Chapitre 7 :
Liens
Ce fut bien difficilement que Red commença à reprendre ses esprits, le corps atrocement douloureux et l'esprit embrumé. Il se demanda ce qu'il lui arrivait mais il reprit brusquement tout ses esprits, se réveillant d'un coup et se rappelant de tout lorsqu'il réalisa l'absence de ses Innocences. Il ouvrit les yeux, ou plutôt son œil droit, l'autre complètement hors course. Il était habitué à être aveugle de l'œil gauche, ne voyant que lorsque son Innocence était activée. Mais elle n'était plus là ! Il sentait le vide aussi bien physique que mental, il sentait la douleur qui en émanait et l'obscurité de ce côté n'était plus la même. Là, il faisait noir, mais il n'y avait plus la moindre petite sensation et perception que son œil lui donnait normalement même sans voir. Plus de bras gauche, sa force totalement absente. Wolfar n'était plus là ! Plus de petit poids sur son épaule, plus de sensation de présence protectrice tout autour de lui, de chaleur. Il se sentit paniquer dans la seconde. Ses Innocences... n'étaient plus là. Comment avait-il pu les laisser être détruites ainsi ?! Il avait juré de les protéger et voilà ce qu'il avait laissé arriver ! Il se sentit misérable et la panique l'envahit avec un immense choc. Il ne voyait pas grand chose mais il s'en fichait totalement, comme de sa respiration se faisant atrocement difficile, comme la douleur augmentant. Il se sentait tellement coupable. Il entendit vaguement son nom être appelé plusieurs fois, des ombres au dessus de lui mais cela ne l'empêcha pas de retomber dans le noir, infiniment triste.
Lorsqu'il émergea de nouveau, il était un peu plus tranquille bien que dévasté par l'absence de ses très chères. Il garda son œil clos, tentant de rester calme et même de s'apaiser complètement, se forçant à se reprendre. Il ne comprenait pas comment il avait pu survivre, la douleur lui confirmant pourtant qu'il était bien en vie. Avec les blessures qu'il avait reçu, comment était-ce possible ? Entre le combat, l'arrachement et la destruction de ses Innocences qui l'avaient profondément atteint physiquement pour son œil et son loup, et son cœur, comment pouvait-il être en vie ? C'était un miracle, il le savait et les miracles ne venaient pas de nul part. Pris d'un espoir fou, il se concentra sur lui même, ne connaissant qu'une seule chose capable de faire ça. L'Innocence. Et il ne pouvait s'empêcher de s'accrocher à cette idée comme à sa dernière branche pour stopper la chute, ne pouvant accepter cette perte. Il se demanda une seconde si ce n'était par sa douleur qui lui avait donné cette idée mais définitivement, il n'aurait pas dû survivre.
Il se concentra, cherchant en lui, se plongeant dans un profond état de méditation. Il fallut un moment mais il le sentit soudain, le pouvoir de l'Innocence, de ses Innocences. Elles étaient toujours là, faiblement mais elles étaient là et découvrir cela le réchauffa d'un seul coup, l'apaisant vraiment. Elles étaient là, se concentrant sur ses blessures mortelles, sa tête, son cœur et quelques autres endroits endommagés à la destruction de Wolfar, ses poumons et son dos principalement. Il comprit alors : elles lui avaient sauvé la vie. Elles lui avaient sauvé la vie quand il avait échoué à les protéger. Elles étaient si faibles. Cependant, il sentait aussi leur chaleur pour lui, leur protection, leur soin et il en fut profondément ému. Elles étaient toujours là, avec lui. Elles ne l'avaient pas abandonné et il ne les abandonnerait pas non plus, se jurant de prendre soin d'elles et de leur redonner leur force.
Bien plus apaisé et de nouveau maître de lui, il se réveilla doucement, ouvrant son œil valide. Il dut cligner plusieurs fois pour éclaircir sa vision, une légère lumière lui parvenant. Tout était calme autour de lui. Aol était juste là, le rassurant, se frottant à sa joue alors qu'il se réveillait doucement, le réchauffant. Jetant un coup d'œil, il aperçut des perfusions, beaucoup de nécessaires de soin. Il était allongé dans un lit confortable, dans une grande chambre simple aux parois de pierre, un mur complètement ouvert sur un grand espace, entrecoupé de colonnes. Une étrange jeune fille dormait sur le bord de son lit mais il n'était pas certain qu'elle soit humaine. Il n'était vêtu que d'un pantalon de toile noire, son torse couvert de bandages, son épaule gauche entourée d'une écharpe de protection. Il tenta de bouger un peu, la douleur se faisant immédiatement sentir lui faisant serrer les dents. Il se redressa pourtant péniblement, s'appuyant sur son bras droit parsemé de pansements. Sa tête tourna atrocement et il s'appuya contre ses oreillers, la tête de lit et le mur pour s'asseoir aussi confortablement que possible. Il ferma l'œil et renversa la tête en arrière, attendant que le malaise passe.
Ce fut alors qu'il se rendit compte que ses longs cheveux étaient détachés, libres. Où était le cordon de Kanda ?! La panique l'envahit à l'idée de l'avoir perdu et il rouvrit brusquement l'œil, regardant autour de lui. Il ne se souvenait pas l'avoir perdu pendant le combat mais cela avait été si violent. Il trouva son sac très endommagé et ses vêtements en lambeau sur un chariot un peu plus loin. Sans prendre la peine d'être doux, voulant à tout prix retrouver le cordon comme un besoin vital, primaire, il retira les perfusions et écarta les couvertures. Péniblement, serrant les dents à la douleur alors que sa vision se brouillait sous l'effort, il bascula ses jambes hors du lit à l'opposé de sa veilleuse endormie. Il s'appuya lourdement sur le meuble pour se lever, ses jambes tremblant atrocement. Il l'ignora pourtant, quittant son appuis pour avancer en titubant vers le chariot où se trouvaient ses affaires. Il l'atteignit péniblement bien qu'il ne fut qu'à trois ou quatre pas, le souffle complètement erratique. Aol voletait frénétiquement autour de lui comme pour lui dire d'arrêter et de retourner au lit mais il n'y fit pas attention. Il s'appuya sur le chariot le temps que sa vue s'éclaircisse un peu, se mettant ensuite à fouiller frénétiquement dans ses affaires. Il trouva tout même son jeu de carte ironiquement offert par Tyki. Il poussa un profond soupir de soulagement en trouvant le cordon, intact bien que taché de sang.
- Monsieur Marian ! s'exclama soudain une voix masculine.
Celle qui le veillait bondit au cri, regardant frénétiquement autour d'elle pour tomber sur l'homme qui venait de parler. Il avait déjà un certain âge, les cheveux et la barbe gris. Il portait un plateau plein de produits de soins et venait d'entrer, le regardant l'air très inquiet.
- Wong ! Mais ça ne va pas de crier comme ça ! dit-elle en criant encore plus fort.
- Qu'est-ce qui vous prend tout les deux ? demanda un homme blond arrivant précipitamment l'air un peu paniqué. Quelque chose ne vas pas avec Marian ?
Il regarda vers le lit, paniquant un peu lorsqu'il le trouva vide mais comme la fille, il tourna le regard dans sa direction à l'image de ce Wong, le repérant enfin. Ils furent tout les trois surpris en le trouvant debout bien droit, le visage impassible malgré sa très grande pâleur, les regardant froidement, tenant son cordon dans sa main. Il y eut un moment de totale stupeur que Red brisa :
- L'un de vous peut m'attacher les cheveux avec ça ? demanda-t-il alors qu'il ne pouvait le faire d'une main.
- Qu'est-ce que tu fais debout Marian ?! s'exclama le blond en avançant vers lui. Tu dois rester couché, dit-il en le rejoignant.
Il voulut le reconduire à son lit mais il stoppa net quand Red recula hors de sa prise, lui lançant un regard tranchant le refroidissant. Red consentit pourtant à regagner le lit, sentant qu'il ne tiendrait pas debout longtemps. Il dût faire un effort monumental pour marcher correctement et se tenir droit, sachant néanmoins qu'il était en sécurité en ayant repéré la croix de l'Ordre sur les vêtements du blond. Il s'assit sur le matelas :
- Attache moi les cheveux, ordonna-t-il au blond. Je ne peux pas le faire à une main, dit-il avec agacement.
- D'accord, mais tu te recouches ensuite, imposa-t-il.
- Hn, acquiesça-t-il trop fatigué et affaibli pour faire autre chose de toute manière.
L'homme récupéra le cordon et vint lui attacher les cheveux en queue basse, les bandages couvrant la gauche de son visage et entourant sa tête ne permettant pas autre chose. Red se réinstalla ensuite dans le lit correctement.
- Et vous êtes ? demanda-t-il platement. Si j'en juge par l'uniforme et l'endroit où j'étais, Branche Asiatique de l'Ordre ? posa-t-il.
