Chapitre 11 : Le reflet de l'autre

Edward grommela, rangea son téléphone dans sa poche et fit demi tour. Il était sur le chemin vers le dojo et avait l'intention de s'entrainer avec son frère. Mais ce dernier venait de lui envoyer un texto pour lui dire qu'il était en cours pour encore deux heures et que donc, il n'était pas disponible. N'ayant pas très envie de croiser le fer avec un des fous du muscles qui semblaient vivre sur place, il fit demi tour. Il ne pouvait même pas continuer les différentes séries qu'il regardait en ce moment, étant donné qu'il les regardait avec son frère, si occupé à ses travaux scolaires. Il se demandait si ça ne valait pas le coup de faire un détour par la bibliothèque quand il aperçut Serena qui entrait au Zanzibar. Il eut comme un flash bref de la colère et de la détresse à laquelle il avait assisté la veille. Qu'il avait provoqué quelque part. Alors qu'il marchait vers la bibliothèque, il pensait à l'étrange similarité de leur parcours. Il se demandait si les mondes étaient à ce point en miroir que chaque personne avait une sorte de double, un reflet vu dans le miroir déformant. Et si c'était le cas, est ce que c'était elle, son reflet déformé ?

- Je pense trop… Grommela-t-il

- Qu'est ce que vous dites, love ? Demanda alors la dame de l'accueil en souriant

Il sursauta un peu et lui sourit en retour :

- Je trouve que je pense trop…

- Ah ! Vaut mieux trop que pas assez… Lui répondit elle avec un clin d'oeil.

- Sans doute

- Et à qui pensez vous autant ?

- À ma mère. Dit-il, se surprenant lui-même

- Oh, voilà qui est charmant… C'est le premier amour qu'on partage tous… Sa maman…

Elle avait un sourire ému, qu'il lui rendit. Puis il pensa à quelque chose et lui dit :

- Faut que j'y aille

- Mais vous n'avez rien emprunté ! Ah, ces jeunes…

Edward entendit à peine la dernière phrase de la bibliothécaire. Il venait de penser à quelque chose et avait besoin d'en parler à Serena. Un problème qui l'avait longtemps torturé mais qu'il était parvenu à solutionner. Il se demandait si Serena, elle, y était aussi parvenue.

- Bonjour, jeune homme ! Le salua George, avec sa froideur habituelle

- Bonjour George.

Il ne prit pas la peine de continuer la conversation dont l'hôtelier ne voulait de toute façon pas. Il jeta un coup d'oeil au salon, qui était vide, avant de monter directement à l'étage. Au lieu de s'arrêter devant sa propre porte, il alla jusqu'au bout du couloir et frappa. Serena lui ouvrit et le regarda avec curiosité. Elle avait les cheveux humides et les joues roses, comme si elle sortait d'une douche chaude.

- Salut !

- Salut… On peut se parler deux minutes ?

- Bien sûr. De quoi tu veux parler ? Lui dit-elle en l'invitant à entrer

- Et ben… J'ai une question à te poser

- Je t'écoute.

- Ça sera pas… c'est pas une question agréable. Donc si tu veux pas y répondre, t'es pas obligé et je partirai tout de suite. Prévint-il en s'asseyant sur le canapé

- Crache le morceau

- Qu'est ce qu'il est arrivé à ta mère ? Après ton expérience…

- Pourqu…

- Est ce que c'est ça qui l'a tuée ? Continua-t-il, impitoyable

Il la vit vaciller légèrement et sa poitrine se souleva plusieurs fois, comme si elle devait faire un effort pour se souvenir comment respirer. Il eut instantanément de la peine pour elle et voulu se lever pour la serrer dans ses bras, avant de se dire que c'était quand même pas des plus appropriés et que si il le faisait, elle lui mettrait sans doute son poing dans la gueule. Il se contenta donc de la regarder, s'attendant à ce qu'elle lui dise de quitter la pièce. Au lieu de ça, elle s'assit à son tour sur le canapé mais fit bien attention à mettre de la distance entre eux. Elle finit par dire, doucement :

- T'y vas pas avec le dos de la cuillère toi, hein ?

