Être le Champion de la Reine Corbeau était le plus souvent d'un ennui mortel, sans faire de mauvais humour. De son vivant, on lui avait souvent dit que l'auto-dénigrement et la dépression étaient deux aspects peu attachants de sa personnalité. Force était de constater qu'ils avaient raison, mais s'il était dépressif à l'époque, il fallait inventer un nouveau mot pour décrire ce que le Champion ressentait en parcourant le domaine de la Reine Corbeau. Tout n'y était que noirceur infinie, les bâtiments et le reste. La seule chose qui tenait de divertissement était le vol des corbeaux, vite lassant. Celui qui n'était plus tout à fait Vax'ildan, mais qui s'accrochait à cette identité avec l'énergie du désespoir, passait son temps à attendre dans le domaine de sa maîtresse que sa déesse ait besoin de lui et l'envoie enfin au-delà de la Porte Divine, avant qu'il n'oublie tout à fait le souvenir d'avoir un jour été vivant.
Vingt ans qu'il avait définitivement quitté le monde des vivants, comme son destin l'avait voulu. Vingt ans à ne profiter que de rares aperçus de ceux qu'il avait connu et aimé. Le Champion ne quittait le domaine de la Reine Corbeau que pour accomplir sa volonté, transmettant sa parole à de rares élus ou punissant les ennemis de sa déesse. Il y aurait toujours des hommes et des monstres pour essayer de contrôler la mort ou de l'asservir et il fallait bien que quelqu'un que charge d'eux. Le Champion n'aimait guère cet aspect de son travail, mais il y éprouvait une certaine satisfaction brutale en repensant aux dégâts commis par Celui qui Murmure et au prix que lui-même avait payé en l'affrontant.
Parfois, trop rarement à son goût, la Reine Corbeau envoyait aussi son Champion aider des âmes effrayées à surmonter la mort et à passer plus facilement de l'autre côté. C'était l'aspect de sa tâche qui convenait le mieux et au Champion et à l'homme qu'il avait été. Il aimait que la mort soit associée à la compassion plus qu'à la justice et à la punition. Et à l'occasion, la Reine Corbeau détournait le regard pour que le Champion puisse contempler non pas des visages à l'agonie, mais ceux de nouveaux nés qui étaient venus élargir sa famille, Juni et Wax, les enfants de Pike et Scanlan, mais surtout Vesper, Wolfe, Leona, Gwendolyn et Vax'ildan deuxième du nom, ainsi nommé parce que Percy et Vex avaient un méchant sens de l'humour et avaient tenté de le forcer à se manifester pour protester contre ce choix.
Il ne l'avait pas fait. L'humour et la colère lui étaient à présent largement étrangères. Mais il avait sourit devant la tentative pendant qu'il observait la scène depuis l'arbre où il était perché sous la forme d'un corbeau.
Quoi qu'il en soit, ces moments lui étaient précieux. Voir des yeux d'enfants s'ouvrir pour la première fois lui permettait de s'accrocher aux restes de son humanité. Le Champion aimait d'autant plus ces instants volés qu'il savait qu'un jour la Reine Corbeau fermerait les yeux pour lui permettre de faciliter le passage des personnes qui avaient été le plus cher aux yeux de Vax'ildan. Il voudrait que ce moment n'arrive jamais, mais il n'était que trop conscient de l'âge des uns et des autres et des rides qui commençaient à apparaître sur les visages de certains.
La mort vient pour toute chose en temps voulu. Dans le cas de ses amis de jadis, le Champion espérait que ce serait le plus tard possible. Pour Vax'ildan, elle était venue à la fois trop tôt et au moment prévu. Il avait à présent une éternité devant lui à se questionner sur ses choix, tout en étant certain qu'il ne les regretterait pas. Le Champion ne le pouvait pas, maintenant qu'il pouvait voir en partie le destin des mortels.
Tout de même. Il restait encore trop d'humanité en lui pour qu'il n'ait pas du mal à supporter les longues années d'attente entre ses trop rares excursions en Exandria. Le domaine de la Reine Corbeau était semble-t-il infini, mais à part elle et ses corbeaux et ses anges, le Champion en était l'unique habitant actuel. Comme il était le dernier arrivant et d'origine mortelle, les anges le prenaient généralement de haut, même après trente ans. Et comme les corbeaux n'étant pas en général des compagnons très bavards, le Champion restait la plupart du temps seul avec ses pensées. De toute manière, cela lui convenait très bien qu'il en aille ainsi.
Champion de la déesse président au destin, il avait assez logiquement acquis un certain instinct pour sentir les changements majeurs dans le monde mortel. Même sans cela, il savait qu'une Apogée Céleste approchait, aussi le Champion restait-il sur ses gardes. Il se pouvait qu'on ait besoin de lui. Il était bien content que son masque l'aide à cacher à quel point il crevait d'envie que le devoir l'appelle.
Alors qu'il montait sa garde près de l'unique sortie permettant d'atteindre la Porte Divine, et de là Exandria, sortie par ailleurs indiscernable du reste du décor de pierres et d'ombres noires unniformes, le Champion entendit un bruissement d'ailes à côté de lui. Il ne sursauta pas ni ne cligna des yeux. La surprise aussi était quelque chose d'humain.
