Chapitre XXIII : Un ventre vide et un ventre plein.

De notre jardin d'enfer pousse une fleur,

Imprégnée par nos cris et par nos pleurs,

Un fécond bouton de rose de pure haine,

Ne soyons pas surprit de ce que l'on sème.

Fleurissant en tout saison, la rose a tant grandi,

Que de notre propre jardin nous sommes bannis.

Note de bas de page, signée d'Ominis Gaunt


Les jours qui suivirent furent étrangement calmes. Eddy ne savait même plus s'il était encore sous impérium car tout lui semblait trouble et distant. Il avait l'impression d'être dans une bulle, il assistait aux cours détaché de tout car rien n'avait d'importance. Une partie de lui hurlait de faire quelque chose, l'autre –peut-être bien son corps- le suppliait de se laisser porter.

Ainsi tout irait bien. Il travaillait comme on le lui disait de faire et avait même des bonnes notes, et il dormait la plupart du temps complètement éreinté. Sal avait dû remarquer que quelque chose n'allait pas, mais il ne faisait rien. Eddy le sentait l'observer tout comme Médusa et c'était dans ses moments là que la part brûlante en lui criait plus fort que tout.

Et là, se battre faisait mal, comme si Jedusor appuyait encore sur son cœur. Quand il le croisait dans les couloirs, une voix susurrante lui intimait de baisser la tête et lui commandait de rester sage.

Le temps s'était comme distendu et tout était lointain, aussi ne vit il pas une main l'agripper un jour alors qu'ils sortaient du cours d'Astronomie. Il était tard, il était le dernier à sortir et il ne vit pas qui le tirait dans l'obscurité d'une classe vide.

Quand il se retourna pour partir aussitôt, il remarqua qu'il était en présence de Médusa. Elle était désillusionnée et il apercevait à peine les légers reliefs de sa silhouette éclairée par sa baguette. Elle ferma précautionneusement la porte et la bloqua. Elle lui fit ensuite signe de se taire le temps que le professeur Sinistra retourne à ses appartements. Une voix impérieuse lui disait de ne pas rester en présence de Médusa.

—Tout va bien se passer, Eddy. Il va falloir que tu m'aides.

À la lueur de la baguette de la jeune fille, il ne voyait désormais plus que deux grands yeux noirs, si sombres qu'il crut sombrer en eux.

—Il faut que tu combattes l'Impérium, tu peux le faire.

Elle caressa son visage d'une main pour le forcer à la regarder. Ce contact là fut si doux qu'il sembla le tirer de la sensation de torpeur qu'il ressentait.

—Combats le. Il faut que tu le combattes, lui susurra-t-elle.

L'ordre sonna dans sa tête comme un carillon douloureux, si douloureux qu'il eut l'impression que sa tête allait exploser. Le susurrement de Médusa se mêlait à l'impardonnable et lui intimait de faire un choix. Son esprit lutta contra le force et tandis qu'il luttait il sentait Médusa lui attraper la main pour l'aider. Ce contact raffermit sa volonté et brutalement il chassa la présence dans sa tête. Il eut une sorte d'éternuement vers l'avant et constata avec stupéfaction que du sang s'écoulait de son nez. Eddy s'essuya avec un coin de sa robe puis Médusa l'aida à se remettre debout.

—Comment te sens-tu ? demanda-t-elle.

—Complètement perdu. Cela fait combien de temps que -?

—Presque trois semaines. Je ne pouvais plus te laisser sous son emprise, Sal aussi en était malade.

Elle sortit de la poche de sa robe un mouchoir en tissu et le lui tendit pour qu'il termine de s'essuyer. À la lueur de la baguette le visage de Médusa n'exprimait pas grand chose, mais il n'avait pas été aussi proche d'elle depuis longtemps.

—Tu as dû vraiment l'énerver, murmura-t-elle. Il n'a jamais tenu les impardonnables aussi longtemps avec nous.

Eddy se souvint vaguement de ce qu'il avait vu dans les souvenirs de Jedusor. Ce n'était pas tant le fait qu'il ait vu quelque chose mais qu'il ait réussi à battre ses défenses mentales qui avait inquiété et enragé Jedusor. Un bref instant sa colère et sa peur avaient été plus fortes que lui, par instinct, comme cette fois où il avait vu dans les souvenirs de son professeur avant la fin de sa troisième année. Maintenant que Dumbledore n'était plus là dans le château, Jedusor pourrait recommencer ce genre de choses et même bien pire, songea-t-il en frissonnant. Il doutait de pouvoir même être entendu par les aurors s'il voulait dénoncer son professeur. Il raffermit d'instinct sa prise sur la main de Médusa et tous les deux se rendirent compte qu'ils n'avaient pas détachés leurs doigts l'un de l'autre. Eddy sentit le sang lui monter aux joues.

—Merci, murmura-t-il. J'aurais dû faire pareil pour toi.

Elle le relâcha en le vrillant de ses impassibles yeux noirs. La lueur de sa baguette éclairait de moins en moins la laissant de l'obscurité touffue de la salle de classe. Eddy remarqua qu'elle semblait tendue et en colère.

—Je suis désolé de ne pas avoir compris qu'il t'avait fait boire un filtre. J'aurai dû comprendre et t'aider avec Ros-

—Ne prononce plus ce nom. C'est terminé pour lui, siffla la jeune fille. Il a eut ce qu'il méritait.

Si Eddy ne ressentait pas vraiment de compassion pour Rosier, il en ressentait pourtant pour la jeune sorcière. Il voulut amorcer un geste mais d'un coup la pointe de la baguette de la jeune fille s'illumina en l'aveuglant à moitié. Elle lui saisit le visage :

—Est-ce que tu n'as pas agi parce que tu pensais que je le méritais ? Réponds.

—Non.

—Tu ne penses pas que c'est bien fait pour moi après t'avoir utilisé et été une peste ?

—Mais non !

Elle parut à peine satisfaite et pinçait les lèvres. Lentement l'euphorie le quitta et il put retrouver usage de son corps.

—Lâche-moi ! souffla-t-il en se dégageant brusquement. Pourquoi ce que je pense moi t'importe ?

—Car moi même je ne sais pas si je l'ai mérité, explosa la jeune fille en s'emportant. Je pensais qu'en me vengeant de lui je me sentirais mieux… mais c'est faux. Alors si je vais mal c'est qu'il y a bien une raison n'est-ce pas ?

Elle avait l'air tellement perturbée que cette image puisa au fond de lui même et frôla quelque chose de douloureux. C'était comme lorsque Jedusor avait paru tenir son cœur entre ses doigts dans son bureau mais en plus diffus et douçâtre. Une douleur qui s'appuyait à mesure qu'il voyait la détresse dans les yeux bruns de la jeune fille.

—Tu n'as pas mérité ce que R-, ce qu'il t'a fait, se reprit-il d'une voix douce. Personne ne mérite ça. Personne ne mérite ce qu'il s'est passé, ni ce que vous vivez toi et ton frère avec vos parents.

Tais-toi, siffla-t-elle brusquement. Ne commence pas, tu es le premier à aller voir mon géniteur. Tout ça parce que tu as plus peur de lui que de toi même. Ne te laisse pas mettre un collier autour du cou si tu veux avoir quelque chose à dire là dessus.

—Très bien, rétorqua l'adolescent piqué au vif. De toute façon, ce n'est pas comme si je pouvais encore faire quelque chose face à lui.

Oui, peut-être était-ce désormais la seule solution que de s'enfuir loin de Mr Jedusor maintenant qu'il pouvait le mettre sous son emprise au moindre moment. Mais il ne pourrait jamais partir sans Salazar et Médusa, pas après ce qu'ils avaient vécu ensembles tous les trois.

Médusa semblait réfléchir intensément, elle baissa sa baguette, l'éteignit et prit son visage en coupe pour l'embrasser. Il y répondit une seconde avant de la repousser légèrement, terrorisé à l'idée de ce que pourrait faire Jedusor s'il l'apprenait. La jeune fille se figea avant de tourner les talons dans le noir pour ouvrir la porte. Eddy aurait voulu dire quelque chose de pertinent mais trois petits mots sortirent, ridicules et impensables dans cette situation.

—Je t'aime.

—Je sais, soupira la jeune fille en lui montrant son dos.

Elle sortit rapidement comme s'il lui avait jeté un maléfice. Elle avait semblé presque plus effrayée par ces mots que lorsqu'il l'avait attaquée sans le vouloir dans le couloir. Eddy, honteux et confus sentait son Obscurus rugir avec force pour la première fois depuis longtemps. La douleur le paralysa sur place tandis qu'il s'effondrait à moitié contre la porte. La voix d'Apollon Picott jaillit du fond du couloir, apostrophant Médusa :

—Miss Jedusor ! Qu'est-ce que vous fabriquez ici à cette heure ? Encore en train de magouiller avec le maudit esprit frappeur ?

Il avançait dans le couloir sur ses jambes courtaudes en direction de la jeune fille, devina Eddy par le battant entrebâillé.

—Mêle toi de tes affaires vieux cracmol. Ce château nous appartient maintenant, susurra la jeune fille quand le concierge se fut assez approché. Tu vas retourner faire ta ronde, tu n'as vu personne ici. Personne. C'est clair ?

—Oui, souffleta le vieil homme d'une voix terrorisée.

Maintenant pars d'ici à cloche pied.

Il s'exécuta car Eddy entendit le concierge s'éloigner d'une étrange démarche rythmée de sautillement de pied et de gémissements essoufflés. Il entendit Médusa glousser lugubrement à ce spectacle et elle disparut par le chemin inverse. Ce spectacle et le son de son rire parurent si douloureux qu'au fond de lui, Eddy sentait son Obscurus exécuter une sorte de danse avec tous ses organes. Il avait l'impression que le monstre frappait ses côtes et à l'intérieur de son corps pour en prendre le contrôle. Puis à force de lutter, le jeune homme faiblit et finit par s'endormir.

Il se réveilla le lendemain si tard qu'il manqua le premier cours de la journée et écopa d'une retenue. Toutes les retenues se passaient désormais toutes dans la Grande Salle et tous les élèves collés s'y retrouvaient après le dîner pour copier des textes et réaliser des travaux supplémentaires. Si cela ne changeait pas beaucoup de l'étude, il y régnait une ambiance glaciale du fait qu'elle soit supervisée par Jedusor.

Ce dernier travaillait sur un bureau et si l'un d'entre eux levait la tête de son travail, il les remarquait tout de suite et les vrillait d'un regard si froid qu'on n'entendait plus une mouche voler.

Oui, l'ambiance de Poudlard était devenue depuis lors très studieuse et calme au grand plaisir de certains professeurs comme Slughorn. Eddy avait appris que Jedusor l'avait nommé Sous-Directeur. Si les autres maisons avaient crié à l'injustice de voir deux serpentards à la tête de l'école, aucun professeur n'avait semblait-il émit la moindre protestation. Une sorte de chape s'était lentement abattue sur Poudlard et si certains se rendaient compte que quelque chose avait changé, tous ne réalisaient pas le danger.

