Chapitre XLVII - L'Esprit
Après une éternité (sorry), voici la suite de Vingt-Huit.
Bonne lecture à tous.
On se retrouve après, attention aux secousses !
L'Esprit de Freya était noyé dans une masse lourde et obscure.
La première chose qu'elle vit était juste devant elle.
Et cette chose était devenue bien trop familière à son goût.
Le regard sombre et pénétrant de Lestrange.
Ses yeux noirs étaient immobiles, froids et fixes dans sa direction.
L'endroit où les deux jeunes femmes se trouvaient était plongé dans l'obscurité et la brume. Il faisait froid ici, et Freya s'était immédiatement mise à trembler.
En face d'elle, la sorcière à la robe pourpre ne remuait pas, si bien qu'elle ressemblait à un étrange et effrayant mannequin de cire. Et puis, alors que la Nott expirait un nuage tremblant et humide, les lèvres qui jusque là avaient été closes s'ouvrirent.
Le visage froid et impassible dicta sombrement :
- Votre frère est en danger.
Il y eut un moment de flottement, et puis, Freya finit par faire un pas hésitant dans la direction de Lestrange. Son soulier noir cogna contre ce qui ressemblait à un pavé humide, et alors qu'elle avait baissé ses yeux vers ses pieds, pour constater qu'elle marchait bel et bien sur un chemin de pierres disparates, l'atmosphère autour d'elle avait drastiquement changé.
L'ombre avait laissé place à une aveuglante lumière.
Une lumière pâle, blême et fanée.
Un soleil fort, mais vraisemblablement impuissant face au froid qui lui balayait le visage tout entier.
L'hiver était particulièrement rude.
Humide et saisissant.
La Nott tourna et se retourna encore, à la recherche de la silhouette anormalement rigide de Lestrange, mais elle avait disparu.
A la place de cela, elle découvrit un décor plutôt familier. La campagne anglaise, verdoyante, sinueuse et brumeuse. Une brise glacée lui amena un souffle d'air pur, et Merlin sait qu'elle en avait justement besoin.
Toute sa cage thoracique était engoncée dans un corset noir et étriqué, si bien que l'air peinait à rejoindre ses poumons. Sa longue robe noire, identique à celle que devait porter Tante Isadora, traînait sur les pavés souillés de boue givrée.
Non loin devant elle, se dressait un petit village, aux maisons biscornues de pierres grises, vraisemblablement anciennes et mal entretenues. Une maigre fumée s'échappait de quelques cheminées, démontrant que contrairement aux apparences, tout cela n'était pas un village fantôme. Pas du tout. Il y avait de la vie ici.
Ou du moins, il y avait eu.
Car n'était-ce pas là une autre vision ? Une bribe d'un passé que l'on pensait oublié ?
Ses pas s'actionnèrent comme ceux d'une marionnette, à la fois rigidifiés par le froid et hâtés par… cela, Freya n'en était pas sûre. Elle ressentait cette palpitation. Ce frémissement dans sa poitrine. Était-ce de l'anticipation ? De l'excitation ?
Non, ce n'était pas tout.
Il y avait le frisson de l'interdit.
Oui, l'interdit.
La Nott fit claquer le bas de sa robe contre les pavés si vite, que cela ressemblait à un claquement de fouet. Ses pas s'enchaînaient, et elle s'orienta sans peine dans les petites ruelles condensées de ce village dont elle ne connaissait pourtant même pas le nom.
Et puis, ses pieds se stoppèrent net.
Un gros boum dans sa poitrine la secoua.
Il était là.
Dragonneau.
Lui qui habituellement était si bien habillé, avec une élégance sobre mais pleine de modernité, était étrangement vêtu d'une tenue de campagnard. Son tablier écru était tout tâché, et il essuyait d'ailleurs ses larges mains dans ce dernier. Cet accoutrement un tantinet débraillé lui donnait un air de Norbert, et Freya trouvait même qu'il ressemblait d'autant plus à la mère Dragonneau ainsi.
Dès qu'il eut capté son regard à elle, le sien sembla s'embraser.
Un large sourire s'étendit sur son visage, et Freya ne put maîtriser ses pieds. Elle courut vers celui qui faisait battre la chamade à son coeur, et elle se jeta contre lui.
Il y avait de nouveau ce sentiment. Si profond.
Du bonheur, oui.
Mais l'interdit était toujours là.
Toujours.
La voix agaçante de Marcus la sortit de son sommeil étrange.
Mais même si elle était désormais éveillée, elle resta un instant là, sans bouger, le visage lourdement posé contre l'épaule de Dragonneau. Son parfum de menthe poivrée lui apporta un réconfort immédiat, et elle mit de côté ce sentiment si étrange ressenti lors de son songe.
- Donc elle… attend un enfant ?
- Cela fait trois fois que vous répétez cette question.
La voix de Dragonneau était légèrement agacée, et il ajouta avec un ton moqueur qu'il ne semblait adresser qu'à Marcus :
- Je vais finir par croire que vous ne savez pas ce que cela veut dire.
Elle n'eut pas besoin de regarder Marcus pour savoir qu'il rougissait malgré lui, sa voix dérailla vaguement :
- Oh, je sais bien ce que cela veut dire oui.
Son ton se durcit tout à coup et la gêne sembla se dissiper :
- Cela veut dire que c'est un enfant illégitime. Un enfant né hors-mariage.
Elle l'entendit s'asseoir lourdement et appuyer son dos contre le mur en bois. Sa voix, plus incertaine, ajouta avec ce qui ressemblait à du dégoût :
- Et avec un Moldu qui plus est.
Cette simple phrase ramena Freya aux douloureux sentiments de honte et de reproches qu'elle avait tant de fois éprouvés en écoutant son idiot de frère. Avant même qu'elle puisse se relever de son faux sommeil et lui dire quelque chose - n'importe quoi - la voix de Marcus revint.
- Vous ne dites rien ?
Son ton était tout autre.
Etrange et anxieux.
Elle l'imagina sans mal regarder Dragonneau avec une expression d'anticipation, ce qui ne lui ressemblait pourtant pas.
- Ce ne sont pas nos affaires.
La voix de Dragonneau fit vibrer le visage de Freya, encore à moitié appuyée sur son bras et son épaule. La réponse ne parut pas satisfaire Marcus, puisqu'elle l'entendit se redresser maladroitement, il retenta :
- Mais qu'est-ce que vous pensez de tout cela… vraiment ?
La tête de Dragonneau pivota dans la direction de son homologue et sa voix ne varia pas :
- Je viens de vous le dire, je n'en pense rien. Ce ne sont pas mes affaires.
Il y eut un léger moment de silence, pendant lequel Freya savait que les deux hommes se fixaient. Et puis, Marcus eut un soupir. Un soupir si lourd que la jeune femme l'imagina vider complètement ses poumons. Le Nott dicta avec une voix qui ne lui ressemblait pas :
- Je me dis parfois que le monde dans lequel nous vivons serait beaucoup plus simple si tout le monde pouvait penser de cette manière.
Cette phrase interpella Freya dans un soubresaut.
Elle était tellement surprise qu'il puisse dire une pareille chose, qu'elle avait tourné la tête vers lui pour le regarder. Ses yeux noirs étaient vissés vers l'horizon artificiel de la valise. Sa mâchoire était tout aussi serrée que l'étaient ses poings, et il avait tout à coup l'air vieux de 30 ans de plus. Il y avait quelque chose de sombre dans ses yeux.
Freya crut que Dragonneau l'avait sentie bouger, et qu'ils cesseraient donc leur discussion ; mais ce ne fut à priori pas le cas. S'il l'avait sentie remuer contre son épaule, il l'avait éclipsé de son esprit. Il fixait le Nott avec un regard d'apparence quelconque, mais Freya savait qu'il n'en était rien.
Etait-ce de la suspicion dans ses yeux gris ? La même qu'il avait eue contre son frère, et ce, depuis le début ? Ou était-ce plutôt une inquiétude sincère ?
La voix grave de Dragonneau souffla sarcastiquement :
- Vous avez de la fièvre, Nott ?
Un claquement de porte les fit sursauter tous les trois.
Le Professeur Dumbledore les regardait avec un air amusé.