- C'est ça, approuva le blond en prenant une chaise laissée là pour s'asseoir près de lui. Je suis Bak Chan, chef de la Branche Asiatique de la Congrégation. Voici Sammo Han Wong et Fo, la divinité gardienne de cette branche. C'est elle qui t'a trouvé et amené ici, expliqua-t-il.
Red lui adressa à peine un regard avant de reporter son attention sur lui, la vexant.
- Eh ! cria-t-elle. Tu pourrais au moins me remercier ! Je t'ai porté sur mon dos jusqu'ici et je t'ai sûrement sauvé la vie !
- Mes Innocences m'ont sauvé la vie, trancha-t-il calment en faisant tomber le silence.
- Tu le sais ? s'étonna Bak.
- J'aurais dû mourir. Il n'y a pas grand chose en ce monde qui ait pu me sauver, posa-t-il sans paraître affecté.
- C'est vrai, répondit-il sérieusement. Tu n'aurais pas dû survivre mais tes Innocences ont restauré les dégâts irréparables et t'ont sauvé. Elles ont été réduites à l'état de particules. Lorsqu'on t'a trouvé, un épais brouillard t'entourait. Il t'a suivis jusqu'ici et n'a reculé que lorsque nous t'avons soigné. Il s'agissait en faite de tes Innocences réduites en poussière.
- Où sont-elles maintenant ? demanda-t-il fermement.
- Dans une salle non loin d'ici, répondit-il.
Il ferma les yeux et réfléchit. Ses Innocences étaient toujours là bien que sous une autre forme. Mais ça n'avait pas d'importance, sa forme n'avait pas d'importance. Sa présence suffisait, il pourrait la restaurer et cela le soulagea profondément. Il resta tranquille. Dans son état, il devait d'abord guérir un minimum ou son corps ne supporterait pas l'activation.
- Tu n'as pas l'air très inquiet ? remarqua Bak aussi intrigué que les autres.
- Je n'ai pas de raison de l'être.
- Tes Innocences sont détruites et ton corps est dans un état déplorable. Tu viens de rencontrer un Déchu. Tout cela ne te touche pas ?
- Ça devrait ? répondit-il froidement.
Bien sûr que ça le touchait. Il était encore terriblement choqué par ce qui était arrivé et il se sentait très mal mais il était hors de question de leur montrer ni de s'apitoyer.
- Tu as vu Suman Dark être tué par son Innocence. Ne crains tu pas qu'une telle chose t'arrive ? demanda-t-il calmement mais sérieusement.
- Une telle chose ne m'arrivera jamais, dit-il avec une assurance impressionnante. Je ne suis pas ce traître et je ne le serais jamais. Et puis, j'ai tué Suman Dark, ce n'était pas son Innocence, dit-il en les choquant visiblement.
- P-pourquoi ? finit par demander Bak.
- Il a vendu ses camarades qui sont morts à cause de ça, j'ai vu ses pensées, ce qu'il a fait pendant le combat. Il a trahis son Innocence, dit-il froidement. C'est pour ça qu'il a été déchu. Il a fait beaucoup de morts innocents déjà pendant notre affrontement. Si j'avais laissé l'Innocence aller au bout du processus, cela se serait terminé en cataclysme pire encore et il y aurait eu bien plus de morts. J'ai fais ce que j'avais à faire. Cet homme était perdu de toute manière à l'instant où il a trahis son Innocence. C'était le seul moyen d'arrêter ça.
- Et tu ne te sens pas mal avec ça ?
- Je devrais ? Devrais-je me sentir mal d'avoir abrégé les souffrances d'un traître meurtrier qui serait mort dans l'heure quand cela a permis de sauver des centaines d'innocents ? Je ne vais pas mal dormir la nuit pour ça au contraire. Quand pourrais-je me lever vraiment ?
- Il faudra quelques jours encore, renseigna Wong.
- Tch, fit-il.
- Et où est-ce que tu veux aller comme ça ? demanda le chef de Branche.
- M'occuper de mes Innocences d'abord puis retourner faire mon travail ensuite.
- Tu crois que tu peux les récupérer ? s'étonna-t-il surpris par sa certitude.
- Oui, posa-t-il simplement.
Tout trois le regardèrent lui et son assurance, sa détermination brûlante un moment avant que Bak ne sourit doucement.
- Komui avait raison, murmura-t-il pour lui même. Très bien, reprit-il plus fort. Nous sommes là pour t'aider à ça justement. Mais avant, il faut te soigner. Wong va changer tes pansements, remettre les perfusions et on va t'apporter à manger, tu dois mourir de faim. Repose toi, on verra la suite quand tu iras mieux.
Red s'était ensuite laissé faire. Dans son état, il ne pouvait que se laisser soigner s'il voulait avancer au plus vite. Il savait que les Noah avaient des capacités de régénérations extraordinaires et il devait avouer qu'il aurait bien aimé bénéficier de la même chose à cet instant mais ce n'était pas le cas. Il ne pouvait que se soigner correctement, bien conscient de la gravité de son état après avoir frôlé la mort de si près. Il avait passé les deux jours suivant au lit à manger et à se reposer, soigné par Wong. Bak venait le voir au moins deux fois par jour pour s'assurer qu'il allait bien et Fo était souvent là aussi, semblant veiller bien qu'il les ignore tous la plus part du temps. Il ne sortait de son lit que pour gagner la salle de bain privative de cette chambre d'infirmerie, ces courts levés lui permettant de mesurer un peu la reprise de ses forces et sa capacité à tenir debout. Aol ne le quittait pas une seconde et il avait profité d'être cloué au lit pour rédiger son rapport sur le Déchu et l'attaque de Tyki, gardant pour lui certains détails mais ne cachant pas qu'il avait lui même abattu Suman Dark, sachant en lui qu'il avait fait ce qu'il fallait.
Après deux jours, il en avait assez de rester cloué au lit. Il n'était vraiment pas habitué à rester sans rien faire. La douleur et les dégâts étaient toujours là mais il se sentait mieux avec le repos et les repas, assez pour être de nouveau totalement maître de lui. Il n'avait pas laissé transparaître la moindre faiblesse depuis son réveil mais il n'avait pas pu le faire et se lever. Ce jour là, il s'en sentait capable et il avait vraiment besoin de bouger. Mais au delà de ça, il voulait terriblement aller voir ses Innocences et commencer à travailler avec elles. Il n'avait vraiment pas de temps à perdre. Avec ça, il ne saurait même pas s'il pourrait rejoindre son maître à temps et il s'en voulait terriblement pour ça. Il avait longuement hésité à envoyer un message à son maître pour le prévenir, honteux de s'être fait abattre de la sorte, mais il l'avait fait, il devait savoir pour agir en conséquence.
La réponse n'avait pas tardé à arriver : « Baka Deshi. Tu as dit que ce Noah était en chasse des relations d'une certaine personne ? Si leur recherche du Cœur est véridique, ils l'ont probablement mis en avant pour cacher ça. Je suis certainement sur la liste aussi, deux Noah me courent après depuis un bon moment, sans succès. Ce sont deux crétins. Tu n'as pas eu de chance de tomber sur ce traître puis sur le Noah. Affronter un Déchu... Baka Deshi, forcément que ça t'a mis en miette avec ton Green Eye en plus...Tes Innocences sont moins bêtes que toi crétin. C'est à se demander pourquoi elles ont choisi un abruti pareil. Mais j'imagine que tu ne pouvais pas faire autrement que d'aider cette Innocence sinon ce ne serait pas toi. Tu n'as pas eu de chance alors ne te morfond pas Baka Deshi. Tu es en vie, c'est tout ce qui compte. Occupe toi d'elles et vient. Avec Wolfar et sa vitesse, tu peux encore arriver à temps. Je vais retarder les choses au plus loin pour te laisser du temps alors revient entier. Je t'attend. Cross. »
Malgré les insultes, Red avait senti l'inquiétude de son maître dans ses mots et son soulagement de le savoir en vie. Il ne doutait pas de lui, il disait que ce n'était pas de sa faute et cela lui avait fait beaucoup plus de bien qu'il ne l'avait cru. Ce matin là, il voulait donc se mettre au travail sans attendre. Ce n'était pas comme s'il avait besoin de faire un effort physique pour s'occuper de ses Innocences. Ce fut tôt qu'il se réveilla et qu'il se leva doucement, toujours affaibli mais désormais bien capable de tenir debout. Il retira ses perfusions et gagna sa petite salle de bain pour un brin de toilette et pour s'habiller. On lui avait fourni des vêtements neufs et confortables, ses affaires trop abîmés. De son sac récupéré, aucun vêtement n'avait pu être sauvé. Il passa un pantalon et une tunique noire d'inspiration chinoise. La manche gauche flottait, vide et il eut bien du mal à nouer la ceinture de tissu d'une main. Il ne pouvait attacher ses cheveux seul, gêné autant à cause de l'absence de sa main gauche que par les bandages couvrant la moitié de son visage. Il avait d'ailleurs exigé de le voir lorsque Wong avait changé ses bandages. Ce n'était vraiment pas beau à regarder. Sans parler de l'œil absent, de l'état déplorable de ses paupières et de son orbite, son ancienne cicatrice toujours présente, il avait le front et la joue très abîmée de ce côté, à la fois lacérés et brûlés par la destruction brutale son Innocence. Décidément, ce côté de son visage ne s'arrangeait pas. Il serait affreux. Si son Innocence ne matérialisait pas de nouveau cache, il devrait en trouver un. Mais il n'avait que faire de cela.
