Repères chronologiques : cette scène s'insère comme une scène coupée de The Umbrella Academy, saison 1, épisode 1, autour de 10:00, à la suite de la scène du chapitre 1. TW : drogue, addiction, délits, vocabulaire (un peu) grossier.

23 mars 2019, 21:33

J'ai réussi à récupérer ma brosse à dents sans nous mettre trop en retard pour le dîner. J'ai aussi fourré quelques affaires dans un gros sac, juste assez pour une semaine. De toute façon, je n'aurai pas à rester plus longtemps : Klaus l'a promis.

Pour être honnête, je commence seulement à réaliser les implications de ce petit deal que nous avons fait. Marcher dans les couloirs de Hargreeves Mansion est une expérience quelque peu hors norme, que je ne suis pas si certaine d'apprécier. Il y a d'innombrables corridors, un escalier central colossal, des passages secrets, toujours baignés d'une lumière pauvre et ambrée. La maison compte de nombreux spécimens naturalistes, des machines, des artefacts improbables nichés dans des vitrines. J'aime le style Art-déco. Mais pas quand on l'associe à des agneaux à deux têtes empaillés.
Cette oppulence excentrique est ce qui me dérange le plus. Klaus n'a jamais caché avoir grandi entouré de cette richesse absurde, il n'en est pas tellement fier, et ce d'autant qu'il n'en a pas vraiment bénéficié non plus. À part pour tout ce qu'il a piqué et revendu, quand il s'est mis à faucher pour financer ses joints, à partir de treize ans. Pour moi, il reste difficile de me le représenter gamin sur ces tapis.

Le 'salon des enfants', la pièce utilisée pour les repas quotidiens, est niché tout en bas de la maison au niveau de la rue et ressemble nettement plus à ce que je pourrais attendre d'un 'foyer'. Paradoxalement, puisqu'il s'agit d'un ancien local commercial dont les vitrines et frigo n'ont même pas été retirés. Là, il y a une cuisine sommaire avec un frigo retro, des placards profonds, une longue table de bois... et un coin cozy avec un billard de feutre rouge et un baby foot. La lumière est quand même pourrie, ce qui semble être une constante dans cette grande barraque.

Allison et Diego sont déjà assis, en train de converser avec la 'personne' que j'identifie comme 'leur mère', que je salue poliment. Klaus a parlé d'elle, quelquefois, avec une forme de détachement. Je sais ce qu'elle est, et j'avoue que je ne sais pas si je vois ça comme un incroyable miracle ou une immense tristesse. Je ne dis rien de plus, et je traverse la pièce à la suite de Klaus, qui s'assoit en bout de table. La pièce sent les oeufs et le bacon, comme si on était au petit dej. Je soulève un sourcil. 'Maman' n'a-t-elle vraiment pas idée de l'heure qu'il est ?

"Il est cool, ce brunch nocturne", dit Klaus avec un mouvement de tête qui indique plutôt bien que les pillules qu'il a prises ont fait effet, chose à quoi Allison répond immédiatement :
"C'était déjà le menu de ce midi. En version oeufs bénédicte".
Diego secoue la tête, dans une forme de déni.
"On s'en tape, ça a l'air super bon, maman".

Un bref silence s'établit, pendant lequel Klaus ouvre son paquet de cigarettes et le pose sur la table. Ce sont juste des clopes : pour le moment il a l'air de tenir bon. Je m'assoie à côté de lui, pendant que 'Maman' retourne à sa poêle d'oeufs brouillés.

"Et donc, Klaus...", commence Allison, mais il lui fait un geste de la main indiquant qu'il n'est pas enclin à converser.

A la place, il allume sa cigarette et fait s'élever une longue plume de fumée au dessus de la table où il pose ses deux pieds. Il est difficile d'ignorer le malaise ambiant, mais Allison décide de se remettre à parler avec Diego. Après une autre bouffée, Klaus se penche vers moi.

"Ça va, t'es ok ? Parce que moi non".

Il vient de dire ça assez fort pour que tout le monde l'entende, et Allison roule des yeux d'exaspération, au milieu de la fumée.

"Franchement, ça ira. Je vais manger mon bacon, j'irai me coucher... Ça va. T'en fais pas".

En réalité, mes sentiments sont plus emmélés que ce que je veux bien montrer, en étant là au milieu de cet étrange dîner de deuil. On a tous connu ce sentiment : d'être invité à dormir chez un ami et de se retrouver catapulté au dîner à la table des parents. Sauf qu'ici et maintenant, c'est encore plus inconfortable. Plus discrètement et sans arrière pensée cette fois, Klaus ajoute :

"Non, mais sérieusement, si t'en eux plus, on se casse et on va bouffer des shawarma".
"Mais non, c'est bon".