- T'es pas obligé de répondre…

- Je vais te dire… je sais pas.

- Tu sais pas ?

- Ma mère est morte 6 mois après l'expérience. Quand je suis optimiste, je me dis que c'est sans doute pas ça qui l'a tuée. On met pas 6 mois à mourir d'un truc comme ça. Quand je suis pessimiste, je me rappelle qu'elle avait 36 ans quand elle est morte et que c'est pas un âge pour mourir, normalement.

Elle avait un air triste et ses yeux étaient un peu éteints. Edward comprit alors que la plupart du temps, elle devait être pessimiste. Il continua malgré tout :

- C'était quoi ton plan ? Pour la guérir.

- Je t'ai dit, je voulais faire remonter la maladie dans ses gènes

- Comment c'est possible ?

Elle soupira un peu et se passa une main dans ses cheveux mouillés. Il la connaissait suffisamment à présent pour savoir que quand elle faisait ce geste, c'est qu'elle réfléchissait intensément. Elle dit alors :

- Comment dire… il faut voir l'être humain comme une trinité. Le corps, l'esprit et l'âme. Tu vois ?

- C'est comme ça aussi qu'il est envisagé en alchimie

- Vraiment ? Faudra que tu prennes 5 minutes pour m'expliquer ça alors… Bref. La trinité est fait donc des trois éléments qui sont intrinséqument liés mais profondément dissemblables. L'âme, c'est… c'est la source de la vie, si je peux dire les choses comme ça. Le moteur…

- La masse primordiale qui infuse les deux autres… Récita-t-il de mémoire

Elle fronça les sourcils et ramena ses jambes contre sa poitrine. Elle demanda :

- Tu l'as lu jusqu'où, mon traité sur la noétique ?

- La première page uniquement. Mais ça m'a marqué

- Je vois ça… Bon. L'âme c'est effectivement ce qui infuse une espèce de force… Oui, la Force, c'est un bon moyen de comprendre ce que je veux te dire. Comme dans Star Wars

- Qu'est ce que tu veux dire par là ?

- Je veux dire que… t'as eu l'occasion d'arriver au moment où je parle de la conscience ?

- Non.

- La conscience, c'est quelque chose que les trois entités partagent, en quelque sorte. D'un point de vue biologique, la conscience c'est un état d'éveil, de fonctionnement. Du point de vue de l'esprit, la conscience c'est ce qui te permet de raisonner, de réfléchir. Du point de vue de l'âme, la conscience c'est aussi la source de ton éthique, de ta morale… On dirait presque qu'il y a trois consciences différentes quand on en parle

- Oui, on peut voir ça comme ça

- Si t'arrives à… fusionner ces trois parties de la conscience et à… travailler dessus, tu commences à percevoir les fluides qui animent la vie, le monde.

Edward fronça les sourcils et prit quelques secondes pour comprendre ce qu'elle voulait lui dire. Elle lui laissa le temps puis continua :

- Au fond, c'est vraiment un peu comme la Force dans Star Wars. Tout est infusé de vie, tout est infusé de ce fluide. Et quand tu peux le percevoir, tu peux agir dessus.

Elle prit la tasse de thé sur la table dans sa main et d'un coup, cette dernière se mit à léviter au dessus de cette dernière. Edward lâcha un petit « whoa » qui fit sourire la jeune femme. Elle dit :

- Et ouais. C'est cool hein ! Il me manque que le sabre laser. J'ai adoré savoir faire ce genre de truc quand j'avais 10 ans, tu t'imagines…

- Je t'en supplie, apprends moi. Murmura-t-il, les yeux un peu écarquillés

- Non, Ed… Vraiment, non.

