Après s'être couvert de sa cape et avoir rabattu sa capuche, Tanya quitta le camp et s'avança jusqu'à être à mi chemin sur la terre où les deux armées étaient prêtes à verser leur sang.
Les guetteurs l'avaient sûrement aperçue mais ils devaient penser qu'elle tenter d'observer le camp des rebelles.
‒Adurna !
L'eau présente dans l'atmosphère prit une forme liquide dans le creux de ses mains et elle put se désaltérer.
‒Shur'tugal !
Sa voix amplifiée par magie fit dresser bien des oreilles parmi les oreilles mais ils étaient peu nombreux ceux qui comprenaient.
‒Une guerre menée contre l'empire provoquerait un bain de sang. Il est possible de l'éviter. Accorde moi quelques instants d'attention, je te prie. Je promets que je n'userai de nulle violence pendant le temps que nous parlerons ensemble. Tu as une bien mauvaise opinion de l'empire mais il n'est pas nécessaire de mettre le pays à feu et à sang. Dragonnier Eragon et dragonne Saphira, c'est une offre qui ne se présentera pas une seconde fois. Il n'est pas sage de partir en guerre avant d'avoir pu s'assurer s'il y avait un moyen de régler pacifiquement le problème. Je resterai à attendre une heure. Au delà de ce temps, je conclurai que la guerre est inévitable.
Après avoir parlé, elle s'assit par terre et liquéfia encore un peu d'eau présent dans l'air qu'elle but à petites gorgées.
Elle effleura la terre de ses mains.
‒Quel gâchis, marmonna-t-elle.
Toutes ces terres autrefois verdoyantes étaient maintenant désolées. La situation n'étaient peut-être pas irréversible mais la situation géopolitique avait dissuadé tout projet d'assainissement des Plaines brûlantes. Il s'agissait d'une frontière entre deux pays dont les relations, sans être hostiles, n'étaient pas cordiales. De plus, aucun des deux pays ne manquait de terres arables. Il n'y avait nul besoin de se préoccuper d'obtenir plus de terres dans l'immédiat.
Une grande flamme jaillit du sol un peu plus loin.
Ce n'était pas le meilleur endroit pour demeurer longtemps, surtout avec une armée.
Mais, elle avait mieux à faire que de s'inquiéter du sol.
En apparence, le camp des armées alliées des Surdans et des rebelles étaient calme.
Mais les barrières mentales protégeant le camp des intrusions par la pensée cachaient mal une certaine fébrilité.
Mais, c'était tout à fait compréhensible en raison de l'arrivée du dragonnier et de l'imminence de la bataille.
Enfin, son attention fut attirée par un objet d'un bleu éclatant qui s'élevait au dessus du sol.
Le dragon vola à grande vitesse et atterrit avec une étonnante légèreté.
Saphira avait déployé ses ailes en s'approchant du sol pour ne pas atterrir trop brutalement.
Eragon descendit de son dos.
Il était différent. Son visage était plus fin et, en le voyant de profil, Tanya vit que ses oreilles étaient effilées mais pas autant que celles d'un elfe. Il dégageait une impression de force confiante.
Elle se leva.
Il l'observa avec une expression surprise.
‒ Une enfant ? Murmura-t-il.
‒Salutation, dragonnier Eragon ! Dragonne Saphira !
Tanya inclina sa tête.
‒Sa majesté, le roi Galbatorix souhaite ardemment vous rencontrer, dit-elle en ancien langage.
Saphira grogna en laissant échapper de la fumée. Eragon se redressa.
‒Il nous verra l'épée dégainée et le feu prêt à jaillir quand nous luis ferons face pour mettre fin à sa tyrannie !
‒Sa tyrannie ? Est-ce le prétexte du Surda pour envahir l'empire ?
‒Ce n'est pas un prétexte, répliqua-t-il en adoptant à son tour l'ancien langage. Galbatorix fait régner la terreur depuis trop longtemps.
‒Admettons ! Et après ?
Étonné, il resta bouche bée.
‒Comment ça et après ? Si c'est un tyran, c'est mon devoir de dragonnier de libérer le peuple de son joug !
‒A quel titre ? Dans l'empire, il n'y a personne au-dessus du roi et nul roi en dehors de l'empire n'a autorité ici ! Qui a donné mission à un dragonnier de venir attaquer le roi ?
‒Je ne suis les ordres de… commença-t-il avant de s'arrêter brusquement.
À le voir se tourner vers Saphira, il était évident qu'ils avaient une conversation.
