Playlist

« Scream » Marina Kaye

« I meant it » Jonah Marais

« Two » Sleeping at last

« I want to write you a song » One Direction

Chapitre numéro dix sept

Point de vue d'Aupale

En rentrant à la maison après le concert, je pensais trouver un appartement calme. Je ne m'attendais pas à trouver un foyer où la télé serait allumée, au volume minimum pour ne pas réveiller le bébé, ni à trouver une bouilloire d'eau chaude pour une tisane du soir, et encore moins un repas chaud sur la table. Non rien de tout ça ne s'est passé. J'étais au téléphone avec mon agent qui voulait faire un point sur le succès du concert de ce soir. L'ambiance était particulière. J'ai vaguement suivi les derniers événements, des violons d'une grande valeur ont été retrouvés sur l'eau du fleuve de la ville, gorgés d'eau et sans doute impossible à sauver. Elle m'a raconté des bribes d'information. J'ai raccroché avec elle en traversant un passage piéton en face de la salle de concert. Ensuite, j'ai eu un appel de mon frère Arsène me demandant d'allumer la télé pour écouter les informations en continu afin de me prévenir de l'affaire en cours. Je lui ai simplement répondu que je n'ai même pas posé les clefs de l'appartement dans l'entrée que j'ai lâché mon téléphone. Il s'est écrasé. La batterie a du s'enlever. Un cris d'effroi a retenti dans la pièce. Mon bébé a été réveillé par la peur. Il pleure encore. Du sang sur le sol, des traces sur le mur du salon. La nourrice que j'emploie, que j'employais depuis la naissance de mon fils est gisante sur le sol.

Ensuite, mon esprit s'est embrouillé. J'ai mis quelques secondes qui m'ont paru durer une éternité pour composer le numéro de mon amie chasseuse. Raccrocher avec elle a été un supplice. Il fallait que je l'appelle. Je n'avais pas envisagé une telle soirée. Ses consignes sont simples, ne rien toucher dans le salon. Mon regard scanne le salon et rien ne semble avoir été déplacé. Je me précipite vers la chambre de mon bébé et constate avec soulagement qu'il est vivant. Le babyphone est allumé. Signe que la nounou est attentive, je l'a connais depuis quelques mois seulement. Attendre que mon amie chasseuse n'arrive chez moi accompagné des équipes de la Tour qui vont prendre leur quartier dans mon salon est une torture.

Contenir mon angoisse va me demander de gros efforts. Qui a bien pu s'en prendre à elle ? Une si gentille fille, devenue vampire puis trois ans. Une jeune fille incroyable qui a su s'adapter à mon rythme de vie pour s'occuper de mon fils. Elle a su le calmer en mon absence. C'est mon frère qui m'a donné son numéro via une annonce dans le journal, une femme sérieuse et passionnée par ses études à la fac. Comment a t-elle pu être tuée ? Chez moi en plus. Seule. Qu'a t-elle vu en dernier ? Ma pauvre enfant. Les larmes coulent le long de mon visage. La douleur me noue l'estomac. Je ne me vois pas revivre ici. Je me retiens de ne pas me précipiter vers les toilettes. Pas avant que les scientifiques arrivent. La seule chose qui me ramène sur Terre est l'odeur de la chambre de mon fils. Le reste me parait hors de portée. Je vois la vie devant moi. Il faut que je retourne dans l'entrée où je ne parviens pas à me faire à l'idée que l'impensable s'est produit chez moi. Je ne comprends pas pourquoi le système de sécurité n'a pas été déclenché. C'est un défaut que je vais faire remonter.

La porte s'ouvre en grand sans que je ne daigne à l'ouvrir moi-même. Des mains entourent mes épaules et je reconnais le contact de mon amie chasseuse de vampires. Ash a répondu à mon appel en se précipitant chez moi ce soir. Moi qui pensais avoir passé une bonne soirée, les applaudissements retentissent dans ma tête le temps de sa présence avant de laisser place au vide qui envahie mon cœur. J'ai l'impression que mon cerveau est mis sur pause. Mes mains tremblent. Mes jambes menacent de se dérober. Je m'assieds près de son corps encore chaud, effleure du bout des doigts ses cheveux. Rien ne peut la ramener parmi nous. Son changement se diffusait doucement dans son corps, des aptitudes se révèleraient plus tard dans le temps. Ça ne fait que trois ans que le travail a commencé et il s'est arrêté. Quand je me relève, je croise le regard de mon amie une seconde avant que son étreinte ne me procure un soutien dont je ne pourrais pas me passer. Je ne me sens plus en sécurité dans cet appartement. Il faut que je parte d'ici.