La tasse cessa de léviter et Serena en but une gorgée. Elle continua :

- Déjà, je te l'ai déjà dit. Je pense que t'es trop vieux pour parvenir à ce niveau. Quand j'ai commencé, j'avais 9 ans. Mon cerveau était celui d'un enfant, encore en plein développement donc très malléable. Le tien est celui d'un adulte. T'arriveras pas à ce niveau. Et puis, c'est un pouvoir un peu grand. Y'a des choses que je peux faire…

- Quelles choses ?

Elle le regarda avec intensité et il sentit son coeur s'accélérer considérablement, avant de soudain ressentir un très grand froid qui venait de l'intérieur de son corps. Il dit alors :

- Qu'est ce qu'il…

- C'est moi qui fais ça… Dit-elle d'un ton d'excuse

- Comment…

- Excuse moi. J'arrête.

Le froid repartit alors comme il était venu. Edward regarda la jeune femme, qui semblait être redevenue un peu triste. Son premier réflexe aurait été de lui crier dessus si elle n'avait pas eu cette expression. Il se dit alors qu'il n'aimait pas la voir comme ça et n'eut pas le coeur de l'engueuler. Il se contenta de dire :

- Donc tu peux... agir sur le corps des gens ?

- Oui. Entre autre

- À quel point ?

- J'ai jamais essayé d'aller bien plus loin que ça. Ça m'a toujours semblé pas très… pas bien. Je peux agir sur mon propre corps très facilement par contre

- C'est à dire ?

- Par exemple, j'arrive à m'empêcher de tomber malade.

- Sérieux ?

- Dès que j'ai la sensation qu'il se passe quelque chose de… pas normal à l'intérieur de moi, j'arrive à l'identifier et à l'éliminer. J'arrive à le faire sur Alicia aussi, à un certain degré et quand elle me demande. Apparemment, ça fait une drôle de sensation donc elle me demande pas à chaque fois. Elle sait aussi que je suis pas à l'aise avec ça.

- C'est pratique dit donc ! S'exclama Edward en se frottant le menton

- Oh oui. Je pense que si je continuais à étudier la noétique, j'arriverai sans doute à m'empêcher de vieillir durablement

- Tu veux dire que…

- La noétique pourrait être une voie vers l'immortalité. Mais comme tu t'en doutes, je travaille pas dessus. Je suis quasiment certaine que c'est juste une autre voie pour la Vérité

Elle eut un sourire doux et il lui répondit :

- Ouais. L'immortalité, ça a l'air d'être un gros pêché aussi…

- Dieu ne se laisse pas atteindre si facilement.

Edward hocha la tête. Il repensait à Ling et à May et à leurs quêtes d'immortalité. Il se demanda où ils en étaient et si l'un d'entre eux était parvenu à atteindre le trône de Xing. Il secoua la tête. Penser à eux ne lui faisait pas du bien et il voulait finir cette conversation.

- C'est ce que t'as essayé de faire ? Avec ta mère ?

- Pas vraiment. On parle pas d'une grippe. Quand c'est purement biologique, c'est facile. Tu scannes, tu identifies, tu élimines. Ça touche au corps et c'est facile. Mais ma mère, elle avait une maladie de l'esprit. Comme les trois communiquent, je crois qu'on peut dire que sa maladie était aussi une maladie de l'âme. C'est ça que j'ai voulu faire. Je pensais qu'il était possible d'entrer… d'entrer en communion avec ma mère pour faire reculer sa maladie.

- En communion ?

- Quand je pratique la noétique, ma conscience est activée. Je perçois beaucoup de choses. Ma théorie, c'est que si deux consciences noétiques se rencontrent, les perceptions augmentent. J'ai placé ma mère sous un générateur de photon. Des particules élémentaires, responsables de la lumière. Sans rentrer dans les détails, je pensais que ça simulerait une conscience noétique activée… Et que je pourrais donc avoir accès à son corps mais aussi à son esprit et son âme

- C'est ça qui a foiré ?

- Mmmmh. Pas vraiment

- Tu sais ce qui a foiré ?