D'ailleurs, il n'avait aucune raison d'être surpris. Le Champion avait senti quelque chose se tordre dans les voies du destin. La Reine Corbeau l'avait forcément senti également. Comme il n'avait pas le don de vision de cette dernière, il attendait simplement de savoir de quoi il s'agissait, c'est à dire qu'on lui dise où il devait se rendre et qui il devait tuer.
En même temps, il essayait d'ignorer la boule qui tournait dans son estomac en essayant de lui dire qu'il devait se dépêcher. Cet instinct humain devait être ignoré pour qu'il puisse accomplir son devoir. Parfois, il se haïssait un peu de découvrir à quel point il devenait simple de penser de la sorte et combien de temps il faudrait pour que le reste de son humanité s'efface.
Tout ce qu'il espérait à ce stade, c'est de l'être encore assez le jour où il irait chercher l'âme de Vex'halia. Il craignait de ne plus l'être depuis longtemps le jour où ce serait le tour de Keyleth.
-Ma Reine, salua-t-il avec raideur.
Sa voix résonnait étrangement à ses oreilles, rebondissant étrangement dans le masque qu'il portait lui aussi. Il ne savait pas si c'était le masque ou le changement de nature qui changeait ainsi sa voix, mais le Champion finirait par s'y habituer, comme au reste. La voix de la déesse, elle, résonna depuis tous les côtés à la fois et à l'intérieur de lui-même. En son domaine, la Reine Corbeau était partout et nulle part à la fois. Le masque d'ivoire n'était qu'une bonté à son égard, pour ne pas l'écraser de sa puissance. Le Champion n'en avait plus besoin. Il s'était habitué depuis longtemps à cette présence. L'homme qu'il avait été restait reconnaissant de cette petite faveur.
-Champion, déclara la déesse. L'heure est presque venu.
-Temps de quoi ?, demanda le Champion, avant de se racler la gorge et de se corriger. Temps de quoi, ma Reine ?
-D'intervenir plus ouvertement dans les affaires d'Exandria. Les dieux ne peuvent rester à l'écart plus longtemps.
Les dieux. Elle n'était donc pas la seule concernée, mais elle était celle que le Champion servait. Il avait effectivement senti chez la Reine Corbeau quelque chose qui ressemblait dangereusement à la peur. Il ne put s'empêcher également de noter le ton inhabituellement dubitatif de sa voix, comme si elle présentait que l'intervention en question serait un échec. Étrange. Si la situation était aussi dramatique qu'il le supposait, le Champion se serait attendu à ce qu'elle le fasse intervenir plus tôt, même s'il ne savait toujours pas de quoi il était question exactement.
-Quel est l'enjeu ?, demanda-t-il.
Au lieu de répondre, la Reine Corbeau fit un geste de la main. D'un coup, tout son domaine s'illumina tandis qu'apparurent les millions de fils dorés du destin, chaque fil représentant une vie en train d'être vécue. Le Champion pouvait les voir sans peine quand il arpentait Exandria, mais ici, c'était une capacité que la Reine Corbeau se réservait. Selon elle, il finirait par les voir de lui-même, avec le temps, mais il était préférable que ce ne soit pas avant que les siens aient passé le voile, ou il angoisserait à chaque instant devant ces fils.
Ce n'était pas la première fois que la Reine Corbeau utilisait ce petit talent devant lui. Elle l'instruisait de temps à autre, lui montrant comment reconnaître sur le fil d'une vie si une intervention était possible ou non, et quand ils pouvaient s'arroger ce droit qu'elle déniait à d'autres.
Cette fois, le Champion remarqua immédiatement le changement dans l'apparence de la trame du destin. Certains fils brillaient aussi fort que de coutume, mais la plupart étaient d'une lueur palie. Ils tremblaient et se tordaient, comme si leur avenir était plus incertain que jamais. Parfois, ils semblaient même flamboyer d'une inquiétante leur rouge. Jamais le Champion n'avait vu cela jusqu'ici. C'était nouveau, différent, et donc profondément inquiétant.
-Cela s'est-il déjà produit ?, demanda calmement le Champion.
-Une fois, à l'aube de ce que les mortels appellent la Calamité. Je n'ai jamais emmené autant d'âmes de l'autre côté que ce jour-là, quand Avalir tomba et que la terre se brisa sous le choc. Il y eu d'autres morts ensuite, mais la chute d'Avalir fut une épreuve pour tous, dieux et mortels.
La Reine Corbeau se tut. Le Champion l'imagina qui fermait les yeux derrière son masque, comme une humaine revivant une vieille blessure.
-Mon Champion de l'époque, Purvan Suul, fut impuissant à prévenir les mortels du danger. Je ne fut pas plus efficace avec les autres dieux. Nous sentions le danger, mais sans avoir de faits à leur offrir, et c'est ce qu'ils voulaient tous, des faits, comme si le destin était autre chose que perpétuellement malléable. Cela n'aurait rien changé, de toute manière. La Calamité se serait quand même produite.
-Cela aurait changé le nombre de morts.