Jedusor savait qu'il s'était libéré de l'impérium. Savait-il comment, Eddy l'ignorait et faisait tout pour l'éviter depuis. Aucune séance n'avait été programmée depuis des semaines. Il rasait les couloirs depuis des jours, parfois avec Salazar, parfois seul, mais surtout en baissant la tête. S'il recroisait le regard de Médusa, il était persuadé d'avoir si mal qu'il serait capable de faire exploser l'école.

Tant fut si bien qu'il ne remarqua pas tout de suite la sorcière qu'il bousculait un matin après son cours d'histoire de la magie. C'était Charity qui lâcha ses livres quand son épaule cogna la sienne. Il se baissa aussitôt pour les ramasser et aider la jeune femme. Sa classe avait été déplacée au rez-de-chaussé tout comme ses appartements pour faciliter ses déplacements. Eddy ignorait ce qui enjoignait Jedusor à tant de délicatesse. Depuis l'incident des araignées, elle avait repris quelques couleurs et une prothèse magique avait remplacée sa jambe. Eddy trouvait secrètement que cela lui donnait un peu l'air d'une pirate avec sa cicatrice sous l'œil.

—Merci Eddy. Comment vas-tu ? Nous ne nous sommes pas beaucoup croisés ces derniers temps.

—Très bien, mentit-il comme une ritournelle. Je ne vous ai pas rendu le livre que vous m'aviez prêté, je peux aller le chercher et vous le donner ce soir, se rappela-t-il en lui rendant ses livres. Et vous-

Il n'osa pas terminer sa question autant par pudeur, que par le respect qu'imposait son statut.

—Je vais bien, rejoignit-elle sa ritournelle d'un petit soprano aigu. Tu peux le garder. J'espère que cela a pu t'aider dans tes recherches.

—Le temps nous le dira, répondit-il incertain. Je vais vous laisser. Bonne journée professeur.

Il avait encore sa tante et le reste de sa famille à chercher mais avec tout ce qu'il s'était passé cette année et la menace grandissante de Dumbledore, Jedusor et Grindelwald, il ne savait plus où il en était. Tout ce qu'il voulait c'était finir l'année au plus vite si son corps en était capable.

—L'année prochaine les cours d'Études de Moldus seront obligatoires, le héla Charity. Tu ne pourras pas m'échapper !

—Obligatoire ? releva Eddy en se retournant vers la jeune femme.

—Oui, To-, le professeur Jedusor a pensé que cette innovation était nécessaire. Le Conseil de l'Ecole a même donné son approbation, s'enthousiasma la sorcière. À des périodes aussi compliquées des changements viennent toujours. Tout dépend du genre de changements qu'on laisse faire.

Eddy ne savait pas vraiment si elle lui parlait par ironie ou par naïveté. Il la quitta sur ces entrefaites pour rejoindre sa salle commune. Il avait une heure de trou avant le déjeuner et espérait bien dormir quelques minutes pour supporter le reste de la journée. Bien mal lui en prit, car il n'était pas la seule personne à avoir eut cette idée. Beaucoup de ses camarades tout comme quelques sixièmes années étaient dans la salle commune à bavarder ou réviser. Dans un coin Eddy remarqua Charme et Froufrou le chat d'Ombrage en train de s'échauffer sur quelque chose. Eddy vit que c'était un pigeon avec une petite lettre attachée à la patte. Aucun de ses camarades ne mouftait à ce triste spectacle.

—Hey, lâchez-le tous les deux !

Charme miaula à son intention d'un air sérieux. Eddy constata en saisissant le pigeon qu'il était blessé à l'aile et saignait beaucoup. Charme miaula davantage comme pour le prévenir.

—Il était déjà blessé, couina Ombrage en récupérant Froufrou rapidement comme si elle craignait qu'il ne la frappe. Ce n'est pas mon chat qui a attaqué ton fichu pigeon, ton vilain matou l'a ramené tout à l'heure.

—Ce n'est pas mon foutu pigeon, grogna-t-il à l'intéressée qui s'en allait mais il se figea en remarquant que le petit papier était moldu.

Charme le regardait avec des yeux sérieux et Eddy comprit que le message lui était adressé et son familier avait trouvé l'animal blessé pour le ramener. Il chercha Sal du regard pour lui demander de l'aide. Mais celui-ci était rarement dans la salle commune car il s'y sentait mal. Eddy eut cependant de la chance, celui-ci parut avec Rita d'un air joyeux quelques instants plus tard.

Sans un mot Salazar vit le petit pigeon entre les mains de son camarade et son expression changea aussitôt pour un air inquiet. Il traça vers lui, Rita à sa suite et se saisit délicatement du petit pigeon avant de s'asseoir à même le sol. Eddy se pencha alors que Charme se frottait contre ses jambes. Salazar examinait l'aile avec sérieux en réconfortant le petit animal.

—Bonne nouvelle, pépia Rita si brusquement à son oreille qu'il sursauta. Ça y est notre article va être publié dans la Gazette.

Elle termina sa phrase à voix basse, les yeux brillants derrière ses grosses lunettes. Sal murmura quelques mots en soulevant délicatement une plume et la blonde enchaina en le tirant dans un coin de la salle commune :

—Il sera publié dans deux jours. Ça nous laisse pile le temps d'intégrer l'interview dans l'édition du Petit Poudlard de demain. Jedusor n'aura pas le temps de bloquer la gazette, se réjouit la jeune fille à voix basse.

—Tu n'as pas confiance en Jedusor, souffla Eddy en se demandant ce que Médusa avait pu lui raconter après des années d'amitié.

—Non. Vu comment Médusa et Sal sont inquiets quand il est là je savais que cet homme était dangereux… et puis j'ai compris ce qu'était ce mot que l'épouventard a dit l'autre fois… Beng.

Elle jeta un petit coup d'œil inquiet autour d'elle pour vérifier qu'ils étaient bien seuls.

—Si une femme au bord de la mort qui dit de tels mots est la chose la plus effrayante que cet homme ait en tête, c'est qu'on vient de livrer Poudlard à de grands dangers. Ou à un démon.

—Comment tu as traduit ce mot ? demanda l'adolescent.

—Étant donné que le seul gitan du coin ne voulait pas me répondre j'ai demandé à ma mère. Elle est allée se faire lire les lignes de la main chez des forains à Londres et leur a demandé pour moi. Elle a trouvé ça très exotique même si après avoir entendu la traduction j'ai eut droit à un savon. Elle pensait que je faisais de la magie noire, j'ai pratiquement dû faire un serment inviolable pour qu'elle me croie !

—Maintenant tu comprends pourquoi je ne pouvais rien te dire. Avec cet article tu vas aussi avoir des ennuis.

—Ma famille a une bonne place dans la société sorcière, je n'aurai au pire qu'une petite retenue car nous n'enfreignons aucune règle de l'école. Tu n'as pas remarqué que les sangs purs et les sorciers riches vont moins souvent en retenue ? Jedusor, Slughorn et le concierge sont plus conciliants avec certains d'entre nous.

Eddy fronça les sourcils en se rappelant les quelques retenues qu'il avait eues depuis que Jedusor était directeur, il était vrai qu'il n'y avait jamais croisé aucun sang pur, à Serpentard tout du moins. Il avait vu Lovegood et Arthur Weasley, mais leur gentillesse et leur ouverture d'esprit les avait catégorisés comme Traitre à leur sang.

Salazar avait terminé de soigner le pigeon qui battait de son aile réparée d'un air content. L'adolescent avait décroché le petit papier à sa patte et le lui tendit en se rapprochant d'eux.

—On l'a attaqué, murmura Sal. Il a reçu un sort de magie noire. Ça va aller maintenant.

Eddy songea horrifié que maintenant le professeur Jedusor surveillait son courrier. Il se mordit la langue et serra les poings furieusement. Ses doigts ouvrirent sèchement le papier moldu. Comme il s'y était attendu, c'était la réponse de Mr Berry après des mois de silence.

« Chav'

Je serais cet été dans le sud. Je passerai peut-être par Selsey.

On pourra faire un bout de chemin ensembles si tu travailles et 'fais pas de misères.

B »

La lettre était pleine de fautes, mais comme souvent Berry allait à l'essentiel. Il ne restait que quelques semaines avant la fin de l'année scolaire. Il n'avait pas réfléchi à ce qu'il ferait mais maintenant les choses se précisaient. Eddy avait peu d'espoir que son interview par Rita ait le moindre effet sur sa situation et songea que ces vacances seraient décisives pour lui car peut-être les dernières qu'il passait en Angleterre ou bien en vie. Il n'avait plus de temps à perdre.

L'interview de Rita parut donc le lendemain dans le Petit Poudlard Illustré. L'édition parut durant la soirée, Rita le distribuait avec Xenophilius d'un air ravi à l'entrée de la Grande Salle en échangeant le petit exemplaire contre les deux noises demandées aux différents élèves. Le dernier match de l'année aurait lieu ce week-end et opposerait les Gryffondors et les Serdaigles et certains étudiants étaient désireux de faire leur pronostics. Quand Eddy arriva dans la Grande Salle avec Salazar, Ludo Verpey commentait l'article face à une Rita exaspérée.

—Je les fais comment mes pronostics pour les paris si tu ne parles pas du match à venir, Skeeter ? Ton interview est bien mignonne mais j'ai besoin d'assurer mes arrières.

—Si tu n'as plus un gallion c'est bien fait pour toi, se moqua-t-elle. Et je ne rembourse pas.

L'adolescent se retourna et croisa Eddy et Salazar. Il leur adressa une grimace avant de leur jeter le journal.

—Tiens la vedette. J'imagine que vous êtes très contents de tout ce qui arrive tous les trois.

Il partit rageusement vers la table de Gryffondor rejoindre Weasley qui eut l'air de lui demander de se calmer pour ne pas recevoir une retenue. Mr Jedusor mangeait tranquillement à la table des professeurs en lisant l'article, il ne semblait nullement inquiet.

—Quel nargole lui a susurré à l'oreille ? s'étonna Xénophilius. J'ai beaucoup aimé ton interview, moi.

Salazar se pencha pour lire l'entête de l'article sur la page bleuie et défraichie. Eddy plissa les yeux pour lire le papier.

« Vis ma vie de sorcier : Je suis Obscurial et alors ?

Voilà plus d'un an qu'un Edward Lee a été transféré à Poudlard. Si nous nous souvenons tous très bien des crises auxquelles nous avons pu assister au cours de l'année, celle-ci a été tellement mouvementée qu'une crise d'Obscurial devient presque un lundi comme un autre. Dans tout ça, certains n'ont pas demandé au premier intéressé ce qu'il ressentait.

Pour la première fois notre camarade se confie sur ce qu'il ressent et sur sa différence.

Votre fidèle chroniqueuse s'y est attelée et Eddy s'est prêté à l'exercice :

RS : Alors Eddy, comment te sens-tu ? Tu sembles souvent fatigué ces derniers temps.

EL : Plutôt fatigué la plupart du temps c'est vrai.

RS : C'est l'obscurus en toi qui lutte contre ton corps c'est ça ?

EL : Oui. Ma magie a été bloquée à l'intérieur de moi quand j'étais enfant, depuis elle est comme dissociée de moi. Le plus souvent ma magie et mes pouvoirs luttent dans mon corps et l'affaiblissent.