'Maman' place l'énorme plat d'oeufs au bacon en face de moi. On dirait qu'elle a cuisiné pour dix personnes. Je me sers d'une portion assez modeste, et je passe le plat à Klaus. J'hésite un peu, mais finalement, je demande :

"Est-ce qu'il y aurait une chambre... que je pourrais utiliser pour dormir ?"
Klaus a été très évasif sur le sujet, et je ne pense pas qu'il s'occupera spécialement de l'intendance au delà de me faire dormir dans son bazar.
"La maison possède quarante-deux pièces", répond 'Maman' avec un sourire au rouge à lèvres rubis, tout en se tenant droite à côté de la table.
"Tu peux dormir dans la chambre 34".
Klaus la regarde, son expression s'éclairant quelque peu pendant une seconde, mais retombant rapidement dans un doute.
"Oh. C'est ma chambre, ça".
Allison lève le nez de son assiette.
"Klaus, ta pote ne ~veut pas~ dormir dans ta chambre".
Chose à quoi j'acquiesce.
"Franchement, le lit pue et il y a des ordures partout".

C'est un fait. N'importe quelle autre pièce ferait le job, même la salle de bain ou les chiottes. Allison et Diego échangent un regard, réprimant un sourire quelque peu douloureux. Aujourd'hui n'est pas un jour pour rire. Klaus tire encore sur sa cigarette, et me dit avec une forme de connivence : "T'es sans pitié".

Tout en coupant son bacon, Allison réfléchit.
"Ceci dit", dit-elle, ça serait sans doute intelligent de trouver une chambre qui ne soit pas dans une autre aile".
"Elle peut prendre la mienne".
Diego vient de prononcer ceci, avec le sérieux le plus grand.
"C'est ce que maman voulait dire : la chambre 33, pas la 34. C'est la mienne, c'est la plus proche de celle de Klaus".
Je reste ma fourchette quelque peu suspendue.
"Et toi ? Tu vas dormir où ? Je ne veux pas... sacager toute l'organisation de la maison non plus..."
"Oh, je n'habite pas ici".
Diego vient de lâcher cette réponse d'une façon qui exprime largement à quel point il est très bien comme ça.
"Je reviendrai demain matin".
'Maman' claque des mains, radieuse, et conclut :
"C'est absolument merveilleux ! On fera en sorte que tu aies tout ce qu'il faut dans la chambre 33".

Je ne sais pas vraiment comment réagir à son effusion de joie pétillante, totalement disproportionnée. Elle a l'air encore plus à côté de ses pompes que moi. Mais j'acquiesce, je remercie, puis que je regarde l'assiette de Klaus qui n'a toujours rien mangé.

"Tu devrais manger. En plus, ça doit quand même être meilleur que la bouffe de la désintox".
Il hausse les épaules.
"Je m'étais fait à l'idée des shawarmas".

En silence, je mange mes oeufs au bacon. Ils ne sont pas si mauvais. Et ce faisant, j'écoute Allison revenir à la charge et questionner Klaus au sujet de la désintox. C'est un peu de ma faute si elle le fait, j'avoue.

"Oh, c'était génial, ouais, génial", lui répond-il, et quand ça vient de Klaus, il est souvent difficile de distinguer le sarcasme de l'honnêteté.
"C'était comme les autres fois : comme une longue colo, sauf que mes camarades de chambre pissaient par terre depuis les lits du haut".
"T'as fait partie des groupes de parole ?"
Allison s'entête, mais Klaus est clairement agacé et ironique, maintenant.
"Ouais, et j'ai déblatéré sur tous mes putains de ~traumas~ évidemment. Toute la journée".
"Ils ont voulu savoir des trucs sur ta famille ?"
"Allison, c'est vraiment tout ce qui t'intéresse ?"

Diego vient d'objecter ceci abruptement, avec lui aussi un agacement profond dirigé contre sa soeur. Je le soupçonne de n'être resté là que pour nous empêcher d'être seuls avec leur 'mère', qu'il ne cesse de regarder depuis que nous nous sommes assis. D'ailleurs, elle s'approche à présent de moi, tout sourire.

"Tu veux encore des oeufs ? C'est plein de bons acides gras".