« Aupe, je suis là » me souffle t-elle à l'oreille.

« Tu...Tu... J'ai eu si peur pour mon bébé. C'est égoïste. C'est égoïste. ».

« Pas du tout, tu es maman, c'est logique de penser au bébé en premier. Tu n'étais pas chez toi, tu étais à ton concert avec tes frères ».

« J'étais au concert avec mes frères » répétais-je.

Cette phrase pourtant si simple tourne en boucle dans ma tête. Imaginer la souffrance de Leslie me rend malade. Comment les choses ont-elles pu dégénérer à ce point ? Je m'étonne de ne pas avoir été prévenue pendant la soirée. Ash me rassure comme elle peut en traçant des cercles dans mon dos. De manière douce, pour me calmer mais mon sang ne fait qu'un tour quand j'entends quelqu'un frapper à la porte. Autant dire que je suis sur mes gardes, prête à bondir sur un nouvel intrus. Il ne fera pas long feux. Je ne suis pas auprès d'une chasseuse de vampires expérimentée pour rien. De plus, les scientifiques de la Tour n'y prête pas attention tellement ils sont absorbés par leur travail. Des flashs me brouillent la vue temporairement en passant dans le salon, toujours soutenue par mon amie. La scène de crime est la plus atroce et la première que je vois dans ma vie. J'ai quatre cent cinquante et un an. Jamais je ne pensais voir une telle atrocité. Leslie. Son prénom me manque déjà. Un deuxième coup est porté à la porte. Aucune envie d'ouvrir, même si je sais que mon appartement sera réquisitionné pour ce meurtre. Je dois le mettre en vente et déménager. Personne ne voudra l'acheter. À moins que j'en fasse quelque chose d'autre ? En attendant, ce n'est pas la bonne question à se poser. Quelqu'un doit prévenir la famille de Leslie.

La porte de l'appartement s'ouvre sur un ange que je connais bien, il s'agit de mon frère présent sur scène avec moi ce soir. Ses ailes bleues de minuit sont repliées dans son dos. À sa respiration, je peux sentir qu'il a monté les escaliers aussi vite que l'ascenseur. Je suis à un étage où la vue sur la ville est dégagé.

« Aupe » soupire t-il de soulagement. « Tu es rentrée saine et sauve » ajoute t-il en me serrant fort dans ses bras. « Que s'est-il passé ? ».

« J'ai trouvé Leslie gisante sur le sol en rentrant ».

« C'est la babysitter » précise mon frère.

« Je sais ».

« Oh pardon Ash oui ».

« Ne t'inquiète pas ».

Les scientifiques se sont déjà approprié le salon. Tous travaillent dans le clic des appareils photos pour récolter les traces éventuelles laissées par l'assassin. Comment un tel crime a t-il pu être commit chez moi ? C'est impensable.

« Arsène ? Je peux dormir chez toi cette nuit ? ».

« Bien sûr, tu auras la chambre d'ami ».

Dès que les équipes quittent mon appartement, je sens comme un vide. Dire qu'il y a quelques heures, un corps gisait sur le sol. Je ne peux pas rester ici. Mon logement est mis sous sellé et je ne sais pas quand j'y aurais accès pour vider mes affaires. Le temps que les équipes terminent de fouiller le lieu à la recherche d'empreintes, je n'ai pas le choix que d'attendre. On m'a expliqué la procédure, je l'ai écoutée d'une oreille. C'est mon frère qui a fait la liaison. Ash m'a une nouvelle fois demandé si ça allait pour ce soir. Je bredouille une phrase sans doute dénuée de sens. Sa main dans la mienne est la seule chose qui me ramène dans la réalité. Être sur la Terre ferme ne m'enchante pas du tout. Tout ce que je souhaite est de partir d'ici. Dès que possible, je déménage.

Depuis que je suis dans son appartement calme, je ne cesse de regarder dans le vide. Ma respiration est calme, ma gorge est encombré d'avoir pleuré et mes yeux sont rouges. Pleurer me fait mal. Leslie. Son prénom est encore frais, je l'ai appelée hier après-midi. Je l'ai appelé hier après-midi pour savoir si le baby-sitting tenait toujours. La réponse est tragique. Elle en a payé le prix fort.