Le masque de porcelaine se tourna vers lui.
-Est-ce là un reproche ? Tu penses à la manière d'un mortel alors. La mort vient toujours. Viendra même le jour où le dernier mortel d'Exandria s'éteindra et j'y serais préparée comme je l'étais à la Calamité. Un mort n'est pas différent d'un million et il y en eu bien plus encore ce jour-là. Cependant, j'aurais aimé que notre intervention les prépare davantage à affronter le coup que fut la chute d'Avalir. Surtout, j'aurais voulu que le départ de ces âmes se fasse plus en douceur. La mort n'est qu'un moment de l'existence, mais je regrette qu'elle s'accompagne parfois d'une violence aussi excessive.
Sous son masque, le Champion cligna des yeux. Cette façon de penser lui était trop étrangère. Il espérait qu'elle ne lui devienne jamais trop familière. L'homme qu'il avait été lui souffla que chaque vie était précieuse et qu'en sauver même une seule était un but en soi. Il pensa à la vie qu'il avait sauvé et au prix qu'il avait payé et se mordit les lèvres.
-Que se passe-t-il en Exandria ?, demanda-t-il plutôt que de s'attarder sur cette pente glissante.
-Une vieille menace qui revient sous un jour nouveau.
Des paroles sybilines auquel il était à présent habitué. Le Champion commença à dresser dans sa tête la liste des menaces à laquelle elle pouvait bien faire référence, mais s'arrêta en réalisant tout d'un coup que le fil du destin de la Reine Corbeau était aussi visible, encore plus pâle et fin que les autres. Il baissa les yeux sur son propre fil, et constata la même chose.
-C'est vous qui êtes menacée. Quelqu'un cherche à prendre votre place.
-Pas exactement. Quelqu'un cherche à se débarrasser des dieux. De tous les dieux, qu'ils vous aient trahis il y a des siècles ou soient restés fidèles aux races mortelles qu'ils ont enfanté et juré de protéger.
-Aeor alors. C'est Aeor qui recommence.
-D'une certaine manière manière, seulement. Les autres dieux parlent aussi d'une autre menace plus vieille encore que moi, du nom de Predathos, et ce nom les fait tous trembler. Alors oui, c'est Aeor et Predathos, mais la réponse est également non. Jamais deux évènements ne se déroulent de la même façon, quelles que soient les similitudes qui les réunissent. Mais oui, je vais peut être mourir, ou du moins disparaître. Peut être serais-je remplacée ou peut être n'y aura-t-il rien pour prendre nos places.
-Vous n'avez pas l'air d'avoir peur.
-Je n'ai jamais cru en m'emparant de ce pouvoir que je serais immunisée contre la mort. Tout meure un jour, y compris, parfois, les dieux eux-mêmes. Seulement, je suis la seule d'entre tous à oser le formuler à voix haute. Pourquoi m'aveugler ? Je sais ce qui est arrivé à celui que j'ai, disons, détrôné. Je n'ai pas peur de subir le même destin. Mais ce que ces mortels trament, c'est différent. Ils ne feraient pas que nous détruire. Notre disparition entraînerait la disparition définitive d'une partie de la magie d'Exandria, et pas seulement la magie divine. Même les arcanes seraient menacées, et dans un moindre poids, les magies primales. S'ils y parviennent, ils perdront une bonne partie de ce qu'ils considèrent comme acquis. Leur droit au repos éternel, en particulier, est compromis, et je suis donc dans mon rôle en m'opposant à ces plans.
-Vraiment ? Est-ce pour les mortels que vous voulez vous battre alors, ou pour vous ?
Si la Reine Corbeau était plus humaine, elle l'aurait sans doute foudroyé sur place pour son insolence. Le Champion l'avait peut être espéré, mais la Reine Corbeau n'était pas comme cela. Au lieu de cela, elle observa un long moment les fils du destin. Son Champion se demanda si les dieux percevaient la menace avec la même certitude qu'elle, sans un accès aux précieux fils du destin.
-Je ne crains pas notre mort, contrairement aux autres dieux. Du Père de l'Aube au Roi Rampant, ils sont tous terrorisés et essaient de convaincre ou de forcer leurs fidèles à sauver leurs vies.
-Pas vous ?
Le Champion sentit quelque chose comme de l'amusement émaner de la déesse. Il est vrai qu'il l'avait sentie particulièrement focalisée sur les prières et les rêves de ses fidèles ces derniers temps, et elle le savait.
-Personne ne veut mourir, pas même une déesse.
-J'ai vu des hommes vouloir mourir pourtant.
-Non. Tu as vu des hommes prier pour la fin de leurs souffrances, quelle que soit la forme qu'elle prenne, y compris celle de la mort. Mais ôte leur la souffrance et ils supplieront qu'on leur donne le droit de vivre encore un peu. Je ne veux pas mourir, mais je craint surtout le prix à payer pour toute la Création si ces hommes réussissent. Nous disparus, le pouvoir que nous possédons sera libéré. Des hommes bien préparés pourraient alors s'en emparer, comme je l'ai fait en mon temps, et comme Celui qui Murmure y est parvenu également. Un homme très bien préparé pourrait même tenter de s'arroger tous ces pouvoirs. Imagine, un unique dieu doté du pouvoir de vie et de mort, du contrôle des arcanes, de celui des ténèbres, du froid hivernal et de la chaleur estivale, possesseurs de tous les secrets, maître des poisons et ordonnateur des guerres, décrétant la loi et rendant la justice,…
-Un pouvoir absolu.
