Playlist

« Somewhere only we know » Keane

(chanson reprise plein de fois par d'autres artistes super, à vous de choisir la version)

« If they only knew » Alfie Arcuri

« In case you don't live forever » Ben Platt

« Best I'll ever sing » Maisie Peters

Chapitre numéro dix neuf

Point de vue d'Aupale

Venir à la Tour est sans doute l'expérience que je redoute le plus. Elle est tellement haute que je peine à distinguer le ciel au-dessus et les lunettes de soleil sur le nez ne m'aide pas à être éblouie par son reflet.

Je laisse le taxi partir.

Je suis seule face à cette immense Tour.

Je suis sur le territoire d'un Archange. Logique que je sois intimidée.

Leslie doit être prise en compte, je veux que son ravisseur soit attrapé. Répondre à quelques questions ne doit pas être si difficile.

Je prends une grande inspiration avant d'entrer par la porte principale, les lunettes de soleil rangées dans mon sac. Je me suis dis qu'il valait mieux arriver par la terre que par les airs. Quand mon frère Arsène m'a appelé tout à l'heure, j'entendais mon bébé rire. Sans doute à cause d'un dessin animé mais l'entendre m'a donné de l'énergie. Discuter un peu m'a aussi conforté dans l'idée que je n'ai rien fait de mal. Ça parait logique. Croyez moi que se retrouver face à la Tour d'un Archange, dans son bureau est la chose la plus déstabilisante du monde. Quoiqu'on en dise sur mon métier, jouer de la musique classique dans une salle sombre n'est pas aussi effrayant. Les gens s'assoient à une place attitrée, ils sont habillés sur leur trente et un et ils écoutent attentivement. Regarder les visages de temps en temps me plait bien, j'aime voir des visages heureux, des visages émus parfois. Les gens m'écrivent sur les réseaux sociaux pour me confier que ma musique, celle de mes frères aussi les ont aidé à une période particulière de leur vie. Alors que cette période fut heureuse ou malheureuse, si la musique a pu les aider d'une quelconque manière, le contrat est rempli. Ce type de message me touche au plus haut point. J'essaye d'y répondre le plus possible pendant mes jours de repos, cette proximité n'a pas de prix. Si beaucoup d'autres artistes estiment que c'est normal ou que c'est habituel, pour moi non, ça représente une véritable chance et ça donne un sens à ce que je fais dans la vie.

De là-haut, des anges se posent et décollent du toit. J'envie les habitants des immeubles à côtés de pouvoir les observer. Si j'avais cette chance, je serais avec mes jumelles collées au nez pendant des heures. Mes voisins me trouveraient bizarre et si un ange me surprenait en flagrant délit d'observation non consentie, je me sentirais mal, gênée pendant un certain temps sans oser recommencer, en n'oubliant pas de prendre des précautions afin d'être discrète. Me connaissant, je me serais trahie par le reflet d'une lumière sur la lentille de la jumelle.

Le hall de la Tour est très sophistiqué, je ne m'y attendais pas. Du marbre couleur gris, très belle couleur, au sol et la subtilité est que des veines d'or se mêlent au gris. L'Archange aime la richesse. Au vu de toutes les rumeurs qui courent sur lui, de sa réputation, je ne suis pas choquée par tant de richesse.

Une secrétaire m'accueille un grand sourire aux lèvres maquillés sobrement.

Seules mes chaussures plates font du bruit. Je n'ai pas osé les talons aujourd'hui.

« Bonjour, je suis attendue par l'Archange au nom de… ».

Dire ça ne me serait jamais venue à l'esprit avant ce matin. Avec ce qu'il s'est passé il y a seulement deux jours, autant battre le fer tant qu'il est chaud. Pour Leslie. La secrétaire a anticipé ma phrase de présentation. Je n'ai pas besoin de me présenter, elle m'a déjà reconnue mais je le fait quand même par principe.

« Bonjour, je suis ravie de vous rencontrer Madame, je vous admire vous et vos frères, les trois A » dit-elle la voix tremblante.

« Merci beaucoup, je suis touchée. Ne soyez pas émotive. Vous allez bien ? ».

« Oui merci, je peux vous demandez quelque chose ? » dit-elle en remettant une fine mèche de cheveux qui dépasse de son chignon impeccable derrière les oreilles.