« Tu penses que sa famille m'en veut de lui avoir donné du travail cette nuit ? ».

« Aupe... Leslie a été géniale avec Atlas et ce qu'il s'est passé ce soir est effroyable ».

« Je n'ose imaginer ce qu'il a pu entendre » dis-je en éclatant en sanglots.

Mon frère serre sa tasse de thé si fort qu'elle se brise sur le sol. Il émet un gros mot avant de se lever pour nettoyer l'eau avec une serpillère qui trainait sauf qu'il change d'avis et me prend dans ses bras. On s'en fiche du thé. Le nettoyage attendra. En se rapprochant de moi, il essaye de me murmurer des paroles rassurantes. Il m'explique ensuite que je vais devoir aller à la Tour répondre à quelques questions. Je ne sais pas comment trouver le sommeil cette nuit. Je suis concentrée sur le bien être de mon fils et sur les circonstances atroces qui vont se répercuter sur moi. Et bien sûr, la presse va s'y mettre en publiant des articles faux d pour gagner des clics sur Internet.

« Rassure-toi, l'entretient sera rapide, tu devras justifier ton emploi du temps même si je présume qu'il a été vérifié. Et tu expliqueras comment tu as embauché Leslie pour garder ton fils lors des concerts ».

« D'accord » répondis-je en reniflant. « Je devrais me débrouiller pour ne pas perdre mes moyens et être la plus coopérative possible ».

« Va te reposer quelques heures, je me charge de mon neveux ».

« Merci Arsène » dis-je en le serrant à mon tour dans mes bras.

Je n'ai pas envie de le lâcher.

Des cercles sont tracés dans mon dos afin de me bercer comme un bébé. Il avait l'habitude de sécher mes larmes enfant, rien qu'en faisant ces cercles dans le dos. Il a le don de calmer les gens. Ces moments là me manquent. J'ai de la chance d'avoir un bébé de huit mois calme. Il n'a besoin que de la veilleuse pour faire de beaux rêves. Mes rêves sont agités depuis quelques semaines. Non que quelque chose me préoccupe particulièrement. Ma carrière se passe bien. Les concerts sont des moments formidables. Mes frères sont avec moi de temps en temps sur scène, on participe aux albums des uns et des autres parfois, ce qui plaît beaucoup à la communauté fidèle de mes frères. Quelque chose me perturbe. D'ailleurs, je dois appeler Stella à ce sujet. Encore une chose à noter dans mon agenda.

« Va dormir un peu, on verra demain matin ».

Sur ces bonne paroles, je ne parviens pas à dormir plus de trois heures. Dont une heure à ressasser la soirée entière. Je ne sais pas comment annoncer la nouvelle aux parents de Leslie.

Regarder le plafond ne va pas m'aider à répondre à mes questions qui tombent dans l'oubli.

Je me lève avant le lever du soleil pour m'installer sur la terrasse munie d'une tasse de thé brulante, de couverture pour ne pas me faire perdre la notion du froid et de mon carnet à dessin. Dessiner me permet de m'évader. Je suis loin du talent de mon amie Stella qui mériterait d'être exposée dans des galeries d'arts. Elle m'a appris les rudimentaires, les bases, les détails à ne pas négliger dans un dessin. À force de m'entrainer, j'ai acquis mon style que je signe en bas de la page avant de poster la photo sur Instagram. Ce compte secret me permet de partager ce qui me semble utile. En dehors de la musique. Je travaille sur un nouvel album en ce moment. J'écris les mélodies qui composera la première chanson. Avant de m'y mettre, je prends du temps avec moi-même. Me vider la tête avec un crayon et du papier.

Les traits du crayon se réalisent tout seul. À croire qu'il sait quoi faire.

Dans ma tête absolument pas en ce moment. Le corps de Leslie n'est plus chez moi. J'ai envie de le voir dès que possible, n'étant pas membre de sa famille je ne sais pas si j'aurais l'autorisation. Eux aussi sont dans une spirale infernale. Une famille dont Leslie voulait préserver la santé. Ses nombreux démons ont été l'alarme pour rebondir. Sauf que les choses ont dérapé cette nuit et je ne sais pas comment gérer ça. Bien entendu je pense à elle, qu'à t-elle vu, entendu en dernier ?

Je prie pour que cette affaire soit prise en compte par la Tour et qu'il y ait une lumière dessus.

La sonnerie de mon téléphone me sort de mes pensées. Mon amie Stella.