- Oui. J'ai appris beaucoup de choses sur la noétique et sur pleins d'autres choses en passant dans la Vérité. Tu sais… cette sensation de…

Elle eut un geste indéfinissable de la main et il sut malgré tout de quoi elle voulait parler

- Toucher à l'infini. D'avoir accès à la connaissance ultime. Répondit-il en hochant la tête

- C'est cool, hein ? Dit elle avec un sourire

- Génial ouais… C'est con que ça coûte si cher

- Oh oui…

- Du coup, si t'en a appris plus, tu sais ce qui a foiré ?

- Mon erreur, c'était de penser que, comme c'était ma mère, j'aurai accès facilement à son âme.

- C'était pas le cas ?

- On accède pas si facilement à l'âme des gens

- Pourtant, ça avait pas l'air compliqué ce que t'as fait tout à l'heure… quand t'as…

Il se toucha la poitrine et frissonna encore quand il se rappela du froid qui l'avait habité il y a quelques minutes. Elle eut un sourire amusé :

- J'ai touché à ton corps. C'est pas compliqué ça. J'ai pas besoin de la noétique pour le faire après tout

Elle tendit la jambe et toucha son genou avec son pied, pour prouver ses dires. Il frissonna à nouveau et eut un léger mouvement de recul. Elle se remit dans sa position initiale, les genoux ramenés contre la poitrine. Il eut alors un souvenir bref de la veille, quand elle lui avait effleuré la peau avec douceur. Une sensation de creux s'installa dans son estomac. Cela faisait plusieurs semaines qu'il avait cette sensation régulièrement, comme un creux à l'arrière de son estomac. D'habitude, c'était bref mais contrairement aux autres fois, le creux resta plus longtemps.

- Influer sur le corps des gens, c'est le plus facile. Toutefois, je pense pas que beaucoup de gens puissent en être capables. Comme je te disais, j'ai commencé très tôt. Mais quand on passe cette première barrière, on rencontre tout de suite beaucoup de difficultés. Si je forçais le passage ou si tu me laissais faire, je pense que je pourrai avoir accès à ton esprit. Et encore… Faudrait que tu sois vraiment vraiment très d'accord. Ou alors que je souhaite vraiment te faire du mal très fort. Ce qui n'est pas le cas, je te rassure. T'es agaçant par moment mais pas à ce point.

- Tu m'en vois absolument et positivement soulagé. Grinça-il avec ironie

Elle eut un joli rire et le petit creux dans son estomac commença à dégager une légère chaleur. Il commençait à trouver cette sensation un peu perturbante alors il se hâta de continuer la conversation

- T'es déjà parvenu à toucher l'esprit de quelqu'un ?

- Oui. Alicia

- Vraiment ? T'as essayé sur ta petite soeur ? S'exclama-t-il, légèrement outré

- Elle était d'accord. Et je l'ai pas fait si souvent. Je l'ai juste effleurée mais à l'époque, je pensais avoir fait bien plus.

- Ça fait quoi comme sensation ?

- Hum… C'est… difficile à décrire. Un peu comme essayer de décrire une couleur à un aveugle. Ou bien… tenter d'expliquer avec précision ce que c'est qu'un orgasme

- Hein ? Réagit-il en rougissant légèrement

- Je dis pas que ça fait pareil. Je dis juste que c'est difficile à décrire.

Elle semblait amusée par sa gêne et lui était de plus en plus perturbé par la sensation dans son estomac, qui ne se décidait pas à partir.

- Le plus drôle, c'est que si je dois apprendre la noétique à quelqu'un, je serai sans doute obligée de parvenir à toucher son esprit

- Pourquoi ?

- Il y a… comme un mouvement à pratiquer, pour maintenir la conscience noétique. Y accéder, c'est déjà compliqué mais la maintenir c'est… c'est pas simple non plus. Pourtant, c'est nécessaire à la pratique. Mais bon. Comme j'ai pas l'intention de l'enseigner…

- Ça, j'avais bien compris.