Sans voix, les trois sorciers le toisèrent de haut en bas, comme s'il s'agissait d'une apparition de Merlin lui-même.
Dans un geste élégant, il balaya de son épaule un morceau de feuille mélangé à de la boue séchée et poussiéreuse. Il ne prit même pas la peine de les regarder à nouveau, tant il semblait absorbé par les quelques tâches de boues près de ses tibias, et commenta avec un ton quelconque :
- Penser, il faudra justement éviter de trop le faire devant Miss Goldstein.
- Dumbledore !
La voix de Dragonneau était pleine de rage, et il devait avoir oublié que Freya s'était endormie contre lui, car il s'était relevé en trombe, et la sorcière tomba lourdement sur le côté.
Ce ne fut que quand elle avait émis une petite plainte que l'Auror anglais sembla se souvenir qu'elle était là. Son visage s'empourpra très vite, avec une expression visiblement déchirée entre la colère qu'il éprouvait contre le Professeur et la subite honte d'avoir fait tomber la sorcière.
Il s'empressa de se pencher pour la relever.
La voix du Professeur continua dans son dos :
- Avant que vous n'émettiez votre opinion quant à ma promenade de cette nuit, j'aimerais vous signifier que nous ne devrions plus être très loin de votre frère désormais.
Il maintenait encore Freya par les épaules lorsqu'il articulait sombrement dans la direction de Dumbledore :
- Ce n'était pas responsable de partir comme cela, sans même nous prévenir.
Dumbledore lui adressa un regard des plus surpris, un peu trop surjoué peut-être :
- Oh, j'avais pourtant prévenu notre cher Marcus, n'est-ce pas, Marcus ?
Ce dernier n'eut pas le temps de répondre quoique ce soit, que Dumbledore posait une main sur son épaule :
- Vous êtes-vous d'ailleurs remis de votre blessure d'hier soir ? Vous semblez encore un peu pâle, mon ami.
Mais Marcus balaya la main du Professeur avec un hochement de tête absent.
- Ca ira, ça ira.
Maintenant sur ses deux pieds, les deux bras solidement croisés sur sa cage thoracique, Freya articula dans le nouveau silence qui venait de s'installer :
- Que vouliez-vous dire ?
Les yeux de Dumbledore pétillèrent dans sa direction, et elle précisa :
- Que vouliez-vous dire par rapport à Porpentina ?
- Oh, mais je ne parlais pas de cette Miss Goldstein-ci.
Il souriait mystérieusement et ajouta :
- Je parlais de sa soeur, Miss Queenie Goldstein.
Il croisa ses mains dans son dos et se mit à marcher lentement devant eux :
- Le message disait que Norbert et Miss Porpentina Goldstein étaient sur le point de retrouver Miss Queenie et Monsieur Kowalski. Ils seront certainement tous ensemble - peut-être même avec Croyance, du moins, je l'espère.
Freya ne put s'empêcher de rectifier :
- Eugène.
A côté d'elle, Marcus s'était rigidifié, comme une statue grisée par le ciel Londonien. Il était devenu tout à coup aussi blanc que les bandelettes qui dépassaient de sa chemise entrouverte. De ses tempes dévalaient de fines gouttelettes de sueur, et pendant un moment elle crut qu'il allait défaillir.
Inquiète, elle avait posé sa main sur le bras de son frère, et ils avaient échangé un long regard. Elle ne sut pas exactement ce qu'elle vit dans ses yeux, mais il semblait subitement mortifié.
Dumbledore continua sur un ton qui relevait de l'anecdote :
- Miss Goldstein est, disons, pour le moins sensible aux pensées d'autres individus.
Les deux Nott rompirent leur contact visuel pour faire glisser leurs yeux vers le Professeur.
Marcus, tout aussi penaud, demanda avec incertitude :
- C'est une Legilimens ?
A cela, le Professeur avait simplement hoché la tête.
Thésée, lui, avait fait un pas vers lui, et siffla avec une mâchoire serrée :
- Comme vous.
Il se contenta de sourire devant le visage contracté de colère de l'Auror, et acquiesça simplement :
- C'est juste.
Thésée marmonna des injures avant de reprendre avec des sourcils froncés :
- Miss Goldstein aurait dû nous prévenir que sa soeur-…
- Ne voulait-elle pas la protéger ?
Contre toute attente, c'était Marcus qui avait parlé.
Sa voix était morne et grave, très différente, comme s'il était subitement devenu quelqu'un d'autre, l'espace d'un instant. Même si Thésée parut tout aussi pris au dépourvu que Freya, il ne put s'empêcher de reprocher sévèrement :
- Ce sont des informations essentielles, et elle les a dissimulées au Ministère !
A cela, Marcus ne répondit rien et baissa les yeux, trouvant un soudain intérêt pour le bout de ses chaussures vernies qui avait été abîmées par la confrontation de la veille.
Un autre silence s'installa.
Plus long cette fois.
Freya avait sa main solidement accrochée au bras de son frère, et elle pouvait ressentir cette même rigidité se propager jusque dans ses poings toujours serrés. Ses blessures au ventre devaient lui faire mal, puisqu'il s'était légèrement penché en avant. Son visage était fermé, crispé. Et il parut si gris, si immobile, qu'on aurait dit une gargouille comme on en voit souvent perchées sur les façades des Eglises.
La voix de Thésée trancha le silence avec la même sévérité :
- Nous ne savons pas encore si nous pouvons lui faire confiance.
Ses yeux étaient orientés vers Dumbledore, qui continuait inlassablement de tourner en rond avec lenteur. Comme il n'avait aucune réaction Dragonneau haussa le ton :
- Elle a passé plusieurs mois en compagnie de Grindelwald et des autres, elle l'a rejoint volontairement.
Dumbledore laissa planer un autre petit instant de silence avant de sourire poliment dans la direction de Thésée :
- Je rêverais de pouvoir discuter plus amplement de tout cela avec vous, et avec une tasse d'Earl Grey fumante, mais j'ai bien peur que le temps ne nous soit compté.
Cette phrase et ce demi-sourire agacèrent énormément Thésée, mais il garda sa bouche fermement pincée en une ligne droite et rigide.
Finalement, le Professeur se stoppa net dans ses pas, sembla hésiter un moment et puis se tourna vers eux avec une expression énigmatique :
- Comme le fait si bien remarquer Thésée, nous ne savons pas encore quelle confiance nous pouvons accorder à cette Miss Queenie Goldstein.
Il conclut avec un hochement de tête :
- Notre discrétion est donc primordiale.
Ses yeux pétillèrent et oscillèrent entre Freya et Thésée :
- Vous êtes tous les deux très lisibles, et je suis bien placé pour le savoir.
Thésée sembla ravaler difficilement une réponse désagréable.
Et puis, Dumbledore montra le Nott de la main, et suggéra avec un autre sourire :
- Prenez donc exemple sur notre cher Marcus.
Le bras sur lequel était toujours accrochée Freya se tendit immédiatement.
Le teint blafard de son frère ne semblait pas s'améliorer, mais cette fois-ci, la jeune femme se figea elle aussi.
Elle dévisagea Marcus, puis Dumbledore, incertaine de comprendre ce que le Professeur venait de dire ; et visiblement, elle n'était pas la seule, puisque Thésée s'était vivement retourné vers le Nott. Ses yeux gris étaient animés d'une suspicion glaçante.
Marcus fixait encore ses chaussures lorsque Dumbledore tapotait son épaule tout en commentant :
- Il est parfaitement insondable, si bien que cela m'avait un peu surpris lors de nos premières rencontres…
Freya lâcha le bras de son frère, et sa main retomba mollement le long de son tronc.
Marcus était un Occlumens ?
L'intéressé était resté figé, alors que Dumbledore poursuivait :
- Je suis admiratif de votre maîtrise du sujet, un vrai talent si vous voulez mon avis.
Marcus laissa échapper un filet d'air tremblant et tenta vainement de masquer une grimace de malaise. Dumbledore semblait parfaitement insensible à tout cela, puisqu'il lui demanda avec un autre sourire :
- Depuis combien de temps vous entraînez-vous, si ce n'est pas indiscret ?
Cette fois, Marcus sortit de sa torpeur, pour jeter un vague coup d'oeil nerveux dans la direction de sa soeur, comme s'il essayait d'évaluer quelque chose. Il finit par marmonner entre ses dents :
- Poudlard.