RS : Rappelons à nos chers lecteurs que l'obscurus est une puissance magique hors norme dégagée lorsqu'un jeune sorcier subit de sévères traumatismes. La magie du jeune sorcier devient instable jusqu'à consumer entièrement l'enveloppe corporelle du sorcier. Tu es donc pour le moment en sursis selon tes propres termes ?

EL : Oui. Je prends des traitements et me soigne. Je fais de mon mieux pour me soigner et ne pas blesser les autres. J'ai conscience que je peux être un danger du fait de ma magie soit instable mais je sais que cette puissance n'a que de mauvais côtés. J'ai pu protéger mes amis pendant l'attaque des araignées alors que nous étions presque fichus.

RS : Une puissance capable de protéger, donc.

EL : Oui, j'en suis de plus en plus persuadé. Ma magie a réagi instinctivement à ce moment là et l'Obscurus a totalement prit le contrôle sur mon corps sans blesser personne. Je ne suis pas mauvais et si j'essaie de comprendre cette force je pourrais en faire quelque chose de positif.

RS : Tu fais actuellement des recherches sur ton passé en ce sens et certains auront pu remarquer moins d'instabilité magique ces derniers temps.

EL : Je fais de mon mieux pour que ça n'arrive pas. Comme je vous l'ai dit je ne veux pas faire de mal mais je ne veux pas être considéré comme quelqu'un de dangereux à enfermer.

RS : Tu es donc très inquiet de la votation de la nouvelle loi de Tuteur et Tutelle par le Magenmagot prochainement ?

EL : Oui. Si ma magie est instable, je ne veux pas dépendre de n'importe qui parce que le ministère a décidé que c'était mieux pour moi. J'ai déjà des tuteurs qui m'ont élevé et fourni tout ce que je pouvais demander. Ils m'ont aidé et m'aident encore. Cette loi pourrait ensuite toucher n'importe qui avec une magie instable ou bizarre. Je suis le seul nommé pour l'instant mais je sais que je ne serais pas le seul.»

—Alors tu aimes ? le coupa Rita à voix basse alors qu'il n'avait pas fini de lire. Dans la Gazette ton identité sera cachée évidemment, mais Maureen Jacasse une des rédactrices sénior de la Gazette m'a assurée qu'on serait au moins en deuxième page demain. J'espère qu'on en parlera.

—C'est vraiment super, Rita, assura Sal qui avait fini l'article. C'est la première fois que je lis un de tes articles en entier.

—Je dois prendre ça comme un compliment ou une insulte ?

—C'est pas mal, murmura Eddy.

Médusa dans un coin de la salle lisait aussi l'article mais ne s'intéressait pas à eux. Elle semblait encore plus fatiguée et furieuse. Quelques élèves chuchotaient en le regardant. Il détesta être au centre de l'attention mais espéra malgré tout avoir fait quelque chose de bien. L'adolescent réprima une grimace et se tourna vers Skeeter.

—Attendons de voir demain l'effet que l'article aura avant de nous réjouir.

Salazar hocha la tête en tournant son regard vers son père à la table des professeurs. Ce dernier avait fini de lire le petit journal et les observait d'un air énigmatique. Ils baissèrent la tête et se séparèrent rapidement.

Le lendemain la Grande Salle était pleine à craquer quand la Gazette arriva par hiboux. L'édition de la Gazette tomba entre les tranches de bacon d'Eddy et son coquetier et Rita s'en saisit avidement. Salazar arriva à ce moment là avec sa robe mouillée par la légère bruine de l'extérieur.

—On est en train de replanter la forêt, murmura Salazar d'une voix réjouie. Il y a des arbres qui repoussent et des animaux qui reviennent.

Sal sembla si content que sa joie était communicative et même Rita eut une petite moue attendrie alors qu'il s'asseyait. La jeune fille leur présenta l'article d'un air victorieux. Il était en deuxième page comme prévu et signée de la plume de Skeeter. La jeune fille le découpa d'un coup de baguette avant de le glisser à l'intérieur d'un livre.

—Je ne me lasserais jamais de voir mon nom dans la Gazette, soupira la jeune fille.

—Ne me dis pas que tu as un carnet avec tout tes articles, se moqua Kheiron qui buvait son café à côté d'eux.

Rita devint écarlate et les trois garçons se moquèrent sous cape. Le Shafiq se tourna ensuite vers Eddy :

—Tu m'expliques ce besoin de célébrité, Lee ? Autant Skeeter on y est habitué mais si un élève de plus dans notre promotion commence à prendre le melon nous n'y survivrons pas, hélas.

—J'ai essayé de faire quelque chose de bien. Je ne veux pas de pitié, j'essaie de faire comprendre mon point de vue. Je ne sais pas si je peux aller mieux mais je ne veux pas que le ministère me mette une laisse autour du cou.

Kheiron eut l'air dubitatif. Eddy se demanda un peu vexé à quel point son camarade le soutenait. Car Kheiron avait déjà assisté à ses instabilités, justement et il avait failli être blessé une fois durant le cours du professeur Belline où Eddy avait vu sa tante. Peu désireux de s'aventurer sur ce terrain glissant, Kheiron sembla vouloir changer de sujet mais son expression se modifia brusquement. D'un geste presque comique il glissa sur le banc pour s'éloigner de leur petit groupe et rejoindre la conversation qu'Ombrage entretenait avec Parkinson d'un air très intéressé. Eddy, Salazar et Rita se retournèrent pour voir le professeur Jedusor arriver vers eux.

Il avait le journal en main et une expression des plus étranges. Ses traits étaient comme fondus dans la cire lui donnant l'air intimidant d'un serpent sur le point de mordre. Quand son regard croisa celui de l'adolescent, une expression de joie refondit le masque de serpent pour une moue cruelle. À cette vision le cœur de l'adolescent fit une embardée de peur panique, presque animale.

Il se posta devant eux. Le silence s'était fait dans la Grande Salle. Tout le monde avait remarqué l'article dans la Gazette et attendait de voir ce que Jedusor avait à dire.

—Miss Skeeter, Mr Lee, suivez-moi.

Sa voix était polie mais glaciale et Eddy sentit un frisson lui parcourir l'échine. Rita était un peu pâle tandis que Salazar avait bondit sur son banc :

—Nous n'avons rien fait de mal. C'était aussi mon idée-

Reste à ta place, Salazar.

Cette injonction était si glaciale qu'il retomba sur banc comme si on l'avait frappé. À la table des serpentard plus personne n'osait bouger pétrifié par l'aura menaçante du directeur. Les professeurs à leur table étaient tendus et ne comprenaient pas l'aura glaçante que dégageait leur collègue. Lentement Eddy et Rita se levèrent et suivirent l'homme. Rita était terrifiée et tremblait comme une feuille, elle semblait se répéter dans sa tête que rien ne pourrait lui arriver. Ils quittèrent la Grande Salle à la suite du Directeur qui se dirigeait vers le deuxième étage. L'appréhension monta en lui tandis qu'ils montaient les escaliers comme des condamnés à la suite de Jedusor. Dans le couloir du deuxième étage Eddy se figea en voyant Charme en train de lécher l'eau s'évacuant des toilettes de Mimi Geignarde. Son félin remarqua le professeur et leur air inquiet et cracha furieusement envers l'homme.

Il sortit sa baguette brusquement et avant même qu'Eddy n'ait eut le temps de réagir un sort paralysa le chat. Le professeur le catapulta dans la salle de classe avant de saisir Eddy par le cou pour le faire entrer avec Rita.

—Ne me touchez pas ! éructa le jeune homme en cherchant à se dégager.

La poigne devint d'un coup brûlante et douloureuse et il crut que le professeur avait revêtu un gant fait de fer rouge pendant qu'il l'étranglait presque. Eddy avisa Charme qui avait été jeté dans la classe, son animal était toujours son l'effet du sortilège mais il était assez proche pour sauter vers lui dès que Jedusor aurait baissé sa garde.

Lentement l'obscurité saisit la pièce tandis que coulait autour des murs une dimension noire par le professeur. L'effroi saisit l'adolescent qui savait très bien ce qu'il allait arriver, ses entrailles se gelèrent. Rita était terrorisée par ce qu'elle voyait et s'était écartée d'un bond.

—Je pense que vous n'avez pas la bonne définition de l'obéissance, Mr Lee, éructa Jedusor.

—Comme si j'allais vous laisser faire de moi votre pantin, répondit l'adolescent venimeux. Je n'ai brisé aucune de nos règles !

—Professeur Jedusor, couina-t-elle. Nous n'avons violé aucun règlement de Poudlard et nous avons utilisé notre liberté d'exp-

—Endoloris.

Le cri de la jeune fille brisa le silence tendu de la pièce et explosa durant presque une demi minute où Eddy ne parvenait plus à bouger, sa respiration bloquée. Jedusor relâcha le sortilège en abaissant sa baguette. Rita au sol était en train de pleurer et il jeta Eddy aux pieds de la sorcière. Alors qu'il basculait vers le corps de Charme stupéfixié pour le protéger de son corps, le professeur téléporta l'animal dans sa main. Une peur glacée et horrible se répandit dans les entrailles de l'adolescent à cette vue. Il sentit en lui monter une violence qui faisait trembler ses mains.

—Je pense n'avoir pas été assez clair quand je vous ai ordonné de ne plus vous opposer à moi. Vous refusez de l'entendre, siffla dangereusement le professeur. Vos petits articles et bravades sont terminés. Il est temps pour vous de comprendre à qui vous répondez désormais.

Jedusor avait posé la pointe de sa baguette contre le cou de Charme qui émergeait du sortilège avec de grands yeux paniqués. Son félin se débattit dans la poigne de fer du mage :

—Laissez-le ! Ne lui faites pas de mal !

—Vous allez nous montrer si vous êtes capables encore de protéger qui que ce soit. Endoloris !

Charme poussa un gémissement aigu de douleur, Rita sanglota davantage et c'en fut trop pour Eddy qui se sentit exploser. Il laissa les rennes à l'obscurus en lui et n'eut plus qu'une seule envie arracher le visage de Jedusor à main nue. Il le percuta violement dans la salle de classe. Son professeur le projeta d'un geste de la main et raffermit la torture sur Charme. Eddy n'avait plus conscience de son corps ni de quoi que ce soit d'autre à part du cri de son félin en danger. Il se sentit attaquer Jedusor qui riposta furieusement. Entre eux il y avait Rita terrifiée aplatie à même le sol. Cette seconde d'inattention lui fut fatale, un maléfice le maintint au sol comme s'il était englué dans une toile d'araignée enflammée et se sentit hurler de douleur.

—Voyons voir si mes théories sont fondées. Vous allez vous souvenir seul de votre passé. Je ne vais pas entrer dans votre esprit cette fois, vous allez vous débrouiller seul. Ou ils souffriront. Endoloris !

Le sort atteignit cette fois Rita de plein fouet elle se remit à crier de douleur et de terreur en étant secouée de spasmes.

—Souvenez vous de votre moldue de mère face à votre ivrogne de géniteur. Souvenez vous d'à quel point vous avez été impuissant si vous souhaitez faire quelque chose pour les aider !