- Tu te doutes que si toucher l'esprit de quelqu'un, c'est compliqué à ce point… Alors si on doit toucher à l'âme… C'est presque irréaliste

- Tu penses que c'est possible ?

- Peut être. Je sais pas. Il faudrait que ça soit deux personnes qui pratiquent la noétique et deux personnes qui soient vraiment vraiment très proches. Sans faire dans le romantisme de bas étage, il faudrait vraiment parler d'âmes soeurs dans un cas comme ça. C'est sans doute le contact le plus intime possible. Théoriquement, y'a rien qui l'en empêche mais dans la pratique…

- Dans la pratique c'est différent…

- J'ai réussi à effleurer l'esprit d'Alicia et je pense pas qu'il puisse y avoir quelqu'un sur cette Terre dont je puisse me sentir aussi proche.

- Donc si tu devais apprendre la noétique à quelqu'un, il faudrait que tu te sentes vraiment très proche de lui ou d'elle… Nota Ed

- Comme je viens de te le dire, j'ai pas l'intention de l'apprendre à qui que ce soit. Ou alors faudrait vraiment que ça soit dans des circonstances exceptionnelles. Une question de vie ou de mort, quelque chose comme ça.

- Donc c'est ça qui a échoué, avec ta mère. T'as pas eu accès à son âme

- Voilà

- Mais alors pourquoi ça t'a mené à la Vérité ? Si c'est pas possible

- J'ai essayé de le faire. Ça a échoué mais j'en avais l'intention, voire même plus que l'intention. Ça suffit, pour aller jusqu'à la Vérité. T'as réussi toi ?

- A faire quoi ?

- Ressusciter ta mère… Murmura-t-elle avec douceur

- Non.

- Mais t'as quand même eu à en subir les conséquences…

Il ne répondit pas. Il en venait à ce qu'il voulait lui dire depuis le début.

- En parlant de conséquence… t'as jamais pu savoir si c'est ça qui avait tué ta mère ?

- Je t'ai répondu… Et pourquoi tu veux savoir ça ?

- Parce que… quand j'ai tenté de ramener ma mère à la vie… j'ai pas eu les résultats que je souhaitais mais j'ai quand même… on va dire, réussi à produire quelque chose…

- Ah bon ?

- La transmutation humaine, c'est… c'est compliqué…

- Qu'est ce qui a échoué, pour toi ?

- Ce qui a échoué c'est que c'est pas possible. De ramener quelqu'un à la vie. On peut lui créer un corps mais…

- On peut créer un corps humain par alchimie ? Demanda alors Serena, curieuse

- Bien sûr. C'est même plutôt facile. Suffit de rassembler les bons ingrédients. Mais il en manque toujours un…

- Lequel ?

- L'âme.

- Oh… Et l'esprit ?

- Je pense que l'esprit nait d'une combinaison de l'âme et du corps. Et qu'il est rattaché aux deux entités…

- Hum…

Elle semblait réfléchir à ce qu'il était en train de dire. Il continua son explication :

- Quand j'ai transmuté l'âme de mon frère à une armure, son esprit était là aussi. Mais il y avait une partie de son esprit qui vivait encore dans son corps. L'esprit est dissociable, fragmentable. À l'inverse du corps et de l'âme, qui sont indivisibles.

- Ça, c'est intéressant. Murmura la jeune femme, pensive

- Je te remercie. Alphonse et moi avions dans l'idée de donner notre sang chacun pour fournir les informations sur l'âme de notre mère, avant la transmutation. On pensait que c'était ça, l'élément manquant

- Intéressant. Répéta Serena

- Ça n'a pas marché

- Pourquoi ?

- Parce qu'on peut pas ramener une âme qui est partie. Tout simplement.