« Oui ».

« Vous voulez bien signer mon vinyle ? ».

« Oh bien sûr, comment vous vous appelez ? ».

« Je m'appelle Suhani ».

Son visage s'illumine encore plus quand son vinyle est signé. Sa journée est faite. Elle le récupère et le place juste à côté du téléphone. Je mets du temps à constater qu'une belle platine trône derrière le bureau. Je ne savais pas que les employés étaient autorisés à écouter de la musique au travail.

« Voilà pourquoi tu as mis autant de temps à la faire monter Suhani » annonce une voix que je ne connais pas.

Je manque de lâcher le marqueur des mains. Une odeur de champagne. D'orchidée ?

Il s'agit d'un vampire, pas d'un Archange.

Ce vampire est charismatique comme j'en ai rarement rencontré dans ma vie.

« Pardon, je… je lui ai demandé de signer mon vinyle. C'est de ma faute ».

« Bonjour, vous n'êtes pas l'Archange ? ».

« Non je ne suis pas Raphaël, il est en déplacement, c'est moi qui vais vous recevoir. Je m'appelle Dmitri, le second de l'Archange de l'Amérique du Nord ».

« Je m'appelle… ».

« Aupale Collins. Musicienne de renom et très talentueuse. Suivez-moi ».

« Merci » parviens-je à articuler. « Je vous suis ».

Tous ne me laissent même pas le temps de me présenter ce matin. Pour une fois, j'aimerais laisser la musicienne de côté. Même si je suis flattée de l'attention portée à mon travail. Je suis avant tout une citoyenne et en l'occurence une proche de la victime retrouvée chez moi.

« Merci Suhani » lui adresse le second d'un geste de la main.

L'ascenseur montre trop lentement pour moi. Je ne pensais pas rencontrer un second d'un Archange. Ce vampire transpire la puissance. Il a un charisme qui se remarque à dix kilomètres. Je me sens réduite à une souris. Je range mes ailes afin de ne pas frôler quoique ce soit. Mes mains sont moites. Mon stress monte un peu. Le nombre d'étages défile sous mes yeux. Dix. Quinze. Vingt étages. Je cesse de me défaire de la vitesse de l'ascenseur. Il ne dit pas un mot. Je n'ose pas reprendre la conversation.

Dans le couloir, j'admire les vases en cristal qui doivent coûter une véritable fortune et je ne parle pas des tables sur lesquels ils trônent. Les roses qui s'étendent dans les vases doivent être rares; je ne les connais pas dans mon répertoire de connaissances. Pourtant, j'aime les roses. Elles dégagent un parfum inégalable à une autre fleur. Je ferme un instant les yeux pour humer le parfum. Dmitri doit le remarquer car il accélère le pas. Les lustres au plafond sont sublimes. Je suis impressionnée par le goût de la décoration. Si c'est Dmitri, il s'y connait vraiment et si c'est Raphaël, il a d'excellente référence en la matière. Je prends note pour quand je serais suffisamment riche pour m'offrir de quoi rivaliser avec le lieu. Quelques millénaire de travail m'attendent.

Le bureau en verre de Dimitri se dessine au bout du couloir. On y voit toute l'étendue de la ville de la Grosse Pomme derrière lui. À chaque fois qu'il signe un document, il a cette vue incroyable dans le dos. Il doit l'admirer tous les jours. On n'entend même pas le bruit de mes pas sur la moquette noire qui tapisse le sol. La moquette est connue pour amortir les sons. Et les chocs.

Il m'ouvre la porte avec galanterie. J'entre dans le bureau, m'assieds sur le beau fauteuil marron dans lequel il m'invite à prendre place. Sur une étagère derrière trône un très beau bouquet des mêmes roses parfumées à la vanille dans le couloir. Je hume une dernière fois leur odeur avant de me concentrer pour l'entretien.

« Je dois dire que c'est la première fois que je rencontre le second d'un Archange ».

« Il faut une première fois à tout » répond t-il d'un sourire mince mais un sourire quand même. « Merci de prendre du temps sur votre emploi du temps pour venir répondre à quelques questions ».

« Oh, je vois en prie. J'espère vous aider un minimum à résoudre cette affaire ».