‒S'agit-il de Nasuada ? Veut-elle prendre le pouvoir pour elle-même ? Le peuple acceptera-t-il qu'une armée étrangère l'impose comme reine ?
Eragon fronça les sourcils.
‒Si j'ai accepté de venir, ce n'est pas pour échanger quelques mots. Les armées des peuples libres vont marcher jusqu'à Uru Baen ! Rejoignez-nous ! Le monde va changer !
‒Ce sont de jolis mots, dit Tanya. Mais la réalité est autre. Une armée étrangère brise la paix et va provoquer un massacre en prétendant libérer le peuple.
‒ C'est Galbatorix qui a brisé la paix en traquant les dragonniers !
Tanya était heureuse d'avoir sa capuche rabattue sur son visage. Au moins, le dragonnier ne la verrait pas lever les yeux au ciel.
‒L'armée impériale n'a pas franchi les frontières depuis un siècle.
Eragon était troublé par son utilisation de l'ancien langage.
‒Des urgals ont été envoyé dans les montagnes des Beors pour détruire les Vardens.
‒Aucun urgal n'a jamais appartenu à l'armée impériale. En revanche, les rebelles ont multiplié les raids dans l'empire.
‒Même sans appartenir à l'armée impérial, les urgals ont été conduits par Durza pour détruire les Vardens.
Une clameur s'éleva dans le camp impérial.
Intriguée, Tanya se tourna vers ce coté. De là où elle était, elle vit un cavalier avancer au pas suivi d'un homme enveloppé d'une cape.
‒Il est inutile de polémiquer. L'armée des Surdans et des rebelles sera arrêtée par l'armée impériale. Même si l'empire venait à perdre, des hommes viendront en masse pour bloquer l'avancée des envahisseurs.
‒Ils sont peu nombreux ceux qui sont loyaux à l'empire, l'interrompit Eragon.
‒Ils viendront en masse non par loyauté envers l'empire mais pour protéger envers leurs familles et leurs foyers.
‒Les Vardens ne leur feront aucun mal, s'exclama Eragon. Au contraire, ils combattent pour eux.
‒Une armée en marche laisse derrière elle un sillage sanglant. Pouvez-vous assurer qu'aucune femme ne sera violentée ? Qu'aucune ferme ne sera pillée ? Quand les rebelles se lasseront des rations qui leur arrivent du Surda, que feront-ils au milieu des troupeaux ? Même les Surdans se plaignaient de vols.
Eragon ne la crut pas.
‒C'est comme ça que l'empire compte me faire renoncer au combat ?
‒Nous ne sommes tout simplement pas dupe devant vos grands discours. Ni Orrin, roi du Surda, ni Nasuada, meneuses des rebelles, ni même vous dragonnier n'avez la légitimité pour intervenir dans l'empire. Orrin, roi du Surda, a la responsabilité du Surda et de son peuple. À moins que l'empire ne le menace ou d'être avide de conquête, il n'a aucune raison d'entrer en guerre contre l'empire. Les rebelles ne sont rien. Ils prétendent sauver le peuple mais ne font qu'assassiner des soldats.
‒Je suis dragonnier ! C'est pour devoir de combattre pour le peuple !
‒Le peuple n'a rien demandé. Si être dragonnier suffit à légitimer l'intervention dans un pays pour en destituer le souverain, alors, Sa Majesté, le roi Galbatorix pourrait attaquer le Surda ou les royaumes elfique et nain. Mais ce n'est pas le cas.
‒Contrairement à un roi ordinaire, Galbatorix peut imposer son règne pendant des siècles.
‒Encore une fois, vous n'avez aucune légitimité pour vous en soucier.
‒Mais je suis dragonnier, répéta Eragon effaré.
‒Le roi Galbatorix aussi pourtant il n'impose pas sa volonté au-delà des frontières de l'empire. Essayez-vous de prendre sa place ?
Saphira grogna bruyamment à coté.
‒Sûrement pas !
‒Les rebelles sont peut-être en admiration devant un dragonnier mais ça n'implique qu'il en est de même dans l'empire. Les anciens dragonniers ont toujours voulu imposer leurs idéaux aux peuples. Quelle différence avec le roi Galbatorix ?
‒Les anciens dragonniers soignaient les malades, rendaient la justice, protégeaient les opprimés.
‒La philanthropie ne donne pas de légitimité pour intervenir dans un pays. Quand à la justice, c'est une notion trop abstraite pour que quiconque puisse prétendre la représenter. Les rois établissent des lois qu'ils prétendent justes. Il en est de même pour les dragonniers. Mais les anciens dragonniers, au nom de leur puissance, prétendaient s'imposer même aux rois. Certains ont voué ont culte aux dragons mais ça ne fait pas des dragonniers des dieux.