-Qui ne pourrait s'accompagner que de la folie et de la destruction. Mais il y a d'autres créatures à l'affût d'un tel pouvoir, comme les Primordiaux qui pourraient enfin accomplir leur antique dessein de supprimer toute trace de ce qui vit sur Exandria, en dehors des forces élémentaires. Sans compter que dépourvue d'une volonté divine pour les focaliser, les forces que nous contrôlons seraient libérées si soudainement que ce serait le chaos. Imagine, la nature poussant de manière incontrôlée, des idées d'inventions toujours plus meurtrières envahissant les rêves des mortels, le feu du soleil brillant jusqu'à tuer, les marées montant vers la lune sans rythme ni limites.
-Le voile.
-Le voile, oui. La frontière entre la vie et la mort s'effondrerait. Ces morts qui sont en sécurité derrière le voile, en paix pour la plupart, seraient frappés de folie et envahiraient le monde des vivants. Fantômes, spectres, banshees, revenants,… Tous déferleraient sur le monde pour essayer de retrouver un semblant de vie ou faire payer ceux qui ont l'outrecuidance d'être encore vivants. Et ce n'est que l'un des scénarios possibles.
Le Champion hocha la tête. La réalité de la situation le pénétrait jusqu'au fond des os.
-Purvan Suul était votre dernier champion, réalisa-t-il. Et vous l'avez choisi au moment de la Calamité.
-Tu comprends vite. Je ne vois pas le futur comme les mortels l'imaginent, mais j'ai une intuition du destin que nul autre ne possède. Je savais qu'il me fallait un champion et qu'il me le faudrait vite, mais comment choisir un tel individu et comment lui imposer un tel destin ? Je cherchais dans les fils de la destinée, en quête de l'âme appropriée pour la tâche à venir. J'en avais même trouvé quelques unes qui semblaient convenir, mais le temps pressait et je devais choisir Quand Vox Machina est entré dans la tombe de mon champion, vous avez attiré mon regard.
-Et c'est ma… Vex'halia qui a été frappée par le piège laissé sur la tombe de Puurvan.
-Oui.
-Elle était censée être votre championne.
-Ce n'est pas ainsi que fonctionne le destin et tu le sais. Rien n'est écrit, mais si tout change en continu, il y a des possibilités qui résonnent plus fortement que d'autres et des individus plus susceptibles que d'autres d'avoir un grand destin. Vex'halia aurait été grandiose, mais ce qu'elle fait aujourd'hui, les enfants qu'elle a mis au monde, tout cela était aussi son destin. Deux possibilités pour une seule femme. J'ai recueillir son âme et j'allais lui laisser le choix, se rendre de l'autre côté du voile ou continuer à se battre sur un plus large champ de bataille.
-Sauf que.
Prends-moi à sa place, sale garce !
-J'ai reçu une autre proposition, oui, et j'ai contemplé ton fil du destin, mon Champion. J'ai su que tu pouvais être pareillement grandiose. J'ai regardé vos âmes et vos destins, la façon dont la mort de l'un changerait la vie de l'autre et j'ai fais mon choix.
Le Champion faillit lui demander sur quels critères elle s'était basée, mais pensait déjà connaître la réponse. Vex'halia avait survécu à son frère. Elle le pleurait encore, mais elle avait sa vie et ses enfants, tout un destin qui lui avait été arraché un instant par un geste irréfléchi de Percy. Lui, Vax'ildan n'aurait pas survécu à sa sœur, pas assez longtemps du moins pour faire une différence. Il se serait laissé tué dans le combat contre le Conclave Chromatique, malgré tous ceux qui auraient tenté de le retenir. Contrairement à Vex'halia, Vax'ildan n'était pas de taille à survivre à une telle perte. Il n'y avait pas de « bon » choix quand le destin était en jeu. Mais à ses yeux, c'était quand même le meilleur choix qui l'avait emporté et il en était reconnaissant envers la Reine Corbeau.
-Je t'ai donné autant de temps en Exandria que je pouvais t'en donner, poursuivit celle-ci, tout en sachant que nous manquions déjà de temps. Je ne pouvais imposer ce destin à quelqu'un, mais il a fallu du temps pour que le tien concorde avec mes desseins. Trente ans, c'était court pour te préparer.
Vax'ildan aurait juré qu'il était prêt tout en paniquant intérieurement. Le Champion se contenta de hocher la tête.
-Je l'entend. Suis-je prêt ?
Leurs regards à tous deux se posèrent sur le fil du Champion, si faible et translucide.
-L'espoir n'est pas mon domaine, rappela la Reine Corbeau. Néanmoins, je l'espère.
-Qui dois-je tuer ?
La Reine Corbeau secoua la tête.