« Hey, comment tu te sens ? ».

« Mal ».

Quoi répondre d'autre ? La babysitter en qui j'avais une confiance aveugle de confier le fruit de mes entrailles comme on le dit est morte dans mon appartement cette nuit. Une nuit d'enfer pour elle et je ne sais pas quoi faire pour aider l'enquête à avancer dans de bonnes conditions. Je sais bien qu'il y a des affaires classées sans suite, non résolues, d'autres qui attendent bien trop longtemps.

« J'ai appris la nouvelle via les informations ».

« Comment ça via les informations ? ».

« Tu ne vois pas les hélicoptères voler au-dessus de chez toi ? ».

« Les quoi ? » dis-je choquée.

« Allume la télévision ».

« Attends une seconde » dis-je en lâchant mon matériel.

Dans le salon de mon frère, je mets deux interminables minutes à trouver la télécommande, allume l'écran et évidemment les informations tournent en boucle. La fin du reportage défile, je dois attendre le prochain après la publicité. Les publicités durent longtemps dans ce pays. Je peine à articuler un mot face à l'annonce que mon amie m'a faite il y a cinq minutes. Des gens ont appris cette affaire, comment ? Mes voisins ont-ils entendus quelque chose que j'ignore jusqu'à présent ? Certains de mes voisins ont-ils alerté les médias ? Je ne peux pas croire que des gens aient pu vendre cette information confidentielle et tragique sur Leslie à la presse. Une fois que la publicité est terminée, le présentateur reprend le cours de l'émission du soir, le fameux reportage recommence. Les images sont prises de nuit, à mon avis pas longtemps après la tragédie. Peut-être que les médias ont pris des images de l'horreur ? Il faut que la police soit prévenue pour les exploiter et les interdire de diffusions. Je refuse que ces images soient diffusées partout sur Internet et à la télé.

La prise de vue est fixée sur mon immeuble. Je le reconnais. À côté, les rideaux de la fleuriste et du marchant de journaux ne sont pas ouverts à cette heure tardive.

Je n'en reviens pas. Des hélicoptères survolent bien l'immeuble dans lequel je vis et mon appartement.

Bouche bée, je ne sais pas quoi répondre face à ce que mon amie m'a dit.

« Tu regardes le reportage ? » me demande t-elle.

Le son est mis au minimum pour ne réveiller ni mon frère ni mon fils.

« Oui » finis-je par répondre.

Je suis absorbée par ce qu'il se passe. Pauvre Leslie. Si ça se trouve, son assassin est filmé et je ne le vois pas pour lui faire justice. Les larmes coulent le long de mes joues en y pensant. C'est tragique. Je peine à détacher mes yeux des bandeaux qui circulent en bas de l'écran et je n'ose pas regarder les réseaux sociaux. Mon téléphone doit être inondé de notifications et c'est bien la dernière de mes préoccupations. Je me dois de les désactiver. Terminer. Je peine à regarder l'écran.

Les hélicoptères courent au scoop le plus dramatique, c'est lamentable. Une enquête est en cours sur ce fait tragique et je ne veux aucune fuite. Leslie mérite d'être en paix et bien entendu respectée. C'était une femme respectable, ayant eu un passé compliqué, elle remontait la pente. Elle avait repris ses études pour avoir un job classique et se fondre dans la masse. Je ne comprends pas pour quelle raison, les médias s'emparent du moindre faits divers, de plus me concernant car Leslie travaillait pour moi. Je vois pourquoi, les médias s'y intéressent et c'est honteux. Je me vois mal intenter une action en justice contre les médias qui osent louer un hélicoptère pour survoler mon appartement, au risque de violer ma vie privée.

« Tu veux que je fasse quelque chose ? ».

« Je ne sais pas. Lutter contre les médias est une cause perdue ».

« Ils n'ont pas le droit de... ».

« Ils veulent une vérité ».

« Une vérité qui n'a pas été révélée, l'enquête est en cours. Tu veux venir chez moi pour les prochains jours ? ».

« J'en ai envie et je doute que quitter l'état est raisonnable, je suis chez mon frère. Mon appartement est fermé et je ne sais pas quand j'y aurais accès pour récupérer des affaires. La Tour va s'en charger pour une durée indéterminée ».

« Je vois. Oui tu as raison ».

« Excuse-moi Stella d'être... ».