Les yeux que Rita avait, évoquaient la même terreur qu'avait eut sa mère jadis envers son père. Elle criait d'autant plus fort qu'Eddy crut être avalé dans un océan noir et brumeux en se remémorant ces souvenirs. Sa mère était partie pour se protéger de lui et de son père. Elle l'avait abandonné alors qu'il avait tenté de la protéger. À ces pensées, aucune image ne venait, rien ne venait contredire cette affirmation et il se sentit d'autant plus avalé par l'impuissance. La douleur le paralysa sur place tandis que tout son être semblait s'être fondu en une boule furieuse de magie qui crépitait. Autour de lui il remarqua que le sol du bouclier autour de la salle de classe avait prit feu. La fumée avait envahie la pièce.

—Votre génitrice est partie et sans doute morte à l'heure qu'il est. Admettez que vous avez utilisé vos dons pour aider quelqu'un de méprisable ! Là voilà votre erreur. Une erreur de jugement, comme beaucoup de gens en ce monde, se délecta Jedusor dont les yeux avaient rougis. Voilà votre faiblesse !

Taisez vous ! TAISEZ VOUS ! rugit une voix sortie du fond de ses entrailles et qui résonna dans toute la pièce jusqu'à faire éclater un morceau de la paroi noire autour de la salle de classe. Cela augmenta la colère de Jedusor qui jeta Charme au sol comme s'il s'était agi d'une peluche. Son vieux fléreur était par terre recroquevillée, cette vision si malheureuse envahit Eddy de quelque chose de tellement brûlant et haineux qu'il crut mourir dans l'instant pulvérisé par la rage.

—Nous allons devoir utiliser la manière forte. Avada Kedavra !

Un rayon vert envahit l'obscurité, Rita poussa un cri et Charme tomba mort au pied de la jeune fille. Charme était mort. Mort.

La froideur de ce constat lui fut jetée au visage comme un sceau d'eau glacée. Pour Eddy, la suite fut très floue, et limpide à la fois. Il devait tuer Jedusor. Il se sentit se libérer du maléfice comme on éjecte un moustique et foncer vers Jedusor. Son professeur s'y était attendu et abattit brutalement un sortilège dans sa direction.

Eddy se sentit comme électrocuté et une image lui vint alors en tête.

Il était petit et venait de frapper son père avec une poêle près du feu. Il n'avait pas fait exprès, mais cette chose bizarre en lui avait voulu réagir quand papa avait giflé maman. Il avait voulu faire quelque chose de bien. Il avait voulu arrêter la tristesse de maman. Son père était effondré et maman s'approchait doucement de lui.

C'est toi qui a fait ça ? demanda-t-elle en anglais un peu inquiète et fascinée.

Sarchin daje ? Sarchin ? (Ça va maman ?) demanda le petit garçon en se jetant dans ses bras.

Oui mon cœur, répondit-elle en raffermissant sa prise mais Eddy sentait au fond de lui qu'elle avait peur. Ne frappe plus papa comme ça, s'il te plait.

L'image changea. C'était un autre jour d'été en pleine campagne. Il faisait beau, il était dehors avec maman en train de prendre son bain dans une bassine près de la caravane. Maman rangeait le linge tandis qu'il jouait dans l'eau. Il y avait Banjo le cheval qui essayait de boire l'eau savonneuse car la bassine lui servait souvent d'écuelle. Le museau du cheval se plongea dans l'eau en faisant rire Eddy mais l'animal ressortit sa tête vivement d'un air dégouté et s'en alla trottiner plus loin. Eddy se remit à jouer avec son petit canard dans la baignoire.

On va bientôt sortir mon cœur, lui souffla doucement sa mère à son oreille.

Il la sentit se figer derrière lui et Eddy repéra avec son petit regard d'enfant la silhouette de son père remontant la colline. Il avait l'air furieux et tous les deux l'avaient compris au premier coup d'œil.

Jalled ! Jalled, gronda-t-il. Ils sont partis.

Zelda est partie ? s'alarma sa mère en se mettant instinctivement devant Eddy alors que son père n'était plus qu'à quelques mètres.

Tous partis, grogna-t-il. Ils nous ont laissés ! C'est à cause de lui et de ce que tu es allé raconter à Zelda !

En arrivant à leur hauteur il lui saisit brutalement le bras et s'apprêta à la frapper. Cela paniqua Eddy qui poussa un glapissement aigu et une énorme bulle d'eau chaude jaillit de son bain pour aller frapper son père au niveau de la poitrine. L'eau était si chaude qu'il s'écarta d'un bond en hurlant. Sa mère se retourna d'un bond vers lui pour l'extirper de l'eau, puis quand elle s'aperçut que c'était lui qui avait fait ça, son expression changea.

Je t'avais dit d'arrêter de faire ça !

Sa mère le tenait dans ses bras et lui faisait mal, vraiment mal. Eddy eut envie de pleurer, face à ses yeux furieux. Sa mère ne put rien ajouter de plus car elle se prit un coup de son géniteur, puis Eddy suivit et hoqueta de terreur. Il se sentit partir.

Quand il rouvrit les yeux c'était face à Jedusor. Il était toujours en train de l'affronter, Rita était au sol à côté du corps de Charme. Ses souvenirs mêlés aux derniers évènements firent remonter une rage brûlante qui frappa comme un brasier. Le rictus satisfait de Jedusor changea pour une expression inquiète quand l'Obscurus commença à frapper ses défenses. Maintenant, animé de haine il était plus fort que jamais, il n'appelait qu'à une chose, détruire Jedusor. La douleur n'importait plus, tout ce qui importait c'était lui faire du mal. Brutalement, Eddy perça les défenses de Jedusor et lui renvoya un maléfice au niveau du visage.

Le professeur bascula et l'adolescent se sentit rentrer dans sa tête. Pour la première fois c'était lui qui avait le contrôle, car il était le plus fort. Un souvenir brûlant aussi violent que lui même émergea devant lui.

Jedusor était enfant, il avait six ans peut-être ? C'était un beau petit garçon, mais au regard terne et aux joues très creuses. Il était dans une pièce lugubre qui ressemblait à s'y méprendre à un donjon. Il se trouvait dans une crypte et un prêtre était en train de parler à une femme en habit de nonne en ignorant le petit garçon assit sur une chaise la tête baissée.

Cet enfant a le démon en lui. Mrs Cole a su se remettre aux mains de Dieu au bon moment. Nous allons porter assistance à ce garçon. Dites-lui que nous lui ramènerons dans quelques jours, guéri de tous ses maux.

La femme remonta l'escalier pour rejoindre la nef de l'église et le petit garçon jeta un regard lugubre à l'homme.

Eddy se sentit être éjecté mais raffermit sa prise avec colère et l'image vacilla légèrement, alors un autre souvenir se matérialisa autour de lui.

Jedusor était attaché à une chaise, il était maigre et semblait déshydraté. Ses yeux n'étaient que deux petites billes noires à bout de nerf. Au dessus de lui le prêtre psalmodiait en latin des choses incompréhensibles et demandait au démon de sortir de son corps. Brutalement le prêtre gifla l'enfant plusieurs fois et recommença sa ritournelle. Cela semblait faire des jours pour le garçon qui n'avait plus la force de le supporter. Il se mit à siffler quelque chose et Eddy devina que ce devait être du fourchelangue.

Au nom du Père, je te demande de quitter le corps de cet enfant, Démon !

Cela renforça la volonté de l'homme d'église qui se mit à secouer le garçonnet dans tous les sens d'un air grotesque. Jedusor profita de cette ouverture, et cogna sa tête brutalement contre le buste du prêtre pour l'écarter de lui. Mais, tout explosa dans la crypte, quelque chose de furieux en lui avait répondu plus fort que tout. Jedusor émergea des gravas, intact si on omettait les coups qu'il avait déjà reçus mais en vie contrairement aux autres résidents de la vieille église qui partait en fumée.

Le garçonnet dans les décombres observait autour de lui en se disant que tout était fini. Face à Jedusor il y avait une forme noire et sombre qui frémissait d'une sorte de rage vrombissante. Le garçonnet essuya sa bouche et s'approcha lentement de la forme. Si c'était ça qui l'avait sauvé, il était curieux et tendu comme s'il craignait que cette chose noire n'explose à tout moment. C'était peut-être ça le démon dont parlaient les gens de l'orphelinat et ce prêtre ridicule ? Lentement le petit garçon approcha sa main.

La forme noire se matérialisa en une silhouette qui prit son apparence.

Le petit garçon observa son reflet. Si c'était ça le démon, tant mieux.

Il avait arrêté ce vieux tordu qui le frappait et tous ceux qui ne disaient rien au dessus de cette crypte. Son visage face à lui se fana et devint une fumée qui le rejoignit avec plaisir. Tom éprouva une joie intense. Ils avaient payé, pensait férocement le petit garçon qui s'extirpa des décombres fumants. Il y avait du feu tout autour de lui, et l'église n'allait pas tarder à s'effondrer mais Tom n'éprouvait pas de peur. Tout était bien.

Chavo ! Chavo !

Un homme le saisit brutalement par le bras et le garçon essaya de se soustraire à cette poigne mais trop fatigué par ces derniers jours de souffrance, il se laissa porter. Ils quittèrent le bâtiment en feu alors que l'homme courrait tête baissée en le serrant contre lui. Dehors des gens essayaient d'éteindre les flammes en jetant des sceaux d'eau. L'homme le lâcha et Tom remarqua qu'il s'agissait d'un homme au teint sombre et aux yeux noirs. Il fut rejoint par un autre homme et une petite femme habillée d'un long jupon. Le garçonnet avait déjà vu des gens comme ça dans le quartier autour de l'orphelinat, on les appelait des gitans.

Il y avait un enfant manouche de l'orphelinat un an plus tôt qui avait disparu avec plusieurs d'entre eux à ce qu'il avait entendu. Mrs Cole lui avait toujours dit de se méfier d'eux, car apparemment ils enlevaient des enfants. La petite femme lui saisit le visage et roucoula des mots que le garçonnet ne comprenait pas.

—'Sashen, Chavo ? Sashen ? Tutti rattavela ? (Tu saignes ?)

Elle l'inspectait sous toutes les coutures d'un air inquiet et lui baisa d'un coup le front. Le garçonnet se défit de cette prise, complètement désarçonné. Tom constata qu'il était bien plus sonné qu'il ne le prétendait et ses jambes flanchèrent accusant le coup après des jours. La femme sortit un sucre de sa poche et lui tendit. L'église s'effondra finalement dans un fracas lugubre. Un long cri retentit dans la rue pendant que les pompiers arrivaient dans un camion sombre. Il refusa le sucre d'un revers de main paniqué.

J'te reconnais t'es un des chav' de Wool, fit le troisième gitan avec un fort accent en se penchant vers lui.

Tom l'avait déjà vu réparer des casseroles et des poêles dans les bâtiments contigus à l'orphelinat. Le petit garçon observa sans un mot la femme se lamenter bruyamment devant l'église en feu. Elle hurlait les mains tendues vers le ciel en une longue prière. Ils s'attiraient des regards méfiants des autres personnes sur la place de l'église.

Emmenez-moi avec vous ! ordonna presque le petit garçon.