-Il est trop tard pour cela. Quoi que consciente de la menace, je n'ai pas trouvé ces hommes assez tôt. Ils ont su se cacher à ma vue, à ceux des autres dieux et à ceux de mes fidèles assez longtemps pour mettre leur plan en route. Tuer Ludinus Da'leth à ce stade n'empêcherait pas ses séides de poursuivre leurs plans.
-Quand doivent-ils les mettre en route ?
-Au Soltice. Aujourd'hui, donc.
Le Champion ouvrit la bouche pour protester ou accuser la Reine Corbeau de n'avoir pas été assez réactive. Il avais commis des assassinats pour elle et elle n'avait pas trouvé bon de le faire passer à l'action avant maintenant ? C'était absurde. Sauf que le Champion sentait en permanence la ligne de son destin. Et avant aujourd'hui, il n'avait rien senti le tirer vers Exandria. À présent, il sentait une différence. Quelque chose essayait de le tirer vers le monde des vivants, et ce n'était pas son devoir, ou pas que.
-Mon intervention fera-t-elle une différence ?
-Je ne sais pas, répondit honnêtement la Reine Corbeau. Elle pourrait même empirer les choses. Je sens un piège et je ne suis pas la seule. Je souhaiterais que tu ne t'y rendes pas, et malgré le danger, les autres dieux ont fait la même recommandation à tous leurs serviteurs divins. Je sens que c'était la bonne décision à prendre. Me promettra-tu de rester comme eux à l'écart ? Si tout n'est pas arrêté aujourd'hui, nous gagnerons plus à garder nos forces pour demain.
-Ne suffirait-il pas alors de m'interdire d'agir ? Vous devez avoir des agents mortels à envoyer sur place.
-J'en ai quelques uns, et d'autres dieux ont envoyé les leurs. Le destin a réuni un groupe en particulier pour se dresser face à cette menace, comme le tien a été réuni contre celle du Conclave Chromatique puis de Celui qui Murmure. Ils se nomment les Hell Bells.
Du doigt, la Reine Corbeau indiqua six fils dont la lumière flamboyait à travers les ténèbres et un fil noirci, s'enroulant presque les uns autour des autres. Le Champion frôla ces fils, faisant apparaître un instant les visages de leurs propriétaires, un Gnome habité par la bête, une machine douée de conscience, une Humaine aux yeux apeurés qui voyaient trop de choses, un Halfelin aux yeux décidés, qu'il avait vu quelques fois aux côtés de Keyleth, quand il osait tourner son regard dans sa direction, un Génasi habité d'une étrange lumière, une Faune aux yeux de braises, et enfin un Creux, un de ces corps qui continuaient à bouger après que leur âme les ait déserté. Elle ressemblait un peu à sa sœur. Le doigt du Champion s'attarda sur le fil et il vit alors l'arbre, le corps pendu et l'ombre noire de Delilah Briarwood s'étendant derrière elle et il comprit qui elle était.
Pauvre fille. La Reine Corbeau n'approuvait pas l'existence des Creux, comme tout ce qui se dressait contre le rythme naturel de la mort et de la vie. Mais il y avait des accidents et cette Laudna n'avait pas demandé à être ce qu'elle était alors la Reine Corbeau la laissait poursuivre son destin, d'autant qu'elle se révélerait peut être l'instrument nécessaire pour anéantir ce qui restait des Briarwood. Creux ou non, la mort se rappellerait à elle tôt ou tard.
-Dois-je les aider alors ?, demanda le Champion en se retournant vers la Reine Corbeau. Désirez-vous que je défende ces Hell Bells le temps qu'ils arrêtent ce Ludinus Da'leth ?
-Tu sens comme moi le risque si je t'envoie sur le plan matériel. Tu as senti leur destin. Vont-il réussir ?
Le Champion toucha à nouveau les sept fils du destin.
-Ils ne vont pas réussir. Mais je ne crois pas qu'ils vont échouer non plus.
-Peut être. Nous verrons. Les dieux ne peuvent intervenir de l'autre côté de la Porte Divine comme avant la Calamité, mais nous leur avons envoyé toute l'aide possible. Par ailleurs, tu sais comme moi quelle est l'ingéniosité des mortels. Ils vont nous donner une chose que les dieux eux même ont du mal à contrôler.
-Quoi donc ?
-Du temps. Celui de comprendre ce qui se passe, de réagir aux plans de nos ennemis et de convaincre les peuples d'Exandria de se dresser contre la menace.
-Et c'est pour cette tâche que vous voulez me réserver.
-Oui. Mais tu pourrais vouloir faire un autre choix.
Elle était réticente à continuer. Sous son masque, le Champion fronça les sourcils. Il avait gardé son libre-arbitre en devenant le Champion, bien sûr qu'il n'était pas qu'un instrument sans âme. Il ne lui servirait à rien si c'était le cas. Mais jusqu'ici, si la Reine Corbeau n'avait rien dit quand celui qui avait été Vax'ildan se rendait en Exandria sous une forme de corbeau pour observer les siens, elle n'avait jamais sous-entendu que son libre-arbitre pouvait être un obstacle à sa volonté.