- T'as bien ramené l'âme de ton frère pour le fixer à une armure

- Alphonse n'a jamais été mort. Il était dans la Vérité. Il suffisait de lui sacrifier quelque chose pour la lui récupérer. Corrigea Edward

- Ooooh. Je vois. Alors que l'âme de ta mère…

- J'ignore complètement où elle est partie quand elle est morte. Alors je pouvais pas la récupérer, si je savais pas où la chercher. Par contre, je t'ai dit qu'on avait quand même réussi à produire quelque chose…

- Qu'est ce que tu veux dire ? Demanda Serena en fronçant les sourcils

- À la fin de la transmutation, il y avait quelque chose au centre du cercle. La transmutation a produit quelque chose.

- Qu'est ce que c'était ? Demanda Serena, un peu effrayée

- Je ne sais pas. C'est tout juste si ça avait forme humaine. Je sais que ça a respiré. Je sais que ça m'a regardé. Puis c'est mort rapidement.

- Ça a du être…

- Horrible oui. Une vision de l'enfer

- T'avais quel âge déjà ?

- 12 ans.

- Comme moi. Murmura la jeune femme

- Oui. Comme toi.

Ils se regardèrent en silence pendant quelques secondes, pensant tous les deux à la similarité de leurs destins. Edward reprit rapidement la parole :

- Pendant des années, je m'en suis énormément voulu. Parce que j'avais commis quelque chose d'horrible bien sûr. Parce que j'avais entrainé mon petit frère la dedans et que ça lui avait coûté son corps entier. Mais aussi parce que… j'avais l'impression d'avoir perdu ma mère une seconde fois. Et que pour la seconde mort, j'en étais directement responsable. J'ai eu la certitude pendant des années d'avoir tué ma propre mère

- Mais c'était pas le cas puisque l'âme de ta mère n'a jamais été… Objecta Serena

- Je l'ai pas su immédiatement, ça. Je l'ai compris que bien plus tard, quand j'ai exhumé ce qu'on avait créé, ce jour là. Ce truc n'avait jamais été ma mère.

- Ça a dû être…

- Un soulagement très très très intense.

Elle le regarda pendant un long moment et, d'un coup, elle se leva et lui demanda :

- Est ce que tu peux partir, s'il te plait ?

Il hocha la tête et sans dire un autre mot, il quitta la pièce pour rejoindre sa chambre. Cette dernière lui sembla vide, impersonnelle. Il se sentait seul, tout d'un coup. Il alla jusqu'à la fenêtre et observa le quartier pendant quelques minutes. Il aperçut Alphonse, qui rentrait en compagnie d'Alicia. Et quelques instants plus tard, il distingua la silhouette de Serena, qui marchait rapidement, seule. Il croisa les doigts et espéra très fort qu'il n'avait rien commis d'irréparable. Alphonse entra dans sa chambre quelques instants plus tard et après l'avoir salué, lui demanda :

- Tu sais ce qu'il se passe ? Avec Serena

- On a eu une discussion

- Encore ?

- Elle ne sait pas si ce qu'elle a fait à sa mère a provoqué sa mort ou pas.

Alphonse fronça les sourcils et lui demanda :

- Et donc ?

- Tu te souviens ? Du soulagement que ça a été, quand on s'est rendu compte qu'on avait pas tué Maman…

- Je me souviens très bien.

Le jeune homme s'assit sur le canapé d'Edward, qui s'obstinait à ne pas le regarder. Alphonse continua :

- Si elle découvre qu'elle a bien tué sa mère… ça va l'achever

- Mais si elle découvre qu'elle n'y est pour rien…

- C'est un gros pari que tu fais, Ed. C'est avec ses sentiments que tu joues. Et tu joues très gros

- Ne pas savoir, c'est pire. C'est toujours pire. Affirma-t-il avec force, en le regardant enfin

- Une fois qu'elle saura, elle ne pourra pas revenir en arrière !

- Elle peut l'encaisser. Elle est assez forte pour ça

- T'en es sûr ? Demanda Alphonse

- Ouais. J'en suis absolument certain. Affirma-t-il avec force en regardant à nouveau dehors

- L'Échange Équivalent. Dit alors Alphonse après un silence

- Qu'est ce que tu veux dire par là ?