« Aupale » me coupe t-elle. « Surtout pas. J'appelais pour savoir si tu allais faire quelque chose dans les prochaines heures ».

« Toute cette histoire me dépasse ».

« Tu as eu un contact avec la Tour depuis ? ».

Je sens au son de sa voix qu'elle ne sait plus quoi dire d'autre et qu'elle se creuse la tête pour ne pas mettre fin à la conversation. Les événements sont trop récents, d'à peine quelques heures et les choses se sont enchainées. L'équipe scientifique de l'Archange de la ville est venue chez moi, alors que je vivais une vie tranquille avant cette nuit. On ne se rend absolument pas compte de la suite des événements. C'est quelque chose de choquant.

Leslie me manque beaucoup. Je pense à elle. Je pense à son sourire quand elle voyait mon fils à peine la porte ouverte. Je me souviens de l'entendre chanter des comptines et des chansons pour lui faire plaisir ou pour l'endormir. Elle avait un instinct maternel. Je suis certaine qu'être mère était comme une évidence pour elle. Leslie m'a expliqué que c'était impossible, pour des raisons personnelles. Ensuite, sa démarche de devenir un vampire a été envisagé. Chaque étape du processus a été difficile car son corps a changé, son état d'esprit aussi et quand je l'ai revu il y a trois ans, elle a pris sa place. Je sais que mon frère a été surpris mais l'a encouragé si ce choix lui convenait. Ensuite, sa joie de vive a été diffusée à la fois chez moi mais dans les autres foyers où elle donnait de son temps auprès des enfants. Avant je vivais à Atlanta pendant cinq ans. J'ai déménagé à New-York auprès de mon frère Arsène. Un an que je vis dans cette ville qui ne dort jamais et comme Leslie travaillait auprès de ses voisins depuis déjà deux ans, autant profiter de ses services.

« Je vais aller à la Tour, ils vont m'interroger sur la nuit horrible que Leslie a vécu et lancer une enquête. Si je vois sa famille, je ne sais pas quoi leur dire ».

« La vérité sera dite par les agents de police, je suppose qu'ils collaborent avec la Tour de l'Archange, ça s'est passé sur son territoire ».

« Le soucis est que je ne l'ai jamais vu. À part à la télé. Les images sont différentes de la réalité. Mon arrivée ici ne date que d'il y a un an ».

« L'Archange n'est pas aussi cruel qu'il en a l'air, si ? ».

D'après ce qu'on lit sur Internet si et honnêtement je n'ai pas envie d'en savoir plus. Je ne suis qu'une musicienne face à un Archange. Il a d'autre chose à faire que de se préoccuper de mon affaire. De plus, je dois rencontrer son Second dans quelques jours et je sais qu'il intimide beaucoup de gens. À croire que j'aurais l'air d'une enfant. La Tour est incontournable. Impossible de ne pas la voir, elle domine la ville. Je ne suis qu'une citoyenne parmi d'autres pour cet Archange. J'ai juste entendu dire que sa politique s'était assagit sur certains bords suite à sa rencontre avec son affiliée. J'ose espérer que cela suffise à mettre les points sur les « i » mais aussi à ne pas être trop sévère. Je me fais des films. Ce sera une affaire traitée rapidement. Je tiens à ce que Leslie obtienne justice, que sa famille puisse avoir des réponses. Dans un monde idéale, c'est ce que je souhaite. La réalité est toute autre, c'est bien le problème.

C'est dans ces instants précis que je me demande ce qu'elle me dirait si elle m'entendait. Sans doute le contraire que ce qui se profile dans mon esprit.

Je n'ose pas répondre ça à Stella. Je pense aller à l'essentiel en disant que les médias en profitent. Si l'Archange a changé en côtoyant son affiliée qui l'a aiguillé sur une manière de pensée extérieure à son monde, je pense que ça ira.

« La presse déforme beaucoup d'informations, on en sait quelque chose mais dans son cas, je doute que ce soit totalement faux ».

« Ne te décompose pas en le voyant ».

« Auquel cas, je t'appelle, c'est ça ? ».

« Exactement. Aupe, je suis solidaire avec toi. Si tu as besoin d'aide avec Atlas, tu sais que je suis là. Tes frères seront peut-être plus rapide que moi ».

« Merci, ça signifie beaucoup. Crois-moi je rêve de venir en Floride prendre de la distance sur tout ça chez toi. Je t'appellerais après mon rendez-vous à la Tour promis ».