- Oh, vraiment ?
Lorsqu'il eut complètement relevé la tête, il sembla ne pas manquer le regard insistant et suspicieux que Dragonneau lui lançait.
- Je vous laisse donner quelques conseils à votre soeur et votre ami sur le chemin qui nous mènera à Norbert.
Dumbledore ne semblait pas attendre de réponse, puisqu'il se dirigeait déjà vers les escaliers de la valise.
Et sans se lâcher des yeux, les deux Aurors rectifièrent en choeur :
- Ce n'est pas mon ami.
- C'est un collègue.
L'air humide assomma Freya dès lors qu'elle mit un pied en dehors de la vielle valise. La moiteur de la jungle était telle que sa main glissa presque de celle de Marcus alors qu'elle l'aidait à se stabiliser sur le sol boueux.
Le Nott était blafard, et il avait semblerait-il changé son ridicule costume blanc d'égyptologue pour un costume en lin bleu clair, pas plus adapté pour l'environnement tropical que le premier. La couleur fade du tissu reflétait d'autant plus son teint gris, et Freya se demanda même s'il ne valait mieux pas qu'il reste dans la valise, le temps de finir leur trajet jusque Norbert et les autres.
Mais visiblement, personne d'autre ne semblait se poser cette question, et Marcus lui-même n'avait articulé aucune objection.
Quelques pas à sa droite, Dumbledore retroussait ses manches de chemise tout en lançant un regard amusé dans la direction d'un des Niffleurs de Norbert, vraisemblablement très excité de retrouver son compagnon sorcier. Son museau était déjà collé aux feuilles et à la boue qui jonchaient le sol de la forêt tropicale, et très vite, il se mit à avancer, s'enfonçant rapidement dans les larges feuilles vertes et les lianes alambiquées.
Les trois sorciers ne tardèrent pas à quitter la clairière eux aussi, bien trop déterminés à ne pas perdre la créature de vue dans une végétation si dense.
Dumbledore était en tête, et ses pas rapides contrastaient vivement avec les mains enfoncées dans ses deux poches, qui lui donnaient un air totalement décontracté. S'il ne marchait pas si vite, on aurait pu croire qu'il était un bien étrange touriste.
A sa gauche, les pas de Thésée étaient quant à eux plutôt lents, et Freya savait pertinemment qu'il s'efforçait à restreindre ses grandes enjambées habituelles afin de rester à ses côtés.
Alors qu'il repoussait une énième grande feuille de Monstera utilisant la vielle valise comme s'il s'agissait d'un bouclier, ses yeux gris s'échouèrent derrière eux. La silhouette maladroite de Marcus semblait lutter alors qu'elle tentait de se faufiler à travers un rideau de lianes épaisses.
Freya ne manqua pas le froncement de sourcils de l'Auror, et il dût sentir son regard vers lui car il le lui rendit un vague instant. Sa bouche remua avec ce qui ressemblait à de l'amertume.
- Vous saviez ?
Sa voix grave l'avait presque fait sursauter.
Instinctivement, elle regarda en arrière et vit son frère trébucher sur une grosse racine noire alors qu'il tentait de remettre en place les quelques bandelettes qui dépassaient grossièrement de sa boutonnière. Le regard gris de Thésée envers son homologue se mut momentanément en perplexité.
La voix de la Nott la quitta avant même qu'elle puisse vraiment y penser :
- Non.
Les yeux gris revinrent vers elle et elle dût redoubler d'effort pour l'admettre.
- Non, je l'ignorais.
Marcus maîtrisait l'Occlumancie.
C'était bien une chose qu'elle n'aurait jamais pu deviner.
Elle eut un mauvais pressentiment qui enserra sa cage thoracique, la faisant presque suffoquer.
Et puis, la subite attention froide et quasi-permanente qu'adressait désormais Thésée à son frère l'horripilait si fort, qu'elle ne put se retenir.
- Arrêtez donc avec ce regard.
Instinctivement, Freya lui avait donné une petite tape au niveau du plexus, et le regard gris avait immédiatement dérivé vers elle.
La sorcière l'accusa à voix basse :
- Vous le soupçonnez à nouveau. Comme à Bruxelles.
Il parut plus surpris par la petite tape qu'il avait reçu que désolé.
Sa bouche eut du mal à se décontracter de sa ligne droite et rigide :
- Je vous le disais à Caxambu, il y a quelque chose qui me dérange et je ne peux pas m'en empêcher.
Ses yeux soupçonneux dévièrent à nouveau vers le Nott derrière eux qui venait de glisser gauchement sur un tas de mousse.
- Il est louche, avait articulé Thésée sans même remuer ses lèvres.
Freya le suspecta d'avoir voulu utiliser un autre adjectif, encore moins glorieux, pour décrire son aîné. Elle s'agaça et rectifia avec un ton acide :
- Il est blessé.
Mais son agacement s'évapora assez vite, et le doute s'installa.
Il avait déjà été là auparavant, même si cela, elle ne l'admettrait jamais complètement à Thésée. Sentant le regard gris à nouveau braqué dans sa direction, la jeune femme ajouta rapidement :
- Et encore un peu faible.
A ces mots, Thésée souffla sarcastiquement et Freya se stoppa net dans ses pas pour le regarder. Il énonça durement :
- Et vous lui trouvez beaucoup trop d'excuses.
Après un dernier regard vers l'aîné des Nott, il reprit ses pas sur le sol boueux de la jungle et la laissa là. Elle le regarda s'éloigner, emboîtant le pas à Dumbledore qui admirait les hautes cimes des arbres avec un large sourire qui contrastait encore une fois tout à fait avec le contexte boueux de leur expédition.
Marcus arriva à son niveau, un peu essoufflé, mais il semblait avoir repris un peu de couleurs au niveau de ses joues. Elle l'interpella :
- Marcus.
Il la toisa avec surprise, comme si il avait été tant plongé dans ses pensées qu'il en avait oublié qu'elle était là. Freya lui demanda en proposant son bras :
- Tu as besoin d'aide ?
- Non, merci, ça ira.
Sa voix était si faible qu'elle ne l'eut presque pas entendue. Il avait décliné son offre avec un vague mouvement de la main. Freya sentit ses sourcils se resserrer sur son front, et elle insista en posant ses doigts sur l'avant-bras de son aîné.
- Tu es sûr ? Tu n'as pas l'air-…
- Ça ira.
Marcus avait repoussé sa main comme si elle avait été une patiente atteinte de la Dragoncelle. Quant à sa voix, jusqu'alors si frêle et déraillante, elle avait été si sèche que sa soeur en avait tressauté.
Il parut bien conscient de la surprise qu'il venait de lui infliger, et son expression et son ton changèrent du tout au tout. Il se radoucit en balbutiant :
- Ça ira, Freya.
Et puis, il ajouta comme s'il ne parvenait pas à se convaincre lui-même :
- Tout ira bien.
Ils marchèrent encore pendant deux heures supplémentaires, avançant difficilement dans cette partie où la jungle se faisait de plus en plus abondante et tassée.
Freya commençait sérieusement à fatiguer, et elle n'osa pas imaginer ce que Marcus devait ressentir avec sa blessure à l'abdomen. Mais son frère ne s'était pas manifesté, et même s'il était à la traîne quelques mètres derrière eux, il ne tarda pas à s'arrêter à leurs côtés.
Les deux mains posées sur ses hanches, plié en avant et à bout de souffle, il parvint à haleter :
- Pourquoi nous arrêtons-nous ?
Freya ne put lui répondre, car elle ne connaissait pas non plus la raison de leur arrêt soudain.
Juste devant elle, Dumbledore s'était retourné, et leur adressait un autre de ses sourires mystérieux.
- Car nous sommes arrivés.
Le Niffleur s'était effectivement stoppé net, au pied d'un tronc recouvert d'une épaisse mousse verte.
Marcus ne put visiblement pas retenir une grimace d'incompréhension, et avec un air un peu gauche, se tourna à gauche puis à droite, observant la dense forêt verte qui les entourait. Et puis, Dumbledore leur fit un signe de la main vers le haut.
- C'est au-dessus qu'il faudrait plutôt regarder.