« J'ai besoin de savoir quels étaient vos liens avec Leslie ».

« Leslie était la babysitter de mon fils. Elle s'en occupait quand je jouais le soir ».

Mon lien avec la babysitter était professionnel. Avec le temps, une confiance mutuelle s'est installée. Je lui demandais comment se passait ses journées, elle me demandait comment s'était passé le concert du jour. Elle chantonnait parfois quand je rentrais à la maison. Dire que je ne l'entendrais plus me fait mal au cœur.

« Depuis combien de temps ? ».

« À peine un an. Elle travaillait déjà dans l'immeuble où je réside. C'était une femme respectable qui n'aspirait qu'à une nouvelle vie ».

« Elle n'a été transformée en vampire que depuis trois ans » constate t-il. « Avait-elle des ennemis ? Une relation amoureuse qui a mal tourné ? ».

« Euh… elle ne m'en parlait pas. Je respectais sa vie privée ».

Sa vie privée était pour ainsi dire privée. Bien sûr, si l'envie lui prenait de me partager quelque chose, mon oreille était attentive.

« Il est possible que des rivalités amoureuses soient le fruit d'actes aussi odieux vous voyez ».

« Pas elle. Du moins je l'espère ».

« Donc vous l'engagez pour s'occuper de votre fils quand vous n'êtes pas disponible, elle se confiait à vous ? ».

« Elle avait repris des études, son travail de babysitting lui servait à payer la fac. Et il y a trois ans, elle parlait de son projet de vampire, elle m'a signifié que ce choix n'avait pas été facile et que son dossier avait été approuvé la deuxième fois. Je vivais à Atlanta avant, elle résidait dans cette ville. Mon frère a fait appel à elle une fois pour un autre bébé dans la famille. Et j'ai déménagé à New-York pour être auprès de mes frères. J'ai toujours eu une prise de contact avec elle ».

« Je vois ».

Ce vampire est énigmatique.

Je n'arrive pas à déceler ce qu'il pense. C'est un don de camoufler ses émotions.

« Vous croyez que ce n'est pas un accident ? » osais-je demander. « Son corps a été retrouvé chez moi sans trace d'effraction ».

Dire ces mots à voix haute me procure des frissons d'effrois. Jamais je ne pensais les prononcer, surtout pas devant un vampire aussi puissant que Dmitri. Le second d'un Archange qui plus est. Je suis vraiment dans de bonnes conditions. Il me met à l'aise car son ton est neutre, il est déstabilisant mais pas malveillant. Je pense être libre de m'exprimer face à lui. Et ça n'ira pas juste en signant des vinyles. La secrétaire était plus facile à amadouer.

« Exact. Dans nos analyses, on a extrait des empreintes étrangères aux siennes et dans notre base de données on a eu une correspondance hier matin ».

« Co… comment est-ce possible ? ».

« Un vampire qui était dans un état second. Possiblement dangereux. Je doute qu'elle le savait, il était recherché, ses empreintes correspondent, ils se connaissaient ».

« Elle a été tuée par un ancien copain ? ».

« Les empreintes disent vraies alors oui ».

Ces mots me heurtent. Leslie n'était pas du genre à utiliser mon appartement autre que pour les besoins professionnels, je l'employais. Son attitude sérieuse m'a rassuré et motivé à l'embaucher. Jamais elle se serait faite avoir comme ça. Elle a été victime d'un piège, je ne vois pas les choses d'une autre manière.

« Comment ce vampire a t-il eu mon adresse ? ».

« Il a glissé un traceur GPS dans le sac de la victime ».

Je me retiens de me lever pour aller vomir dans les toilettes les plus proches du bureau.

Je n'en reviens pas.

Ces systèmes immondes de géolocalisation sont détournés de manière sordide. Et Leslie en a payé les frais. Ça aurait pu être moi si les plans avaient changés à la dernière minute. Et mon bébé aurait pu faire partie des victimes. Cette pensée me fait mal au cœur. Des larmes perlent le coin de mes yeux. Ma respiration se bloque un instant.

Dmitri me tend un mouchoir en papier pour essuyer les larmes aux coins de mes yeux. Elle a été victime d'un plan machiavélique. Sans doute l'a t-elle rencontrée sur une application de rencontre.