Je décline poliment. Visiblement, elle a l'habitude de bien gaver 'les enfants', et n'a pas la moindre conscience de l'atmosphère qui règne entre eux. Bon sang, ce que ce moment est génant : et dire que je pourrais être en train de regarder un drama à la télé avec ma grand-mère. Klaus adresse de nouveau un geste à Allison pour qu'elle se taise, mais 'Maman' claque à nouveau des mains.

"Oh je sais !" dit-elle comme si elle venait de recabler sa conscience.
"Changeons de sujet et faisons un petit jeu ! Quelque chose d'amusant ! Quelle est la chose la plus fabuleuse et intéressante que vous ayez appris aujourd'hui à l'académie ?"
"Bon sang, je préférais encore les groupes de paroles de la désintox", lâche Klaus dans un rire affligé.

Visiblement, ils ont tous eu droit à ce 'jeu' de nombreuses fois par le passé au cours des dîners 'en famille', mais finalement, Klaus semble se saisir de cette opportunité de changer de conversation.

"Oh allez, j'en ai une", dit-il en retirant ses pieds de la table et en commençant finalement à engouffrer ses oeufs.
"Rin, que vous avez ici".
Il mâche.
"Elle est née le même jour que nous".

La fourchette de Diego dérappe sur son assiette frappée du sigle du parapluie, avec un bruit strident. Allison ouvre des yeux ronds de sidération : elle en a oublié de déglutir. 'Maman' sourit comme si elle ne comprenait rien du tout. Et moi... je suis quelque peu sans voix. Quoi ? Il vient de balancer ça comme ça ? 'Maman' s'écarte et s'en va débaler un massif gâteau au chocolat.

"Attends, mais qu'est-ce que c'est que ça ?", prononce Allison, ses sourcils hauts au dessus de ses yeux, et Diego ajoute, incrédule :
"Tu veux dire exactement le même jour ?"
Klaus se marre.
"Aussi vrai que la réponse à l'Univers est 42 : le 1er octobre 1989".

Tout le monde me regarde, tandis que 'Maman' me sert une grosse part de gâteau, clairement trop somptueuse pour un jour de deuil. J'hoche la tête, et je confirme.

« À la douzième heure du jour".

Ceci n'est pas une information triviale. Pas pour eux, en tout cas. Le silence retombe, si marquant qu'il en est épais. Allison - comme Diego - prend un moment pour intégrer l'information, et ce dernier finit par taper du poing sur la table.

"Pourquoi tu ne nous l'as pas dit avant, Klaus ? C'est ta pote depuis je ne sais pas combien de temps !"
Son ton vient de monter d'un cran, et Allison le raisonne une fois de plus d'un geste de la main.
"Calme toi Diego".
Elle, se contente de me fixer. Et pour une fois, ma réponse va peut-être prendre la défense de Klaus.
"Il n'a vraiment compris qu'aujourd'hui, ces dernières années, il était toujours trop défoncé pour qu'on en parle".
"Tu m'étonnes".

Diego est ironique, mais sa colère semble retombée. Alors, tandis que 'Maman' lui sert une part de gâteau un peu plus grande, celle avec la cerise sur le dessus, il finit par me regarder et soupirer.

"Alors tu es... ~l'une d'entre nous~".

Je lui rends son regard, peut-être de façon un peu trop appuyée. Puis, avec une certaine précaution, je pose ma petite cuillère sur le rebord de mon assiette à dessert, et j'amorce le mouvement qui aurait dû me faire me lever. Crac ! Dans une déchirure de lumière, je me téléporte simplement pour me rasseoir sur la chaise libre d'en face. Allison comme Diego me contemplent faire avec une surprise décomposée, comme si un choc venait de les frapper au visage. Du bout des doigts, je récupère mon assiette à dessert en la faisant glisser sur le bois de la table.

"... Quoi ?", s'exclame Allison, sa voix se déchirant pratiquement.

Diego bégaye quelque chose que je ne comprends pas, mais je vois dans ses yeux bruns que ce qui le surprend, ce n'est pas tant que je 'puisse' faire ça que le fait que je le fasse 'comme quelqu'un d'autre'. 'Maman' pose une main sur son épaule, comme pour l'aider, et il finit par réussir à me dire :

"Tu 'sautes' comme Cinq..."
Allison le regarde en fronçant des yeux, mais avant qu'elle puisse à son tour ajouter quelque chose, Klaus s'exclame :
"Enfin, ~bien sûr~ qu'elle peut".
Pour lui, c'est simplement évident. Après tout, ça fait dix ans qu'il me voit faire ça.
"Peut-être que c'est comme Cinq", dis-je à l'intention de Diego. "Je n'en sais rien, en réalité, je ne l'ai pas connu. Mais c'est ce que je fais".
Un autre moment de silence passe, au terme duquel Allison finit par planter sa cuillère dans son gâteau et me dire :
"Honnêtement, à ce stade, il n'y a plus grand chose qui me surprenne", ce que Diego finit par confirmer, non sans hésitation.
"C'est vrai".

