Stiles Stilinski n'était pas du genre à demander quelque faveur que ce soit. Son truc à lui, c'était de faire plaisir et de garder ses hypothétiques besoins et réflexions pour lui. Il parlait beaucoup, mais passait ses soucis sous silence. C'était comme ça. Lorsque quelque chose le titillait, il prenait sur lui et attendait que ça parte. La plupart du temps, ça marchait. Des obsessions ? Il en avait, comme tout le monde. Des lubies, aussi.
L'envie de changer, elle, ne partait pas.
Pourtant, il essayait et cumulait les activités. Passait son temps libre à s'occuper, histoire d'oublier. De se dire que ce n'était rien de plus qu'une passade, que cela ne tarderait pas à disparaître.
Quoiqu'après des mois à repousser ce désir des plus prenants, Stiles n'avait plus vraiment envie de le combattre. Ce n'était même pas une obsession – il y avait suffisamment réfléchi pour pouvoir identifier ce que c'était. Mais plus le temps passait, plus Stiles se rendait compte que c'était ce qu'il voulait vraiment. Passer des journées et des nuits entières avec sa meute ne faisait que lui confirmer ce qu'il savait déjà au plus profond de lui.
L'hyperactif de la bande, le seul humain parmi les loups… Désirait en être un, lui aussi. Plus qu'une envie, c'était un besoin qui prenait davantage de place à mesure que le temps passait et autant dire qu'il n'était pas près de s'éteindre. Ce qui l'attirait là-dedans ? Tout. Stiles était conscient que ses amis lycans faisaient face à beaucoup de problématiques parfois compliquées à gérer. Avoir des capacités surhumaines ne rendait pas tous les aspects de la vie plus faciles, loin de là. Cependant, il se sentait attiré par toutes ces choses qu'il n'avait pas. La vie d'humain, c'était bien sympa, mais Stiles commençait à avoir horreur de sa fragilité. Il était toujours celui qu'on gardait en sécurité, parce qu'un rien pouvait le tuer.
Et lui, il voulait que ça change. De manière générale, il avait besoin de se sentir utile pour être heureux. De faire quelque chose qui aidait les autres, quelque chose de plus impactant que des recherches. Puis, merde, il était littéralement le seul membre de la meute à ne posséder aucun talent particulier ni aucun pouvoir surnaturel ! A force, c'était un peu lourd. C'était peut-être un peu égoïste et tiré par les cheveux, mais il aimerait bien se sentir spécial… Et l'être.
A cela s'ajoutaient ses complexes, qui grandissaient au fur et à mesure que le temps passait. Si Scott était devenu beau et fort, si de feu Erica s'était retrouvée dépourvue de son épilepsie et épanouie, si Isaac avait pu prendre confiance en lui, si Jackson était devenu moins con, si Liam réussissait peu à peu à dompter son trouble de la colère… Alors lui, Stiles Stilinski, pouvait bien se voir amélioré d'une manière ou d'une autre. La morsure ne pouvait pas lui faire de mal, d'autant plus que le simple fait de se savoir humain commençait sérieusement à lui peser. Parfois, ça lui tapait carrément sur le système. Il était affreusement normal et à force, il avait peur qu'on l'oublie. Ce qui ne sortait pas de l'ordinaire finissait souvent, qu'importe le cas ou le domaine, par disparaître, d'une certaine manière. Et l'une de ses plus importantes insécurités, si ce n'était la plus grosse, était de passer à la trappe. Qu'un jour, on finisse par l'oublier. C'était, entre autres, l'une des raisons pour lesquelles il s'était habitué à parler à outrance. Fut un jour où Stiles avait rêvé qu'il perdait sa voix. Qu'il ne pouvait plus parler. Le cauchemar avait duré des heures. Il avait vu les regards des uns et des autres arrêter de se poser sur sa personne et… L'oublier, purement et simplement. Les malheurs lui tombaient dessus dans le plus grand silence et personne ne se rendait compte de rien, parce que personne ne pouvait plus entendre ses cris silencieux.
Ce cauchemar était un des pires que Stiles avait fait de sa vie. Il ne s'imaginait pas vivre en étant muet. Oh oui, il avait peur qu'on l'oublie.
Alors oui, plus il y réfléchissait, plus la morsure lui paraissait comme indispensable. Peut-être qu'il marquerait définitivement les esprits. Qu'il deviendrait beau, aussi. Stiles ne se trouvait pas extrêmement moche, mais il avait fini par développer un certain complexe d'infériorité. Chaque jour, il remarquait les qualités des uns, qu'il comparait avec ses défauts à lui. L'hyperactif avait par exemple un peu de mal avec son corps. Il avait essayé un certain nombre de sports, adaptant son alimentation en conséquence, mais rien n'y faisait. Il restait une brindille, se faisait l'impression d'un bâtonnet de saucisson qu'on pouvait croquer et faire disparaître à tout moment. En fait, Stiles n'arrivait pas à évoluer dans son existence et il avait l'impression, outre ses nombreuses insécurités qu'il gardait pour lui, que son humanité le tirait graduellement vers le bas.
C'était donc pour ça qu'il était là. Qu'il s'était décidé. Il attendait que Scott termine d'embrasser Malia à pleine bouche, là, de l'autre côté de la cour. Stiles n'était pas un enfoiré, il n'allait pas couper leur moment amoureux. Quoiqu'il se demandait s'il s'agissait réellement d'amour. Il voyait les regards qu'ils se lançaient souvent. Il n'y avait jamais de tendresse, jamais de réel attachement visible. Lui, ce qu'il voyait, c'était de l'envie, du désir, de l'attirance. Stiles avait l'impression qu'ils se servaient l'un de l'autre pour combler leurs besoins respectifs. Leurs besoins sexuels.