Il devait partir d'ici à tout prix ! Il n'osait pas imaginer ce qui l'attendrait s'il rentrait à l'orphelinat après ça. Devant cette injonction le trio eut un froncement de sourcil et ils marmonnèrent entre eux :

—Lel chav mansa, (Je prends le gosse avec moi,) s'exclama le gitan qui l'avait secouru dans les flammes.

Tom ne comprenait rien mais voyait bien que l'on parlait de lui. L'angoisse tordit ses traits plus aisément que n'importe quel exorcisme.

Emmenez-moi ! cria-t-il à nouveau envers le gitan.

—Kek, muk akai. Si o Gadjo ! (Non, laisse-le ici, c'est un gadjo !) Lengi vel pour lui. (ils viendront pour lui)

—Kukro ! (Il est seul), piailla le gitan.

Celui qui devait être l'ainé du groupe finit par choisir de quitter la place où leur présence déclenchait de plus en plus de regards hostiles. Ils emmenèrent le petit garçon qui pouvait à peine marcher avec eux. Les deux gitans parlementaient toujours à voix basse. Le petit garçon essaya de croiser leur regard, il avait besoin de savoir qui étaient ces gens qu'il suivait. D'habitude un seul regard lui suffisait pour comprendre qui il avait en face de lui et comment s'en défendre, mais eux il ne les comprenait absolument pas.

Des fois il pouvait rentrer dans la tête des gens en croisant leur regard mais quand il croisait le regard de la femme à jupons à côté lui il n'entendait que le son d'une ritournelle.

Qu'est-ce que vous racontez !? Qu'est-ce que vous dites ?

Le plus vieux des gitans abattit sa main sur l'épaule du garçon davantage pour le soutenir que pour le menacer mais le petit garçon n'était plus en état de comprendre quoi ce soit. Il repoussa la main et se figea en reconnaissant la rue. Ils l'avaient ramenés à l'orphelinat.

Mrs Cole observait la fumée de l'incendie à plusieurs pâtés de maisons de là en balayant la cour et parut comme frappée par la foudre en le reconnaissant au bout de l'allée. Tom se mit à se débattre de toutes ses forces pour s'échapper. Il ne voulait pas retourner là-bas !

Les deux frères le ceinturèrent alors que Tom les frappait de toutes ses forces. Il essayait de griffer et de mordre puis finalement sa fatigue des derniers jours acheva ses efforts. Il sombra.

Eddy rouvrit les yeux brusquement. Il se releva tout aussi vivement en ne comprenant pas où il était. Une seconde plus tôt, il était face à Jedusor avec Rita, mais ce n'était plus le cas. L'adolescent analysa son environnement et reconnut l'infirmerie de Poudlard. Le soleil n'allait pas tarder à se coucher et il était le seul pensionnaire. Il était dans un lit tout au fond de l'infirmerie mais il remarqua surtout une espèce de cage tout autour de lui. Les barreaux étaient brillants comme de l'or blanc. Quand Eddy voulut approcher sa main depuis son lit, il reçut une puissante décharge de magie. Si puissante qu'elle le laissa sonné dans ses draps.

—Mr Lee ! Tout va bien ? demanda la voix de l'infirmière en accourant vers lui.

Cette dernière s'était suffisamment approché et lui tendit à travers les barreaux une potion fortifiante. Les derniers éléments lui revinrent en mémoire d'un coup lorsqu'il se saisit de la potion.

—Qu'est-ce que je fais ici ? Pourquoi je suis dans une cage ? Où est Jedusor ? Comment va Rita ?

—Doucement, doucement. Prenez ceci, Mr Lee. Cela fait trois jours que vous avez repris forme humaine, vous devez encore vous ménager.

—Quoi ? Ça fait trois jours que je suis évanoui ?

—Non, Mr Lee, corrigea doucement Mrs Pomfresh. Vous avez quitté le réfectoire avec Miss Skeeter et monsieur le Directeur il y a deux semaines. Vous avez perdu le contrôle et vous les avez attaqué avant qu'il ne parvienne à vous arrêter.

Eddy n'en croyait pas ses oreilles. Pour lui c'était comme s'il s'était passé à peine quelques minutes. Il prit fébrilement la potion fortifiante en constatant qu'il ne sentait plus ses jambes.

Mrs Pomfresh lui adressa un regard inquiet comme si elle craignait qu'il n'explose devant elle puis quitta l'infirmerie à toutes jambes, laissant l'adolescent complètement vaseux et assommé. Eddy se figea car une silhouette arrivait vers lui en verrouillant la porte de l'infirmerie et il connaissait très bien cette personne. Des chaines vinrent immédiatement l'attacher à même le lit tandis qu'il se débattait férocement. Jedusor s'approchait d'un air glacial.

—Où est Rita ? Qu'est-ce que vous lui avez fait !?

—Miss Skeeter va bien, contrairement à votre misérable boule de poil, répondit le directeur d'une voix glaciale.

Quand Jedusor se fut assez approché Eddy remarqua avec stupéfaction que le visage de l'homme était barré d'une longue cicatrice. Sur sa joue une longue ligne noire s'étendait en petites lignes distordues. On aurait dit l'image en négatif d'un éclair en train de frapper et c'était à l'endroit exact où il l'avait touché en lui renvoyant son sortilège. Cette cicatrice n'était rien en comparaison de ce qu'il pourrait faire si le professeur le libérait.

—Ça c'est pour Charme, siffla-t-il en retour impétueusement. Je vais vous tuer !

Jedusor se figea et son visage s'étira en un masque distordu et dangereux :

Vous allez vous calmer sur le champ. Je n'ai pas le temps de m'embarrasser de vos sautes d'humeur, répondit Jedusor aussitôt. Après avoir blessé mortellement votre animal, assommé votre camarade et attaqué ma personne, vous avez de la chance de ne pas être directement à Azkaban.

—Tout comme vous, gronda l'adolescent en se débattant davantage contre les chaines au point qu'il avait mal et que chaque maillon semblait lui rentrer dans la peau. C'est vous ! C'est vous qui leur avez fait du mal, je vais vous tuer !

La douleur fut comme souvent un message d'alerte envoyé de son corps au monstre en lui qui s'anima. Il fut aussitôt foudroyé de douleur et sentit son énergie se vider lentement. Eddy retomba mollement contre les coussins.

—Vous ne pensez pas qu'après plus d'un an à vous étudier je n'ai pas construit quelque chose d'assez puissant pour vous maintenir ? Cette cage va lentement vous vider de toute votre énergie superflue. Vous allez y rester un moment pour le bien de tous.

Jedusor aurait pu jouir de la situation mais il avait le regard étrangement tendu et fatigué. Pour la première fois le sorcier face à lui, lui parut presqu'humain. Son teint avait l'air un peu maladif et Jedusor restait à une distance relative de lui.

Eddy se souvenait très bien de ce qu'il avait vu dans les souvenirs du sorcier. Les sévices que ce petit garçon avait subis et cette forme noire qui était apparue face à lui restaient gravées dans l'esprit du jeune homme. Jedusor ne sembla pas disposé à vérifier de lui même, mais savait ce qu'il avait vu. Encore une fois, il sentit le trouble du sorcier qui étira son visage en un masque dur :

—Maintenant que vous avez vu le vrai visage des vôtres, acceptez-le. Ils vous ont abandonnés et c'est pour cette raison que vous détruisez tout sur votre passage.

—Taisez-vous, siffla l'adolescent en fermant les yeux pour refuser de regarder le sorcier. Laissez-moi tranquille. Je vous hais. Je vous hais.

—Tant mieux, cela vous donnera la motivation d'avancer à mes côtés. Pour espérer me vaincre.

Le jeune homme releva les yeux pour adresser à l'homme un regard noir. Le professeur s'écarta et lui offrit un maléfique sourire, soulevant l'étrange et fine cicatrice qui se trouvait sur sa joue désormais. D'un revers de main il fit apparaître au pied du lit d'Eddy une immense pile de manuels et parchemins.

—Vous ne ressortirez d'ici que sur mon bon vouloir, plus vous vous débattrez plus vous vous sentirez faible. Maintenant utilisez correctement votre cerveau et cessez de vous battre pour le bien de tous.

—Professeur Jedusor, mon patient a besoin de repos, intervint Mrs Pomfresh en quittant son bureau. Il vient à peine de se réveiller.

L'expression du visage de Jedusor vacilla et Eddy eut l'impression qu'il le mettait au défi de torturer la femme. Finalement le professeur se composa un masque neutre :

—J'allais partir Poppy. Mr Lee semble avoir été très touché par les derniers évènements. Il restera ici en observation. Interdisez toute visite à son intention.

Sur ces mots, il partit. Les chaines ondulèrent le long du corps de l'adolescent avant de tomber dans un cliquètement affreux. Mrs Pomfresh s'approcha avec un plateau repas et le regard désolé.

—Mr Jedusor a assuré que c'était le seul moyen de vous maintenir, murmura l'infirmière en faisant léviter le plateau vers le guéridon à côté de son lit. Ce n'est qu'une solution temporaire. Vous avez fait peur à tout le monde, vous savez. Miss Skeeter est restée deux jours évanouie.

—Est-ce qu'elle va bien au moins ? souffla l'adolescent envahi de culpabilité.

—Elle va bien, lui assura la femme. Elle a été très secouée et ne se souvient pas très bien de ce qu'il s'est passé. Buvez ceci, vous avez besoin de repos.

Peut-être était-ce la culpabilité, la honte, la colère ou le désespoir mais encore une fois il voulut tout oublier. Il prit la petite potion bleue que Pomfresh lui tendait et la but cul sec. Il ne tarda pas à fermer les yeux et alors qu'il s'endormait ses dernières pensées furent pour Charme.

Jedusor ne le laissa ressortir que le matin du départ de Poudlard Express. Il avait manqué tous ses examens mais une dérogation spéciale du directeur lui avait permit de passer à l'année suivante. Après avoir été enfermé seul au fond de cette infirmerie pendant des semaines à moitié conscient la plupart du temps, il ne voulait plus jamais rester enfermé ainsi.

Quand Pomfresh fit remonter l'étrange cage vers le plafond, Eddy qui n'avait pas fait d'exercice physique depuis longtemps courut presque pour partir. À mi chemin il manqua de basculer et dut se retenir à un lit. Pomfresh l'enjoignit à faire attention, mais il ne l'écoutait plus et se dirigea vers le Grand Hall. Tous les élèves avaient rassemblés leurs affaires et quand on commença à le reconnaître, on s'écarta d'un bond. L'adolescent baissa la tête et rejoignit le réfectoire où à peu près le même accueil lui fut réservé.

Eddy alla s'asseoir en bout de table, pressé de quitter cette maudite école mais ne savait absolument pas ce qu'il pourrait expliquer à Newt et Tina. Il avait envie de s'enfuir pour ne plus jamais croiser personne. Salazar et Médusa arrivèrent et s'assirent à ses côtés. Ses camarades avaient le teint pâle et l'air maladif mais à leur regard Eddy devina que c'était son cas aussi.

—Je suis désolé, murmura Salazar catastrophé. Je t'ai poussé à faire l'interview avec Rita, je ne pensais pas qu'il oserait s'attaquer à Rita et Charme.