Cela ne pouvait vouloir dire qu'une chose. Dans sa poitrine inerte, son cœur fit un bond violent.
-Qui ? Qui est en danger ?
Un geste de la Reine Corbeau amena à leur hauteur un autre fil du destin. Le Champion le reconnut aussitôt, sans même le toucher, rien qu'à l'aura qui en émanait.
-Keyleth.
Le fil était si fin qu'un souffle aurait pu le briser. Keyleth allait mourir.
-Te souviens-tu, il y a six ans ?
-J'ai eu un pressentiment et j'ai cherché son fil. J'ai senti qu'elle était attaquée. Cette conversation… Vous avez cherché à détourner mon attention ! Vous n'en aviez pas le droit !
-Il y a six ans, je t'ai refusé le droit d'intervenir, poursuivit la Reine Corbeau comme s'il ne l'avait pas interrompu. Je ne l'ai pas fait par mépris de sa vie ou de ce qu'elle fut jadis pour toi, mais parce que son destin n'était pas de mourir ce jour-là. Ton intervention était inutile.
-Mais aujourd'hui…
-Elle aurait pu vivre, soupira la Reine Corbeau, mais des choix ont été faits. Les bons, parfois, mais un au moins fut le mauvais. Elle va mourir.
-Pourquoi me montrer ça ?, demanda Vax'ildan. Pourquoi me torturer ainsi ?
-Rien ne me forçait à prendre un mortel pour champion. J'aurais pu choisir un déva ou un planetar. D'aucuns diraient que cela aurait été un choix plus sage, ou plus sûr. Mais j'ai moi-même été mortelle. Je crois qu'on ne se bat jamais mieux que pour ce que l'on aime. C'est aussi pour ça que j'ai attendu si longtemps pour prendre un champion alors que je pressentait les évènements à venir. J'aurais pu en prendre un il y a trois ou cinq cent ans et passer ce temps à l'entraîner, mais alors il n'aurait plus eu une raison de se battre.
-Parce que tous les siens seraient morts et passés de l'autre côté du voile. Il n'aurait plus personne à protéger.
-Exactement.
Deux êtres se tenaient devant la Reine Corbeau, même si les deux partageaient le même corps. L'un était un mortel au visage blanc de peur pour celle qu'il aimait, l'autre un Champion aguerri au masque blanc comme l'os. L'un n'avait pas tout à fait disparu et le Champion réalisait qu'il était moins prêt de l'être qu'il ne l'avait envisagé jusqu'alors. Les deux prirent le temps de contempler le masque impassible de la déesse qu'ils avaient juré de servir. Les deux étaient tentés de lui cracher à la figure.
-Si je descends, je la sauve ?
La Reine Corbeau tenait toujours le fil de Keyleth entre ses doigts. Elle secoua la tête. Elle semblait désolée pour lui
-Je l'ignore.
-Et vous ne savez pas non plus si elle survivra si je ne descend pas. Tout ce que vous savez, c'est qu'il y a un danger en bas.
-C'est exact. Ils sont trop sûr d'eux et un de mes agents m'a soufflé qu'ils attendaient la Voix de la Tempête, peut être même qu'ils l'espéraient. Tu sait comment ces choses fonctionnent.
Contraint et forcé, le Champion hocha la tête. Quand cela sonnait comme un piège et goûtait comme un piège, c'était un piège. Restait à savoir si on voulait l'éviter, ou pénétrer dedans pour le briser de l'intérieur. La question était plus urgente encore quand un appât était utilisé. Que Keyleth soit cet appât lui laissait un mauvais goût en bouche.
-La vraie question, reconnut la Reine Corbeau, c'est de savoir si tu pourras te battre si tu renonce à descendre.
Le Champion devait répondre par l'affirmative. Il savait ce qu'il était, les choix qu'il devait faire. Son choix avait été fait en désespoir de cause, mais il en assumait librement le prix. Avec le temps, il en était venu à croire en la justesse de la cause que représentait la Reine Corbeau. Vivant, il avait affronté trop d'horreurs pour ne pas être fier de tenir aujourd'hui fermement la frontière entre la vie et la mort afin que nul ne la franchisse de manière inconsidérée. Il avait choisi une noble vocation, et elle impliquait forcément des sacrifices. S'il était plus utile pour le combat du lendemain, il devait se réserver pour cette occasion.
Mais si le sacrifice était Keyleth ?
Il repensa aux Briarwood pour la première fois depuis une éternité. Le couple avait été prêt à damner tout Exandria pour rester ensemble et pour conquérir la mort. Il ne voulait pas devenir cet homme là. La mort faisait partie de la vie, même pour les druidesses amoureuses de la nature et déterminées à protéger autant de vies qu'elles le pourraient. Même pour les jolies rousses qui souriaient aux étrangers en attendant qu'ils soient aussi dévoués qu'elle à la cause.
Autour d'eux, une centaine de corbeaux se mit à coasser.
-Tu n'as plus guère le temps, déclara la Reine Corbeau. Tu dois faire un choix. Fais le bon.