« J'ai appelé Leslie la veille du drame pour savoir si ses disponibilités étaient encore valides et… ».

« Je sais, votre numéro apparait en dernier dans son répertoire d'appels ».

« Oh » dis-je en utilisant à nouveau le morceau de papier. « Je suis désolée ».

« Moi aussi, pour elle, pour vous ».

« Leslie était une fille bien ».

« Je n'en doute pas. Aussi, nous avons trouvé un morceau de partition dans le fond de sa gorge ? Il a été photographié. Vous le reconnaissez sur la photo ? ».

Dmitri glisse une photo prise de la partition. Je suppose que la pièce principale est scellée sous plastique. Je plisse les yeux pour mieux la lire. Au premier abord, je devine mon écriture. Cette partition est à moi ?

« Clair de lune, Claude Debussy » dis-je. « Mon frère sait la jouer au piano ».

« Je ne sais pas si c'est un message mais l'attention de vous nuire est claire ».

« Mon violon a été volé » bafouillais-je. « Je ne sais pas comment, les instruments étaient gardés sous scellé. Quel est le lien avec la partition ? ».

« Comptiez-vous jouer ce morceau prochainement ? ».

« Lors d'un concert pour une association caritative de la ville oui, la semaine prochaine je crois ».

Le jour exact, je ne sais plus. Je n'ai pas mon agenda sous les yeux et cet entretien est en train de tout faire bousculer dans ma tête. Sans compter les dernières quarante huit heures, je suis chamboulée. Rien ne va. Je garde mon calme devant le vampire, l'envie de faire les cent pas dans le bureau me tente.

« Très bien, le lieu sera sécurité. J'appellerais votre agent tout à l'heure ».

« Promettez-moi de résoudre cette affaire ? ».

Personne ne peut tenir une telle promesse.

Les choses sont plus complexes.

« Le vampire qui l'a tuée est mort. Il était sous substance, le Soleil noir. Les effets secondaires sont dévastateurs pour les jeunes vampires. Il a couplé ça avec d'autres substances ».

« Il… il est mort ? ».

« Oui ».

« Alors, l'enquête est classée ? ».

« Pas pour les violons. Vous avez fait un signalement à la police ? ».

« Oui, l'orchestre entier l'a fait. La police a pris le problème au sérieux mais les instruments sont très vite revendus vous savez, leur valeur peut être inestimable ».

« Je comprends Madame Collins ».

Il ne sait pas quoi répondre à ce sujet. Je sais que l'affaire est en cours. Les instruments eux doivent être stockés quelque part en dehors de la ville, à défaut d'être revendus sur Internet dans les prochaines semaines. Certains valent une véritable fortune.

« Pouvez-vous m'en dire plus à propos des instruments s'il vous plait ? ».

« Des Stradivarius ? Ce sont des violons d'une grande valeur, pas qu'historique, ce sont des objets qui n'existent qu'entre 600 et 700 exemplaires dispersés dans le monde entier. Le créateur de ces violons se souciait du confort du musicien, les caisses sont allongées et les manches aussi. Quand on joue, on a l'impression que le violon nous guide. Les partitions n'existent plus. Le public n'est pas là. Il n'y a que le musicien et l'instrument entre les mains sur la scène. Rien d'autre n'existe. Les violons sont finement décorés, la pigmentation rouge font que ce sont des caractéristiques uniques au créateur. Ce sont des joyaux ».

« C'est une grande perte dans votre milieu » souffle t-il en croisant les mains. « Je suis désolé pour la perte occasionnée dans votre métier. Je suis sensible à l'art même si parmi les Sept, il y en a qui y sont encore plus sensibles ».

Je n'ose pas demander qui.

« Vous croyez qu'il y a un lien ? ».

« Des instruments peuvent servir de prétexte pour transporter de la drogue. Aux frontières, la drogue passe plus facilement. Personne ne contrôle la marchandise ».

« Oh ».

Je tente de faire le tri des informations. Je ne peux pas imaginer que des instruments peuvent être utilisés comme bagage pour de la drogue. Les objets en questions sont rares et délicats, la drogue peut s'infiltrer dans le bois selon sa nature et les conditions de transport. Les médias en parlent tous les jours.

Je prends du recul sur la situation. L'idée me terrifie que les instruments aient disparus à ces fins sordides.