« Bien sûr. Oh il faut que je te laisse, j'entends les pleurs de ma fille. Je t'embrasse fort, embrasse Atlas pour moi et à bientôt ».

« Bonne nuit, je t'embrasse aussi et Zoélie ».

Discuter avec mon amie m'a fait du bien. Je me rends compte que les années défilent sans que notre amitié ne prenne l'eau. C'est une grande satisfaction. D'ailleurs, elle travaille sur son nouvel album et on a prévu une session de travail commune la semaine prochaine. Avec tout ce qu'il se passe en ce moment, je ne sais pas si la maintenir est une bonne idée. J'éteins la télé pour ne plus entendre les informations. De toute façon, je n'écoutais plus. Autant couper court.

Je quitte le salon pour m'assurer que mon bébé dort bien. Sentir son odeur est ce qui m'apaise le plus. Il est ma priorité. Et en ce moment, je me consacre à son bien être. Je veux qu'Atlas grandisse loin des photographes sans scrupules et déterminés à publier des clichés privés. Des photos trop pixelisées pour voir quoique ce soit en plus, je n'ai jamais compris l'intérêt et encore moins celles volées quand je me promenais avec lui ou quand je lui donnais le biberon. J'y ai eu droit en sortant de la maternité. J'avais plus ou moins anticipé en cachant son visage.

Il dort paisiblement dans son lit. Ses belles plumes bleues canard sont un peu entremêlées, il est si mignon. Il a hérité de mes couleurs et de celle d'Ayrian, ça fait un mélange. Son père manque quelque chose en ayant coupé les ponts. Ce crétin m'a laissé tombé avant que je n'annonce officiellement ma grossesse à mon agent. J'étais seule du début à la fin lors du processus médical. Ma famille a été présente pour moi, l'une de mes rares amies dans ce milieu artistique aussi et sans eux, je ne sais pas comment j'aurais pu gérer tout ça. Quand je regarde ce petit ange dormir, rien ne peut le perturber. Je caresse du bout des doigts ses cheveux bleus, il a hérité des miens. Physiquement, on se ressemble. Son père ne lui a pas beaucoup donné de traits, son nez oui et la forme ronde de son visage. La couleur des cheveux, la couleur de ses plumes sont de mon côté. Ses yeux ne restent pas clos plus longtemps, son regard marron croise le mien.

« Hey petit ange ».

Sa petite main effleure la mienne.

Il regarde autour de lui et ne reconnait pas tout de suite le décor. Je n'ose pas lui expliquer les larmes aux yeux que nous allons déménager rapidement. Lui me ramène dans une réalité concrète. Il faut que je trouve une solution de logement pour ne pas avoir à rester chez mon frère ou chez mon amie chanteuse un temps indéterminé. Chacun a le droit à sa vie privée. Je compte rester ici quelques semaines tout en épluchant les annonces des agences immobilières du secteur.

« Bien dormi ? ».

Son visage semble apaisé en ma présence. Il a déjà dormi dans cette chambre donc il n'est pas désorienté. Juste un peu étonné de se trouver chez mon frère Arsène. Il ne devrait pas tarder à rentrer de sa répétition. Je n'ai pas reçu de message de mon second frère Ayrian, il est occupé à jouer dans une ville à l'autre bout du monde au profit d'une association que l'on soutient. Et comme les événements se sont enchaînés à la vitesse de la lumière, je n'ai pas pris le temps de lui expliquer correctement. J'espère juste que son voyage se déroule bien, je ne veux pas le contraindre à annuler ses plans pour moi. Tant que l'un est à mes côtés, l'autre peut patienter un peu. Mon dernier message est resté sans réponse. J'ai hâte de le voir franchir le seuil de la porte de l'appartement d'Arsène pour le serrer fort dans mes bras. Je prendrais un appartement pile entre les leur. Je veux qu'on soit assez près pour ne pas avoir cette boule au ventre s'il arrive quelque chose à l'un de nous.

« Il s'est réveillé ? » murmure la voix de mon frère.

Ses cheveux gris orage sont un peu emmêlés. Ses yeux gris sont mis clos. Il n'a pas l'air d'avoir eu un sommeil réparateur. On a les mêmes yeux. Je devine son inquiétude. Sauf dans cette pièce, ici rien ne nous atteint. C'est ce que je présume dans la chambre d'un bébé de huit mois.

« Tonton Arsène est venu te voir » lui dis-je.

« Il a hérité de toi » me souffle mon frère.

