On disait souvent qu'une meute était représentative de son alpha. En l'occurrence, c'était vrai, par rapport à un détail seulement. Tout le monde se retrouvait tendu parce que Scott l'était, mais personne ne ressentait la moindre colère. A vrai dire, l'on ne comprenait pas ce que l'on sentait, ce que l'on devait comprendre tout court. Scott faisait certes l'effort de ne pas l'afficher en tant que telle, mais le fait est qu'il n'arrivait pas à contrôler son odeur qui, elle, se révélait fort parlante. Une colère qui frôlait les limites de la normalité, selon certains, si forte qu'elle manquait de peu de briser ses murs.
Malia, plus portée sur l'écoute de ses sens lupins que ses amis mordus, entendit avant tout le monde le cataclysme arriver sans pour autant deviner qu'il en était un. Après tout, Stiles n'était rien de plus qu'un humain… L'humain de la meute. Peu attentive à ce qui se disait autour d'elle, la jeune femme n'était pas au courant de grand-chose quant à l'état de Scott. Elle, son truc, c'était les bruits, les odeurs. Ainsi, elle n'imagina pas un seul instant que son alpha de petit-ami puisse avoir développé une dent contre son ex – pour une raison qui n'avait d'ailleurs absolument rien à voir avec elle. Le fait est qu'elle perçut l'arrivée de Stiles avant tout le monde et qu'elle fut la seule à ne pas ressentir la moindre surprise lorsque la porte du loft coulissa pour le laisser apparaître.
Stiles abordait un air étrange mais suffisamment fermé pour que l'on remarque une fois de plus que quelque chose n'allait pas le concernant. Ce n'était pas bien difficile : son visage était aux antipodes de ce qu'il avait l'habitude de montrer. Ici, aucune comédie, aucun sourire vaguement dissimulé, aucune lueur espiègle dans le regard. Rien de plus qu'une rancœur à peine dissimulée saupoudrée d'une froideur certaine que l'on ne pouvait nier.
Au même instant, un regard des plus sombres se posa sur lui… Un regard que Stiles soutint sans faillir.
- Tu es en retard.
La voix de Scott ne cachait rien de son mécontentement et c'était tel que l'on entendait presque son loup intérieur grogner. Son ton tranchant en fit frissonner plus d'un.
Stiles ne se laissait pas impressionner.
- J'avais quelques petites choses à faire.
Le jeune homme avait pris son temps, articulé ses mots avec une lenteur de prédateur. Dans le ton de sa voix, il était possible de percevoir une pincée de ce sarcasme qu'on lui connaissait, teintée de cette froideur qu'on pensait étrangère le concernant. Stiles avait toujours été une espèce de soleil, l'humain qui répandait la bonne humeur – ou l'agacement bienheureux – sur son passage.
Le soleil s'était éteint depuis quelques jours déjà et pourtant, il fumait encore : frigorifié de l'intérieur, il avait besoin d'un peu de chaleur pour faire renaître ses rayons premiers – les plus lumineux.
Scott fit un pas dans sa direction, délaissant totalement le tableau sur lequel il était en train d'écrire quelque chose avant que l'arrivée de Stiles ne l'interrompe.
- Des choses plus importantes qu'une réunion de meute ? Demanda-t-il sans le quitter des yeux. J'en doute.
- Je ne pense pas que tu sois apte à juger ma vie de quelque manière que ce soit, encore moins de donner ton avis dessus.
Stiles croisa les bras sur son torse, le regard toujours plus froid. Il le relança après avoir pris le temps de s'installer à côté de Lydia, qui lui avait gardé une place, comme elle le faisait chaque fois :
- Si tu reprenais la réunion ? Après tout, c'est pour ça qu'on est tous là, non ?
L'on vit distinctement Scott serrer les dents. Puis les poings. L'on crut qu'il allait laisser apparaître ses yeux d'alpha, mais il n'en fit rien. Cependant, la tension que sa fureur sourde créait tendait tout le monde, obligeait à se tenir sur ses gardes. Si Stiles semblait au summum de la froideur, il paraissait étrangement détendu.
Au tour de Scott de croiser les bras sur son torse.
- Dis-moi, est-ce que tu sais faire autre chose que casser les couilles ?
Le visage de Stiles ne laissa transparaître aucune expression. Son odeur non plus.
- Je suis venu cette fois-ci, que te faut-il de plus ?
Il mima la confusion puis une fausse illumination, le tout avec un naturel glaçant. Même Lydia, à côté de lui, en eut la chair de poule. Pas qu'elle avait peur de Stiles, mais ce qu'il laissait voir… N'augurait rien de bon concernant sa relation avec Scott, qui ne semblait pas prête d'aller en s'arrangeant.
- Ah ! Tu préfères peut-être que je reparte ? S'enquit Stiles, l'air de rien.
Il avait juste haussé un sourcil d'un air indifférent, comme si la chose en elle-même ne le dérangeait pas. Et l'on sentait la tension croissante qui englobait l'entièreté de la pièce.