« Je reconnais l'enjeux mais votre aide est précieuse Aupale ».

Entendre mon prénom dans sa bouche me donne comme des frissons, jamais je n'ai imaginé un tel scénario.

« Que deviendra mon appartement ? » osais-je demander.

« Vous pouvez y accéder pour récupérer vos affaires personnelles et déménager dans la foulée. La Tour s'occupera de le remettre en état pour l'acheter. Il sera réquisitionné ».

« Ça beaucoup d'informations » dis-je encore sous le choc.

Je vais devoir renoncer à une partie de ma vie dans cet appartement. Dmitri me glisse les clefs sur le bureau en verre.

« Le système d'alarme n'a pas fonctionné, pourquoi ? ».

« Il a été désactivé » répond une autre voix.

Je me retourne et découvre un autre vampire, cette fois-ci dans un fauteuil roulant.

« Je m'excuse d'avoir interrompu cet entretien, j'ai…j'ai entendu et voici le rapport de la société de télésurveillance qui s'occupe des alarmes, de celle installée chez vous ».

« Merci Vivek ».

« C'est vous l'informaticien dont Ash m'a tant parlé ? ».

La question parait un peu rude au premier abord mais si c'est lui, je suis heureuse de le rencontrer.

« Je suppose, le seul informaticien qui soit reconnu ici. J'espère qu'elle vous a dit du bien de moi » me répond t-il en rougissant un peu.

« C'est vous qui avez effacé les images de mon appartement sur les chaînes infos ? ».

« Oui, j'y ai contribué » répond t-il en se grattant l'arrière de la tête.

J'ai entendu dire qu'il était responsable des Caves de la Guilde. Il règne en maître à la Tour maintenant ? Ash m'a tant parlé de ses exploits en informatiques. Rien ne lui résiste. Ses yeux marrons disent beaucoup de choses. Je n'insiste pas et reviens à l'essentiel de mon message initial.

« Merci d'avoir fait tant d'efforts pour effacer les images, je vous suis reconnaissante et je vous dois beaucoup Vivek ».

« Ce n'est que mon travail » ajoute t-il en begeyant presque.

Je le trouve mignon.

Il semble être un vampire récemment transformé. D'après Ash, il revit depuis qu'il a l'immortalité. À lui les choses qu'il a longtemps tardé à faire. Et il est responsable de la sécurité ici.

Je ne vais pas le déranger plus longtemps.

« Euh » ajoute t-il « le moment est bizarre mais je peux vous demander une photo tout à l'heure ? Je vous admire, votre travail est très bon ».

« Bien sûr Vivek » répondis-je sans croiser le regard de Dmitri.

Le vampire en fauteuil approche, sort son téléphone dernier cri et prend une photo, je lui laisse en prendre une deuxième en faisant chacun une grimace. Il a un sourire jusqu'aux oreilles.

« Vivek » intervient Dmitri.

« Oh, pardon Dmitri. Je me sauve. Au revoir ».

« J'espère que ça ne vous importune pas. Toute la Tour est en émoi, vous êtes connue jusque ici ».

« Du tout, j'aime quand les gens apprécient ma musique et quand c'est gentiment demandé je dis oui. En plus Vivek m'a rendu une fière chandelle, je peux lui accorder une photo ».

« Vous êtes bien aimable. Rassurez-vous, cet entretien restera confidentiel ».

Je hoche la tête en guise d'approbation. Je suis aussi soulagée que ce soit terminé. Je m'en suis fait une montagne. Quelle idée. Le second d'un Archange ne peut pas me manger.

La vue depuis le bureau de Dmitri est incroyable. Personne n'a une meilleur vue que lui sur la ville.

L'idée de sortir d'ici et rentrer chez moi m'enchante. Je n'ose pas sortir mon téléphone et consulter mes notifications. Dmitri me regarde d'un air bienveillant.

Le vampire me raccompagne jusqu'au hall de la Tour. Le trajet fut moins gênant qu'à l'aller où je ne savais pas où me mettre. Au moins, j'ai pu donner des détails sur Leslie et j'ai obtenu des réponses à des questions. Des réponses qui me resteront au travers de la gorge.

« Merci de votre aide, je vous recontacte si besoin. En espérant de bonnes nouvelles ».