Les bandages gênant et ne voulant pas demander d'aide tout les jours pour se coiffer, il avait renoncé à attacher ses cheveux et il nouait plutôt le cordon de Kanda à son poignet, refusant de s'en séparer. Une fois prêt, il passa une paire de ballerines avant de marcher doucement hors de sa chambre. À cette heure, les lieux étaient très calmes. Si ce n'était les gardes de nuit, tout le monde dormait sûrement encore. Bien qu'il ne connaisse pas les lieux, il trouva son chemin sans croiser personne. Il se concentra sur l'Innocence en lui pour trouver le reste par le lien les reliant, Aol posé sur sa tête. Il arriva finalement devant une immense porte de bois, devinant qu'il les avait trouvé. Il ouvrit, entrant dans une grande pièce ronde très haute, les murs couvert de bois laqué et de moulures, le sol fait d'un damier. Mais surtout, la salle était pleine de cet épais brouillard, ses Innocences. Il le sentit nettement. Il referma la porte, se permettant alors un petit sourire, une larme traîtresse coulant sur sa joue :
- Vous êtes bien là, murmura-t-il. Ne vous en faîte pas, tout ira bien. Je m'occupe de vous, comme vous avez pris soin de moi.
Il ne prit pas la peine d'essuyer cette larme de soulagement, avançant plutôt pour venir s'asseoir en tailleur au centre de la pièce, ses longs cheveux s'éparpillant autour de lui. Il ferma son œil et se plongea en état de méditation. Il savait que le lien avec l'Innocence reposait sur son mental, sur lui, sur sa force, sur sa détermination. Il devait réaffirmer sa volonté et leur transmettre sa force pour qu'elles puissent lui répondre de nouveau et revenir, trouver leur puissance dans la sienne. Il devait reconstruire leurs liens abîmés, les reconstruire tout les quatre après ce désastre. Il devait penser à elles, les chérir, refaire le point sur ce qu'il voulait vraiment. Pour lui, cela ressemblait un peu à la résolution qu'il fallait trouver pour activer volontairement pour la première fois son Innocence, puis pour évoluer une marche à la fois. L'Innocence les aidait à avancer et à grandir mais elle ne leur donnait pas les réponses. Ils devaient les trouver eux mêmes, trouver leur chemin eux mêmes, leur détermination eux même. Il avait déjà fait ça, il savait quel était son chemin, sa raison de vivre alors reconstruire le lien ne devrait pas être très difficile. Il se plongea donc en méditation, commençant par chercher l'Innocence en lui pour déjà améliorer la communication, l'échange d'énergie et de sentiments.
Dans le reste de la branche, quelques temps plus tard, c'était un peu la débandade depuis que l'on avait remarqué l'absence du jeune exorciste dans son lit. On le cherchait partout, Wong pleurant de l'avoir perdu, craignant pour sa santé. Fo avait réquisitionné du monde et même Bak courait dans tout les sens pour le trouver. Ils avaient parcouru l'immense branche en long en large et en travers sans trouver sa trace. Bak, Fo, Wong, Rohfa, Rikei et Shifu, les trois derniers réquisitionnés pour chercher l'exorciste, affectés au projet de ses Innocences, se retrouvèrent dans la grande salle de Fo :
- Mais bon sang ! Où est passé ce Kuso Gaki ?! s'énerva Fo. Il n'a pas pu aller bien loin dans son état ni sortir de la branche.
- Difficile de savoir ce qu'il a en tête, soupira Bak. Réfléchissons. Ah ! s'exclama-t-il soudain. On n'a pas regardé dans la salle de ses Innocences !
Il y eut un moment de silence gêné entre eux en réalisant :
- On aurait peut-être dû commencer par là, remarqua Wong. Monsieur Marian ! cria-t-il en partant vers la salle en question.
Tous lui emboîtèrent le pas, arrivant rapidement à la pièce en question qui n'était pas loin. Ce fut Bak qui poussa la porte pour entrer, soupirant de soulagement et souriant en trouvant Red. Bien sûr qu'ils auraient dû commencer par là. Ils entrèrent, observant l'adolescent qui était assis au centre, le dos droit, ses longs cheveux s'éparpillant autour de lui, tout habillé de noir. Il était parfaitement immobile, son golem sur la tête, l'œil clos et le visage totalement neutre, sa main posée sur son genou. Le brouillard flottait autour de lui dans la pièce, donnant une vision un peu mystique de sa personne. Ils entrèrent et refermèrent, les trois jeunes scientifiques découvrant l'exorciste pour la première fois.
- Red, soupira Bak en s'approchant, on t'a cherché partout.
- La ferme, répondit-il la voix basse et plate sans bouger d'un cil.
Bak se figea net, ne s'attendant pas à un tel accueil. Il ne s'était pas encore fait au caractère du jeune homme qui pouvait être franchement tranchant. Il ne s'en formalisa pourtant pas, le rejoignant.
- Tes soins, dit-il alors que tous venaient. Tu dois te faire soigner et il faut encore garder les intraveineuses. Tu ne devrais pas te lever. Qu'est-ce qu'il t'a pris ?
- La ferme, répéta-t-il sans bouger.
Bak l'observa, se demandant soudain ce qu'il faisait et comment il avait trouvé cet endroit.
- Comment as-tu trouvé cette pièce ?
Red soupira lourdement, visiblement agacé et il ouvrit son œil valide pour les regarder.
- J'ai dis la ferme, réitéra-t-il avec énervement. Je bosse là crétin. Comment j'ai trouvé cette salle ? Je peux encore trouver mes Innocences tout seul merci. Maintenant, boucle là.
- Pas tant que tu ne te seras pas fait soigner pour ce matin, imposa Bak. Tu en as besoin vraiment, tu le sais. Il faut qu'on regarde tes blessures et qu'on veille à ce qu'elles ne s'infectent pas. Il faut faire attention et surveiller ton cœur et tes poumons. Tu viens te faire soigner et je te laisse revenir après d'accord ?
Red soupira, voyant bien que l'homme ne céderait pas et il savait qu'il avait raison même s'il ne l'avouerait pas à haute voix. Il entreprit de se relever, refusant d'un regard noir la main tendue du blond.
- Tch, fit Fo. Tu devrais vraiment apprendre les bonnes manières Kuso Gaki.
Red l'ignora complètement, l'énervant un peu plus sans y faire attention. Il se dirigea vers la sortie sans laisser l'occasion à Bak de lui présenter les trois nouveaux visages.
- Bougez vous ! ordonna-t-il sèchement en quittant les lieux.
Ils suivirent tous, les trois jeunes scientifiques un peu ahuris par son comportement. Mais en regardant bien Rohfa semblait sur son petit nuage, les joues rougies depuis qu'elle avait posé les yeux sur l'exorciste. Bak soupira en emboîtant le pas du jeune homme, se forçant au calme. S'il était vraiment comme Kanda, mieux valait ne pas s'énerver, juste trouver les arguments qu'il ne pouvait contrer pour l'amener où il voulait. S'ils s'inquiétèrent tous de voir le jeune homme faiblir, il marcha avec assurance, le pas assez vif et léger, le dos droit jusqu'à regagner l'infirmerie. Impressionnant lorsqu'on connaissait son état. Il n'aurait même pas dû pouvoir faire plus de quelques pas. Il alla s'asseoir sur son lit et Wong se mit aux soins tout de suite, le jeune homme se laissant faire le visage froid alors que tout les autres étaient venus aussi, les entourant. Il commença par retirer sa ceinture et sa tunique révélant le haut de son corps couverts de pansements. Les trois jeunes gens eurent l'air un peu choqués et tristes devant son état, d'autant plus lorsque l'on retira ses bandages, surtout ceux de sa tête qui leur tira des exclamations horrifiées. Bak les réprimanda pour leur manque de professionnalisme, alors que Red leur envoyait son premier regard, plat :
- Et vous vous attendiez à quoi ? demanda-t-il. On ne fait pas semblant quand on se bat. C'est la guerre.
- Pardon, s'excusa Rohfa en baissant les yeux.
