure quand je suis parti du bar. Et je ne peux pas m'empêcher de le revoir assis à sa chaise, son verre vide devant lui. Je ne veux pas le décevoir. Personne. Et quand il s'agit de prendre soin de moi je ne suis pas le premier à m'en préoccuper. Le faire pour les autres j'y arrive sans problème mais pour moi c'est différent. Bref, je ne vais pas encore réfléchir sur le sujet. Je dois dormir quelques heures si je veux survivre à l'entrainement programmé par notre maitre d'armes préféré demain matin. La lumière de mon téléphone s'illumine. Je ne cherche pas à regarder le destinataire, je verrais le message demain matin. Cette nuit, je veux récupérer des heures de sommeil. Je viens de me réveiller d'un nouveau cauchemars. Le même qui hante mes nuits. La chute. Identique à la première fois, fulgurante. Elle ne me laisse donc jamais tranquille. Si elle ne m'avait pas touché du bout de ses doigts, je pourrais penser à une malédiction lancée par l'Archange de Chine. Cette vieille folle est capable de tout pour se venger, pour arriver à ses fins aussi cruelles soient-elles. Rendre vulnérable un des anges de la garde d'un Archange dans un premier temps avant de s'attaquer à un autre, un par un. Les Sept qui tombent tels un jeu de dominos. Ce serait un jeu pour elle. Un jeu unique. Sauf que ce sera uniquement dans ses pensées les plus obscures et les plus malsaines.
Je ferme les yeux une seconde. Dans ma vie, je n'ai pas à me plaindre. Je me dis que cette fichue malédiction millénaire qui est venue me frapper ne doit pas m'effrayer à ce point, pas au point de me perdre. Oublier ne serait-ce qu'une seconde a peut-être des bénéfices, non ? De toute façon rien ni personne ne peut changer ça, c'est à moi de ne pas penser au pire. C'est à moi de ne pas tomber dans la déprime ni dans l'angoisse permanente à m'en faire tomber les plumes. On a beau être des créatures immortelles, on n'échappe pas à certaines choses et on se pose beaucoup de questions. Les remises en questions sont constantes chez moi. Je me demande si ce n'est pas devenue une sorte de spécificité aux êtres qui sont immortels, qui sont invincibles comme on en entend parler depuis des siècles. Comme si c'était entré dans les mœurs via ces moyens là et depuis ça fait partie des murs, telle une évidence. J'ai cette impression. Je ne suis pas un ange exceptionnel. Tout le monde a des incertitudes. Beaucoup de personnes disent ne pas s'en soucier. Je pense que c'est par égo dans un premier temps, histoire de dire que chacun a ses convictions et qu'accorder de l'importance à l'image renvoyée est facile et sans fondement.
L'écran de mon téléphone s'illumine à nouveau. Une lumière artificielle. Je ne nie pas ma fascination et mon intérêt pour la technologie, il faut vivre avec son temps. Les autres sont amusés par mon opinion sur le sujet, mon côté humain transparait un peu plus que le côté angélique qui m'a vu évoluer depuis cinq siècles.
« J'ai failli envoyer valser mon téléphone rien que pour ça ».
« Je suis désolé » répond t-il.
« Comment tu vas ? ».
Je reconnais la voir de Sombre Suzerain. Je suis étonné qu'il m'appelle à cette heure-ci. Répondre relève d'un effort car le répondeur est fait pour laisser un message sauf que personne ne l'utilise. Les gens insistent. Dmitri doit travailler toute la nuit dans son bureau et a eu la brillante idée de m'appeler.
« Le sommeil ne m'aime pas ».
« C'est bien le seul ».
« Il est trois heures du matin, tu m'appelles pour me réconforter ? ».
J'entends son rire à l'autre bout du téléphone.
« J'espère que tu n'es pas en charmante compagnie ».
« C'est petit de ta part et il se trouve que non, je me redresse sur le lit si tu veux tout savoir ».
« Ton succès n'est un secret pour personne ».
« Dmitri si tu m'appelles pour te moquer, autant raccrocher... ».
« Excuse-moi. Une empreinte à été retrouvée sur le dessin. Vivek travaille sur cette piste ».
« Ne me demande pas de te rejoindre à la Tour, je ne suis pas capable de voler ce soir, j'ai besoin de sommeil ».
« En vérité, je voulais entendre ta voix ».
« Tu m'aimes trop Dmitri ».