C'est bien la première fois que je les vois être d'accord. Et au dessus de tout ça, il y a Klaus, qui a finalement atomisé ses oeufs au bacon, et qui regarde la scène, pas peu fier du petit effet qu'il a provoqué.

"C'est plutôt cool", dit-il, "même si c'est du déjà-vu".
"Arrête tes conneries, je suis juste un service de livraison à domicile, pour toi".

En vérité, ça me fait sourire. Mais avant qu'on me pose la question, sous les regards encore lourds, je préfère immédiatement poser ce que Klaus sait déjà :

"Personne ne m'a adoptée. J'ai grandi avec ma mère et ma grand-mère. Une vie... aussi normale que possible".

Et dans ce 'que possible', réside toute la nuance de la chose. Allison a maintenant un vague sourire curieux, et je sais ce qu'il y a dans son esprit. Elle se demande pourquoi je suis là, dans cette ville que l'on nomme "The City", tout comme eux. C'est une question que je me suis posée d'innombrables fois, et je n'ai pas d'autre réponse que l'invocation du hasard. Diego mange un morceau de son gâteau, puis me demande, semblant être à présent tout à fait revenu à lui :

"Alors l'espace... hein ? Et le temps ? Cinq disait qu'il pouvait".
Je penche la tête de côté.
"Je ne saute plus à travers le temps, c'est juste une énorme connerie de faire ça".
Jusqu'ici, rien que Cinq n'ait pu faire. Mais...
"En vérité je peux aussi me rendre invisible, immatérielle ou les deux".
Et d'autant que je le sache, ceci, il ne le faisait pas.
"~Bien sûr, qu'elle le peut~", lance à nouveau Klalus, "invisible et intangible".

Je lance un regard de biais à Klaus, pour cette théâtralité non désirée. Allison et Diego ont de nouveau cessé de manger, pour le moins intrigués.

"Quoi. Vraiment ?", demande Diego, chose à quoi Allison ajoute :
"Tu veux dire que tu peux devenir invisible là, maintenant".
"Et moi qui suis aussi inutile que les charlottes à cheveux dans les motels", dit Klaus en s'allumant une nouvelle clope.

Je soupire. Mais s'il faut en passer par ces petites démonstrations, autant que ça soit terminé une bonne fois pour toutes. Un battement de paupières, et plus rien ne siège au dessus de ma chaise que l'air enfumé. En apparence, car je suis toujours là, invisible. Et pour la blague, je m'en vais piquer la cigarette de Klaus pour la faire danser sous ses yeux. Mon rire peut être entendu, discret, sous le regard absent de 'Maman'.

"H.. Hé ! Rend moi ça !", dit-il en se levant, amusé mais à la fois frustré. "Rend-la !"

Je peux voir les yeux d'Allison et Diego chercher au milieu de l'air de la pièce, tandis qu'ils observent ce jeu idiot. La main de Klaus tente de saisir la fumée, mais j'emmène la cigarette toujours plus loin, hors de portée. Soudain, toutefois, il parvient à m'attraper. Je suis peut-être invisible, mais je ne suis pas intangible à ce moment. Nous nous brûlons quelque peu tous les deux, mais en riant. Et finalement, je me rends de nouveau visible et je retourne m'asseoir, non sans un sourire. 'Maman' est toujours radieuse, comme si tout ça était parfaitement adorable.

"Les enfants seront toujours des enfants", dit-elle, et tandis qu'Allison et Diego clignent des yeux vers moi, ce dernier ajoute :
"Effectivement, ça, c'est un truc différent de Cinq. Et vachement utile".

Je le vois calculer, comme imaginant une situation de combat. S'il savait à quel point ce n'est pas mon truc. Je sourpire.

"Je jure que ces aspects là de mon pouvoir m'ont encouragée... à faire ~un sacré paquet~ de conneries".

Parce qu'un pouvoir ne vient jamais sans son lot de problèmes, et ils le savent aussi bien que moi. Toujours. Je peux sentir leur regard posé sur moi, à la gravité du ton qui vient d'être le mien. Klaus, lui, reprend carrément du gâteau.