Le souvenir de la raison précise de sa rupture avec la coyote-garou, quelques heures plus tôt, refit surface. Ça aussi, ça lui pesait. Mais il s'agissait d'une autre histoire à laquelle il n'avait pas besoin de penser maintenant. Stiles prit le temps de la galoche de ses amis pour faire le vide dans son esprit et se ressaisir. Parce qu'honnêtement, il appréhendait un peu la discussion qu'ils allaient avoir. L'hyperactif n'avait pas peur que Scott lui refuse sa demande. Puis de toute manière, pourquoi n'y accèderait-il pas ? Il n'avait strictement rien à perdre. Non, Stiles savait simplement qu'il aurait honte, une fois qu'il se retrouverait face à son meilleur ami.
Depuis que toute cette histoire avait commencé, Stiles avait toujours refusé la morsure. Fut un temps où il avait l'occasion de devenir un loup-garou : Peter le lui avait proposé. Mais le jeune homme avait décliné l'offre parce qu'à ce moment-là, il s'accrochait à son humanité comme si elle était son seul bien sur cette terre. Alors forcément, il avait un peu peur de passer pour un idiot devant Scott. Enfin techniquement, ce dernier n'était pas du genre à juger. Il mettait parfois un peu de temps avant de comprendre certaines choses, mais… Cela ne faisait pas de lui un mauvais gars, au contraire. Scott était quelqu'un de gentil. Souvent trop, car il arrivait que son côté bon samaritain lui cause des torts.
Alors voilà, la discussion se passerait bien. Non, vraiment, il n'y avait aucune raison que les choses s'enveniment. Scott comprendrait. Il comprenait toujours, d'autant plus que sa générosité n'avait d'égale que sa connerie. Et même si Stiles avait un peu peur à l'avance de la douleur que pouvait lui causer la morsure… Il se disait que ça irait. Parce que c'était son meilleur ami qui la lui ferait. Il serait aussi doux que possible, ferait de son mieux pour le préserver à ce niveau-là. Cet idiot était même carrément capable de lui prendre sa douleur.
Le moment où Malia se sépara de Scott en lui faisant un sourire charmeur fut celui où Stiles sortit de sa torpeur. Il se motiva donc rapidement et fonça vers son meilleur ami qui, après avoir salué la coyote, avait sorti son téléphone portable de sa poche. Stiles regarda très vite fait l'heure : ils avaient seulement quelques minutes avant que les cours ne reprennent. Cela lui paraissait un peu court, mais… Il ne s'était pas vu couper les deux amants dans leur élan. Ç'aurait été inconvenant, malpoli, et simplement pas cool de sa part.
- Salut Scotty ! Le salua-t-il joyeusement en arrivant à son niveau.
Stiles souriait, pour cacher au mieux sa nervosité qui, il ne cessait de se le répéter, n'avait pas lieu d'être. S'il avait choisi de lui en parler en ce jour, au lycée, ce n'était pas pour rien. En effet, il y avait plusieurs raisons à cela. Il savait qu'ici, il ne pourrait pas se défiler. Cela faisait un moment qu'il essayait de se résoudre à le lui dire mais jusqu'à maintenant… Il n'y était pas arrivé. Et puis le lycée… Stiles gardait dans l'idée que si d'aventure Scott le prenait mal – c'était inconcevable, mais Stiles se savait du genre trop prévoyant –, les choses ne pourraient pas déraper. De manière générale, lorsqu'il avait quelque chose à annoncer, l'hyperactif le faisait dans un endroit rempli de monde. Puis il y avait aussi cet aspect de normalité. Le châtain ne voulait pas rendre cette demande plus spéciale qu'elle ne l'était. Dans sa tête, elle se ferait, et… Ils reprendraient le cours de leur journée aussi normalement que simplement. Quand aurait lieu la morsure ? Ça par contre, ce serait à Scott de le décider.
- Salut bro, sourit Scott en lui faisant une accolade amicale.
Stiles la lui rendit et sourit. Histoire de ne pas paraître trop étrange, il commença à lui parler de choses et d'autres comme il en avait l'habitude. Il se voyait mal débarquer et balancer la sauce sans attendre. Il lui fallait un peu de temps et ce temps, il se l'accorda.
Cependant, Scott finit par griller que quelque chose n'allait pas vraiment :
- Qu'est-ce qui t'arrive, bro ? Je te sens tout tendu.
Stiles haussa un sourcil. S'il avait l'habitude de contrôler et dissimuler ses émotions, il savait qu'on pouvait tout de même les remarquer et pourtant… Ce n'était pas le genre de Scott d'ouvrir ses yeux ou ses narines. Disons qu'il avait beau être un loup-garou, Scott ne pensait pas toujours à faire attention, ni à utiliser ses sens surnaturels en dehors des missions inhérentes à la meute.
Stiles rit nerveusement. C'était le moment. Il n'était pas prêt et dans un sens, il ne le serait jamais, mais… Il devait se lancer. Pourquoi cette demande le stressait-il autant ? Cela n'avait pas de sens. En face de lui, c'était Scott. Son meilleur ami. Tout allait bien se passer. Comme pour le conforter dans ses pensées, Scott posa une main sur son épaule.
Stiles eut un nouveau rire nerveux :
- Oui, haha, à ce propos…