« D'accord ».

Il me tend la main que je serre.

Échanger des banalités avec lui ne me viendrait pas en premier à l'esprit. Il me remercie de ma collaboration et espère que l'enquête révélera la source d'approvisionnement de ce fameux Soleil noir. De toute manière, la presse en a plein la bouche. La une des journaux changent tous les jours. Si je peux éloigner ces vautours de ma vie privée, de mon ancien appartement tant mieux. Je serre les clefs de celui-ci dans le creux de ma main. L'idée d'y entrer à nouveau me fait peur. Si j'y ai vécu de belles heures, l'horreur est venue s'y mêler. Pas question de recommencer à y vivre. Je vais annoncer à Arsène qu'il me faut accélérer la recherche d'un logement, les rares visites n'ont pas été positives, peut-être que la dernière le sera. Le propriétaire ne m'a pas donné de réponse et le délai se termine demain il me semble.

Respirer l'air extérieur me rassure.

D'extérieur, la Tour peut impressionner voire effrayer les gens. Sauf que j'ai ressenti le contraire dans le bureau en verre de Dmitri. Non seulement la vue imprenable m'a fait oublier beaucoup de choses, sa puissance émanait de lui comme une radiation et ses questions simples ont eu une réponse. Pas besoin de m'inquiéter davantage et la situation est telle que ce sera une affaire classée. Leslie a été découverte inerte chez moi, son agresseur n'est plus là pour témoigner de ses actes ni pour dire quoique ce soit. Je suis triste pour elle. Il ne pourra faire de mal à personne. Il ne méritait que l'enfer de toute façon. Mon cœur est serré pour elle et un poids tombe de mes épaules après cet entretien. Les choses ont été dites.

Une silhouette que je connais bien me fait un signe de la main et je suis soulagée de la voir. Il doit être midi et j'ai faim. Ma famille est exactement ce que je veux voir là maintenant. Mon bébé est habillé tout en gris, je suis attendrie par son sourire.

« Hey, alors ça s'est bien passé ? » me demande mon cher frère.

« Mieux ce à quoi je pensais » dis-je en le prenant dans mes bras.

« Quelqu'un était pressé de te voir ».

« Je vois, qu'il est beau en gris ».

Mon bébé me fait un grand sourire. Ça me fait du bien de le voir. Je l'embrasse sur la joue et le serre contre moi. Son odeur me procure une joie. Je peux enfin prendre une grande bouffée d'oxygène en dehors de la Tour.

« Tu veux faire quelque chose ? ».

« Non, j'ai envie de rentrer ».

« En voyant l'heure, j'ai failli l'amener au studio avec moi. J'allais t'envoyer un message bien sûr ».

« Oh tu pouvais, il adorerait venir un jour, je suis sûre qu'il serait content de te regarder jouer dans le studio ».

« Ses tympans moins, ils sont encore fragiles. Je travaille sur un morceau dynamique de Casse Noisette ».

« Il adore Casse Noisette » riais-je.

« Oh merveilleux, tu veux ton après-midi pour toi ? Je peux le prendre si tu veux ».

« Merci » dis-je soulagée. « Merci de m'aider autant, je sais que tu as du travail ».

« L'équipe adore mon neveux et je m'en occuperais lors des pauses, il sera à côté de moi, un casque anti bruit sur les oreilles et il dormira ».

« À toute à l'heure alors ».

« Tu dis au revoir à maman, tonton va s'occuper de toi tout l'après-midi mon chat ».

« Amusez-vous bien ».

Sans mon frère je ne sais pas ce que je ferais.

D'ailleurs, je dois appeler le deuxième. Il ne répond pas alors je lui envoie un message à la place comme ça, il le lira plus tard quand il aura le temps. En écrivant le message, mes cheveux sont balayés par le vent. Mon chignon tient à peine, des mèches s'en échappe, il est temps de rentrer.