"Ton pouvoir s'exprimait déjà quand tu étais ado ?", demande Diego, sensiblement intéressé à présent, et je réponds honnêtement.
"Avant. Peut-être à trois, ou quatre ans. Ça a commencé avec l'invisibilité. Pour ma mère c'était... un véritable enfer".
Le mot est faible. Et comme pour me sortir de là, j'ajoute en direction de 'Maman' :
"Le gâteau est très bon".
Allison me regarde elle aussi complètement différemment, maintenant.

"J'imagine que ça a été terrible pour elle", dit-elle avec quelque chose de touché dans la voix, qui me laisse entendre que mon témoignage lui provoque un certain écho.
"Si tu te rendais invisible ou te téléportais n'importe où, au supermarché... dans la rue, mon dieu".

Je ne sais pas ce que c'est que d'être une mère, mais - oui - maintenant je me rends compte que mes plus jeunes années ont été terribles, quoique finalement pas les pires. Diego hoche la tête.

"Et tu as appris comment ? À contrôler tout ça ?"
Je regarde les reflets des lampes suspendues sur les verres, et je souffle :
"En me prenant des baffes. Assez littéralement. Je te promets que ça encourage à maîtriser l'immatérialité assez vite. Et à vouloir être n'importe où d'autre en un instant".

Allison continue de me regarder avec cette forme d'empathie maternelle, mais finalement elle croise les bras et me dit :
"Tu as l'air d'en tirer le meilleur parti".

Klaus exhale une longue colonne de fumée et retient un rire léger. Parce qu'il sait. Et moi, je secoue la tête lentement.

"En vérité... J'ai volé un paquet de choses, je me suis introduite dans plein d'endroits sans permission. J'ai espionné une bonne centaine de fois... et j'ai même été payée pour ça".
Je les regarde tour à tour : Allison, Diego et enfin Klaus.
"Je ne suis pas fière de ça. J'ai arrêté il y a longtemps. Il y a neuf ou dix ans. Parfois... on fait ce qui nous est le plus facile sur le moment, et ça demande des efforts de changer".

Oui, peut-être que cette parole est un peu adressée à Klaus, quelque part, mais à la fois je comprends contre quoi il lutte, terriblement. Je lui vois une brève expression de tristesse, mais il ne m'en veut pas. Pas du tout. Un nouveau silence passe, moins inconfortable que tous les autres cependant, et finalement Allison me demande :

"Qu'est-ce qui a changé ? Pourquoi tu as arrêté ?"
Je la fixe de mon regard brun.
"Ma mère est morte quand j'avais vingt ans. Un cancer, juste la putain de merde de la vie. Le temps que j'avais eu avec elle, je l'ai foutu en l'air. Je n'avais pas envie de continuer pour le reste".

Mes mots restent lourdement suspendus dans la lumière des lampes où danse la fumée. Il y a maintenant de la peine sur le visage d'Allison, et un peu d'exaspération chez Diego, en la voyant réagir aussi vivement.

"Je suis désolée pour ta mère", dit-elle, "Je suis sûre qu'elle aurait été fière de toi pour avoir changé".

Je reste silencieuse. Je n'en suis pas aussi convaincue qu'elle. Mais avec un soupir, je répète finalement en direction de celle qui me sourit toujours sous son rouge à lèvres :

"Le gâteau est vraiment bon".
Klaus se râcle la gorge de façon audible, ajoutant :
"Maman fait vachement bien les gâteaux, hein".
Je souris.
"Oui. Oui, vachement bien".

Dans ma voix, il y a un trait de gratitude. Parce qu'il vient de saisir au vol ma tentative désespérée de trouver une porte de sortie. Leur mère ne semble même pas tant flattée, à présent ses yeux sont perdus sur les carreaux du dessus de l'évier. Malgré tout, je leur souris à tous. À Klaus, Allison et Diego. A eux qui m'accueillent et écoutent mes stupides histoires alors que leur père vient de mourir et en dépit de leurs querelles.

"Merci", leur dis-je en finissant mon verre d'eau, "Je devrais aller au lit".

Et 'Crac' ! Je me téléporte dans les toilettes toutes proches, où je tente désespérément de respirer, respirer, encore et encore.

Notes :

Finalement, Rin ne semble pas en tout point similaire à Cinq. Nous en saurons plus bientôt, probablement. Avez-vous remarqué que « Maman » ne sait cuisiner que des petits-déjeuners et des gâteaux, même au milieu de la nuit ? Quelque chose, avec elle, ne doit pas tourner rond...

Tout commentaire fera ma journée !