‒Je n'ai jamais prétendu être un dieu !
‒Alors pourquoi lancer une invasion ?
Un peu plus loin, le cavalier sorti du camp impérial avec un homme à pied continuait d'avancer. Il avait franchi la moitié du chemin entre les deux camps.
‒Il y a une autre solution ! annonça-t-elle.
‒Je doute que Galbatorix accepte de laisser le trone et de libérer les œufs de dragon qui sont encore en sa possession.
Tanya haussa les épaules.
‒Il suffit de venir à Uru Baen. Je suis certaine que Galbatorix accepterait une rencontre. De toute façon, ce n'est pas comme si vous comptiez le voir entouré d'une armée. Vous aurez toute libérer pour opposer vos points de vue par le dé bat ou plus probablement par la force.
Eragon était confus. Elle n'avait parlé qu'en ancien langage donc n'avait pas menti mais elle donnait son opinion. Ça ne voulait pas dire qu'elle disait vrai.
‒Est-ce qu'on s'est déjà rencontré ? demanda-t-il soudainement.
Son attitude était totalement différente de quand elle prétendait se nommer Louise de Varmont et elle dissimulait son visage.
‒Saphira a reconnu une odeur.
Eragon se tourna brusquement vers le rebelle.
‒Je dois partir, dit-il. On a besoin de moi pour quelque chose.
Plus loin, le cavalier s'était arrêté mais l'autre avançait toujours.
Tanya ne savait pas ce qu'il se passait mais elle n'avait plus à rien à faire à attendre.
Une foule s'était amassée et observait l'individu sous la cape approcher.
L'inconnu ne répondait que par des gestes vagues aux sommations.
Saphira dut se poser plus loin. Eragon sauta de la selle et courra.
‒Te voilà ! dit Nasuada. Qu'est-tu allé voir à parlé avec une émissaire impérial ? Elle avait une voix terriblement jeune, non ?
‒J'étais curieux à cause de son message.
‒Et si c'était un piège ?
‒Elle m'avait promit qu'elle n'attaquerait pas.
‒Mais pendant que tu parlais, une attaque aurait pu avoir lieu et les hommes t'ont vu discuter amicalement avec une représentante de l'empire. Que vont-ils penser ? L'empire a déjà essayé de faire croire que tu étais de son coté !
‒Quoi ?
Nasuada se tourna vers l'inconnu qui venait de trébucher et ne se relevait pas.
‒Tu te souviens que je t'avais dis que je comptais diffuser le récit de tes exploits ? L'empire a fait pareil en prétendant que les urgals étaient avec nous.
‒Qu'est-ce que l'empire a raconté exactement ?
Deux hommes étaient allés au chevet de l'inconnu et l'avaient attrapé pour le relever mais en entendant ses gémissements pitoyables, ils s'étaient figés.
Doucement, ils avaient relevé la capuche et avaient brusquement fait deux pas en arrière.
Incapables de parler, ils s'étaient tournés vers le camp et avaient de grands gestes.
De façon désordonnés, de nombreux hommes avaient approché à leur tour pour découvrir la vérité.
Sous leurs yeux, Ajihad, les yeux crevés , tremblait au sol en cherchant à se redresser.
Alertée par l'agitation, Nasuada laissa Eragon et s'avança à son tour.
En approchant, elle entendit le nom de son père.
Elle marcha de plus en plus vite, poussant les hommes devant elle, à cause de la panique qui naissait en elle.
Devant le spectacle désolant que lui offrait son père, elle pâlit.
En poussant un grand cri, elle se jeta à genou à ses cotés.
En l'entendant, Ajihad se recroquevilla.
Nasuada lui dit quelques mots dans une langue que ses hommes ne connaissaient pas.
Son père releva un peu la tête et tendit une main hésitante qu'elle attrapa.
Un grand cercle d'hommes les entourait. Ils voyaient Nasuada pleurer et Ajihad lamentable.
Eragon arriva à son tour.
Il se mit à genou à son tour.
‒Ajihad, murmura-t-il.
Enfin, Jörmundur fit s'écarter les soldats. Il les renvoya sèchement à leurs quartiers.
‒Est-il possible de déplacer Ajihad dans un endroit plus discret ?
Nasuada s'essuya le visage et observa ce qui l'entourait avec un regard perdu.
Eragon murmura un sort et Ajihad flotta dans l'air.
Nasuada se releva en gardant la main de son père dans les siennes.