« On prend soin de toi Campanule ».
Entendre cette phrase me fend le cœur. Je ne sais pas comment appréhender la suite. Je tombe dans une sorte de spirale qui m'effraie moi-même. Si le temps apaise les choses tel qu'il le dit depuis des lustres, il aurait fait des miracles depuis des lustres. Les blessures ne s'apaisent jamais. J'enfouis les miennes comme on enfouit la tête dans le sable comme une autruche pour s'épargner, pour ne plus être confronté à la réalité qui fait mal. Et c'est naturel de le faire. Je pense que c'est une sorte de moyen de survie, pour ne pas s'étouffer avec la charge mentale. Avoir l'impression que le monde tourne autour de nous sans que nous ayons un pouvoir est quelque chose de déstabilisant. Je ne veux pas y être confronté. Malheureusement, c'est déjà le cas. Me perdre, voilà ce que je fais.
« Je sais ».
« La nuit est calme dans le nid d'aigle, je travaille sur des dossiers qui me prennent du temps et la nuit me donne le temps de les conclure ».
« Des rapports de guerre ? ».
« De l'armée de Titus oui, je prends connaissance de ce qu'il se passe sur les autres territoires. Mais je ne t'appelle pas à cette heure-ci pour discuter de ça ».
« Pas à trois heure du matin non. Et de quoi tu veux discuter ? ».
« Ransom t'as appelé, comment ça s'est passé ? ».
« Bien, le vampire s'est laissé attraper sans faire des siennes et Ransom m'a invité à boire un verre pour ne plus décrocher un mot, je n'ai pas compris. Je suis rentré et le sommeil tarde à venir ».
« Étonnant de sa part, lui qui est bavard ».
Dmitri ne sait plus quoi rétorquer. Je n'ai pas compris non plus le silence interminable du chasseur né. C'est bien pour ça que je suis parti pour rentrer à la maison, dans l'espoir de trouver le sommeil. J'ai besoin de me reposer, mon corps me le réclame mais mon cerveau surchauffe. Mes pensées se bousculent trop ce soir. C'est dur pour moi de l'accepter pour mettre ça de côté et de laisser mes rêves prendre le dessus sur elles. J'ai mon carnet noir à proximité dont les pages sont presque toutes noircies de mon écriture.
« Hum ».
« Bonne nuit Campanule ».
Et il raccroche.
Ce vampire a beau être le plus puissant du monde, il est incroyable.
Je me retourne dans mon lit.
Il faut que je fasse le vie dans ma tête.
Rester dans mon lit en attendant que mes yeux se ferment me semble compliqué. J'allume la lumière de ma table de nuit, mets mon téléphone en mode avion pour ne pas recevoir de notifications quelconques ni de messages cette nuit. J'attrape aussi mon carnet pour remplir quelques pages. Au début, je ne comprenais pas réellement le pouvoir de l'écriture. Quand j'ai commencé à le remplir, j'ai compris. C'est faire le vide dans son esprit, faire abstraction du monde extérieur pour se laisser porter par le stylo, laisser nos pensées s'inscrire sur le papier noir sur blanc afin de garder une trace durable dans le temps. Je pense que ces carnets me serviront à mieux comprendre plus tard, je le remplis comme je peux, à différente fréquence en étant précis dans les dates. Je veux que les événements chronologiques soient indiqués. De plus, je compte parler de certains détails à Nisia ou à Keir, ça dépend de qui aura des réponses à m'apporter, le fait de briller est un effet secondaire. J'aimerais bien savoir pourquoi et si ça peut perdurer. Je ne veux pas devenir une luciole à vie quand une situation de stress se présente. Le mieux est de ne pas garder ça pour moi trop longtemps. Ou de le montrer directement à Keir ou à Nisia, je ne sais pas. Mes analyses sont classées dans mon dossier médical, que je n'ai toujours pas lu et je ne suis pas certain d'être capable de le lire en ce moment.
Au bout de quinze minutes d'écriture, je laisse mon carnet dans le tiroir de la table de nuit.
Allongé à regarder le plafond, je me laisse bercer par le silence.
Au moins, dans cette première phase de rêve paradoxale, mon corps est en repos. Je ne peux pas penser à tout ce qui m'est tombé dessus en l'espace de trois mois. Pas eu début en tout cas, je veux laisser les cauchemars de ma chute au bas de ma porte d'entrée.