Je m'envole cette fois-ci en ayant le cœur plus léger qu'à l'arrivée. En soi, l'entretien s'est bien déroulé. Dmitri n'a pas été brusque. Il m'a exposé les faits, il a répondu à mes questions. Les choses sont classées. Le souvenir de Leslie heureuse me comble. Je suis déçue que personne ne paye pour elle. Que sa mort soit un hasard, dans des circonstances horribles et que son corps repose dans un cimetière alors que ses projets ne faisaient que s'allonger sur la liste qu'elle a écrite. Je ne me vois pas reprendre ma vie comme si de rien n'était. Ce serait insulter sa mémoire. Elle mérite mieux. Une éloge ? Une bougie allumée ? Je peux en allumer dix ce soir ou maintenant si je ferme les volets. À quoi bon, ça ne va pas la ramener à la vie pour autant.

J'atterrie sur le toit de mon immeuble avec l'appréhension que déménager est nécéssaire. Quitter ce logement me rend un peu nostalgique car j'y ai crée les premiers souvenirs avec mon fils. Logique que je sois tiraillée mais les choses ont bien changé. Je veux que l'âme de Leslie trouve la paix. Ses parents sont effondrés et veulent déménager pour passer à autre chose sans avoir à souffrir dès qu'ils se rendent dans l'appartement de leur fille. Je leur ai témoigné toute mon affection pour elle et tout mon soutien dans cette terrible épreuve. C'est tout ce que j'ai pu faire. Ils se sont mis à pleurer au téléphone. J'ai pris sur moi pour ne pas les rejoindre dans leur tristesse. Leur fille a beaucoup fait pour moi et maintenant, son âme est auprès de nous, elle veille et je veux retenir ça. Que ça ira. Que son énergie positive est là aussi.

Je m'envole de nouveau pour atterrir sur le toit de l'immeuble de mon frère aîné. De là, la vue est imprenable sur Central Park, la partie verte de la ville. Ouvrir un appartement vide est inhabituel car j'entends toujours mon frère jouer du violon ou jouer à la console quand il en a envie, si ce n'est pas le rire d'Atlas dans le salon.

À l'entrée, une enveloppe avec mon prénom attire mon attention.

Il y a une réponse positive d'un agent immobilier.

J'ai un nouvel appartement. À moi.

Je vais pouvoir habiter dans un lieu neutre, ça me permettra d'avancer et de prendre un nouveau départ. Organiser le déménagement me prendra du temps. Il faut encore que j'y ai accès, je serre les clefs dans ma main. Je les pose dans l'entrée, je verrais plus tard. Je veux profiter de mon après-midi.

Je m'installe dans le canapé et allume la télé, un plat chinois à emporter entre les mains. Mon frère a eu la délicatesse de déposer la commande encore chaude sur le comptoir de la cuisine. Je le remercie intérieurement de m'offrir quelques heures de répit. Je ne renie pas l'entretien de ce matin. Voir la Tour d'aussi près et être à l'intérieur m'a impressionné. D'un côté, j'ai eu de la chance de ne pas avoir eu affaire à l'Archange directement, j'aurais pu me décomposer. Le Second était impressionnant et au final, il s'est montré bienveillant. Je m'en suis fait une montagne. J'imaginais être interrogée dans une pièce lugubre et sous la lumière des néons. Sans aucune possibilité de m'échapper, comme un papillon pris dans un filet. Ce n'était pas le cas mais on entend tout et son contraire sur l'Archange partout dans le monde, difficile de se faire un avis concret sans le rencontrer.

Je continue de suivre les programmes de l'après-midi en ayant le sentiment de décompresser. Ces derniers mois, je me consacre au bébé. Logique. Ce petit être compte sur moi. Il est là. Sans mes frères pour m'aider, je ne verrais pas le bout du tunnel. J'ai beaucoup de chance d'avoir un bébé calme. Il ne pleure pas beaucoup. Ma présence est demandée pour le coucher en particulier, on a notre routine du soir à respecter.

Quoique la presse en dise, ce bébé a été voulu, seulement le père biologique a préféré déserter de son rôle. Prendre soin de soi pendant une grossesse n'est aisée pour aucune femme qui se retrouve sans partenaire à cette grande étape de la vie. Tout s'est bien passé. Huit mois ce sont écoulés depuis notre séparation. Ce crétin m'a laissé tombée comme une vieille chaussette dès qu'il a apprit la nouvelle. Au lieu de se réjouir d'être papa, il a nié la faute sur moi en prétextant des raisons absurdes d'une erreur du test. Même ayant la prise de sang sous les yeux, il a nié la vérité. Sans lui dans ma vie, je me sens certes non soutenue mais c'était un poids que je ne pouvais supporter. L'éjecter de ma vie, reprendre ma carrière en main et surtout prendre soin de ce bébé à naître a été ma priorité. Mon monde tourne autour d'Atlas. Je sais que les naissances angéliques sont rares. Pourquoi se soucier d'avoir des enfants quand on a l'immortalité. C'est une question qui est propre aux anges, les humains ne se la pose pas. Je suis reconnaissante de l'espoir, de la joie de sa naissance. Ce bébé m'aide à renaître tous les jours.