- Si vous voulez être de bons support pour les exorcistes, il faut que vous deveniez assez bons pour pouvoir les aider efficacement même dans les pires situations, remarqua Bak. Et être capable de vous occupez d'eux quand ils en ont besoin.
Red se laissa faire sans broncher un instant, fermant son œil valide et restant parfaitement immobile.
- Qu'est-ce que tu faisais au juste ? demanda le chef de branche.
- À ton avis ? cingla-t-il. Qu'est-ce que je fou là d'après toi hormis me faire soigner ?
- Tes Innocences ? comprit-il alors. Cela ne me dit pas ce que tu faisais, posa-t-il.
- Je travaille à leur restauration, à quoi d'autre ?
Tous eurent l'air sceptiques, n'ayant pas l'air de comprendre :
- En restant assis au milieu d'une pièce ? demanda Shifu.
- Tch, crétin, gronda Red.
- On a mis au point un programme pour t'aider à restaurer tes Innocences, remarqua Bak.
- Je serais curieux d'entendre ça, dit-il l'air moqueur.
- On va commencer par des tentatives d'activations pour voir ce que ça donne et comment tes Innocences réagissent. On espère que le fait qu'il y en ait trois ne complique pas les choses. On verra pour les activer une à une ou plusieurs à la fois. Mais il faut que tu sois un minimum remis avant ou tu ne supporteras pas les activations. Le QG nous a envoyé tes données à ton arrivée à la Congrégation et les spécifications de tes Innocences. Je dois avouer que j'ai été très impressionné, remarqua-t-il. Je n'ai jamais vu de telles Innocences. Mais elles développent chacune beaucoup d'énergie. Ton corps ne le supportera pas si tu ne te remet pas au moins en partie avant de tenter ça. On essaiera les activations et on verra ce que ça donne. Si ça ne fonctionne pas, on passera par un entraînement au combat. En général, ça aide à la synchronisation lorsque le compatible est en situation de danger.
Red se mit à ricaner doucement, les surprenant.
- Qu'est-ce qui te fais rire Kuso Gaki ?! s'énerva Fo. On essaye de t'aider là.
- Ça ne marchera pas, affirma-t-il en les surprenant. Je vais me débrouiller.
- Comment ça ça ne marchera pas ? s'agaça Bak. On fait des recherches sur l'Innocence depuis des lustres, je crois qu'on est bien placé pour...
- Combien de synchronisations réussies ? claqua Red.
- Quoi ? demanda le blond interloqué.
- Combien de synchronisations réussies vos recherches ont-elles permis ? demanda-t-il. Combien de synchronisations réussies monsieur le chef de branche ? Combien d'expériences sur l'Innocence réussies ?
L'homme détourna le regard l'air gêné, serrant les poings et Red se fit moins cassant pour redevenir neutre dans le silence lourd :
- C'est bien ce que je pensais, posa-t-il. Quand à moi, j'ai à mon actif trois synchronisations réussies et un taux de résonance de quatre-vingt quatorze pourcent. Mon œil m'a permis de voir les Innocences pendant des années. J'ai réussi à maîtriser trois Innocences. Et j'ai l'intime conviction de bien mieux les comprendre que vous. L'Ordre est pathétique en la matière. Vous n'y comprenez rien à l'Innocence. Vous vous obstinez à tout rationaliser en bon scientifique mais ça ne marche pas comme ça. Vous croyez pouvoir forcer les choses mais ça ne fonctionne pas comme ça. Ce n'est pas en forçant mes activations ou en me mettant en danger que ça fonctionnera. Cela peut peut-être activer les Innocences dormantes des nouveaux compatibles mais ça ne marchera pas pour moi. Je vais me débrouiller. Je connais mes Innocences.
- Et comment comptes-tu t'y prendre ? demanda Bak.
S'il était un peu vexé, il était aussi intrigué par l'assurance du jeune homme qui n'avait pas totalement tord. Les expériences de l'Ordre en matière d'Innocence et de synchronisation avaient souvent été des désastres absolus.
- C'est mon problème, répondit-il.
L'adolescent ne consentit pas à répondre à d'autres questions sur le sujet, les frustrant beaucoup mais ils se dirent qu'ils pourraient bien observer pour voir ce qu'il faisait quelques jours et voir ensuite.
- Bon, en tout cas, reprit Bak, tu dois encore te reposer et garder les intraveineuses. Tu en as besoin.
- Quand je dors, trancha Red fermement. J'irai bosser le reste du temps.
- Très bien, soupira le blond. Mais avant que tu y retournes, on va aller examiner ton cœur, tes poumons, ton dos et ta tête pour s'assurer que tout va au mieux. Tu as pris de sacrés dégâts à ces endroits. Je veux être certain que tu ne garderas pas de séquelles et que tu peux bouger un peu sans risque immédiat.
- Hn, acquiesça-t-il.
Une fois les soins terminés, on l'emmena donc dans certaines salles d'examens pour l'examiner plus en détail. Ce fut un soulagement de constater que ses Innocences avaient parfaitement restauré ce qui en avait vraiment besoin et qui n'aurait pu être soigné. Une fois le reste des blessures guéries, il serait en pleine forme. Sans ses Innocences, il serait mort. Le trou dans son cœur l'aurait vidé de son sang, les dommages de sa tête l'auraient tué, il ne pourrait plus respirer correctement et il aurait le dos en miette du haut jusqu'en bas, paralysé. Heureusement, ses Innocences l'avaient sauvé. Le reste de ses blessures le laissaient encore en piteux état mais rien ne le mettait en danger et il pouvait se lever et marcher un peu sans risque. On lui conseilla pourtant de ne pas trop en faire, de bien manger et de se reposer pour guérir correctement. Les examens terminés, on l'emmena manger au réfectoire, sa première apparition devant le reste du personnel faisant sensation. Il mangea son repas gargantuesque puis il retourna à ses Innocences, s'enfermant dans la grande pièce ronde, surveillé par quelques golems.
Bien sûr, tous furent curieux de savoir comment il allait s'y prendre et ils observèrent donc très attentivement. Seulement, Red restait simplement assis au milieu de la salle, immobile, l'œil clos. Il en fut ainsi pendant plusieurs jours. Red passait la majeure partie de son temps à la même chose dans la salle ronde, sans bouger d'un cil. Ses soins se poursuivaient, ses blessures guérissant bien au soulagement général alors que l'adolescent reprenait un peu plus de couleurs chaque jour. Il ne quittait la pièce ronde que pour ses soins, pour manger et dormir un peu, son golem éternellement sur sa tête semblant veiller sur lui. Mais rien ne bougeait du côté de ses Innocences, Bak le laissant pourtant faire ce qu'il voulait sans comprendre. De toute manière, il n'était pas en état pour tenter une activation, reprenant à peine ses forces. On finit pourtant par arriver au jour où il pouvait théoriquement se mettre aux activations. Seulement, Red refusa catégoriquement de coopérer, envoyant tout le monde promener. Cela commença rapidement à provoquer des disputes titanesques entre lui et le chef de branche, disputes capables de faire trembler la base toute entière.
- Tu n'as aucun résultat Red ! hurla Bak hors de lui ce jour là. Tu n'as eu aucun résultat ! Rien ! Pas la moindre petite chose ! Même pas un minuscule variation d'énergie ! Aucune réaction de l'Innocence. On n'a pas toute la vie devant nous et je fais déjà des pieds et des mains pour te protéger alors que tout le monde ici voudrais que je te renvois de peur d'une attaque sur toi ! Alors écoute ce qu'on te dis pour une fois ! On est là pour t'aider pas pour se battre avec toi parce que tu es têtu comme une mule et que tu n'écoutes personne ! Tu as essayé, c'est raté, essaye notre solution maintenant !
- Même pas en rêve, ça ne marchera pas imbécile ! cingla Red. Ils veulent que je me tire parce qu'ils ont peur d'une attaque sur moi ici ?! Et ben, je me casse si tu veux, mes Innocences me suivront de toute façon. Et dire que je protège aussi ces types là quand je risque ma vie sur le champs de bataille. Bonjour le remerciement, dit-il amèrement. Je sais que je n'ai pas toute la vie devant moi, je suis presque mort il n'y a pas longtemps je te signale, inutile de me le rappeler ! Ça va marcher alors arrêtez de me faire chier et laissez moi bosser bande d'abrutis !
Rageur, Red partit sans se retourner aux appels du chef de Branche, rejoignant la salle de ses Innocences et claquant la porte. Il partit s'asseoir tout au fond contre le mur, furieux contre lui même, contre tout et tout le monde. Il n'y arrivait pas. Il n'y arrivait pas et il ne comprenait pas pourquoi. Pas la plus petite réaction. Il sentait très bien ses Innocences en lui mais il n'arrivait pas à les faire réagir. Il savait que cela dépendait de sa volonté, de sa détermination, de ce qu'il voulait, de ses buts, de ce pourquoi il se battait, de celui qu'il était, tout ce qu'il était... Pour déclencher la résonance, il devait savoir qui il était à cet instant, ce qu'il voulait, où il voulait aller. Et il le savait parfaitement alors pourquoi ses Innocences ne réagissaient pas quand elles réagissaient parfaitement peu avant ?