Effectivement, la petite créature remuait sa truffe en direction du ciel, et ses pattes avant grattaient la mousse qui recouvrait l'écorce de ce gigantesque arbre.
Freya mit par ailleurs longtemps à faire monter son regard le long de ce tronc, si bien qu'elle se demanda si ce n'était pas la première fois qu'elle voyait un arbre aussi immense.
Tout le monde l'imita, et même Thésée se retrouva avec la tête complètement renversée en arrière. Et il ne parut pas spécialement ravi en apercevant finalement ce que la créature regardait depuis tout ce temps.
Les yeux bleus de Freya s'écarquillèrent avec fascination. Il y avait plusieurs arbres géants autour d'eux, transperçant cette épaisse jungle tropicale. Leurs impressionnantes et hautes cimes étaient reliées par de fines passerelles de bois, de gracieux ponts suspendus qui se balançaient légèrement avec le vent.
Des oiseaux de paradis, suspendus sur les délicates rambardes de cordes envahies de lierre et de lianes, les regardaient en retour avant de s'envoler plus haut encore.
A chaque extrémité de ces ponts, se trouvaient des cabanes de bois sombre. Rondes, et construites autour des larges troncs, si bien qu'on aurait dit qu'elles étaient agrippées à l'arbre.
Mais tout semblait vide.
Abandonné.
Et la Nature semblait déjà avoir repris ses droits à certains emplacements de cette bien étrange toile de cabanes perchées. Certaines huttes étaient totalement recouvertes de mousse, d'autres empêtrées dans un enchevêtrement infini de lianes et de feuilles.
Ce décor était particulièrement saisissant, et la jeune Nott se rendit compte qu'elle regardait tout cela avec sa bouche ouverte, chose pour laquelle son père l'aurait très certainement sermonnée si elle avait été à Londres.
La voix de Marcus la ramena sur la terre ferme :
- Quoi… c'est là-haut ?
Il paraissait particulièrement perplexe, ou couard.
Ou les deux.
Et il venait à peine de prononcer sa question que le Niffleur planta ses griffes dans la mousse et se mit à courir le long de l'immense tronc, comme pour accourir vers le Magizoologiste qui serait perché quelque part là-haut.
Dumbledore regarda la créature faire avec ce qui ressemblait à de l'amusement et il commenta le plus simplement du monde :
- On dirait bien que oui.
Il se tourna un peu vers Marcus, sans même quitter la cime des arbres des yeux.
- Vous sentez-vous capable de transplaner ?
Marcus avait retiré la main de son abdomen, et même si Freya suspectait que sa blessure le faisait encore souffrir, il acquiesça platement :
- Oui.
- Allons-y, dans ce cas.
Dumbledore avait tendu son bras à Marcus, et en une fraction de seconde, ils transplanèrent, leurs silhouettes se distordant dans l'air humide et tropical.
Freya se tourna, incertaine, dans la direction de Thésée, et le vit ravaler une nouvelle expression acide. Ses yeux gris retombèrent vers elle, et en silence, lui tendit sa grande paume de main. Elle glissa la sienne sur sa peau, et s'y agrippa fermement.
Ils transplanèrent.
Et après une distorsion sans difficulté, ils se retrouvèrent sur une plateforme de bois aux lattes grinçantes et irrégulières.
Quelques pas devant eux, Marcus et Dumbledore étaient déjà en train de franchir une passerelle. elle semblait si fragile sous leurs silhouettes, et se balançait déjà de gauche à droite, en craquant et crissant.
Freya regarda le pont suspendu avec appréhension, et mit un premier pied sur une des planches du pont. Le bois était si humide, et recouvert de mousse, qu'elle faillit glisser en arrière.
Son coeur en avait loupé un battement, et en prenant garde à ne pas regarder vers le bas, vers le vide sous ses pieds, elle fit de premiers pas cautionneux. Sa main était si solidement accrochée à la corde détrempée qu'elle en eut une crampe très rapidement.
La passerelle tanguait sous ses pieds, et bientôt ses jambes se mirent à trembler elles aussi. Elle eut la sensation de faire partie d'un cirque, et de faire un numéro d'équilibriste morbide. Elle se dit même que si elle parvenait à traverser ce maudit pont, elle pourrait sans mal rejoindre le très connu Cirque Arcanus.
Elle hurla alors qu'une latte de bois avait cédé sous son pied, la faisant glisser subitement vers le vide.
Deux mains lui serrèrent la taille, et la relevèrent alors que son coeur lui, avait définitivement chuté sa cage thoracique.
Le pont tangua d'autant plus, et elle s'accrocha si fort aux bras de Thésée qui l'entouraient qu'elle était sûre de l'avoir griffé. Son souffle ne revenait pas, et elle dût fermer les yeux pour pouvoir retrouver ses esprits.
- Ça va, Nott ?
La voix de Thésée avait vibré dans son dos, et elle n'eut pas la force, ni la concentration nécessaire, de lui répondre quoique ce soit tant elle était secouée.
Au loin, Dumbledore et Marcus s'étaient retournés et les regardaient, très certainement surpris eux aussi d'avoir entendu son cri et ses nombreux échos.
Freya collecta le peu de fierté qui lui restait et se redressa lentement, remarquant au passage à quel point elle avait été avachie, voire blottie contre Thésée. Son regard gris était impossible à soutenir, et elle baragouina un timide :
- Merci.
- Faites attention où vous mettez les pieds.
Elle aurait voulu lui rétorquer une remarque sarcastique devant ce bon conseil, mais n'en eut pas la force. Et puis, une des mains de Thésée était restée fermement appuyée sur sa taille, lui apportant un réconfort et un regain d'assurance sans nom. Elle oublia tout de sa remarque amère, et se remit à avancer.
Ils traversèrent ainsi quatre ou cinq passerelles, plus ou moins longues, plus ou moins recouvertes de mousse. Et Freya avait retrouvé son émerveillement. Ce réseau de huttes de bois, construites autour et dans ces immenses troncs était fascinant. Elle se demanda quelles étaient ces constructions. Un village ? Mais pourquoi diable étaient-ils si cachés dans les hauteurs ?
Des voix étouffés et de faibles échos s'élevèrent tout à coup, brisant le silence qui s'était installé entre les sorciers. Tous se stoppèrent net, figés dans leurs pas et leurs postures.
Le Niffleur avait fait de même, et, sans crier gare, se mit à détaler dans la direction de la cabane perchée suivante. Ils étaient là.
Ils étaient là.
Etrangement, le premier à courir fut Marcus.
Sa baguette à la main, l'autre, plaquée contre son abdomen blessé.
Thésée ne tarda pas à lui emboiter le pas, lâchant définitivement la hanche de la Nott qui se hâta à son tour. Le seul qui ne courrait pas, Dumbledore, avait encore ses mains dans ses poches, et fixait la hutte de bois avec un scintillement dans ses yeux.
Ils débarquèrent dans une situation des plus étranges.
Queenie, blonde et aussi rayonnante que sur les photos que Freya avait pu voir d'elle, maintenait Norbert par son col de chemise, et pointait sa baguette contre sa poitrine.
Le Magizoologiste, lui, paraissait plus inconfortable que paniqué, mais ses yeux noisettes s'étaient écarquillés en les voyant arriver.
Queenie paraissait exténuée, son ventre rond dépassait largement de la silhouette longiligne de Norbert, et devant cette bien étrange prise d'otage, se trouvait Porpentina, en train de déposer sa baguette contre le sol tordu de la hutte biscornue.
La voix de l'américaine sonna en écho :
- Queenie, écoute-moi…
Alors que Porpentina essayait de raisonner sa jeune soeur, cette dernière avait brusquement fixé son regard dans la direction de Freya, puis Marcus, Thésée, et enfin Dumbledore qui venait de passer la porte avec une attitude on ne peut plus calme.
Il y eut un silence étrange.
Et puis, l'Auror américaine aperçut les quatre sorciers à son tour, et en particulier Thésée, et se mit à soupirer avec agacement :
- Oh, dites-moi que ce n'est pas vrai.
Thésée s'avança avec un grand pas et lui rendit son sarcasme après un regard perplexe dans la direction de son frère :
- Vous m'ôtez les mots de la bouche.