Mais on ne la comprenait pas pour autant.
La meute connaissait Scott et Stiles comme les deux meilleurs amis de toujours qui s'entendaient fort bien, qu'importe la situation, qu'importe leurs différends – car ils en avaient eu, naturellement. Pour autant, c'était la première fois qu'on assistait à un échange aussi froid. Venant d'eux, c'était on ne peut plus surprenant. D'un côté, Scott cherchait à titiller Stiles et ce dernier… On ne comprenait pas trop son attitude, ni ce qu'il cherchait à faire. Il se montrait sarcastique tout en faisant preuve d'une froideur extrême, au contraire de Scott dont seule la colère s'exprimait.
- Hors de question, siffla l'alpha entre ses dents.
Il se retourna sèchement et alla retrouver la place qu'il occupait avant que Stiles n'arrive.
- Par contre, fit-il une fois à côté de son tableau, les retards, c'est fini.
Si les mots étaient soigneusement choisis pour atténuer l'effet de ce qu'il voulait réellement dire, il les avait crachés avec une violence telle que tout autour d'eux, on frissonna. Lydia, à côté de Stiles, avait le cœur qui battait vite. La plupart des loups eurent toutefois la surprise de remarquer que l'hyperactif… Avait un rythme cardiaque parfaitement lent. Il était étrangement détendu. Et alors qu'on l'imaginait se mettre à éclater de rire et à leur avouer que tout ceci était une blague de mauvais goût, il resta un instant silencieux, avant de lâcher :
- Continue de me parler comme un chien et tu vas voir qui va se mettre à mordre.
Sur le canapé voisin, Jackson fut tellement sidéré qu'il eut envie de rire… Mais n'en fit rien. D'un côté, il trouvait excellente la répartie de Stiles et hilarante la tête de Scott, de l'autre… Les mots lentement prononcés, comme une menace depuis qu'il était arrivé, lui faisait craindre le pire. Quelque chose de plus gros qu'une simple dispute avec Scott. Isaac, un peu plus loin, se contentait de regarder alternativement les deux meilleurs amis, dans l'espoir de trouver un indice qui pourrait l'éclairer sur la situation. Dans le fond de la pièce, Derek jeta un regard perplexe à Peter qui, lui, souriait. Il adorait lorsque les choses s'envenimaient. C'était son petit truc à lui… D'autant plus qu'il adorait lorsque le petit humain décidait de ne pas se laisser faire. Stiles avait un sacré caractère et Peter appréciait beaucoup de le voir s'affirmer, quelle qu'en soit la raison. C'était notamment pour cela qu'il aimait le chercher : les joutes verbales avec lui étaient toujours un plaisir.
Et le voir s'élever face à Scott au lieu de courber l'échine comme il le faisait d'ordinaire… Un délice. Parce que la valeur que Peter voyait en Stiles était énorme – il avait en lui une estime certaine. Ainsi, il appréciait l'idée de le voir montrer les dents, se défendre et non se laisser faire comme il en avait l'habitude, quoique… Dans ses souvenirs, Scott ne s'était jamais montré aussi vindicatif qu'en ce jour.
Il lui paraissait même belliqueux et ça, ce n'était pas forcément une bonne chose.
Scott perdit partiellement son calme et commit là une erreur monumentale.
- Stiles, je t'ai déjà dit de rester à ta place ! S'emporta-t-il.
Sa voix, forte et grondante de menace, provoqua un frisson quasi unanime. Isaac et Jackson se regardèrent d'un même mouvement : l'un comme l'autre avaient déjà entendu certains de ces mots. Ces mots qui les avaient marqués par leur virulence et qui rabaissaient Stiles à un niveau effroyable. Stiles, dont l'impassibilité était complètement anormale.
L'humain laissa passer quelques secondes sans lâcher le loup-garou du regard avant d'hocher nonchalamment la tête et de se lever avec lenteur. Il n'y avait rien de pressé dans aucun de ses mouvements : l'attitude hostile de Scott à son égard ne semblait pas lui faire le moindre effet. C'était comme s'il y était préparé… Ou comme s'il s'en fichait éperdument, tout comme il paraissait ignorer la présence de la meute autour d'eux.
- Dans ce cas, tu ne verras aucun inconvénient à ce que je me casse, lâcha-t-il sans que son ton ne change jamais.
- Je ne te permets pas de…
- Je reste à ma place, le coupa Stiles sans cesser de le regarder dans les yeux. En tant qu'humain, je peux ne pas reconnaître l'autorité d'un alpha. Je n'ai pas de lien surnaturel avec toi, Scott, ce qui signifie que tu n'as aucun ordre à me donner, aucune autorité à m'imposer. Si je te suivais, c'était par choix.
Il se retourna vers la porte, brisant le contact visuel qu'il gardait avec lui depuis le départ. Il amorça un pas. L'on ne sut s'il entendit Scott grogner et bouger : en tous les cas, il n'eut pas l'air de s'en inquiéter outre mesure.
- C'est terminé.