Presque avec réticence, le Champion posa le doigt sur le fil en suspension devant lui. Aussitôt, une vision remplaça le monde de ténèbres de la Reine Corbeau pour dévoiler Keyleth, tombant du ciel sous sa forme élémentaire, avec la force et la vitesse d'une météorite. Sous le masque du Champion, Vax'ildan sourit. Elle était aussi belle et féroce que jadis et plus puissante encore. L'élémentaire se redressa, intact. Dans une vague de lumière, ses alliés furent soignés et repartirent à l'assaut, revigorés. Le cœur du Champion se mit à battre pour la première fois depuis des années, d'abord lentement, par manque d'usage, puis de plus en plus vite. Il voulait croire que les ennemis de la Tempête n'avaient pas la moindre chance.
« Juste à temps », déclara une voix beaucoup trop satisfaite.
Un piège, aurait voulu hurler le Champion à la forme de pierre qui se tournait vers la voix. Puis un sort fut lancé et l'élémentaire se figea dans son mouvement. Un piège. L'aurait-il voulu qu'il n'aurait pas pu lâcher le fil de Keyleth. Il tenait sa vie entre les mains et il avait peur. Il comprenait mieux pourquoi la Reine Corbeau était venue lui parler. Elle savait qu'il aurait senti la menace planant sur Keyleth jusqu'au plus profond de son corps. Elle l'avait averti pour lui donner le temps de se préparer,le courage de ne pas réagir. Sauf que ce n'était pas du courage, c'était de la lâcheté. La Reine Corbeau pouvait être fière d'avoir été humaine, elle ne l'était plus assez si elle pensait que l'avertir suffirait à le rendre sage. La mort n'avait pas suffit à exciser l'amour du cœur de Vax'ildan. Pensait-elle que la raison y parviendrait ?
Là-bas, en Exandria, une femme aux cheveux gris se glissa derrière Keyleth avec trois échos identiques à elle-même. Son regard était déterminé,féroce. Elle n'hésiterait pas à tuer. Elle l'avait déjà fait et le ferait encore.
-Elle me priait, jadis, déclara la Reine Corbeau. J'ai senti ses doutes. Je n'ai pas senti venir sa trahison. Les mortels ont le droit de me prier, puis de changer d'allégeance. Si je les arrêtait pour exiger qu'ils continuent à me parler, je ne vaudrais pas mieux que les Dieux Traîtres.
La femme leva sa lame. Les trois échos imitèrent son geste. Un piège. Ses lames quadruples se plantèrent dans l'élémentaire, encore et encore et encore, faisant voler la pierre comme si c'était des plumes. Des morceaux de pierre volèrent dans toutes les directions. L'élémentaire tomba à terre en soulevant un monceau de poussière. Un piège. D'autres entailles entamèrent la roche de son ventre et de ses épaules. L'élémentaire disparut, ne laissant que Keyleth, toujours impuissante à réagir, les yeux écarquillés sous l'effet de la peur et de la douleur, le corps lacéré de profondes entailles ensanglantées. La tueuse jouait avec elle et prolongeait son agonie. Pas par plaisir, ou pas uniquement. Elle essayait de faire durer les choses pour donner aux spectateurs l'illusion qu'ils pouvaient encore intervenir à temps et sauver Keyleth. Un piège. Les échos et la tueuses infligèrent dix nouvelles coupures à Keyleth. Une flaque de sang s'élargit à ses pieds. D'un geste négligeant, Da'leth interrompit le sort qui la retenait. Le monstre voyait bien qu'il n'avait plus besoin de gaspiller sa magie. Keyleth resta au sol comme une poupée désarticulée. Elle était incapable de se relever. Elle perdait trop de sang, trop vite. Les tueurs avaient prit leur temps, mais le prochain coup serait fatal.
Non. Vax'ildan, le Champion, se tourna vers sa reine.
-Je ne peux pas me battre pour la venger quand j'aurais pu me battre pour la sauver.
Sa voix n'était qu'un filet rauque. Il aurait voulu supplier la déesse d'agir, d'envelopper Keyleth de sa protection, mais c'était impossible. Seule la prière d'un clerc pouvait permettre aux dieux d'intervenir de l'autre côté de la Porte Divine, et Pike n'était nulle part en vue. Seul Vax'ildan pouvait sauver Keyleth et il ne devait pas. Pourtant, il ne pouvait pas non plus rester les bras croisés. Il ne pouvait pas aider l'âme de Keyleth à passer le voile et s'excuser auprès d'elle de l'avoir vue mourir et d'être resté là à ne rien faire. Le pire serait qu'elle lui pardonnerait. Il ne pouvait pas accueillir l'âme de sa sœur un jour le plus lointain possible et lui dire qu'il était devenue un lâche.
-C'est ce que je pensais, soupira la Reine Corbeau.
C'est ce que je craignais, ne dit-elle pas à voix haute.
-Je dois te l'interdire alors, poursuivit-elle. Tu nous condamnes peut être tous, elle comprise.