« Je sais ».

« J'en suis ravi ».

« Pour lui ou pour moi ? ».

« Pour les deux ».

« Merci ».

Il sent sa main vers celle de mon fils et ce geste me rend émotive. Je suis heureuse que le lien qui nous uni est intacte malgré tout ce qui arrive dans la vie. Ce soir, la vie de mon fils était en danger. Leslie en a payé le prix fort et cette idée me glace le sang. Elle n'a pas hésité une seconde.

La présence de mon frère me rassure. Il m'enveloppe délicatement dans ses bras. Je ressers l'encolure de son t-shirt. Son contact me procure un sentiment de sécurité. Avec lui je suis dans un environnement sain. Tout ira bien. Les trois A sont soudés.

Je vais essayer d'écrire un peu aujourd'hui. Si je n'y arrive pas, je vais simplement regarder Atlas jouer, dormir comme un loir et sourire quand il verra les grimaces de mon frère. Très bon programme. Je veux le préserver. L'idée d'allumer la télévision pour me tenir au courant via les médias m'angoisse déjà. Aucune information de cette affaire ne doit filtrer avant l'accord de la Tour. Si les médias en apprennent plus, je suis dans un piège. Chaque chose en son temps et les images de mon appartement à l'écran me donne la nausée. J'espère bien que c'est la seule chose que les chaines d'informations ont réussi à obtenir. Pas question de plus. La situation est tragique et elle est en cours de traitement par les équipes de la Tour, d'après les bribes que j'ai retenu via Ash. Il faut que je l'appelle plus tard.

Les pages de mon carnet se sont à moitié refermées à cause du vent de la fenêtre ouverte. Rien d'autre que le bruit incessant de cette ville qui ne dort jamais en guise de compagnie. Excepté les interactions avec mon fils. Mon frère est parti faire des courses en début d'après-midi. Mon autre frère arrivera en début de soirée. J'ai hâte de le revoir et de lui raconter tout ce que je sais. Arsène saura trouver les arguments et Ayrian saura me rassurer. Après tout, la Tour veut en apprendre plus sur Leslie, son mode de vie et son lien avec moi. Je vais devoir me justifier auprès du Second de l'Archange ou de l'Archange lui-même je ne sais plus. J'angoisse à l'idée de me rendre à la Tour dans deux jours. Un mail m'a été envoyé avec les dispositions et je souhaite en discuter avec Ash car elle connait bien mieux la Tour et ses occupants que moi.

Le reste de la journée défile lentement. D'un côté, j'apprécie être sur pause quand il s'agit de m'occuper de mon fils, le regarder dormir, le regarder jouer, l'entendre rire. Des choses si simples et qui prennent une dimension plus grande quand on est parent. Je trouve ça beau. J'espère que dans les prochaines années, je pourrais en faire autant avec lui, l'amener aux répétitions de l'orchestre, lui montrer les coulisses et lui faire écouter quelques morceaux. Quand j'étais enceinte, je lui parlais beaucoup. Pour lui faire partager mon quotidien. C'était un bébé calme sauf la nuit, il se réveillait et donnait des coups de pieds.

Il est vingt heures quand je sors de la salle de bain avec mon fils habillé pour la nuit, mon frère est en train de cuisiner. Je sens les odeurs d'épices et j'entends à peine le son de la télévision qui est réglé au minimum.

« Tu entends les informations d'ici ? ».

« Toujours les mêmes qui tournent en boucle ».

« Ça sent bon ».

J'installe mon fils contre moi, un biberon à la bonne température à la main.

Ses petites mains s'y agrippent.

Comment résister à un si petit être et adorable par dessus le marché ? C'est le mien, j'en suis incapable.

J'observe mon frère cuisiner, ça fait longtemps que l'on a pas passé du temps ensemble, hors travail. Il a fallut qu'un meurtre se déroule chez moi pour ça. À force de réfléchir, je commence à établir la chronologie des événements. C'est aux scientifiques de la Tour de la faire et j'aimerais bien la connaître.

« Merci » répond t-il depuis les fourneaux.

« Je meurs de faim ».

« Je crois avoir mal doser les quantités, il y aura des boîtes au congélateur pour les prochaines semaines ».

« Merci de prendre soin de nous » dis-je en relevant la tête.

« Aupale, tu sais bien que les trois A sont unis jusqu'au bout. Même si ça demande de l'organisation, ça me permet de passer du temps avec mon neveu préféré et avec toi en dehors de la musique ».