Il n'avait pourtant pas changé. Il vivait toujours par lui même, il avançait. Il ne manquait pas à sa promesse de secourir les âmes des akuma, il avait même fait énormément de zèle ces derniers temps. Il ne perdait pas non plus de vu les Innocences qu'il s'était promis de protéger et d'aider de son mieux. Il l'avait encore prouvé et il s'était retrouvé ici suite à un sauvetage du genre. Il avançait, il poursuivait ses buts sans relâche par lui même. Il vivait pour lui, pour son maître aussi qui lui avait tant donné. Il vivait pour les Innocences, les akuma. Il était devenu fort, il ne fuyait jamais, il ne se dérobait jamais, il n'avait besoin de personne, il chérissait ses Innocences... Comme toujours. Alors pourquoi ? Pourquoi ne répondaient-elles pas ? Pourquoi soudainement, elles ne voulaient plus s'activer ? Qu'avait-il fait qui leur déplaisait tant ? Lui en voulaient-elles pour ne pas les avoir protégé ? Lui s'en voulait toujours atrocement. Lui en voulaient-elles ? Ses amies de toujours lui en voulaient-elles de les avoir laissé subir ce calvaire ? Pourtant, elles l'avaient sauvé, elles s'étaient accrochées à lui désespérément. Le plus grand des actes d'amour possible pour lui. Il voulait tellement les retrouver. Son maître l'attendait. Il avait tant à faire, tant de devoirs à accomplir. Qu'est-ce qui leur déplaisait tant ?
Il y pensa longuement, appuyé contre le mur, la tête posée contre un genou relevé. Il avait envie de contacter son maître pour lui demander conseil mais il avait tellement honte et peur de le décevoir qu'il s'y refusait. Et dire que c'était lui qui donnait des leçons en matière d'Innocence habituellement. Qu'est-ce qu'il manquait ? Son regard finit par tomber sur le cordon de Kanda. Il aurait donné n'importe quoi pour un moment avec lui à cet instant. Au plus le temps passait, au plus il était tendu et énervé contre lui même et du coup, contre tout le monde encore plus qu'à l'habitude. Il perdait du temps à rien quand il aurait dû savoir comment s'y prendre. Son maître lui avait toujours dit qu'il comprenait l'Innocence comme personne. Pourtant aujourd'hui, il n'arrivait à rien et il se sentait de plus en plus mal, frustré, désespéré, perdu. Un moment avec Kanda l'aurait probablement calmé.
Et puis cela le frappa soudain. Avant, il n'avait de lien avec personne, il n'avait besoin de personne, sauf de son maître. Aujourd'hui, il avait Kanda qui semblait lui être devenu vital. Il avait pensé à lui en croyant mourir. Malgré lui, il s'était mis à apprécier au moins un peu Komui, Reever, Jerry... Il tolérait bien mieux les gens, passait plus de temps avec plus de monde, pour jouer aux cartes par exemple. S'il n'était toujours pas sociable, il tolérait mieux les gens à force de rester avec les mêmes personnes au quotidien. Il s'était même mis à s'habituer à Lenalee et Lavi, ce qu'il n'aurait jamais fait avant son arrivée à la Congrégation. Pourtant, il détestait les gens, n'avait pas beaucoup d'espoir pour l'humanité. Il avait toujours dit qu'il consacrerait sa vie à l'Innocence, aux akuma, à la guerre. Le seul accepté était son maître. Mais il avait changé sans vraiment s'en rendre compte ces derniers mois. Peut-être était-ce cela qui déplaisait tant à ses Innocences ? Peut-être n'appréciaient-elles pas qu'il laisse une partie de ses pensées dévier de son devoir, de ses promesses, d'elles ? Peut-être n'appréciaient-elles pas qu'il se laisse distraire ainsi ? Peut-être trouvaient-elles qu'il n'en faisait plus assez dans ce détournement ? Peut-être n'aimaient-elles pas que pour la première fois, il faisait des choses en fonction d'autres personnes et non plus sur sa simple volonté personnelle ou pour son maître ? Ses Innocences l'avaient toujours suivi, soutenu et avaient grandi avec lui tant qu'il avait gardé sa ligne de conduite solitaire, n'obéissant à personne, ne prenant garde à personne. Peut-être n'appréciaient-elles pas le changement ? Après tout, il avait juré de leur consacrer sa vie, il ne pouvait pas se laisser détourner ainsi, surtout en sachant ce que valaient les hommes, pas grand chose pour lui. Ils n'étaient bons qu'à faire le mal.
Il observa le cordon de Kanda. Devait-il couper tout ces liens qui s'étaient tissés ? Devait-il s'éloigner de nouveau des autres comme avant ? Si cela ne lui posait pas de gros problèmes avec la plus part, Kanda... il ne voulait pas. Rien que l'idée faisait mal, tellement mal. Elle lui serrait le cœur. Mais il avait fait un choix autrefois, un choix qui lui avait donné sa force, permis de vivre. Il avait fait des promesses, il devait les tenir. Il devait sa vie à ses Innocences, elles en disposeraient comme elles voudraient. Si elles voulaient qu'il oublie Kanda, il le ferait, aussi douloureux que cela soit. Le cœur en miette mais déterminé, il attrapa le cordon entre ses dents pour commencer à en défaire le nœud. Seulement, il ne put jamais terminer le geste. Un violent éclair de douleur traversa sa poitrine, lui tirant un petit cri. Il perdit rapidement sa respiration, ne parvenant plus à trouver de l'air. Son cœur se mit à battre la chamade, sa tête prise d'une migraine atroce. Il tomba très vite sur le côté, sa vue brouillée, ne parvenant plus à tenir assis. Il s'écrasa au sol sur sa gauche, luttant désespérément pour trouver de l'air. Il toussa, le goût du sang arrivant dans sa bouche. Son audition s'assourdit et des points noirs se mirent à danser devant ses yeux.
Une fois bien calmé, Bak avait entrepris de venir parler à son protégé. Il avait beau s'engueuler avec lui presque tout les jours dernièrement, comme Komui l'avait dis, on s'attachait à lui. Il avait vu l'état du jeune homme, il savait qu'il avait enduré déjà beaucoup trop pour un garçon de seize ans. Malgré son foutu caractère, Red était quelqu'un de bien, ça se sentait sous sa façade. Lui et Fo étaient d'accord là dessus. Red s'était simplement enfermé dans une carapace froide et distante, tranchante. Il avait la nette impression qu'il avait peur des autres, de faire confiance, de tisser des liens qui pourraient le blesser ou le priver de sa liberté à laquelle il tenait tant. Il jurerait que les gens avaient dû en faire voir de belles au jeune homme pour qu'il soit ainsi. Il semblait n'avoir confiance en personne, n'acceptant de se reposer sur personne, n'écoutant personne. Il semblait être atrocement seul. Réfractaire à tout contact comme un animal battu prêt à mordre si on s'approchait. Il désespérait que Red accepte de l'aide. Il aurait aimé qu'il lui parle de ce qu'il faisait pour qu'il puisse comprendre et peut-être l'aider à avancer. Beaucoup réclamaient qu'il jette le jeune exorciste dehors devant son manque de résultat et de coopération, qu'il le renvoi au QG par peur d'une attaque sur eux pour l'achever. Il s'y refusait. Premièrement, Red n'était pas encore assez en forme pour un tel voyage mais en plus, cela le mettrait en grand danger. Il était en sécurité dans la Branche Asiatique. Et il refusait de le laisser partir sans qu'il ait récupéré ses Innocences et qu'il soit bien guéri. Il voulait l'aider vraiment.
C'était donc avec la résolution de tenter de parler calmement avec lui qu'il avait fini par prendre le chemin de la salle ronde un moment après cette énième dispute. Il appelait régulièrement Komui pour lui parler de la situation. Le Grand-Intendant disait de croire en Red, qu'il savait de quoi il parlait en terme d'Innocence. Hevlaska, consultée pour l'occasion, disait qu'il était plus à même que personne de parvenir au but. Pourtant, il n'y avait pas de résulta, rien. Ils s'étaient donc dis que l'adolescent devait avoir un problème. Mais il refusait d'en parler, il refusait qu'on l'aide. Komui lui avait conseillé d'y aller en douceur avec le jeune homme, lui même très inquiet pour lui. Il disait qu'il ne fallait pas s'énerver, juste être là sans le forcer à rien, en proposant, pas en imposant. Il devait sentir qu'il était libre de choisir, qu'on ne l'enchaînait pas. Il fallait être doux et ne pas montrer la moindre violence. Calmé, il s'était donc promis de se contenir pour aider l'adolescent. Quelque part, c'était douloureux de le voir si renfermé, si seul. Pouvait-il seulement compter sur quelqu'un lorsqu'il n'allait vraiment pas bien ? Qu'il avait besoin d'aide ? On ne lui connaissait que son maître comme relation avant la Congrégation et il fallait dire que Cross Marian n'était pas réputé être le meilleur des hommes ou des maîtres. Est-ce que son maître l'avait fait ainsi ? Il n'en savait rien. Ce qu'il savait était qu'il voulait que Red comprenne qu'il était là pour l'aider ou juste le soutenir s'il le laissait faire.
