Chapitre 10
Drago l'avouait, il pouvait se montrer un peu vieux jeu parfois : pour tous les défauts que son père avait, il lui avait enseigné qu'il fallait traiter les femmes avec galanterie. Aussi, quand Hermione vint le voir, lui proposant un rendez-vous, le premier rendez-vous considéré comme amoureux par les deux parties, il ne sut pas comment réagir. Bien sûr qu'une femme pouvait prendre les devants, c'était juste qu'Astoria ne l'avait jamais fait et lui, ce n'était pas dans ses habitudes, mais ce n'était pas pour lui déplaire.
-Tu as l'air surpris.
-Pour citer nos chers élèves, "je suis sur le cul".
La jeune femme éclata de rire.
-Es-tu déjà allé dans le monde sans magie?
Non, il n'y était jamais allé. Sa vie était du côté sorcier. Avec son épouse, ils avaient à un moment envisagé de le faire, pour montrer à Scorpius que les Moldus, s'ils ne pratiquaient pas la magie, n'étaient pas pour autant malheureux. Cela ne s'était jamais fait. La maladie était entrée dans leur existence et avait tout ravagé.
-Non, je n'ai pas eu l'occasion.
-Alors, accroche-toi bien.
Quand elle lui prit la main, il sentit un frisson parcourir son échine et il eut le sentiment, la pensée profonde, que c'était là que ses doigts devaient demeurer pour toujours. Le Portoloin transforma la salle des professeurs de Poudlard en une ruelle étroite de Londres, loin de la vue des passants. Le vrombissement des voitures ne le perturba pas: certains balais pouvaient se montrer particulièrement bruyants. De là, la sorcière le mena vers une enseigne: le The Original Maids of Honour. L'intérieur avait tout l'air d'un salon de thé typiquement britannique, peut-être un peu kitsch aussi. Le menu également: du thé, des scones, de la tarte et... comment ça, du thé au champagne?!
-Pour fêter notre début!
Il eut un léger sourire. Ils s'installèrent et il l'écouta lui expliquer l'origine du gâteau Maids of Honour : un jour, en rencontrant sa chère Anne Boleyn, dont le tableau trônait à l'école désormais, en compagne de ses dames, Henry VIII les avait vues déguster un gâteau qui lui semblait délicieux. Comme on ne refusait rien au roi, on lui en proposa et il aima tellement que la légende dit qu'il exigea d'avoir la recette, qu'il interdit sa diffusion pour s'en garder les bienfaits, et même qu'il aurait emprisonné la cuisinière pour qu'elle en fasse uniquement pour lui! Le secret se serait transmis de parent à enfant jusqu'à nos jours.
-Je n'ai guère ce roi dans mon coeur mais on doit lui reconnaître son goût de la bonne nourriture. Dit-il en en goûtant un. Je lui préfère largement son père: un guerrier, un conquérant, un remarquable administrateur et surtout, un homme épris et loyal à sa femme. Il gagnerait à être plus connu.
Sirotant son thé, Hermione s'étonna de le savoir si savant sur la période Tudor.
-J'ai mes secrets. Mais oui, la période des Tudors me fascine.
-J'avoue avoir plutôt un penchant pour le sultanat des femmes.
-Oh?
-C'est une période très particulière de l'Empire Ottman où les femmes, en tout cas certaines femmes, se sont retrouvées avec presque autant d'influence que le sultan lui-même. Roxelane, ça te parle?
-Hürrem? C'est la sorcière ruthénienne! Elle en fait partie?!
-Eh oui, elle l'a même fondé! Mais non, elle n'a pas ensorcelé Soliman. Elle a juste maudit Mahidevran.
-Juste.
Ils échangèrent un sourire. Tous les deux se rendirent compte que malgré leur nervosité des débuts, tout leur venait le plus naturellement du monde. Ils étaient juste tellement à l'aise avec l'autre qu'ils n'avaient pas l'impression de devoir forcer, de devoir trouver quoi dire, quoi faire. Ils n'avaient pas peur du jugement de l'autre.
-Je dois avoir des livres sur le sujet, si tu veux.
-Des livres, toi? Par la Barbe de Merlin, je suis surpris!
-Moque-toi!
-Moi, jamais!
Dehors, un moineau se posait sur une branche d'arbres dont les feuilles s'annonçaient : de rares bourgeons verts commençaient à poindre le bout de leur nez.
-Tu penses reconduire ton contrat l'an prochain ?
Il y avait pensé : entre son emploi au Ministère et sa mission à Poudlard, Hermione ne devait plus avoir un moment à elle. Mais, très égoïstement, il redoutait une possible démission : cela serait ne plus la voir tous les jours, cela serait ne plus échanger quelques banalités autour d'un Earl Grey, cela serait devoir essayer de la retrouver lors de ses rares jours de repos alors qu'elle avait aussi ses enfants à gérer. Oui, comme Dumbledore l'avait dit jadis, Poudlard était une sécurité et toutes les âmes en besoin d'assistance trouveraient des bras ouverts et des mains prêtes à aider. Désormais adulte, père de famille, après avoir traversé une guerre, après ses tragédies intimes, il comprenait mieux le sens de ces paroles.
-Je ne sais pas encore… Confessa-t-elle
Il sentit une pierre tomber dans son estomac.
-J'adore mon poste. C'est une fierté d'enseigner. Mais j'aime aussi ce que je fais au Ministère : c'est important, je change les choses. A Poudlard aussi, me diras-tu. Cependant, je l'avoue, je me sens fatiguée… Je n'arrive pas à me décider. Les deux me rendent heureuse.
Drago voulait lui dire qu'elle lui manquerait mais il n'osa pas. Comment pourrait-il le dire sans qu'elle ne pense qu'il l'inciterait à sacrifier quelque chose pour lui ? Ils n'en étaient pas là. Et surtout, il détestait l'adage selon lequel aimer était sacrifier. Aimer rimait avec composer, oui. Parce que deux personnes, même profondément liées, devaient parfois s'accorder, s'adoucir. Mais sacrifier ? Pour pouvoir ensuite se servir de ce geste altruiste pour blesser l'autre, noircissant définitivement l'essence même du geste ? Il n'avait jamais eu la sensation de sacrifier quoi que ce soit avec Astoria. Il faisait ses choix sans avoir l'impression d'un deuil d'un possible destin. Devenir le père de Scorpius était la récompense suprême et s'il ne faisait plus certaines choses, combien de merveilles avait-il vécues avec lui ? Non, il ne pouvait décemment pas lui faire part de ce qu'il y avait dans son cœur, cela aurait été bien trop cruel.
-Et les retourneurs de temps ? Tenta-t-il
-Ils sont très rares et pour en avoir utilisé un en troisième année…
-Tu as eu un retourneur de temps ?!
-Parce que j'ai pris toutes les options.
-Par Saint George… On dirait que tu as eu mille et une vies !
-Toi aussi. J'espère avoir mille et une nuits pour te les raconter.
Il sentit ses joues le chauffer.
-Ou mille et une journées, qu'importe. Mais oui, j'étudie la question.
On leur signala que c'était bientôt l'heure de fermer. Hermione insista pour payer. Ils transplantèrent jusqu'au Chemin de Traverse pour emprunter un réseau de cheminettes public. Là, arrivés dans la salle des professeurs, laquelle était vide, mus par le même sentiment, ils comblèrent le vide entre eux.
Seuls les quatre murs de la pièce furent le témoin de leur premier baiser.