Sans tarder, il tendit sa baguette dans la direction de Queenie qui maintenait toujours le Magizoologiste avec une baguette au niveau de son coeur. Porpentina, absolument choquée par ce geste, s'était jeté sur lui, comme pour l'empêcher de jeter un quelconque sort.
Derrière cette scène mouvementée et incongrue, Freya remarqua avec soulagement la silhouette rondouillarde de Jacob. Elle allait sourire de toutes ses dents, mais remarqua son comportement étrange.
Le Moldu était là, dans un coin, mais avait l'air complètement perdu… voire ivre. Il avait un sourire benêt et regardait avec attention un papillon enchanté, qui volait à proximité de la fenêtre au verre brisé. Il ne faisait aucun doute qu'il avait été ensorcelé, et qu'il n'était en aucun cas conscient du contexte plus que particulier qui l'entourait.
Ce fut la voix de Porpentina qui ramena Freya à ce même contexte :
- Pour l'Amour de Merlin, ne vous mêlez pas de ça.
A côté d'elle, Marcus était essoufflé et blême, son regard noir inspectait l'entièreté de la petite hutte, à la recherche de quelque chose. Ou de quelqu'un.
Etait-ce Eugène qu'il recherchait ainsi ?
Freya nota que malheureusement il n'était pas là avec eux.
La voix de Thésée s'agaça :
- Mon frère est en otage, bien sûr que je vais m'en mêler.
Queenie articula pour la première fois dans une voix fluette :
- Ne bougez pas.
Elle resserra son emprise sur le col de Norbert, et ce dernier s'étouffa presque avec son noeud papillon bleu nuit. Elle prévint Thésée avec un ton méfiant et menaçant :
- N'y pensez même pas.
Norbert bafouilla entre deux inspirations tremblotantes :
- Je vous l'ai dit, Queenie, nous sommes du même côté.
Elle allait rétorquer quelque chose, mais Norbert continuait :
- Queenie, la seule chose que Grindelwald voulait, c'était votre enfant.
La voix de la sorcière trembla :
- Ne soyez pas ridicule, vous ne pensez tout de même pas que je croirais un seul instant que-…
- Croyance est mourant, avait résonné une nouvelle voix.
Dumbledore s'était déplacé près de la fenêtre, avec des pas silencieux, et ses mains dans ses poches.
Dans un geste détaché, et alors que Queenie le suivait du regard avec des yeux écarquillés de confusion, il posa sa veste sur le dossier d'une chaise dont l'assise avait été grossièrement éventrée.
Lentement, et alors qu'il s'appuyait contre la paroi en bois de la cabane, il lui dit :
- Mais ça, vous le savez déjà.
La confusion était telle chez la sorcière blonde que ses yeux étaient tout à coup devenus rouges et brillants. Sa voix féminine et fluette trembla :
- Qui êtes-vous ?
Mais le Professeur ne prit pas la peine de répondre à sa question. Il avait croisé ses bras sur son veston gris, et avait simplement poursuivi son raisonnement :
- Vous avez fini par comprendre que Grindelwald avait autre chose en tête… n'est-ce pas pourquoi vous avez fui avec Croyance il y a quelques mois ?
Ses yeux pétillants avaient rapidement dérivés vers le Moldu hagard non loin de lui, et il ajouta sans peine :
- Et pourquoi vous avez fui à nouveau, cette fois-ci avec Monsieur Kowalski.
Le visage de Queenie devint froid, et sa voix trembla plus fort cette fois :
- Qui êtes-vous ?
Comme Dumbledore ne répondait pas, et qu'ils se fixaient l'un l'autre dans un apparent silence, Norbert se sentit obligé de faire les présentations. D'un geste maladroit, il désigna le Professeur de sa main et bredouilla avec maladresse :
- Queenie, je vous présente le Professeur Dumbledore. Il enseigne à Poudlard.
Le Professeur lui adressa un sourire malicieux, et lui fit un petit geste de la tête courtois en guise de salutations ; s'ils n'avaient pas été dans une situation aussi précaire et étrange, Freya aurait très certainement souri elle aussi.
Seulement, les soudains pas que Thésée fit à cet instant leur rappela à tous le contexte dangereux de cette rencontre. La jeune Goldstein avait soudainement remonté sa baguette contre la gorge du Magizoologiste, tout en hurlant :
- Reculez !
- Queenie !
C'était Porpentina qui l'avait interpellée, attrapant par la même occasion l'Auror Anglais par le bras pour le tirer en arrière. Ce dernier l'avait fusillée du regard, et elle lui avait rendu des yeux noirs assassins.
La tension grimpa d'un cran, et Norbert s'était senti obligé de lever ses deux mains vers le ciel, en signe désespéré de reddition.
Il balbutia difficilement :
- Le-… Le Professeur a raison, Queenie.
Il détailla alors que le bois de la baguette tremblait contre sa gorge :
- L'Obscurus peut… mes recherches montrent qu'il peut intégrer un autre hôte.
Le regard de Queenie passa de la furie à l'horreur.
Norbert savait qu'il n'avait pas besoin de dire tout cela à voix haute, mais il poursuivit pourtant :
- La chose qui est en train de détruire Croyance. Cette chose pourrait, sous certaines conditions, intégrer quelqu'un d'autre. Un autre corps.
Des larmes de dégoût et d'épouvante dévalèrent les joues écarlates de la sorcière, comme le feraient les flots d'une cascade tropicale. La sentant très certainement fragilisée, Dumbledore s'était avancé cautionneusement et il appuya avec un air grave :
- Grindelwald voulait essayer cela avec votre enfant, Queenie.
Il s'était tant approché d'eux, qu'il n'eut qu'à tendre son bras pour poser sa main sur l'épaule de la sorcière, dans un geste qu'il voulait réconfortant. Son regard avait perdu de sa malice, et il articula avec un air sombre :
- Il voulait juste un cobaye pour son expérience macabre.
Queenie le toisa comme s'il était un aliéné.
Elle bégaya entre deux pleurs qu'elle avait réussi à taire :
- Vous avez perdu l'esprit.
Et puis, elle se mit à secouer la tête, mais il était évident que la négation s'était très vite mue un déni. Elle se mit à pleurer :
- Jamais… non, jamais…
Et puis, sa poigne sur le col de Norbert se fit lâche, comme celle autour de sa baguette, dont la pointe glissait lentement de la gorge du sorcier vers sa poitrine.
Queenie, elle, se mit à sangloter plus fort :
- Oh…
Porpentina parut émue, elle aussi, et elle s'approcha avec ses mains tendues vers l'avant, vers sa jeune soeur. Elle l'implora :
- Queenie, je t'en prie.
Queenie lui lança un regard mouillé, et son aînée répéta encore :
- Queenie, je suis là.
Pour une raison qui lui échappait, Freya se mit à penser très fort à Eugène. Son visage gris et sombre lui revint à l'esprit comme une gifle.
Ressentirait-elle cette même émotion lorsqu'elle le retrouverait enfin ? Lorsqu'elle lui expliquerait qu'ils sont cousins ? Que sa famille est venue le chercher ?
Ces pensées durent atteindre et toucher Queenie puisqu'elle se mit à pleurer d'autant plus, ses yeux larmoyants dirigés droit vers la jeune Nott.
Elle balbutia avec le même émoi :
- C'est tout ce qu'il espérait.
Son air attendri disparut subitement pour laisser place à des larmes de regret.
Elle expliqua avec un tremblement dans sa voix fluette :
- C'est tout ce que Grindelwald lui a fait miroiter.
Les mots s'écrasèrent avec violence contre Freya :
- Une famille qu'il n'avait pas.
A côté d'elle, elle avait senti Marcus se rigidifier à nouveau, mais elle ne lui porta pas plus d'attention, son regard étant fixé dans la direction de la sorcière blonde :
- Mais il a fini par comprendre que tout cela n'était qu'un mensonge. Que Grindelwald ne voulait que l'utiliser.
Son émoi revint, et elle déclara, secouée par un sanglot :
- Ça l'a blessé vous savez.
Sa voix était devenue un souffle, un soupir regrettant.
- Il commençait à le voir comme un gardien, un Père.
Elle ajouta avec un regard ému dans la direction de sa soeur :
- Comme moi.