Il toqua doucement à la porte de la salle où le jeune homme passait tout son temps, annonçant son arrivée, puis il entra, refermant derrière lui. Il ne le trouva d'abord pas avant de voir vaguement sa silhouette au fond derrière l'épais brouillard. Il avança tranquillement, se détendant pour ne pas le braquer :
- Red ? Est-ce qu'on peut discuter un instant ? demanda-t-il calmement.
Il n'eut pas de réponse et avança un peu plus, se préparant déjà à se faire renvoyer vertement. Pourtant, il se figea net en trouvant le jeune homme effondré au sol contre le mur.
- Red ! cria-t-il en accourant avec panique.
Il se jeta à genou près de lui, le scrutant. Red était atrocement pâle, respirant faiblement, tremblant de tout son corps, son œil vague et brouillé. Du sang avait coulé de sa bouche, formant une petite flaque près de lui.
- Red ?! Red, tu m'entends ? demanda-t-il frénétiquement.
Il ne le supporterait pas s'il arrivait quoi que ce soit à l'adolescent sous sa responsabilité. Merde, ce gosse n'aurait jamais dû avoir à subir tout ça et pourtant, il ne se plaignait jamais. Il se sentait un peu ridicule de s'énerver tant contre lui. Red avait toute les raisons de se sentir très mal après tout ce qu'il venait de traverser, ce vers quoi il allait encore. C'était à lui d'être calme et d'être là pour lui, de le soutenir et de l'aider de son mieux. Red avait le droit d'être en rage et de s'énerver, pas lui. Et ce n'était qu'un gamin à ses yeux.
- Merde, cracha-t-il lorsqu'il n'eut pas la moindre réponse. Wong ! appela-t-il en activant son golem.
- Oui, répondit-il sur le champs.
- Red ne va pas bien. Je le ramène à l'infirmerie, rejoint moi là bas il a besoin de soins tout de suite !
Wong acquiesça et Bak entreprit de charger doucement le jeune homme sur son dos, ses cheveux cascadant sur lui. Il l'emmena ensuite vers l'infirmerie au plus vite, craignant terriblement pour lui maintenant. Et tout le long du chemin, il lui parla, lui promettant que tout irait bien, qu'on allait le soigner. Il retrouva Wong, Fo, Rohfa, Shifu et Rikei à destination, tous paniqués de trouver Red très mal sur son dos.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demanda Fo alarmée.
Elle avait beau s'accrocher constamment avec Red, elle s'était beaucoup attachée à lui, sentant qu'il était ainsi plus pour se protéger qu'autre chose.
- Je ne sais pas, répondit-il en déposant délicatement sa charge sur le lit avec l'aide des autres. Je l'ai trouvé comme ça dans son brouillard. Il respire très mal.
Immédiatement, on s'affaira autour de lui, l'adolescent tombant dans l'inconscience lorsqu'on le força à fermer son œil. Red avait une légère fièvre en plus de respirer faiblement, son cœur un peu lent, sa tension trop basse. Pourtant, personne ne put comprendre l'origine du malaise. Ses blessures allaient bien, guérissant correctement, et son Innocence ne faiblissait pas pour restaurer son corps. On finit par se demander si Red ne subissait pas trop de pression. Il faisait bonne figure mais son état physique était encore fragile. Trop de tension pouvait être très nuisible. On l'avait finalement allongé dans son lit et soigneusement couvert, un masque à oxygène sur le visage et une perfusion au bras. Bak et Fo restèrent à son chevet pour veiller, tristes de le voir ainsi.
À la plus grande inquiétude de tous, il fallut deux jours pour que Red commence à se réveiller enfin. Et ce fut bien difficilement qu'il émergea, l'esprit embrumé. Il avait rêvé, beaucoup. Ou plutôt, de nombreux souvenirs étaient venus se faire film dans sa tête alors qu'il dormait. Il avait revu de nombreux moments de calme et d'apaisement, de repos qu'il avait vécu avec son maître et depuis son arrivée à la Congrégation. Il avait vu des instants passés avec d'autres, Reever, Komui. Il s'était revu dans la cuisine de Jerry, assis sur un meuble à goûter ce qu'il avait fait pour lui. Il avait revu Miranda vouloir le protéger, Lavi s'inquiéter. Mais il avait surtout vu ses moments avec Kanda, ses siestes avec lui, leurs entraînements, leurs balades, leurs missions, Kanda lui mettant sa demi cape, lorsqu'il s'était réveillé la tête sur ses genoux, lorsqu'ils avaient échangé leurs cadeaux... Le japonais lui manquait horriblement, tellement qu'il en avait physiquement mal. Il ne savait pas pourquoi son inconscient avait décidé de lui ramener tout ça dans la tête maintenant. Parce que son dilemme reposait justement sur ces relations qu'il avait tissé sans s'en apercevoir ? C'était une torture d'imaginer que son Innocence pouvait vouloir qu'il oublie Kanda.
Il ouvrit doucement son œil, sa vue s'éclaircissant progressivement. Il reconnut sa chambre d'infirmerie rapidement. Quelque chose sur son visage le gênait et il entreprit donc de lever sa main pour s'en débarrasser mais son membre semblait peser des tonnes. Il y eut un peu de bruit près de lui, comme une chaise raclant le sol alors qu'on se levait. La silhouette de Bak entra bientôt dans son champs de vision. Il avait l'air terriblement inquiet. Fo ne tarda pas non plus à apparaître de l'autre côté, l'air aussi angoissée.
- Attend Red, pria Bak, je te retire ça, reste tranquille.
Il lui retira alors ce qui s'avéra être un masque à oxygène, reposant ensuite délicatement sa tête.
- Comment tu te sens Gaki ? demanda Fo en touchant son front. Tu n'as plus de fièvre au moins.
Red ne répondit pas, se faisant impassible. Il entreprit de se redresser lourdement, gardant un visage froid et fermé.
- Va doucement, dit Bak, ça fait deux jours que tu es inconscient.
Il voulut passer un bras dans son dos pour l'aider alors qu'il peinait visiblement mais Red le renvoya brusquement d'un coup faiblard dans son bras.
- Ne me touche pas ! claqua-t-il en le figeant par sa véhémence.
Il s'assit finalement, retirant sans ménagement ses perfusions, écartant ensuite ses draps.
- Qu'est-ce que tu fais ?! s'exclama Fo. Tu dois rester allongé !
- La ferme, gronda-t-il.
Sa voix était si froide qu'ils en tremblèrent une seconde. Red s'était déjà montré cassant mais pas froid à ce point. Définitivement, quelque chose n'allait pas du tout. Ils le regardèrent se lever péniblement pour partir vers la sortie, traînant les pieds et mal assuré, les dents serrées.
- Red ! Arrête, supplia presque Bak en lui courant après avec Fo. Tu dois te reposer.
Le jeune homme l'ignora et le renvoya d'un autre coup faible lorsqu'il voulut le soutenir. Le geste le fit d'ailleurs tituber dangereusement et il dut s'appuyer contre le mur pour ne pas tomber.
- Laisse moi, ordonna-t-il.
Il se remit ensuite en route et Bak savait où il voulait aller.
- Laisse moi au moins te porter jusque là bas, demanda-t-il en marchant près de lui. Tu te fais du mal, arrête.
- Fiche moi la paix, j'ai pas besoin de toi, grogna-t-il.
Dans l'instant, il lâcha pourtant un gémissement de souffrance entre ses dents, portant sa main à son cœur et s'effondrant contre le mur, glissant jusqu'au sol le souffle erratique.
- Red ! s'exclamèrent Bak et Fo en se baissant près de lui.
- Il faut que tu retournes te coucher, posa l'homme très inquiet.
- Dégagez ! ordonna-t-il brutalement en respirant difficilement. J'ai pas besoin vous ! dit-il en serrant les dents. Fichez moi la paix.
Il se releva ensuite péniblement, poursuivant son chemin lentement et ils le laissèrent faire, le suivant pourtant un peu derrière, très inquiets ne comprenant pas ce qu'il se passait. Pourtant, il se passait quelque chose, Red n'était pas mal que physiquement mais aussi mentalement à cet instant. Tant bien que mal, il arriva à la salle de ses Innocences après un long moment et plusieurs arrêts contre les murs. Il entra et leur claqua la porte au nez, leur interdisant catégoriquement d'entrer.