Sa voix se brisa en prononçant le nom de l'animal. Après avoir perdu Silvana, Sal accusait une perte de plus et visiblement très mal car il avait l'air blanc comme un fantôme.

—Ce n'est pas ta faute, répondit à voix basse Eddy. C'est la sienne.

Et la mienne aussi, pensa-t-il férocement et cette douleur là lui vrilla les côtes si intensément que pendant une seconde il ne put plus respirer. De là, il expira en retenant ses larmes. Il n'aurait jamais dû flancher, la peur de mourir lui avait fait prendre la plus mauvaise décision de sa vie en faisant ce serment et maintenant il était responsable de la mort de Charme. Il baissa la tête vers son assiette, pétri de honte et de culpabilité. Médusa restait silencieuse et ne disait rien et l'adolescent ignorait ses pensées.

—Je vais le tuer, gronda-t-il finalement en relevant la tête. Il va payer, je vais le tuer.

Il jeta un regard noir à Jedusor qui était à la table des professeurs et les ignorait totalement. Médusa eut un air un peu moqueur en terminant son thé.

—Contente toi de rester en vie et en sécurité. Les deux semblent compliqués pour toi.

Eddy savait qu'elle n'avait pas tort et refusait de l'admettre, mais la suite ne lui plut pas davantage :

—Vous savez… il a gagné depuis longtemps. Autant faire ce qu'il dit et baisser la tête. Ça ne sert à rien, il gagnera toujours. Je ne vais pas me battre.

La jeune fille déposa sa tasse de thé et s'en alla alors que Sal semblait avoir envie de rétorquer. L'adolescent alignait dans son assiette ses scones de façon ordonnée. Eddy se demanda à quoi il pensait. S'il détestait son géniteur autant qu'Eddy, il était tellement terrifié par lui qu'il n'osait plus agir.

—Ce n'est pas de ta faute ce qui est arrivé à Charme et Rita, lui souffla Eddy une nouvelle fois pour le rassurer. Tu n'es pas responsable. C'est lui qui a jeté le sortilège.

—C'est lui qui a eut le dernier mot, comme toujours. Quand on lui désobéit il attend toujours le meilleur moment pour nous punir. Passe de bonnes vacances.

L'adolescent leva ses yeux bleus l'air emplit d'une culpabilité dévorante puis se leva brusquement et le laissa à son tour. Eddy se sentit plus seul que jamais. Il ne put avaler qu'une tranche de pain avant de quitter la Grande Salle pour aller récupérer ses affaires. Tout le monde chuchotait sur son passage et l'esquivait en baissant la tête comme s'il allait tous les abattre un par un.

Il remonta dans le dortoir rapidement. Ses affaires étaient déjà empaquetées et rangées. Le panier de Charme trônait sur son lit et devant l'adolescent resta interdit. Il eut la pressente envie d'y mettre le feu et cela se produisit dans la seconde.

Eddy le regarda brûler devant lui sans être soulagé et récupéra ses affaires.

—T'as foutu le feu ? Mais ça va pas ? Mais t'es pas bien, non ? cria Gwendal.

L'adolescent sortait de la salle de bain avec sa trousse de toilette et regardait l'incendie qui commençait à se propager sur le lit l'air catastrophé.

Eddy essaya de jeter un aguamenti pour arrêter les flammes mais après des semaines d'emprisonnement sa magie réagit de façon explosive. Au lieu d'un filet d'eau il se mit à pleuvoir à l'intérieur de leur dortoir qui commença bientôt à être inondé. Gwendal, trempé, grogna :

—J'avais oublié ma trousse de toilette. Bien m'en a prit. Bonne vacances, Lee.

Sur ces paroles glacées l'adolescent mouillé s'en alla en grommelant. Eddy soupira, s'ébroua malgré la pluie persistante dans le dortoir et s'en alla avec ses affaires.

Il avait presque séché le temps du trajet vers le Poudlard Express et tandis qu'il descendait le chemin il était seul et tout le monde l'évitait. Tant mieux, il ne voulait parler à personne et juste partir d'ici. La peur, la rage et la tristesse faisaient parler la partie la plus lâche de lui même mais il s'en moquait.

Alors qu'il allait monter dans le Poudlard Express, Eddy remarqua Jedusor sur le quai saluant les élèves. Leur regard se croisèrent et l'adolescent y lut une sorte de défi. Eddy lui rendit un rictus haineux et s'engouffra dans le train.

Il savait ce qu'il avait vu dans les souvenirs de Jedusor. Un court moment qui avait duré des jours pour lui, il avait été dans la tête du petit garçon. Il avait ressenti ce que Jedusor avait ressenti face à ces romanis et l'adolescent se demanda si Jedusor comprenait assez la langue désormais pour avoir compris ce qu'ils se s'étaient dit ce jour là.

Dans les couloirs exigus du train tout le monde le fuyait et certains fermaient la porte de leur compartiment en lui jetant un regard terrifié. Ce type de regard il le connaissait bien. Eddy repensa à ses propres souvenirs et au regard terrifié de sa mère et à quel point elle lui avait fait mal ce jour là. Ce souvenir était comme une déchirure en lui et il crut faire un malaise rien qu'en y repensant. Il fallait trouver un compartiment où s'asseoir.

Ni Salazar, ni Médusa n'étaient là et ses autres camarades l'avaient fuis. Il trouva un compartiment vide en bout de train mais s'aperçut que Rita était cachée dans un angle. Il n'avait pas revu la jeune fille depuis le jour de l'incident.

Rita était pâle et avait de lourdes cernes. Quand elle le vit, elle lui esquissa un petit sourire pincé avant d'hocher la tête pour lui permettre de s'asseoir. Il s'effondra sur la banquette, perclus de fatigue. Rita regardait obstinément par la fenêtre alors que le train démarrait et ne semblait pas d'avis de démarrer la conversation. Mrs Pomfresh lui avait dit qu'elle ne se souvenait de rien mais l'adolescent la trouva fébrile et inquiète.

—Tu veux jouer aux échecs ? demanda finalement la jeune fille au bout de presqu'une heure de silence pendant que le train filait à toute allure.

—Pas vraiment. Je suis le pire joueur qui soit. Je suis désolé de ce qu'il s'est passé Rita… Ce n'est pas moi-

Je sais, murmura la jeune fille d'une toute petite voix. J'ai des images de ce qu'il s'est passé ce jour là… Pas l'entièreté, mais je sais ce que j'ai vu.

Rita retourna à sa contemplation de la vitre avec des yeux un peu embués. Elle observa son teint pâle et eut l'air de s'admonester à arborer un visage plus joyeux. Cela étira ses traits comme une sorte de grimace triste.

—Je sais que Mr Jedusor m'a effacé une partie de ma mémoire… mais je ne suis pas certaine de vouloir me souvenir du reste. À quoi bon ?

Ils avaient partagé tous les deux la même terreur face au professeur mais avaient justement bien trop peur pour en parler. Cela semblait vain, futile et dangereux. Eddy s'était rarement senti aussi malheureux et impuissant.

—Tu sais quoi, tout compte fait, je veux bien faire une partie, murmura-t-il. Je prends les noirs.

La jeune fille eut l'air heureuse que l'ambiance se dégèle un peu et lui adressa une petite moue reconnaissante.

Ils entamèrent la partie sans un mot.

Quand le Poudlard Express arriva à Londres, Eddy sentit sa gorge se nouer d'appréhension. Il n'avait pas envoyé de lettre à ses tuteurs depuis longtemps et ne leur avait pas avoué pour Charme. Alors quand Tina et Newt le virent arriver seul avec ses bagages il n'arriva qu'à leur adresser une sorte de grimace piteuse. Newt eut l'air de comprendre avant Tina et eut l'air si intensément peiné qu'Eddy aurait pu le poignarder sans à peine le blesser en comparaison.

—Il est temps de rentrer à la maison Edward, murmura Newt.

.

.

Médusa était retournée chez elle sans un mot quand leur père les avait raccompagnés plus tard dans la soirée. Ils avaient mangé tous les trois sans prononcer la moindre parole, leur mère et Nagini n'étant pas présentes. Médusa ne l'avait qu'entraperçue depuis qu'elle avait été blessée et cette dernière restait souvent dans sa chambre au grenier. L'ambiance était glaciale au possible dans le prieuré.

Son père était souvent absent et ne se préoccupait pas d'eux. Salazar et Médusa travaillaient sans un mot, l'un sur ses carnets, l'autre sur de la magie noire car c'était ce que l'on attendait d'eux. Et on les laissait tranquille. Médusa n'avait pas dû ouvrir la bouche depuis une semaine à part pour répondre quand on l'interrogeait. Sal passait son temps dehors avec ses carnets à s'occuper des sombrals à la place de leur mère.

Alors Médusa restait tout le temps dans sa chambre à travailler en silence. Elle était tranquille, personne ne venait lui parler. Son père l'ignorait depuis l'incident dans la Chambre des Secrets, il lui avait juste assuré avoir réparé ses bêtises. C'était peut-être là, la seule preuve de gentillesse dont il était capable, la couvrir pour un meurtre. Officiellement au sein des Mangemorts, Rosier s'était enfuis pour échapper à son châtiment.

Son père organisait quelques réunions de mangemorts à Poudlard maintenant désertés d'élèves. Ni Médusa, ni Salazar ni avaient été conviés et la jeune fille éprouva du dépit. Depuis ce jour là dans la chambre des secrets, elle avait le besoin de se battre pour combler cette force noire qui grandissait en elle. C'était au delà de la colère et de la rage mais quand Médusa s'y penchait elle trouvait cela aussi doux que du felix felicis.

En pleine nuit, Médusa était penchée sur le collier d'opale qu'elle avait volé chez Beurk en essayant toujours de percer ses maléfices. Depuis qu'elle était rentrée Médusa passait la majorité de son temps à étudier le collier et n'en dormait presque plus la nuit.

Elle entendit son père rentrer au prieuré ainsi que sa démarche alors qu'il se dirigeait vers les cuisines. Il dut apercevoir le rais de lumière sous sa porte et s'en approcha. Il n'était pas loin de trois heures du matin. Médusa par réflexe éteignit la lumière mais le bruit de ses pas lui fit comprendre qu'il avait déjà pris la décision de venir.

—Laisse-là tranquille, entendit-elle sa mère à travers le battant.

Sans doute était-elle apparue juste devant son mari dans un frôlement d'ombre.

—Il est tard, elle n'a rien à faire debout à cette heure là.

—Tu te préoccupes de sa santé, maintenant ?

—Bien sûr que oui, s'agaça la voix de son père à voix basse derrière le panneau de bois. Elle ne mange plus, ne sort plus de cette chambre et ne parle plus à personne. Par Salazar quelle mouche l'a piquée ? Elle s'est vengée, elle devrait aller très bien.

—Sans doute, se moqua sa femme. Ton incapacité à comprendre les sentiments les plus minimes n'est pas en ta faveur avec elle.

—Comme si tu te débrouillais mieux, lui retourna son mari. Je suis las de ses apitoiements et des tiens. Si tu fais faire quelque chose fais le, sinon hors de mon chemin.