Avec toute cette histoire, je ne me rends pas compte du temps qui passe. Un coup est donné à la porte. L'heure de la pendule indique déjà dix-neuf heure.

« Hey, nous revoilà » s'enthousiasme mon frère en passant la porte avec un bébé endormi dans les bras. « Il a mangé et il s'est endormi. Je vais le mettre au lit ».

« Tu es merveilleux » dis-je.

« Je sais ».

Son égo.

« Rassure toi, Atlas a été parfait ».

« Merci d'être là » dis-je en serrant fort mon frère dans mes bras.

« Je t'en prie ».

Les cercles tracés dans mon dos pour me calmer sont les mêmes que quand nous n'étions que des petits anges. J'affectionnais les gestes tendres quand j'étais triste ou épuisée à force de jouer du violon toute la journée. Il faut une discipline pour arriver au haut niveau et sans cette discipline, mes frères et moi n'auront pas eu la carrière que nous avons respectivement. Eux ont des projets de jouer dans des orchestres tout en enregistrant des albums. Moi aussi au final. Nous jouons ensemble parfois et la semaine prochaine, nous avons un concert pour une association caritative. J'espère être en meilleure forme pour être de retour sur une scène après le drame.

Dans ses bras, les larmes coulent. À la fois de la fatigue émotionnelle, du stress et de la pression qui retombe. Je me laisse bercer telle une enfant. Il ne me quitte pas pour autant et me murmure des paroles rassurantes. La vie fait de drôle de choses et que l'important est que l'orage passe. Je ne sais pas si tous les nuages se sont dispersés, c'est encore trop tôt pour le dire. Disons que le nuage est sur la bonne voie pour au moins laisser une accalmie.

« Sèche tes larmes petite sœur, tout ira bien ».

« Tu sais, heureusement que je vais déménager et que ce funeste chapitre sera derrière moi, je veux une belle vie pour Atlas ».

« Tu le mérites aussi. Et je suis un peu déçu de ne pas avoir remis la bonne nouvelle en main propre à ma sœur préférée. Ça a été dur de garder le secret ».

« Quel secret ? » dis-je surprise. « Tu le savais depuis combien de temps ? ».

« Peu de temps, l'important est que tu aies l'appartement; pile entre moi et Ayrian, tu en as de la chance ».

« Je sais et Atlas verra ses tontons autant de fois qu'il le voudra ».

« Pile quand je rentre à la maison, je rate les surprises » annonce une voix que nous connaissons bien.

« Ayrian ! ».

« Quoi, ne pas toujours te dire la vérité a parfois du bon, non ? Tu as eu l'appartement, pile entre nous deux ».

« Je suis heureuse d'être auprès de vous » dis-je en les serrant ensemble, un bras autour de leur cou respectif.

« Pour fêter ça, on ouvre une bouteille ? ».

« Déjà les festivités ».

« Oui déjà car figurez-vous que on n'a pas besoin d'une occasion spéciale pour fêter quelque chose. Nous sommes ensemble. J'estime que c'est le plus important ».

« Evidemment ».

Mes frères ouvrent la bouteille en prenant des précautions de ne pas abîmer le plafond ou un meuble au passage. Le bouchon saute sans faire de bruit et il verse la boisson pétillante dans mon verre puis dans celui d'Arsène. Chacun de nos verres s'entrechoquent et nous célébrons notre réunion.


Hey !

Le chapitre est posté en fin d'après-midi, début de soirée, j'espère que ça vous va pour que vous le lisiez tranquillement hihi. Il est à vous !

Merci du soutien car cette histoire grandit bien et je suis ravie de l'écrire et de la partager. Bonne lecture !