- Reste là Fo s'il te plaît, demanda Bak préoccupé, je vais en salle de contrôle pour l'observer avec les golems.
- Hum, approuva-t-elle en fixant la porte.
Dans la pièce, Red avait avancé laborieusement jusqu'au centre, ne voyant plus très clair et il s'était laissé tomber sur ses genoux, repliant son bras autour de son ventre alors qu'il ne portait qu'un pantalon de toile noire. Il était perdu, complètement perdu comme il ne l'avait pas été depuis longtemps et il se sentait atrocement mal. Il se pencha en avant, ne pouvant s'empêcher de laisser ses larmes couler. Il n'avait pas pleuré depuis des années mais là, il n'arrivait plus à se retenir. Il était si fatigué de tout et il avait l'impression d'être enfermé dans un cul de sac et de ne plus pouvoir avancer, sans comprendre comment il était arrivé là. Il croyait comprendre que ses Innocences voulaient qu'il redevienne comme avant, sans avoir personne si ce n'était son maître. Seulement, il ne s'en sentait pas capable. Il ne savait pas s'il le voulait vraiment pour Komui, Reever, Jerry et les autres. Cependant, il savait qu'il ne le voulait pas pour Kanda. Il ne voulait pas couper ses liens avec lui. Kanda lui faisait tellement de bien, lui donnait cette chaleur dans le cœur. Il était le premier et le seul à lui faire ressentir ça. Son âme même s'apaisait avec lui, comme jamais.
- Pitié, ne me faîte pas faire ça, bredouilla-t-il entre ses larmes. Je ne veux pas. Je ne veux pas faire ça, pleura-t-il.
- Je ne veux pas faire quoi ? se demanda Bak pour lui même alors qu'il l'écoutait à distance.
Il était un peu choqué d'avoir vu le jeune homme s'effondrer comme ça en pleurant. Quelque chose n'allait vraiment pas avec lui, quelque chose le torturait pour le toucher ainsi et il fallait trouver quoi pour pouvoir l'aider. Ce fut avec tristesse qu'il regarda l'adolescent pleurer toutes les larmes de son corps en silence, l'air complètement à bout. Il pouvait comprendre. Il le laissa tranquille un moment tout en veillant mais il fallait vraiment parler avec lui maintenant. De toute évidence, Red avait besoin d'un sérieux coup de main et il était là pour ça. Lorsqu'il le vit cesser de pleurer et se coucher sur son côté pour se rouler un peu en boule comme un enfant perdu, il sortit de nouveau. Il passa chercher une couverture avant de se diriger vers la salle ronde, Fo toujours là à monter la garde.
- Il s'est calmé je crois, annonça-t-il en la rejoignant. Mais il n'a vraiment pas l'air bien, dit-il gravement. Il pleurait.
- J'ai senti, s'attrista-t-elle. Qu'est-ce qu'il peut avoir dans la tête ?
- Je vais lui parler, annonça-t-il alors en avançant vers la porte.
- Ne t'énerve pas, répondit-elle sérieusement.
- Hum, approuva-t-il en entrant doucement.
Il referma derrière lui et avança dans la pièce jusqu'à trouver Red au sol, immobile bien qu'éveillé, les traces de larmes visibles. Sans un mot, il s'accroupit près de lui et le couvrit de la couverture qu'il avait amené avec soin. Il faisait vraiment froid ici et il ne portait qu'un fin pantalon de toile. Il s'assit ensuite près de lui, lui tournant le dos.
- Red, commença-t-il doucement en scrutant le brouillard. Tu n'es pas tout seul tu sais. Je vois bien que ça ne va pas du tout. Tu n'as pas à porter ça tout seul comme ça. Je doutais au début mais maintenant que j'ai vu qui tu es, ta force et ta détermination, je sais que tu peux y arriver. Je crois en toi, vraiment. Mais tu n'es pas tout seul et tu n'as pas à l'être. Personne n'est fait pour être seul. Je suis là pour t'aider et j'aimerais vraiment pouvoir t'aider, vraiment, j'aimerais t'aider. Mais je ne peux pas le faire si tu ne m'expliques pas ce qu'il se passe. Si je ne comprend pas ce que tu fais, comment tu veux t'y prendre, je ne peux pas t'aider. Tu n'es pas obligé de tout me dire mais si tu m'expliquais le principe général, je pourrais peut-être te donner un point de vu extérieur qui pourrait t'aider à sortir de cette impasse.
Il n'obtint strictement aucune réaction et il fut un moment inquiet de ne pas se faire envoyer promener. Il vit Aol qui voletait doucement au dessus de son maître venir se poser devant son visage pour se frotter tendrement à lui. Red bougea alors pour venir le prendre doucement et le ramener contre lui sous la couverture. Il sembla passer un moment à le câliner tranquillement, se détendant un peu en faisant cela. Aol était bien le seul a pouvoir approcher Red ainsi. Il resta longtemps assis près de lui sans bouger, décidé à rester veiller et écouter tant qu'il ne le renvoyait pas sérieusement. Il fut complètement surpris lorsque Red se redressa péniblement, s'enroulant dans la couverture avant de s'appuyer lourdement contre son dos, ne pouvant visiblement pas tenir assis tout seul. Il le laissa faire sans bouger, se disant qu'il devait vraiment être à bout pour s'appuyer sur lui comme ça. Et il fut de nouveau surpris lorsque Red prit la parole faiblement :
- On ne peut pas aborder l'Innocence à la manière d'un scientifique, commença-t-il. Elle a une conscience, un esprit, une volonté. Mais elle a besoin de compatibles pour s'exprimer. C'est pour ça que la résonance existe. L'Innocence a besoin des compatibles et les compatibles ont besoin de l'Innocence. La compatibilité ne repose pas sur des facteurs génétiques, physiques ou explicables. Elle repose sur l'âme de chacun.
- L'âme ? s'étonna Bak écoutant attentivement.
- Hn, approuva-t-il. L'Innocence choisit des gens qui ont la force morale, le cœur, l'âme pour endurer les devoirs qui leur incomberont lorsqu'ils seront synchronisés avec elle. Elle choisit les plus forts mais aussi les plus faibles. Ceux qui sont forts, simplement forts, ne seront jamais des compatibles parce qu'ils n'ont pas besoin vraiment de l'Innocence pour s'accomplir. Ceux qui sont faibles ne seront jamais des compatibles parce qu'ils ne le supporteront pas et l'Innocence ne choisit pas ceux qui ne peuvent la supporter elle et la vie qu'elle apporte. Elle n'est pas cruelle. Elle choisit ceux, les plus rares, qui sont potentiellement extrêmement forts mais qui ne peuvent s'accomplir seul. Ceux qui ont besoin d'aide mais qui peuvent aussi être forts pour elle. Ce n'est pas le genre de personne le plus courant. Un équilibre de force et de faiblesse qui laisse la place à l'Innocence et qui lui permet de nous aider. Le but premier de l'Innocence n'est pas de détruire les akuma, de faire la guerre au Comte. Son but premier est d'aider son compatible à s'accomplir parce que s'il y arrive alors elle pourra elle aussi s'exprimer à son plein potentiel.
Près de lui, Bak suivait avec grande attention, très surpris qu'il daigne lui expliquer sa manière de voir les choses et de pouvoir peut-être enfin le comprendre et comprendre ce qu'il faisait. Il ne savait pas pourquoi l'exorciste acceptait soudain de lui parler mais il n'allait certainement pas l'interrompre. Vraisemblablement, il était vraiment perdu et avait besoin d'un conseil, d'un autre point de vue. Il ferait de son mieux pour lui donner et il écouta donc attentivement son raisonnement pour pouvoir comprendre et l'aider.
- L'Innocence nous aide à avancer, à nous exprimer vraiment, à savoir qui nous sommes, à nous accomplir, reprit-il la voix basse. Elle nous met à l'épreuve constamment non pas pour nous faire du mal ou pour nous rendre plus fort. En tout cas pas au sens de force physique ou de combat. Elle nous met à l'épreuve pour nous mettre au pied du mur et nous pousser à voir ce que nous ne voyons pas ou ce que nous nous refusons à voir. Elle nous fait... travailler sur nous même en quelque sorte. Elle ne nous dit pas ce qui ne va pas ou ce qu'il faut voir. Elle nous dit juste qu'on est en train de rater quelque chose d'important, consciemment ou non, et elle nous bloque d'une façon ou d'une autre jusqu'à ce que l'on comprenne par nous même. Elle nous met à l'épreuve de diverses façons. C'est pour ça que beaucoup d'activations se font dans des conditions critiques. Ce n'est pas souvent le hasard qui nous met dans ces positions périlleuses mais plutôt le fait que l'on ait l'Innocence qui irrémédiablement, nous attire ses ennemis et donc des ennuis. Quand on est au pied du mur, soit on abandonne, soit on arrête de tergiverser et on prend une décision sur ce qu'on veut. L'Innocence réagit si on accepte son épreuve et qu'on avance.