- La souffrance potentielle que tu auras provoquée, il faudra la compenser avec au moins autant de soutiens. Et encore. Le soutien, ça sera peut être pas suffisant

- J'ai pas l'intention de la laisser tomber, si c'est la question que tu te poses. C'est pas mon genre

- La question que je me pose, c'est est ce que tu es prêt à t'engager à ce point envers elle ?

Edward ne répondit pas. Il se frottait le ventre, presque inconsciemment. La pression était toujours là, dans le fond de son estomac.

Vers la fin de l'après midi, Serena revint et demanda à sa soeur de venir la rejoindre dans leur suite. Elles ne descendirent pas dîner. Les frères Elric mangèrent donc seuls à leur table habituelle, sans se parler. Alphonse comprenait ce qu'Edward avait voulu faire mais il ne pouvait pas s'empêcher de lui en vouloir un peu. Il avait pris un très gros risque en ayant cette discussion avec Serena et en voulait la pousser à savoir. Égoïstement, il craignait les conséquences qu'une pareille révélation pourrait avoir sur Alicia. La certitude que sa grande soeur avait tué leur mère. C'est pas le genre de chose dont on se remettait facilement. Et lui, il était de plus en plus sûr qu'il était profondément amoureux d'elle et l'idée qu'elle puisse souffrir lui était difficilement supportable. Il regarda alors Edward, se demanda quels étaient ses sentiments envers Serena et Alicia. Il passait trop de temps avec l'aînée des soeurs Wolfe pour ne pas avoir au moins de l'affection pour elle. Il savait son frère capable d'une grande compassion et d'un altruisme certain, particulièrement pour les gens qu'il aimait et pour ceux qui avaient souffert. Serena remplissait ces deux critères. Alphonse savait donc bien que le coeur de son frère était au bon endroit quand il avait poussé Serena à connaitre la vérité. Mais il savait aussi qu'Edward pouvait être particulièrement brutal par moment, contraignant les autres à l'action pour résoudre leurs problèmes. C'est ce besoin d'être toujours en action, toujours en mouvement, toujours en recherche de réponses qui lui avait permis de survivre. Il fallait espérer que Serena aurait cette force là, ce dont Edward ne paraissait pas douter une seconde. Il fallait espérer qu'il avait raison.

La soirée était bien entamée quand Edward monta à l'étage pour rejoindre sa chambre. Il hésita un peu à aller frapper à la porte des filles. Puis renonça et ouvrit sa propre porte. Alors qu'il allait la refermer derrière lui, il sentit une brusque pression qui l'en empêcha. Il la rouvrit et croisa alors le regard bleu de Serena. Son expression était indéchiffrable. Elle tenait un dossier blanc à la main. Ils se regardèrent quelques secondes et elle lui dit :

- Je suis allée à l'hôpital. Réclamer le dossier de ma mère.

- Et alors ?

- Alors, pour la première fois, je me suis rendue compte que la Vérité m'avait pas donné une source infinie de savoir.

Edward ne répondit pas et s'appuya contre le chambranle de la porte. Il la laissa continuer :

- En plus, il me manquait des souvenirs. Des deux dernières années de ma mère, sur l'évolution de sa maladie entre autre. Et évidemment, j'ai jamais assisté à la dégradation de ma grand mère. J'ai du demander des infos à Alicia. Et j'ai du appeler plusieurs spécialistes. J'ai du parler à des médecins. L'enfer.

- J'imagine. Quelles sont tes conclusions ?

- Que la maladie de ma mère l'empêchait de prendre soin d'elle-même correctement. Alicia m'a racontée qu'il fallait la nourrir de force par moments. Apparemment, j'étais très forte pour le faire. Et les médecins m'ont expliqué les différents traitements qu'on lui a donnés pour la stabiliser, les effets secondaires qu'ils ont. Ses reins étaient complètement flingués. Son foie aussi. Et son coeur devait être dans un état catastrophique également.