Vax'ildan ne l'écoutait plus. Il se mit à courir et franchit en un battement d'ailes la Porte Divine, Murmure sautant dans sa main à son appel. Le vent hurlait dans ses oreilles, mais pas aussi fort que le gémissement qui sortait de la bouche de Keyleth. Il atterrit au sol dans un bruit de plumes et sentit son genou glisser dans le sang de celle qu'il aimait. Trop de sang. Murmure rencontra la lame de la tueuse, l'arrêtant à quelques centimètres du cœur de Keyleth. Vax'ildan s'autorisa à respirer. Il était arrivé à temps. Peut être.
-N'essaie même pas, cracha-t-il à l'assassin.
La femme sourit cruellement, sans manifester le moindre étonnement à le voir ainsi apparaître. Une lueur satisfaite brillait même dans ses yeux. Un piège. Et bien, soit. Vax tomberait dans tous les pièges du monde s'il pouvait assurer la survie de Keyleth. Il ne pouvait pas faire moins et si c'était la dernière chose qu'il faisait de son existence, et bien soit. Si Keyleth vivait et que lui mourrait, elle sauverait le monde. S'il la perdait, il le regarderait brûler sans être capable de faire autre chose que pleurer.
Vax'ildan perdit une seconde à chercher le regard de celle qu'il aimait, pour s'assurer qu'elle était encore en vie. Pour voir si elle le reconnaissait, et dans l'espoir de voir une étincelle d'amour dans ses beaux yeux verts. Il regrettait de ne pas avoir ôté son masque. Il voulait lui sourire, lui promettre que tout irait bien, lui jurer qu'elle en valait la peine.
Son cœur se brisa un peu plus quand ses yeux rencontrèrent les siens. Eux d'habitude si plein de vie, ils étaient uniquement emplis de peur.
-Vax, souffla-t-elle avec le peu de forces qui lui restait.
Un piège, criaient ses yeux. Elle avait compris. Keyleth avait peur uniquement pour lui en cet instant, et pas pour elle-même.
Je sais, voulut-il lui répondre. Mais je ne pouvais pas te laisser mourir seule.
Il ne pouvait pas perdre de temps à lui dire toutes les sottises qu'il voulait lui murmurer, celles qu'il n'avait pas eu le temps de lui dire et celles auxquelles il avait pensé depuis qu'il ne pouvait plus que l'observer de loin. Mais un champ de batailles n'était le bon endroit pour des retrouvailles que dans les mauvais romans. Des gens mourraient autour d'eux. Des vies étaient en danger, dont celles des dieux. Vax était le Champion de la Reine Corbeau, et même s'il était conscient d'avoir sauté dans un piège, il se battrait pieds et griffes pour en sortir vivant et faire payer ceux qui avaient blessé Keyleth.
Ils pensaient l'avoir ? Qu'ils essaient. Il était le Champion de la Reine Corbeau, choisi par elle dans l'optique d'un danger de ce genre. Ils allaient découvrir quel homme il était. Sous son masque, le Champion sourit froidement. Vax se releva, ses deux dagues dardées vers le visage de l'assassin. Il allait lui crever les yeux avant de lui couper la gorge.
Un Halfelin en vert atteint l'assassin avant le Champion. Vax reconnut le garde du corps de Keyleth. De sous son masque, il sourit froidement. Keyleth n'avait pas besoin de protecteur, mais ils allaient quand même la protéger le temps qu'elle se relève et qu'elle réduise ses agresseurs à l'état de poussière. La petite épée du Halfelin, à peine plus longue que les dagues de Vax, entama l'appareil porté par l'assassin dans son dos au point de lui faire cracher des étincelles, mais la femme se retourna et para l'attaque qui aurait du briser l'engin.
-N'essaie pas de nous interrompre, cracha-t-elle.
Trois tirs enflammés et un trait ensorcelé visèrent le même endroit, sans parvenir à toucher. Vax commençait à bien aimer ces Hell Bells. Ils n'étaient pas du genre à se laisser faire en voyant un dragon leur foncer dessus. Tout à fait le genre de Vox Machina en son temps.
Mais il était temps qu'il leur montre comment on s'attaquait à une telle menace. Les deux dagues toujours levées, Vax bondit, mais au lieu de l'affronter, la femme fit un pas en arrière, parant son coup. Le voilà, eut-il le temps de penser. Le piège. La Reine Corbeau avait raison. Mais quelle forme allait-il prendre ?
-Et maintenant, la dernière pièce, déclara Ludinus Da'leth au dessus de leurs têtes. Le fragment de divinité. La lentille.
Un claquement de doigts et des dizaines de rayon d'énergie se mirent à pointer droit vers Vex. Avant qu'il ait le temps de réagir, Vax sentit une douleur naître dans sa poitrine, puis se propager à ses jambes, ses bras, sa tête, à tout son être. Il serra les mains sur ses dagues par réflexe, mais sa bouche s'ouvrit pour relâcher un cri d'agonie.
Vax'ildan, le Champion, était déjà mort. Mais jamais, jamais il n'avait ressentit une telle souffrance. La seule raison pour laquelle il savait qu'il n'était pas mort, c'était que le fil qui le reliait à la Reine Corbeau était toujours là, presque translucide, plus fin qu'un cheveu, mais toujours là.
Bouge, s'ordonna-t-il. Attaque.
Puis il ne vit plus que des ombres et il ne fut plus capable que de hurler de douleur.