Il marqua une pause pour reprendre un souffle perdu, inquiétant Bak qui ne bougea pourtant pas.
- Que se soit en réaction à une épreuve ou à un accomplissement personnel, l'Innocence réagit à ça, quand on se décide à avancer, qu'on trouve notre résolution, notre but, notre détermination. Et toujours, elle nous aide à grandir, à nous accomplir. Les compatibles sont à la fois forts et fragiles. L'Innocence nous permet de garder cette fragilité, cette sensibilité qui nous permet de la comprendre mais elle nous protège aussi et nous guide pour exprimer cette force qu'elle seule peut faire ressortir en nous. Elle ne veut pas faire de nous des gens parfaits loin de là. Elle veut que l'on vive selon nos cœurs. Elle veut que l'on soit ceux que l'on est vraiment au fond de nous. Quelque soit cette personnalité. Elle nous guide. La vie qu'elle nous fait mener nous aide à cela. C'est pour ça que je n'ai jamais regretté d'avoir l'Innocence, quitte à faire la guerre. Parce que je sais que sans elle, je ne serais probablement personne et plus en vie depuis longtemps. En échange des sacrifices qu'elle nous demande, elle nous donne sa puissance et nous est d'une loyauté indéfectible. Si vraiment on ne veut pas ou plus d'elle, sincèrement, qu'on en soit conscient ou non, elle l'acceptera, la compatibilité disparaîtra. On peut être compatible un jour et ne plus l'être le lendemain si notre résolution à ne plus vouloir de l'Innocence est véritable. Sans devenir un Déchu. Devenir un Déchu, c'est trahir son Innocence, trahir le chemin qu'on avait emprunté avec elle. On peut évoluer et changer de ligne de conduite mais se trahir ou la trahir n'est pas permis.
Il s'arrêta de nouveau pour respirer difficilement, Bak le sentant détendu dans son dos, espérant que ce n'était pas le signe qu'il n'avait plus de force.
- Au plus on avance, au plus on grandit, au plus on sait qui on est, au plus on s'accomplit et au plus la résonance et la synchronisation se renforcent, au plus on est puissant et au plus l'Innocence peut s'exprimer à travers nous. Mais tout ça, les compatibles ne le comprennent pas en général. Ces imbéciles se bornent à croire que l'Innocence n'est qu'une arme, qu'ils ne deviennent forts que par eux mêmes et que seul leur capacité de combat compte, que seul l'entraînement les rendra plus forts et augmentera la synchronisation. Crétins. Beaucoup n'acceptent même pas vraiment leur Innocence et le voient comme une fatalité. S'ils savaient quel mal ils lui font ces imbéciles.
- Comment le sais-tu ?
- Je le vois... le voyais avec mon œil. Je voyais les Innocences, leur présence au début puis, avec ma synchronisation augmentant, mon ouverture sur la chose, j'ai pu voir plus jusqu'à sentir leurs émotions. Je sentais déjà celles de mes Innocences en moi, tout les compatibles, s'ils s'en donnaient la peine, pourraient le sentir en eux. Mais mon œil pouvait aussi me montrer les sentiments des autres Innocences. Ces abrutis m'énervent à ne la voir que comme un objet ou en se morfondant sur cette fatalité d'avoir une Innocence et d'être dans la guerre sois-disant à cause d'elle. Comme si elle y était pour quelque chose dans cette guerre. Elle fait juste de son mieux pour nous aider. Ce travail avec son Innocence, ce n'est pas une chose que l'on peut forcer, c'est une chose dont les compatibles doivent se rendre compte seuls. C'est une marche à gravir dans la relation avec leur Innocence.
Bak l'observa du coin de l'œil, un peu fasciné par son discours, comprenant désormais comment on pouvait dire qu'il en savait plus que personne sur l'Innocence. Son raisonnement, s'il n'avait rien de scientifique comme l'Ordre s'était borné à le concevoir, était plausible, plus que plausible et il ne pouvait s'empêcher d'y adhérer. Cela expliquerait beaucoup de choses sur la résonance.
- J'ai... toujours compris mes Innocences, reprit-il l'air triste maintenant. Je les ai toujours comprise parfaitement, je les ai toujours écouté. Je n'avais que l'Innocence de mon bras à une époque. Elle était ma seule amie avant que mon maître ne me trouve puis que j'obtienne mon œil et Wolfar plus tard. Je les ai toujours comprise et écouté avec attention. J'ai avancé avec elles, j'ai grandi avec elles. Je sais qui je suis grâce à elles et ce que je veux dans la vie. Alors je pensais que j'arriverais à retisser notre lien sans trop de problème. Je sais comment ça fonctionne, je sais ce que je dois faire. Pourtant, elles ne me répondent pas. Elles répondaient toujours avant. J'ai réfléchi, au début, je ne comprenais pas, j'étais toujours le même, je n'ai pas oublié mes raisons de me battre, ma détermination, mes buts, ma ligne de conduite... Je n'ai fait que réaffirmer tout ça dans le temps avant de les perdre. Alors pourquoi ne me répondaient-elles pas ? Et puis je me suis rendu compte qu'une chose avait changé chez moi ces derniers mois. C'est certainement ça qui déplaît à mes Innocences. Elles veulent sûrement que je redevienne celui que j'étais avant. Seulement, dit-il la voix légèrement brisée, je ne veux pas faire ça. Je ne veux pas changer ça, je suis mieux comme ça. Je ne veux pas avoir à choisir entre mes Innocences et ce que je suis aujourd'hui.
Le silence retomba entre eux, Bak comprenant enfin ce qu'il se passait, le dilemme de son protégé, ce qu'il avait dis un peu plus tôt en pleurant. Il était complètement perdu maintenant. Il ne savait plus quoi faire. Fort et fragile avait-il dit ? Il en était vraiment le parfait exemple. Il réfléchit un bon moment à tout ce qu'il venait d'entendre, ses méninges tournant à plein régime pour tenter d'aider Red dont-il sentait la détresse à cet instant. Et puis il pensa comprendre :
- Red ? Est-ce que tu as déjà envisagé que tu pouvais te tromper dans ton raisonnement ? demanda-t-il doucement. Pas dans le fonctionnement général mais dans ce que tes Innocences veulent te faire comprendre. Tu as dis qu'elles étaient là pour vous faire avancer et grandir, pour vous aider à être vous même pleinement et donc, à avoir ce que vous voulez vraiment. Donc, j'ai du mal à croire qu'elles veuillent te faire régresser, retourner en arrière si tu as trouvé quelque chose qui te convient. Tu as dis que tu avais changé en plusieurs mois. Elles t'ont donc sauvé la vie en connaissant cela. Si ce changement t'aide à aller mieux, à grandir comme tu dis, à avancer, alors pourquoi voudraient-elles que tu retournes en arrière ? Peut-être que ce n'est pas ce qu'elles veulent vraiment ? Si cette évolution de ces derniers mois est ce dont-il est question, peut-être faut-il le prendre dans un autre sens ? Peut-être qu'elles ne veulent pas que tu recules mais que tu avances plus dans cette voie, que tu acceptes ce changement entièrement ? C'est peut-être ça. Tu as dit que l'Innocence n'était pas cruelle alors pourquoi voudrait-elle te faire du mal en t'obligeant à faire ce que tu ne veux pas ? Essaye d'y penser comme ça pour voir ce que ça donne, conseilla-t-il. En tout cas, pas étonnant que tes Innocences t'aiment autant si tu penses ainsi à elles.
- Hn, acquiesça-t-il faiblement.
- Red ? appela-t-il sans recevoir de réponse.
Il se retourna alors un peu précipitamment, rattrapant le jeune homme qui tombait et le tenant dans ses bras :
- Red ? appela-t-il avec inquiétude.
Mais l'adolescent avait perdu connaissance, sa fièvre de retour.
- Tu n'aurais vraiment pas dû sortir de ton lit, soupira-t-il.
Délicatement, il chargea Red sur son dos une fois encore, souriant en voyant Aol s'envoler avec la couverture entre ses dents pour la déposer sur les épaules de son maître. Il sortit ensuite avec lui, retrouvant une Fo inquiète mais souriante dehors. Bien sûr, de sa position de gardienne, elle avait pu les écouter.
- On avance on dirait, remarqua-t-elle. J'aime sa façon de voir l'Innocence.
- Moi aussi, répondit-il, même si ça n'a rien de scientifique. J'espère l'avoir aidé un peu, dit-il plus gravement.
- On verra bien. Il a besoin de repos pour avoir l'esprit clair de toute façon.