Elle eut un court rire sarcastique, trempé de larmes qui ne cessaient décidément pas de dégouliner le long de ses joues.
- Je pensais qu'il pouvait m'offrir un monde, et une famille, qui n'existaient pas.
Elle lâcha définitivement Norbert, et sa baguette glissa même en dehors de ses doigts. Et pourtant, malgré cela, personne n'osa vraiment bouger. Elle continua avec un regard planté dans le vide :
- Nous avons fui tous les deux.
Et puis, ses yeux mouillés glissèrent vers le Moldu, encore hébété devant la fenêtre brisée.
- Mais Grindelwald… Il avait Jacob. Il savait que je reviendrai pour lui.
Elle serra ses bras autour de son ventre arrondi, et se lamenta avec d'autres pleurs qui lui déformaient la voix :
- Et Croyance… il s'est sacrifié pour que je puisse fuir. Fuir en emportant Jacob avec moi.
Ses yeux remontèrent vers Freya, suppliants et désespérés.
- Il faut le sortir de là.
Et puis, alors que ses yeux roulaient déjà vers l'arrière de ses paupières, elle tenta :
- Il faut…
Mais sa phrase se termina dans un silence, et Norbert eut à peine le temps de la rattraper avant qu'elle ne tombe contre le sol irrégulier de la hutte. Il l'avait saisie plutôt gauchement d'ailleurs, si bien que son frère l'avait très rapidement rejoint pour soutenir la femme au ventre arrondi.
Porpentina, elle, avait réagi au ralenti, comme si le choc l'avait vissée au plancher.
Elle finit par se précipiter vers sa jeune soeur en hurlant son nom avec une panique que Freya n'avait jamais vu chez elle auparavant.
- Queenie !
Elle s'écroula à ses côtés, alors que Norbert et Thésée tentaient de la déposer le plus délicatement possible sur les lattes de bois tordues. Dumbledore, lui, s'était juste éloigné, laissant sa place à l'Auror américaine qui s'était mise à pleurer en encerclant le visage blême de sa soeur avec ses mains.
Elle lui murmurait :
- Queenie, c'est fini maintenant.
Cette dernière avait entrouvert des yeux mouillés et confus alors que Porpentina continuait :
- C'est fini, je t'ai retrouvée. Je suis là.
Sa voix devint un souffle plein d'émoi, que l'on pouvait à peine distinguer. Derrière le petit groupe, Dumbledore s'affairait à transfigurer une large branche d'arbre mort en un matelas de fortune. Et alors que les frères Dragonneau la déposaient sur la paillasse fraîchement ensorcelée, Porpentina lui caressait le visage avec des paroles tendres :
- Je suis là, et je suis désolée, oh Queenie, si tu savais…
Une fois bien installée, ils laissèrent Porpentina parler avec sa soeur, et sortirent tous discrètement de la hutte biscornue. Dumbledore, s'en allait déjà sans un mot, les deux mains dans les poches, en direction d'une autre cabane, subitement pensif.
Freya le regarda faire un court instant, mais la silhouette sombre et rigide de Marcus l'interpella. Elle vit son costume bleu ciel aller dans une direction totalement opposée, seul, les épaules si basses et tombantes qu'on aurait dit qu'elles avaient porté le monde tout entier.
Et Freya resta là.
Impuissante et perdue devant son étrange comportement.
N'avait-il pas l'air tout à coup tourmenté par quelque chose ?
Du coin de l'oeil, elle voyait que Thésée le regardait lui aussi.
Quelques heures plus tard, c'était le coucher du soleil que Freya regardait par la fenêtre brisée de la hutte. Le ciel, découpé par les silhouettes grisées des hauts arbres, revêtait un orangé pâle qui se dégradait vers un bleu similaire à celui du costume de Marcus.
Marcus, cela faisait quelques heures qu'elle ne l'avait pas croisé justement.
La jeune Nott se tourna vers les deux soeurs Goldstein, inséparables depuis leurs retrouvailles, et Jacob, qui semblait reprendre progressivement ses esprits, groggy et avachi contre le matelas ensorcelé.
Sans s'en rendre compte, elle devait fixer les deux soeurs, puisque Queenie l'interpella timidement :
- Freya, c'est cela ?
Un peu prise au dépourvu, la Nott hocha la tête et bafouilla :
- Oui.
Elle lui fit un petit signe de la main pour qu'elle s'approche.
- Venez.
Mais une fois près de la paillasse, Queenie ne dit plus rien pendant un long moment, si bien que Freya se tenait là un peu maladroitement, incertaine de ce qu'elle pouvait bien faire ou dire.
Les yeux de Queenie étaient rivés vers la fenêtre, où l'orangé commençait à lentement s'empourprer. Et puis, elle articula avec un air lointain :
- Votre frère, il…
Sa voix était brumeuse et maussade..
- Il cache des choses.
Le coeur de Freya retomba au fin fond de sa cage thoracique, et elle crut devoir s'asseoir.
- Des choses sombres.
Les yeux de la sorcière blonde glissèrent vers elle, et elle expliqua :
- Il a beau masquer son esprit, sa souffrance m'interpelle et me pique.
Dumbledore, qui avait été juste à côté d'eux, ne disait rien. Au lieu de cela, il se tourna vers la commode tordue, et versa l'eau d'un vieux pichet dans une tasse cuivrée et cabossée.
Queenie l'observait intensément, et Freya se demanda si elle pouvait lire en Dumbledore, aussi bien qu'en elle ou en Thésée.
Pour seule réponse, la sorcière lui adressa un sourire triste et faible, et ses yeux retombèrent vers Jacob, qui s'était mis à hoqueter.
Alors que Dumbledore buvait ses larges gorgées d'eau, Freya s'approcha de lui, se collant presque à la commode de bois ancien, manquant de tomber tant ses jambes s'étaient mises à flageoler.
C'était un mauvais pressentiment qui naissait en elle.
Elle ne le reconnaissait que trop bien.
Et puis, elle fut soudainement prise d'une nausée immense, et de suées glaciales malgré la chaleur humide de la Jungle et l'air étouffant de la cabane.
Dumbledore lui tendit un verre d'eau ébréché, qu'elle accepta sans la moindre courtoisie, en lui arrachant presque le récipient d'une main tremblante. Elle but la totalité du verre d'un seul trait, sous le regard pensif du Professeur.
Sur la commode, la main de Freya se stoppa net à coté des verres et récipients abimés. Il y avait là un parchemin abîmé, comme s'il eut été plié maintes et mainte fois, voire dissimulé. Elle agrippa le papier aussi vite qu'elle avait attrapé le verre d'eau, et le ramena à ses yeux.
C'était une brochure.
Une nouvelle et maudite Brochure.
La voix de Dumbledore commenta dans un chuchotement à peine perceptible :
- Miss Goldstein n'a pas fait que ramener Monsieur Kowalski des griffes de Grindelwald… elle a également ramené ceci.
La Nott bredouilla avec des yeux plissés :
- C'est…
Elle reconnut l'endroit dépeint par l'illustration qui s'animait.
Elle le reconnut de suite.
Il s'agissait sans nul doute du chantier au sommet de la montagne qu'ils voyaient depuis la Mansion Lage. La Grande Statue du Christ Rédempteur en construction par les Moldus locaux.
Elle frissonna en apercevant la date inscrite dans le bas du parchemin. Le 30 Avril 1928, n'était-ce pas également la date de la grande Eclipse Solaire ? Et aussi, n'était-ce pas dans quelques jours à peine ?
Elle dut rester un long moment figée au-dessus de cette Brochure, puisque Dumbledore finit par le lui retirer des mains.
- Vous êtes livide.
Sans plus de commentaire, Dumbledore lui tendit une nouvelle tasse cuivrée cabossée remplie d'eau qu'elle accepta une nouvelle fois sans broncher.
Elle allait évoquer la Brochure, mais il parla avant elle avec un ton résolu :
- Vous devez accepter la vérité qui se présente à vous, Freya.
Elle ne comprit pas et entre deux gorgées d'eau, demanda grossièrement :
- Quoi ?
Dumbledore eut un regard inexplicable, indescriptible.
- Votre corps souffre.
Freya dût poser la tasse cuivrée, car elle menaçait de lui échapper des mains.