Sa mère dut répondre quelque chose car il disparut d'un coup. Anxieuse, Médusa attendit dans son lit jusqu'à ce que finalement la silhouette de sa mère n'émerge de l'ombre d'un fauteuil près d'elle. Médusa alluma aussitôt le bout de sa baguette et referma l'écrin de velours autour du collier.

—Que fais-tu ici ?

Sa mère émergea de l'obscurité. Elle avait recouvré de la majorité de ses blessures grâce à des jours de soins et de potions, ses longs cheveux noirs avaient repoussés, mais son visage était tiré et ses lèvres fines, exsangues et abîmées. Elle semblait sortir d'une terrible maladie bien qu'elle lui offrît un petit sourire sec.

—Tu as entendu ce que nous nous disions, ne joue pas l'innocente avec moi Médusa. J'ai estimé avoir plus de tact que ton père.

Médusa alluma une bougie du bout de la baguette pour se sentir plus en sécurité face à sa mère et s'écarta légèrement d'elle.

—Donc en fin de compte ce que je ressens ne vous importe pas. Il faut juste que j'aie l'air bien et que je sois obéissante.

—C'est le point de vue de ton père en effet, répondit lentement sa mère. Le mien est un peu plus nuancé mon trésor.

Elle levait ses sourcils d'un air gourmant et ses lèvres s'étirèrent en un petit sourire. Médusa fronça les sourcils en sachant exactement ce qu'elle voulait. Quand sa mère désirait quelque chose elle devenait mielleuse et séductrice jusqu'à ce qu'elle l'obtienne.

—Nagini est très fatiguée et j'aimerai te montrer quelque chose. Puis-je ?

Médusa abandonna, elle fit léviter le collier dans son tiroir puis éteignit la bougie.

Lentement elle sentit la présence de sa mère l'encercler dans l'obscurité. Celle-ci posa ses mains sur les siennes et avidement se nourrit de ses peines. Depuis des jours elle le sentait sa mère lui tournait autour dans cet unique but et plus elle s'abreuvait, plus Médusa se sentait faible comme si on l'enroulait dans du coton. Sa mère la relâcha d'un coup puis la fit basculer avec elle dans l'obscurité. Pendant plusieurs secondes la jeune fille fut rendue aveugle puis quand elle se décolla de l'étreinte de sa génitrice elle constata qu'elles avaient quitté sa chambre.

Elles se trouvaient dans un endroit du marécage où Médusa n'était jamais allée. Il y faisait nuit noire, les arbres n'étaient que des silhouettes tordues et dangereuses entre laquelle sinuait un ruisseau noirâtre. Il y faisait un froid terrible et glaçant.

Sa mère semblait s'y sentir terriblement bien et Médusa n'entrapercevait que les légers reflets de sa robe, du reste elle lui était totalement invisible. Elle sentit sa mère lui glisser un petit carré de chocolat dans sa main.

—Mange, tu es pâle. Cet endroit est mon préféré dans ces marécages. Les moldus se perdent souvent par ici, je n'ai qu'à les attendre. En attendant ma collation, assis-toi et mange près de moi, sang de mon sang.

—Si c'est pour te voir engloutir de répugnants moldus, je m'en passerais. Je vais rentrer.

—Allons, tu as besoin de parler. Moi aussi. Assis-toi en attendant la suite.

Médusa était pour dire vrai beaucoup trop intriguée. Du bout de la baguette elle alluma un feu près d'elle pour brûler dans un petit bocal. Au milieu du marécage, les flammes éclairaient et projetaient des ombres dangereuses sur les arbres. Le visage de sa mère était comme découpé en masque vénitien, laissant juste un coin de sa bouche étrangement relevé dans la lumière. Médusa croqua dans son morceau de chocolat sans grande conviction en attendant que sa mère se décide à parler.

—Ta grand-mère t'aurait beaucoup aimé. Tu as le même caractère qu'elle parfois. C'était une voyante, elle détestait son don.

Sa mère parlait rarement de sa génitrice. Médusa savait que son père l'avait assassiné, du reste c'était un sujet tabou, comme bien des choses du passé de ses parents. Que sa mère choisisse de parler d'elle après ce que Médusa avait vu révélé pendant le procès de Dumbledore l'intriguait.

—Quand je suis née, débuta sa mère, ma mère a su rapidement que j'étais une Sangsombre et cela lui faisait très peur. J'ai toujours senti cela chez elle, de la peur. Du côté de la famille de mon père, j'étais une bénédiction. Chez les gitans, les kalis sont vénérés et c'est ainsi que j'ai vécu. J'étais constamment dans la caravane la journée, sortant le soir pour danser et soulager les peines.

Sa mère se mit à jouer avec les ombres autour du feu. Les contre formes s'animèrent et les ombres se métamorphosèrent en petites danseuses en train de danser.

—C'était la magie que je faisais pour eux. Un proverbe chez nous dit qu'il faut tout un clan pour élever une kali. Ce n'est pas totalement faux. Je leur prenais un peu de leur souffrance et de leurs larmes pour me nourrir et les distraire. Les tziganes aiment les kalis car elles protègent, divertissent et cachent les leurs. C'était un peu l'équilibre que nous trouvions dans notre clan. Dans notre langue nous appelons les choses différemment, nous les envisageons donc autrement. On me faisait des petites prières, des cadeaux pour juste que je leur vide la tête. J'aimais beaucoup ça. Là-bas, par le sang de ta grand-mère et mon père j'étais considérée comme une princesse. Nous les tziganes sommes les rois de cette terre, car toute terre est à nous tandis que nous marchons. C'était ce que disait mon père.

—Comment s'appelait-il ? demanda Médusa fascinée par ce récit.

—Georg. Ta Grand Mère l'a rencontré en fuyant ce pays. Il l'a accueillie dans sa famille et nous a toujours protégées. Ce n'était pas un puissant sorcier, mais assez pour protéger les siens. Notre clan avait une réputation dans le sud de l'Albanie. Nous étions les derniers nomades dans notre genre et nous nous faisions respecter. Nous croisions des fois des gadje ou des fois des moldus. Si on nous laissait tranquille, nous n'avions aucune raison de riposter.

Sa mère avait la voix grave et lui parlait de ce temps là avec mélancolie. Autour des flammes les petites ombres dansantes stoppèrent leur danse, attendant un ordre.

—Et la guerre est arrivée. Lentement nous avons commencé à nous cacher. Les moldus avaient de moins en moins à manger et devenaient agressifs. Un ventre vide et un ventre plein ne parlent plus le même langage, et ma mère voyait quelque chose de sombre arriver, personne ne voulait vraiment la croire. Les temps sont devenus durs pour nous les romanis. Nous entendions des rumeurs sur ce qu'il se passait, mais rien de concret tandis que nous nous cachions. L'Albanie a rapidement été occupée alors nous avons prit la décision de partir vers la Bulgarie. Ma mère pensait que c'était une sottise et qu'il fallait rester en Albanie. Nous ne l'avons pas écoutée. On entendait dire que les sorciers dans les montagnes protégeaient les sangs comme les nôtres. Nous sommes partis par là.

—Pourquoi les moldus en avaient après vous ? Qui étaient ces gens ?

—Pourquoi en avaient-ils après d'autres ? contra sa mère. Nous n'avons pas été les seuls. Des gens nous ont déclarés comme indésirables sur un sol où notre famille a vécu des siècles durant. Si l'on suit leurs règles, nous n'avions rien fait. Nous étions juste là. On trouve toujours quelque chose à nous reprocher.

Sa mère fit une pause avec l'air de se demander comment poursuivre. Ses yeux creux luisaient derrière ses épais sourcils froncés.

—Nous avons été attrapés à la frontière Yougoslave, le passeur s'était joué de nous. Ton grand père et l'oncle Dalibor ont essayé de résister pour nous permettre de fuir. Ils ont été abattus d'une balle tous les deux alors nous sommes restés calmes. À ce moment là, toute cette tristesse et cette horreur autour de moi m'engloutissaient littéralement. Je ne pouvais plus bouger. On nous a parqués comme des animaux dans des wagons, tous debout, à plus d'une centaine, sans savoir où nous allions et ce qu'allaient nous faire ces moldus. Ma mère n'avait plus ouvert la bouche depuis qu'on avait tué mon père, elle n'était plus que l'ombre d'elle même. Tout autour de moi ma famille me priait et me pressait de faire quelque chose. Je n'arrivais à rien, ils étaient trop nombreux autour de moi, j'avais l'impression d'être écrasée. Puis après des jours de voyage, le train s'est arrêté.

Les petites formes autour du feu débutèrent une sarabande furieuse avant de s'agglomérer pour former une masse compacte. Des silhouettes de chiens et celle d'un train se découpèrent autour de Médusa comme des grandes ombres projetées par un projecteur.

—C'est les chiens qu'on a entendus en premier. Puis quand on a ouvert, le soleil était haut, j'ai cru mourir, puis j'ai cru voir l'enfer. C'était les camps. Des centaines de milliers de personnes à l'agonie que je sentais autour de moi. À ce moment là, ma mère s'est aussi réveillée. Elle a prit ma main et m'a dit de faire tout ce qu'elle me dirait. Elle avait vu le futur, elle savait que l'on s'en sortirait. Quand les moldus nous ont sortis, ils ont voulu nous séparer dans deux lignes différentes. Ma mère était âgée, ils voulaient l'envoyer aux douches avec beaucoup d'entre nous. Ils nous ont frappé plusieurs fois avec leurs bottes puis elle s'est mise à parler en anglais. Elle disait que je parlais un peu aussi l'anglais et que nous pouvions être utiles. A ce moment là ils ont arrêtés de nous frapper et nous ont mises à part. Ils ont envoyé la moitié de notre clan dans les douches sous nos yeux. Les douches c'était la mort, et je l'ignorais alors. Puis des moldus nous ont emmenés avec d'autres prisonniers, nous ont rasés, et tatoué des numéros. C'était ce que nous étions, des chiffres.

Sa mère lui montra le creux de son bras dont elle releva la manche. Il était vierge et quand on l'exposa trop à l'ombre, la marque des ténèbres apparut légèrement dessinée par les reliefs creusés sur sa peau.

—Ton père m'a enlevé ce tatouage comme cadeau de mariage. Il m'en a offert un autre par la suite. S'il a une ironie mordante, je ne lui enlève pas un certain goût pour l'esthétisme. Une qualité chez ton géniteur, son perfectionnisme.

Médusa regarda piteusement l'intérieur de son bras d'où émergeait la marque légèrement illuminé par les flammes, on ne pouvait lui enlever la beauté de son encrage. Comme à chaque fois qu'elle y pensait, elle eut envie de gratter le tatouage mais se contint.

—J'ai oublié la plupart des chiffes de ce tatouage, sauf un. Le 23, car c'est à vingt-trois ans que j'ai été envoyée là-bas. Je trouvais que cette coïncidence me porterait chance et je m'y raccrochais. Ta grand mère et moi avons été envoyées dans le laboratoire d'un médecin moldu, comme assistantes. Celui-ci ne soignait pas et s'intéressait aux gitans pour ses expériences. Les romanis nous avons souvent des jumeaux, cela intriguait les moldus qui voulaient savoir ce que nous avions de différents et si eux aussi pouvaient avoir des jumeaux de leur race. Ils faisaient des expériences sur des enfants et nous ne faisions rien. Je sentais le mal autour de moi. Le mal à l'état pur, ce n'était plus mes petites illusions et des petits bobos d'enfants. C'était un mal si aveuglant que je pense encore à me crever les yeux d'avoir été témoin de ça.