« C'est vrai, les circonstances sont glauques, j'espère que Leslie aura une justice ».

« Je suis désolé pour elle, tu l'appréciais beaucoup ».

« Sa vie était tracée, plus ou moins ».

« Souvent, les choses arrivent sans que l'on ne sache pourquoi ».

« Pas comme ça voyons ».

« Je suis d'accord avec toi ».

« Qu'est-ce que je vais dire à l'Archange ? Moi musicienne, j'ai été piégée, victime d'un meurtre, par inadvertance ? Ma babysitter a été tuée chez moi, pouvez-vous m'aider ? ».

« Que dire d'autre ? ».

« C'est... on voit ça à la télé, pas en vrai ».

« Oui ».

Je me doute bien que les mots lui manquent à lui aussi. Que dire effectivement, à part exprimer de la tristesse, de la compassion pour Leslie et sa famille, du dégout que l'on peut tomber sur une mauvaise personne sur son lieu de travail et en l'occurence chez moi. Je culpabilise. Je sais que c'était hors de ma portée. J'aurais pu faire plus. Je ne vois pas quoi. Je n'ai pas d'armes de défense chez moi. Il me semble que Leslie avait toujours une bombe au poivre dans son sac. Elle n'a même pas du se rendre compte de la situation, ça s'est passé tellement vite et d'un côté, tant mieux, valait mieux que ça se passe vite pour qu'elle n'ai pas le temps d'avoir peur. Seule l'enquête me donnera cette réponse, si la Tour veut bien communiquer dessus.

« Au fait, j'ai appelé Ash pour lui demander si c'était possible de retirer les vidéos de ton appartement qui sont diffusées en boucle depuis le meurtre, elle m'a dit que l'informaticien de génie de la Tour s'en occupait déjà ».

« Elle a rappelé ? Merci à lui, je lui suis redevable s'il y parvient ».

« Apparemment c'est le meilleur. Ash s'en occupe. Elle travaille beaucoup, elle a à peine le temps de se reposer la nuit mais ton message a été entendu sœurette ».

« Merci beaucoup » dis-je dans un soupire de soulagement.

Je veux que cette histoire soit résolue le plus vite pour me reconstruire et rendre un hommage à Leslie en lui dédiant une chanson.

Je ne peux pas courir le risque que la prochaine babysitter suive le même chemin tragique.

Le fait de changer de lieu de vie est déjà un premier pas. Prendre mes marques. Penser à moi, à mon fils, dans un lieu nouveau et sécurisé me rend optimiste pour la suite de mon séjour dans cette ville qu'est New-York où les opportunités ne manquent pas dans mon métier. Jouer pour les gens est un échappatoire en plus de ce que je fais dans la vie. Sur scène, je vois les émotions dans les yeux et sur les visages des gens.

Cette tragédie doit marquer le début de quelque chose.

« J'ai hâte de changer d'appartement ».

« J'imagine bien ».

Un coup à la porte est porté, un second quelques secondes plus tard. Je regarde les yeux gris de mon frère et l'étincelle nous parvient, mon autre frère vient de rentrer.

« Qu'est-ce qu'il se passe dans cette ville en mon absence ? » s'exclame mon autre frère qui passe le seuil de la porte sous nos regards surpris.

« Tu en as mis du temps ».

« Excusez-moi mais l'aéroport était bloqué. La circulation est infernale dans cette ville. J'ai à peine écouté les informations, j'ai écouté les conversations des gens autour de moi ».

« Je n'ai pas plus de réponses Ayrian ».

« Ma pauvre, tu dois être bouleversée » dit-il en me serrant dans ses bras.

« Je suis convoquée à la Tour ».

« Quand ? ».

« Dans deux jours ».

« On a deux jours pour préparer des arguments ».

« Je vous laisse, mon neveux m'appelle pour le mettre au lit ».

Je l'embrasse sur le front pendant qu'Arsène va coucher mon fils.

Ainsi on va passer le reste de la soirée à refaire l'histoire et à regarder les informations pour en apprendre un peu plus, et en vain, l'enquête avance tout juste.


Hey !

Le chapitre 17 est là, désolée d'avoir oublié de le poster hier. C'est écrit dans la bio, si j'oublie de poster mercredi ce sera le jeudi et si imprévu ce sera soit le week-end soit la semaine suivante.

Merci de continuer à lire mes chapitres

Bonne lecture ! ;)