- Et il continuera à souffrir parce que vous avez gardé ce secret enfoui au fond de vous bien trop longtemps.
Le Professeur posa sa main sur son épaule, comme il l'avait fait à Queenie quelques heures plus tôt. Sa voix continua bassement :
- Vous savez la vérité. Mais vous refusez de le voir.
Freya, un peu confuse, se retira brusquement de son emprise, bien qu'elle savait qu'il ne s'agissait pas de quelqu'un de dangereux. Elle ressentit cette immense et terrible détresse. D'un seul coup.
Son coeur s'affola dans sa poitrine, et elle baragouina :
- Je regrette, je ne comprends pas.
Mais Dumbledore insista :
- Je vous l'ai déjà dit.
Son regard s'attendrit dans une expression attristée :
- Il n'y a pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir.
Alors qu'elle allait s'extirper de cette situation, en prenant ses jambes à son cou, tellement qu'elle se sentit mal à l'aise, Dumbledore la rattrapa par le bras.
Il l'intima :
- Vous devez ouvrir cette porte.
A présent, Freya le toisait comme s'il était complètement devenu fou :
- Quelle porte ?
Et comme il ne répondait pas, et que son malaise grandissait, elle finit par se défaire complètement de son étau. Dumbledore la fixait, et bientôt, elle se rendit compte que Queenie faisait de même, avec une expression similaire, pleine de mélancolie et d'apitoiement.
Elle crut devoir complètement s'enfuir de la hutte, mais la voix de Porpentina, visiblement hermétique à tout cet échange, demanda curieusement :
- Où sont votre frère et Monsieur Dragonneau ?
Elle saisit l'opportunité de fuir cette atmosphère étrangement pesante, et siffla entre deux souffles défaits :
- Je vais les chercher.
Elle sortit en trombe de la cabane.
Le coucher de soleil était désormais rouge vif.
Rouge sang.
Cela faisait déjà quelques longues minutes que Freya marchait avec difficulté sur les passerelles boisées, à la recherche des deux sorciers, et aussi de son souffle.
« Vous devez ouvrir cette porte »
Au nom de Merlin, de quoi Dumbledore pouvait-il bien parler ?
Cette simple phrase la tourmentait tellement qu'elle en était devenue complètement étourdie.
Et puis, à la voix du Professeur se mêlèrent rapidement deux autres voix graves, transportées par le vent.
Marcus et Thésée se tenaient un peu plus loin, au beau milieu d'un pont suspendu bringuebalant.
Leurs postures étaient rigides, leurs visages fermés.
Le vent emporta la voix grave de Thésée jusqu'à la Nott :
- Qu'est-ce que vous manigancez ?
Marcus, blême et sombre, avait juste répondu :
- Rien qui vous concerne.
Thésée s'agaça :
- Ne me prenez pas pour un idiot, vous-…
- Rien qui vous concerne.
La voix de Marcus avait été si forte tout à coup que même Freya avait tressauté.
Son mauvais pressentiment s'accrut dans sa poitrine, et elle laissa ses jambes flageolantes la mener vers les deux sorciers comme par automatisme.
Son aîné continuait :
- Contentez-vous de respecter notre accord.
Il articula :
- Protégez Freya.
Puis précisa :
- En dépit de votre vie, s'il le faut.
Thésée lui adressa une mine pleine de sarcasme :
- Pendant que quoi, vous vous faîtes la malle sans un mot ?
A cette phrase, Freya faillit se stopper dans ses pas.
Marcus ? Partir ?
Mais leur conversation, déjà tendue, escalada très vite en conflit.
Thésée avait attrapé sa baguette et la tendait vers son homologue avec une expression de défi :
- Je regrette, Nott. Mais je ne peux pas vous laisser partir comme ça.
Le visage de Marcus, malgré son teint blafard, se contracta en une vilaine grimace de ressentiment, et très vite, il dégaina sa baguette lui aussi :
- Vous ne me laissez pas d'autre choix.
Les premiers sorts fusèrent aussitôt, et Freya fut animée d'une brutale panique.
Ses jambes flageolantes se mirent à courir, courir malgré les planches irrégulières et glissantes du pont suspendu, son coeur était au bord de ses lèvres, palpitant et son sang se précipitait dans ses veines comme des chocs électriques.
Marcus essuya un premier coup dans l'épaule, bascula un peu en arrière avant de riposter dans la direction de Thésée, qui glissa sur le côté, se rattrapant in extremis à la rambarde en corde détrempée.
Ils étaient tellement absorbés par leur soudain duel qu'ils ne l'avaient même pas vue arriver. La Nott se jeta entre les deux sorciers en brandissant ses bras dans les airs, et en hurlant :
- Arrêtez !
Les sortilèges cessèrent, et les deux sorciers, essoufflés, la toisèrent avec amertume.
Pendant un instant, elle crut revenir plusieurs mois en arrière, dans le coffre familial à Gringotts, où elle avait déjà dû s'interposer entre les deux hommes.
Marcus siffla :
- Freya !
Et avant même que Thésée puisse faire de même, sa voix criarde demanda :
- Qu'êtes-vous en train de faire exactement ?
Son ton exigeait clairement une explication, peu importe laquelle, et pourtant elle ne vint pas. Les deux hommes se dévisageaient avec un mélange de méfiance et de provocation.
Freya martela avec sa voix aiguë :
- Cessez cela ! Vous êtes ridicules.
Elle baissait lentement ses bras désormais, lançant un regard vers son frère, et lui ordonna :
- Marcus, ta baguette.
Elle s'était retournée, dans son dos, Thésée avait abaissé la sienne avec une expression si amère qu'on aurait cru qu'il était tombé sur une mauvaise confiserie de Bertie Crochue.
Lorsqu'elle pivotait de nouveau vers son frère, elle remarqua qu'il était resté paralysé dans sa posture initiale. Sa baguette tendue droit vers Thésée, droit vers elle. Ses tempes suintaient, dégoulinaient, et elle lui rappela :
- Marcus.
Les sourcils de Freya se froncèrent.
Ne l'avait-il pas entendue ?
Pourquoi conservait-il cette fichue baguette ?
Elle retenta, avec de la confusion cette fois :
- Marcus ?
Il se passa quelque chose qu'elle n'aurait jamais pu prédire.
Elle reçut un sort de plein fouet.
Un sortilège qui la repoussa lourdement en arrière, emportant Thésée avec elle. Complètement sonnée et sous le choc, elle mit quelques longues secondes à comprendre que c'était Marcus qui leur avait asséné un tel sort, qui les avait expulsés, loin en arrière sur le pont bringuebalant.
Freya en eut même le souffle coupé.
Derrière elle, Thésée s'était rapidement relevé, et il réciproqua quasi-aussitôt un premier sort, puis un deuxième. Des éclairs de lumières volaient dans tous les sens, et de tous les côtés, et la jeune Nott se releva péniblement d'une latte glissante.
Elle se releva à temps pour assister au sortilège de Thésée, qui propulsa à son tour Marcus en arrière. Elle allait hurler, mais rien ne sortit de sa gorge. Marcus, lui, s'était laborieusement écrasé contre l'écorce d'un large tronc.
Freya, paniquée, put hurler à nouveau :
- Arrêtez !
Marcus tituba péniblement pour se relever, mais il continua ses attaques, avec un visage déformé par la colère.
Le duel se poursuivait, escaladait encore dans la violence, si bien que Marcus asséna un brutal sort à Thésée, qui l'évita de justesse. L'éclair noir avait arraché une partie du bois sur lequel il s'était écrasé, et Dragonneau ne masqua pas sa fureur.
Freya tenta de lui attraper le bras, de l'empêcher de riposter, en vain.
Thésée la repoussa derrière lui, et il envoya un premier sortilège qui fit exploser la mousse du ponton biscornu, à deux pas de Marcus. La Nott s'époumona :
- Non, arrêtez !
Et alors que Dragonneau s'apprêtait à lancer un énième sort, elle se jeta entre les deux hommes, devant la baguette de l'Auror.
Elle se prit le sort de plein fouet, à l'arrière de l'épaule gauche, où elle sentit distinctement sa chair se déchirer au niveau de l'omoplate. Elle s'égosilla de douleur et tomba la tête la première contre les lattes du pont suspendu.