Les ombres avaient cessées de danser autour d'elles. Le calme des bois inspira à Médusa une sorte de quiétude mêlée de peur. Il ne persistait que le lent bruit de l'eau ruisselante autour d'elle puis le hululement d'une chouette se fit entendre au loin.

—Je n'étais plus que l'ombre de moi-même. Nous ne mangions rien, les miens se sacrifiaient pour que je mange en espérant que je les sortirais d'ici. Au bout d'un moment les prières se fanent et deviennent des ordres, puis des insultes. Nous étions en automne, le soleil était encore haut. Je n'étais pas aussi plongée dans l'obscurité que maintenant, je pouvais alors rester en pleine lumière, mais très affaiblie. Mère pensait que l'hiver serait la meilleure occasion pour nous enfuir. Elle avait raison. Le jour de moldivus, ce que les moldus appellent Noël, un des commandant du camp a fait venir beaucoup de notre clan chez lui. Il organisait une fête pour le réveillon et souhaitait des gitans pour animer sa soirée en jouant et dansant. On nous a mit sur une scène avec des instruments et des habits pour danser.

« Nous étions une distraction pour ces moldus bien habillés qui s'empiffraient en nous regardant. À ce spectacle, une rage et une colère m'ont habitées et ne m'ont plus jamais vraiment désertée. J'ai regardé ma mère et j'ai commencé à danser. Plus nous jouions et plus je dansais et plus je les avais sous ma coupe. Quand ils étaient ivres morts avec leur femmes, je me suis approchée d'eux. À ce moment là je ne savais pas que j'étais capable de ça. Je les ai engloutis dans l'obscurité, tous, un par uns pour me nourrir jusqu'à ce que je ne puisse plus avaler quoi que ce soit. Je ne me rendais même plus compte que j'engloutissais tout le monde autour de moi, je ne faisais plus de différence. Certains de mes cousins ont pu s'enfuir et la seule personne qui restait en vie dans cette maison était ma mère. Je l'ai pris par la main et nous nous sommes enfuies.

Sa mère s'était tue depuis un moment. Elle chantonnait des paroles d'une curieuse chanson d'un air mélancolique. Un mot revenait régulièrement dans cette espèce de complainte de chant grave.

—Après ça nous nous sommes cachées comme tous les romanis, même après la guerre nous sommes restées cachées. Plus personne ne voulait nous approcher chez les roms, car nous avions commis l'impensable en massacrant les nôtres. Nous avons nommé les choses. Porajmos. Porajmos cela veut dire dévorer et c'est comme ça que nous avons appelé les camps. Nous avons été dévorés par du vide car plus rien n'existait. Nous avons été jetés de l'univers, enfermés et engloutis par les camps et par l'histoire car personne ne raconte cette histoire là. En sortant de là, je voulais me laisser engloutir à mon tour, tout comme ma mère. Nous n'avions plus le goût à rien et lentement j'étais en train de détruire ce qu'il restait d'elle. Je n'avais plus qu'elle autour de moi…pendant les années où nous nous sommes cachées je l'ai rendue complètement folle. Nous nous en étions sorties, elle avait bien vu… comme elle avait dû voir que je la détruirais.

Sa mère s'arrêta et la regarda en se penchant légèrement par dessus le feu. Les ombres dessinées par son visage dansaient autour de ses rides d'expression lui donnant l'air encore plus énigmatique.

—Quand ton père est arrivé, oui en quelques sortes ça a été une bénédiction. Après avoir vécu en enfer, marcher avec un démon est facile. Il a rendu les choses plus simples et m'a même rendue très heureuse.

En lui coulant un regard, Médusa savait qu'elle ne mentait pas. Imaginer ses parents heureux ensembles lui procura une drôle d'impression, car ils se parlaient rarement et souvent pour se disputer. Quand ils s'accordaient ensembles c'était pour faire du mal et blesser les autres.

—Il a vu ce potentiel en moi, cette chose qui me maintenait en vie, ma magie. C'est ce que ma famille avait fini par rejeter, ce dont ma mère avait toujours eut peur qu'il voyait de beau en moi. J'ai tué des dizaines de personnes pour lui, et chaque personne que j'engloutissais me rendait plus forte. Nous avons parcouru le monde ensembles en détruisant derrière nous, c'était amusant et remplissait ma faim pendant des mois. Mais rapidement les mois sont devenus des semaines, puis des jours… Le vide ne se comble jamais vraiment.

Elle tourna la tête un moment avant de reprendre.

—Votre père ne désirait pas que je vous parle de ça, ni même de ma culture. Mais une fois de plus je vais lui désobéir. À toi de voir si tu lui révèleras cette conversation ou non. Le chemin que j'ai pris avec ton père il y a des années m'a sauvée en quelques sortes mais tout dépend de ce que l'on appelle une vie. L'obscurité à son prix à payer, et récompense généreusement, il est vrai. Mais c'est un vide sans fin, et tu marches droit dedans Médusa. Ne te laisse pas guider par lui vers ce chemin là.

Pour la première fois sa mère lui adressa un doux sourire. C'était tellement inhabituel que Médusa ne sut comment réagir. Délicatement la main de sa mère l'effleura par dessus les flammes, ses doigts n'étaient qu'un frôlement chaud qui parurent lui aspirer un peu de son énergie. Quand elle s'en aperçut sa génitrice écarta sa main avec une grimace plissant les arêtes de son long nez comme un bec d'oiseau.

—Je ressens ta peine et si j'ai envie te dévorer pour ça, je sais qu'il faut qu'elle s'arrête ou il en profitera. Tu sais, on raconte que nous les gitans nous avons pris la route avec une question et que nous nous arrêtons seulement lorsque nous avons trouvé la réponse. Ton père n'était pas ma réponse. Il ne sera pas non plus la réponse pour toi, il te détruira comme il fait toujours.

« Ton père a des pulsions d'autodestructions et sa petite cicatrice en est une preuve. Si c'est l'Obscurial qui lui a fait ça, le gamin me plait de plus en plus, caqueta-t-elle. Ça lui donne l'air d'un mauvais garçon, tu ne trouves pas ?

Si Médusa n'avait que peu croisé son père, elle avait bien remarqué la fine cicatrice noire qui barrait sa joue désormais comme si un des vaisseaux sanguins sous sa peau avait éclaté. Personne à Poudlard ne s'était risqué à commenter cette cicatrice devant lui et Médusa n'allait pas faire exception.

—Alors qu'est-ce que je suis censée faire ?

—La souffrance ne disparaîtra pas, murmura sa mère. C'est bien pour ça que je continue d'engloutir. Une fois que ce vide est là, il se tient agrippé à toi, c'est comme ça. Je m'en suis aperçue trop tard je pense. Maintenant, il faut choisir de regarder vers lui ou non. À toi de faire ce choix. À toi de voir vers quoi regarder désormais.

Médusa songea à Salazar et aux silences entre eux depuis qu'elle avait avoué ne plus vouloir se battre. Son petit frère avait traversé tellement d'épreuves cette année entre la mort de son amie centauresse, Charme et Eddy, il était sans doute aussi malheureux qu'elle dans son coin. Médusa n'avait pas réussi à faire un pas vers lui, c'était au dessus de ses forces, tout comme pour Eddy. La souffrance qu'elle ressentait en pensant à eux aurait pu l'engloutir aussi bien que sa mère.

—Moi j'ai choisi de regarder vers ton père, lui a choisi de regarder vers le passé.

—Que veux-tu dire ? bredouilla Médusa.

—Il y a des choses que je ne peux pas te révéler, mais la réponse se trouve dans son Codex. C'est là où se trouve la réponse.

Elle se figea craignant d'en avoir trop dit, inspectant d'un regard inquiet les environs. Médusa connaissait le Codex de Serpentard pratiquement par cœur, et ne comprenait pas où elle voulait en venir.

—Nagini et moi allons bientôt quitter le pays quelques temps pour rechercher les frères Dumbledore. Les deux sont en fuite et Nagini a une idée sur l'emplacement de leur cachette en France. Vous allez retourner quelques temps à Poudlard avec votre père. Pendant ce temps là, continue à protéger ton frère et à faire tes petits bricolages avec ton collier. Laisse ton père venir à toi.

Médusa se figea car son géniteur aussi avait connaissance du collier d'opale et elle se demanda dans quelle mesure cette partie de leur conversation ne pourrait pas lui porter préjudice.

Sa mère lui fit cependant un clin d'œil tandis qu'elles entendaient derrière elles des bruits de pas. De deux troncs noueux et des brumes émergea un petit homme rondouillard et terrifié. Quand il aperçut la lumière de leur feu et les vit, sa peur laissa place à de la joie :

—Oh quelle joie de voir enfin un visage humain ! Cela fait des heures que je tourne en rond ici. Pouvez-vous m'aider à sortir de cette forêt ?

Sa mère lui offrit un tendre sourire et le petit homme se figea d'effroi. Il analysa les vêtements des deux sorcières et le feu magique brûlant entre elles et comprit qu'il n'avait pas à faire à des sauveuses, bien au contraire.

—Je vais devoir te laisser Médusa. Mon dîner est servi.

Médusa ne se le fit pas dire deux fois. Elle emporta le bocal avec le feu magique tournant le dos au moldu pétrifié dans la vase du marécage. Elle entendit sa mère se lever, le petit homme crier, puis ce fut le silence.

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(1)Porajmos : Littéralement le Grand Dévoreur ou dévorer, est le terme utilisé pour parler du génocide tsigane. Dans les milieux intellectuels et académiques romanis, le terme Samudaripen (la mort de tous) est parfois préféré, car Porajmos peut référer à une agression sexuelle dans certains dialectes.

Déclarés comme impurs dès l'arrivée d'Hitler au pouvoir en raison de leur ascendance indienne, les romanis furent persécutés pour ne pas représenter leur idée du bon « aryen », à savoir un descendant indo-européen blond aux yeux bleus. Des expériences sordides furent également pratiquées sur cette communauté et notamment sur les enfants jumeaux. Durant les persécutions nazies, on estime entre 500 000 et 1 millions le nombre de personnes envoyées dans les chambres à gaz. Ce génocide mal connu a mit du temps à être accepté et reconnu comme tel.

En France, les gitans manouche ne furent pas systématiquement envoyés dans les camps de la mort contrairement aux personnes juives mais retenus captifs dans des camps « d'éducation » par le régime de Vichy. Les conditions y étaient atroces et éprouvantes, et c'est encore un traumatisme profond pour les survivants de ces camps. À noter que les derniers romanis libérés des camps « d'éducations » français le furent en… 1946, soit plus d'un an après la fin de la guerre.

Pour plus d'infos : Le film Liberté de Tony Gatlif parle de l'histoire des camps français et est trouvable facilement sur youtube.