Elle croisa les bras sur sa poitrine et dit :

- Si je m'étais focalisée là-dessus, à l'époque, j'aurai pu inverser ces éléments là. En partie tout du moins. C'est compliqué parfois de me souvenir de ce que je savais à l'époque et de ce qui m'a été donné par mon passage dans la Vérité. Si je m'étais concentrée sur son corps et pas sur sa tête, j'aurais pu lui rallonger ses jours. Alicia m'a fait remarquer que ça aurait pas été des plus charitable. Les dernières années de sa vie ont été bien compliquées.

- J'imagine.

Ils se turent quelques secondes et Serena finit par murmurer :

- Je l'ai pas fait.

- Pas fais quoi ? Demanda-t-il sur le même ton

- Je suis pas responsable de la mort de ma mère. Je l'ai pas tuée. Mon action n'a eu aucun impact concret sur elle. J'ai rien fait du tout. J'ai fait tout ça pour rien.

Elle jeta alors le dossier sur le gros secrétaire du couloir. Les documents se répandirent sur ce dernier.

Comment tu te sens, maintenant que tu sais ça ? Lui demanda-t-il, avec un fond d'appréhension

- Je me sens… tellement plus légère. Je suis tellement soulagée, Ed, si tu savais comme je suis soulagée. Dit elle avec une émotion difficilement contenue

- Je le sais, ça. Crois moi que je le sais

Elle eut un petit rire légèrement hystérique et se couvrit le visage avec ses mains. Craignant qu'elle ne se mette à pleurer, il eut le réflexe de la prendre dans ses bras. Il sentit son visage se poser sur son épaule, ses bras le serrer et ses mains agripper son pull. Elle lui semblait étonnamment légère, voire fragile maintenant qu'il la tenait dans ses bras. Le creux dans son estomac commença alors à lui faire doucement mal. Elle repoussa alors légèrement pour pouvoir le regarder, de ses yeux immensément bleus

- Merci Ed. Sans toi, je sais pas si j'aurai eu le courage de chercher la réponse à cette question. Elle aurait fini par me bouffer

Il ne sut pas quoi répondre. La douleur dans son estomac s'accentua encore. Une petite voix lui murmura dans sa tête « embrasse la. Si tu l'embrasses, la douleur partira ». Il cligna des yeux rapidement et il sentit Serena qui lui serra le bras plus fort. Elle lui dit alors :

- Je suis contente de savoir que… bref. Merci. Merci beaucoup

- C'est à ça que servent les amis, non…

Elle eut une expression fugace de déception, si vive qu'il douta même de l'avoir véritablement vu. Elle fut rapidement remplacée par un sourire et elle dit :

- Ouais. C'est à ça que ça sert. Ça sert aussi à passer de meilleurs moments que ça, quand même. J'ai toujours pas mangé. J'ai faim.

- Tu veux manger quoi ?

- Je t'ai parlé de la bouffe libanaise ? C'est incroyable, la bouffe libanaise. Alicia a envie de falafels. Vous voulez venir avec nous ?

- Volontiers

- Je vais prévenir Alphonse

Elle se détacha alors complètement de lui et après un léger flottement, se dirigea vers la chambre voisine. Edward, lui, alla dans sa chambre pour attraper son manteau. La pression dans son estomac ne voulait toujours pas partir mais elle ne lui faisait plus mal. En revanche, il n'arrivait pas à se départir d'un profond sentiment de raté, de loupé. Cette émotion le quitta progressivement pendant la soirée qu'ils passèrent tous les quatre. Ils rirent beaucoup, parlèrent beaucoup et mangèrent beaucoup trop. Quand chacun alla se coucher, Edward se réfugia dans son lit avec un sentiment de complétude. La pression était toujours là mais il la sentait beaucoup moins, avec l'estomac plein. Malgré tout, quand il ferma les yeux, il eut l'impression que ceux de Serena continuaient de le fixer. Ils étaient quand même incroyables, ses yeux. On pouvait les voir même sans les regarder.