À la demande de Jörmundur, Eragon conduisit Ajihad dans la grande tente de Nasuada ?
Sur le chemin, malgré les ordres de Jörmundur, des hommes se pressaient. Le choc les réduisait au silence et les malédictions proférés contre l'empire jaillirent de toutes parts.
Ceux qui étaient le plus en colère ne voulurent pas se contenter de paroles et il s'en fallut de peu pour que la bataille ne commence immédiatement.
Jörmundur referma la tente avec ordre de ne pas déranger sous peine d'être fouetté.
Eragon reposa Ajihad sur un lit de camp.
Jörmundur retira la cape et recula, livide.
Le corps d'Ajihad était couvert de cicatrices. Son visage avait été à peu près épargné, à part pour les yeux mais il s'aperçut que sa langue avait été coupée et ses dents arrachées. Il lui manquait plusieurs doigts et ses parties génitales.
Une petite pancarte était accrochée à son cou. Elle portait les mots : « Voici le sort des ennemis du roi ! »
Eragon tendit son esprit mais préféra se retirer en sentant toute la souffrance qu'avait enduré Ajihad. En moins d'un instant, il avait été témoin de souvenirs inimaginables. Il faillit vomir en voyant Ajihad forcé de manger ses propres doigts.
La tente s'ouvrit brusquement pour laisser passer Trianna.
Face à un Jörmundur courroucé, elle ne montra aucune gêne.
‒Je pensais que je pouvais être utile.
‒Pousse-toi de là, tu veux, cria presque Angela qui arrivait derrière. Elle s'est évanouie. J'ai pensé qu'il était arrivé quelque…
c'est à ce moment qu'elle sembla enfin remarquer Ajihad.
Le désarroi parut sur son visage mais elle se reprit vite.
‒Sortez tous d'ici, je m'en occupe.
Nasuada resta penchée sur son père en lui parlant sans que personne ne puisse comprendre.
Jömundur protesta.
‒Je dois protéger mon seigneur.
‒Protégez-le dehors ! Eragon, emmène l'autre avec toi et allez vous préparer pour la guerre.
De son coté, Tanya s'était renseignée.
Bien que dédaigneux à l'idée de parler à une petite fille, les soldats reconnurent la robe des magiciens impériaux. Mais il s n'avaient rien à dire. Ils savaient juste qu'un homme caché sous ses vêtements amples avaient été conduits hors du camp. La présence des officiers supérieurs avaient fait jaser et les théories les plus folles étaient émises.
Elle finit par voir les jumeaux mais ils ne répondirent que pour dire qu'ils avaient executé la volonté royale.
Elle retrouva le cavalier mais lui non plus ne savait rien.
Agacée, Tanya se retira sous sa tente. Elle avait encore à faire. Sur ses ordres, plusieurs magiciens de la Main noire avait préparé l'une des potions dont Durza lui avait transmis le secret.
La potion Nessus provoquait des démangeaisons qui pouvait provoquer une sensation de brûlure. Elle réagissait à la transpiration. Sous le soleil ardent qui se levait sur les Plaines brûlantes et à cause des armures, les rebelles et les Surdans allaient suer à grosses gouttes.
Tanya fit verser la potion dans la rivière Jiet.
En aval, l'eau serait utilisée par les hommes pour se laver ou pour leurs vêtements.
Dans l'hypothèse improbable d'une retraite de l'armée ennemie, les démangeaisons devraient être supportables et un simple passage à l'eau propre mettrait un terme aux douleurs.
Le débit était assez faible pour que la potion ne se retrouve pas immédiatement en aval du camp ennemi.
La tombée de la nuit était un moment où des femmes aimaient à se réunir pour discuter tout en nettoyant le linge. Les vêtements sécheraient rapidement.
La soirée était assez animée.
Un repas plus riche en viande avait été distribué aux hommes en prévision de la bataille.
Bien sûr, le meilleur repas était pour les officiers et les aristocrates.
Murtagh était resté avec son dragon.
Tanya écouta beaucoup et parla peu.
Les hommes à coté d'elle s'encourageaient dans leur mépris des rebelles.
Malgré l'imminence de la bataille, ils buvaient à flot. Les ordres étaient donnés pour le lendemain donc ils estimaient ne pas avoir besoin de se lever tôt.
Enfin, Tanya regagna sa tente.
Après ses habituels sorts de protection, elle s'endormit.
Au milieu de la nuit, elle se réveilla à cause des cris qui retentissaient dans tout le camp.
Partout des hommes hurlaient en se roulant par terre.
Elle reconnut les symptômes d'un empoisonnement.
