Nouveaux horizons

Chapitre 8

-Papa, je peux te parler ?

Drago comprit de suite que l'affaire était sérieuse, sinon grave. Scorpius ne l'appelait plus Papa depuis des années, ne reprenant ce mot que quand quelque chose l'ébranlait trop pour s'en tenir à la convenance des grandes maisons.

-Bien sûr. Viens, on va aller près du bosquet, on y sera plus tranquilles.

Père et fils s'installèrent, n'entendant alors plus que les voix des élèves en bourdonnement, incapables de déchiffrer quoi que ce soit.

-Que se passe-t-il ?

-Papa… Je crois que je suis bi…

L'espace d'un instant, le sorcier pensa à sa femme, à cette nouvelle étape de la vie de leur enfant à laquelle elle n'assistait pas, les mots forcément justes qu'elle aurait prononcés avec toute l'affection du monde.

-Tu crois ?

-C'est bien comme ça qu'on appelle quelqu'un qui trouve les hommes et les femmes à son goût, non ?

Il eut un sourire.

-Ce n'est pas faux. Et ce serait ton cas ?

-Je pense que oui… Même si… même si en vérité, il n'y a qu'un seul garçon que je trouve beau au-delà de la simple constatation…

Le professeur enlaça l'adolescent.

-Je suis profondément fier de toi, Scorpius. Fier que tu aies eu le courage de me le dire.

-Tu ne m'en veux pas ?

-T'en vouloir de quoi, exactement ?

-La lignée, tout ça…

-Etre fier de sa lignée est une chose. Vouloir travailler à préserver son passé et son présent tout en construisant son futur est noble. Mais rien ne vaut la peine de perdre qui on est. Tu aimeras qui tu voudrais aimer. Tu te marieras si tu le désires. Tu auras des enfants si tu le veux. Tu ne me trouveras jamais dans le camp ennemi pour ça.

L'élève réalisa à qui il parlait : n'était-ce pas son père qui avait frappé du poing sur la table pour épouser sa mère, malgré sa malédiction, sa fragilité ? Son père qui était prêt à ce que la famille Malefoy s'éteigne avec lui parce qu'il refusait de mettre en danger la femme qu'il aimait tant ?

-Et Grand-Père et Grand-Mère ?

-Donne-leur la chance de bien se comporter. Et je veux croire qu'ils se comporteront bien. Tu ne les connais pas comme je les connais. Ils ont fait énormément d'efforts. Et ils t'aiment, eux aussi.

Il acquiesça.

-Il y a-t-il quelqu'un ?

-Peut-être…

-Je le saurai en temps voulu. Sache juste une chose : homme ou femme, si quelqu'un te brise le cœur, je suis plus que prêt à utiliser un sortilège impardonnable sur lui. Ou un bon vieux crache-limaces, ça ferait bien l'affaire aussi.

Scorpius éclata de rire. La cloche sonna, il s'excusa pour aller en cours et Drago l'observa s'éloigner, sentant soudain sur ses épaules le poids de la vieillesse : où était passé son petit bébé blond fasciné par les peluches de dragons ?


-Maman ?

Hermione se retourna, un peu saisie par la voix qui s'était élevée. Elle revenait du Ministère, avait fait passer une loi contre le harcèlement envers les elfes de maison devenus libres, un fléau qui se répandait : beaucoup d'elfes considéraient que servir était un honneur et jugeaient ceux qui avaient quitté la domesticité comme des traîtres à leur sang. La sorcière avait donc rendu ces actes illégaux, reconnus comme des infractions et pénalement répréhensibles.

-Rose ?

L'enseignante paniqua de suite quand elle vit le visage de sa fille, ses yeux qu'une vive émotion agitait alors qu'elle se refusait à verser la moindre larme. Elle n'eut pas le temps de prononcer le moindre mot : la jeune fille se précipita dans ses bras, nichant sa tête contre son épaule.

-Je suis désolée, Maman…

L'adulte l'enlaça, embrassa sa tempe.

-Comme dirait Papy Arthur, il n'y a rien qui va mal, ma chérie.

-J'ai entendu Al.

Ainsi donc, elle savait.

-Il ne sait pas que je l'ai entendu. Je ne veux pas lui dire.

-Tu as raison. C'est quelque chose qui doit venir de lui.

-J'ai pas été très sympa avec toi non plus…

-Nous avons juste eu un débat un peu animé.

L'élève sourit.

-J'essaye d'être un peu plus gentille avec Scorpius. Pas beaucoup, ça serait bizarre, d'un coup. Mais j'essaye.

Hermione caressa sa joue.

-Je suis très fière de toi, ma chérie. C'est très bien de ta part, et cela demande beaucoup de courage et d'intelligence de remettre son jugement en question. C'est déjà dur pour les adultes, et je me souviens combien c'était dur pour moi à ton âge.

La cloche retentit, elle fila en classe, sa mère la regardant. Oui, Drago n'avait pas eu tort il y avait quelque mois :

C'était tout simplement l'âge.


-Tu as l'air guillerette, Granger.

-C'est parce que je le suis, Drago.

Hermione avait un grand sourire, c'était bon signe.

-Je pensais profiter de la pause pour prendre une tasse de thé. Je me demandais si tu avais le temps d'en boire une. Proposa-t-il

-Avec plaisir ! On n'a pas tellement eu le temps de parler, ces temps-ci.

Ils s'installèrent dans la salle des professeurs qui fut très vite embaumée par la douce fragrance de la bergamote.

-Qu'est-ce qui te rend si heureuse ?

-Je me suis réconciliée avec Rose.

-Si j'avais su qu'on trinquait à l'enterrement de la hache de guerre, je t'aurais proposé un whisky pur feu.

-Drago !

-Je plaisante. Je suis heureux que ça se soit arrangé. Sincèrement.

-Scorpius t'a dit pour sa note ?

-Oui. Je te remercie, une nouvelle fois, de lui avoir donné cette chance.

-Tu l'aurais fait pour Rose.

Oui, si les rôles avaient été inversés, que la fille d'Hermione avait perdu son père à la rentrée, oui, il lui aurait laissé cette deuxième tentative. Il aimait à penser qu'il l'aurait laissé à tout élève dans cette situation. La mission qu'il s'était imposé, n'était-ce pas d'apprendre à la jeune génération les dangers du fanatisme tout en expliquant que le pardon, la rédemption et les deuxièmes chances étaient possibles ?

Mais surtout, il constatait une chose.

La mort d'Astoria lui faisait toujours mal, et à dire vrai, elle lui ferait sans doute mal jusqu'à son propre décès. Cependant, peu à peu, la douleur devenait plus langueur, nostalgie, même si certaines pointes de peine se faisaient sentir. Et cela, il ne le devait pas uniquement au temps qui faisait son œuvre.

Il le devait à Hermione elle-même.

Il le devait à cette amitié improbable et presque miraculeuse.

Une chose, cependant, l'étonnait profondément :

Il n'aurait jamais pensé, si peu de temps après la perte de son épouse, vouloir, même l'espace d'une simple seconde, même en sachant qu'Astoria elle-même serait ravie car elle n'avait jamais rien voulu d'autre que son bonheur, vouloir être la cause des sourires d'une autre femme.

A Suivre