La douleur était si vive, et l'odeur de son propre sang si forte, qu'elle crut qu'elle allait s'évanouir.
La voix de Marcus vociféra avec haine :
- Vous avez blessé ma soeur !
Celle de Thésée aboya en retour :
- Vous avez causé tout ça !
Freya sentait la chaleur de son sang se déverser autour de sa blessure, couler dans son dos. On l'attrapa par l'autre bras, et elle brailla de douleur. C'était Thésée qui essayait de la relever. Elle se défit de son étreinte d'un coup de coude, sec et lui adressa un regard acide.
Son épaule était recouverte de sang, elle en était sûre.
Sa chemise blanche ne l'était plus, elle en était sûre également.
Elle se releva seule, tant bien que mal, et tenta de masquer du mieux qu'elle put une large grimace de souffrance. Elle les fusilla du regard un à un, et dans un geste tremblant, elle sortit sa baguette et la dressa dans la direction de Marcus.
Marcus, même blafard, se mit à rire sarcastiquement, et puis il balança :
- C'est donc son parti que tu choisis.
Freya était si en colère, et si secouée par la douleur de son épaule qu'elle s'était mise à trembler.
Sa voix aiguë rétorqua avec un ton acide :
- Non, j'essaie de t'empêcher de-…
- Partir ?
Marcus secoua sa tête en signe de négation, et son visage pâle se tordit dans une bien étrange expression :
- Tu ne le peux pas.
Sans même réfléchir, elle lui jeta un sort.
Surpris, il se prit le sortilège de plein fouet, et roula brutalement sur les lattes en bois du pont.
Lorsqu'il se relevait à son tour, une large tâche rouge s'étalait au niveau de son ventre, et Freya ressentit comme un coup de poing au niveau du sien. Une vague de regret la balaya presque, et encore haletante et tremblante, elle lui hurla :
- A quoi joues-tu ?
Il avait posé son regard vers son abdomen avec une grimace, et avait finalement relevé des yeux mauvais dans sa direction. Freya poursuivit :
- Qu'est-ce que tu peux bien avoir à l'esprit pour-…
- Je dois retrouver notre Mère !
Il s'était tant égosillé que sa voix en avait déraillé.
Freya se tut, soudainement paralysée à la mention de Theodora Nott.
Le visage de Marcus se tordit une nouvelle fois avec détermination et rancoeur :
- Ça devient urgent. Il va finir par la retrouver avant moi.
Derrière elle, Thésée demanda avec tension :
- Il ?… Grindelwald ?
Freya crut que son frère allait éclater de rire, et puis, son air sombre revint tout à coup.
Sa bouche trembla, et il articula :
- Non, Eugène. Croyance. Peu importe son nom.
Freya se figea.
Sa mâchoire trembla, et elle ne parvint qu'à bafouiller piteusement :
- C'est notre cousin. On ne peut pas… On doit-…
- Me missionner pour le tuer, c'était donc votre idée ?
La question froide de Thésée était outrageante, mais Marcus ne sembla pas lui tenir rigueur.
Ses lèvres tremblèrent, se murent sans un bruit, et puis, il prononça finalement :
- Non, c'était vraiment celle du Ministre. Mais pour une fois, je n'étais pas totalement opposé à ce qu'il racontait.
La jeune Nott se révolta :
- Marcus ! Comment oses-tu ?
Mais Marcus recouvrit sa voix avec la sienne, et demanda simplement :
- Pourquoi crois-tu que Mère est au Brésil, Freya ?
Son mal de ventre revint d'un seul coup, si bien qu'elle crut être malade.
Sa voix sortit plus aiguë que ce qu'elle pensait :
- Elle veut retrouver son neveu disparu.
Elle compléta devant l'expression assombrie de Marcus :
- Elle veut… le ramener à la Maison.
Mais son frère secouait la tête.
Il eut un souffle sarcastique, et sa voix dicta :
- Là est le problème, Freya. Ils ne doivent pas se retrouver.
Freya allait se révolter à nouveau, mais Marcus parla le premier :
- Il va tuer notre Mère.
Il faisait chaud et étouffant dans cette jungle, et pourtant Freya jura que l'atmosphère autour d'eux venait de perdre une dizaine de degrés. Elle se sentait tout à coup gelée, frigorifiée à l'intérieur, et elle s'était mise à trembler autant que l'autre Nott qui se tenait en face d'elle.
Elle ne reconnaissait plus Marcus.
Elle ne reconnaissait plus son frère.
Son propre frère.
Et ce dernier grimaçait, comme si une flèche de feu l'avait heurté. Pendant un instant, elle crut qu'il allait laisser tomber sa baguette, abaisser son bras et peut-être même s'effondrer… mais il n'en fit rien.
La sorcière tenta de balbutier son nom, mais aucun son ne sortit de sa gorge serrée. La grimace de son frère s'était drastiquement accentuée en voyant le choc sur son visage, et Freya ne put retenir un rire nerveux.
Le souffle tendu qui s'était échappé de ses lèvres entrouvertes avait été si douloureux qu'il lui avait abrasé une partie sa gorge. Le regard de Marcus s'assombrit devant la confusion grandissante de sa soeur, et devint complètement sinistre alors qu'elle parvenait enfin à bredouiller :
- Qu'est-ce que tu racontes ? C'est-…
Mais son frère la coupa avec un hurlement qui lui parut douloureux :
- Je l'ai vu dans un rêve !
Le cri désespéré de Marcus avait résonné dans la clairière, et un groupe d'oiseaux colorés s'étaient envolés avec des piaillements paniqués.
Les échos de ses derniers mots restèrent en suspens un moment, et masquèrent l'épais silence qui venait de s'installer entre les trois sorciers.
Freya eut l'impression qu'on lui avait donné un coup de poing en plein estomac, et elle était certaine d'être subitement devenue aussi blême que son aîné. Elle avait senti son sang se drainer de son visage, et elle crut même avoir perdu l'usage de sa bouche et de sa voix.
Sa blessure à l'épaule était lancinante, et elle dût presque se plier en deux pour palier à cette douleur tranchante. Si elle n'avait pas été si pétrifiée par les mots de son frère, elle l'aurait certainement fait.
Marcus, lui, sortit de son étrange et momentanée paralysie, et se mit à rire.
Rire.
Un rire si désespéré qu'il ressemblait à celui d'un fou.
Un rire si désespéré qu'on aurait pu le confondre avec un terrible sanglot.
La baguette tendue droit dans leur direction tressauta, et la poigne de Marcus autour de son bois sembla s'accroître encore, si bien que ses articulations en étaient devenues blanches.
Il avait le sourire absurde d'un aliéné, et cela effraya sa jeune soeur.
Son hilarité morbide se mêla à sa voix comme un poison :
- J'imagine que tu pensais être la seule de cette famille à faire ces rêves stupides ?
Il perdit définitivement son sourire et Freya faillit tomber à la renverse.
S'il n'y avait pas eu Thésée derrière elle, la Nott se serait laissée tomber à genoux sur le pont de bois bringuebalant. Elle crut recevoir un deuxième coup de poing au creux de son estomac, et pendant un moment, faillit même dégobiller.
Quelques pas devant elle, le menton de Marcus tremblait, et sa voix faisait désormais de même :
- Quand ça a commencé… j'étais à Poudlard.
Ses yeux s'étaient rougis, et tout à coup remplis de larmes.
Il eut un autre souffle qui aurait pu s'apparenter à un éclat de rire insensé :
- Ah !
Et puis, il s'étouffa sur une plainte tout en posant sa main libre contre son abdomen empourpré de sang. La tâche rouge s'était étendue jusqu'à sous sa veste, et quelques fins filets s'échappaient lentement d'entre ses doigts blafards.
Sa voix articula avec difficulté :
- Je pensais qu'ils n'étaient que des rêves futiles, des bribes de hasard, de scènes étranges et incongrues… Mais quand j'ai commencé à comprendre qu'elles étaient vraies… j'ai cru devenir fou.
Le regard qu'il leur adressa à cet instant brisa le coeur de Freya.
Et il répéta alors que des larmes dévalaient ses joues :
- Complètement fou.
La Nott crut qu'elle allait se mettre à pleurer elle aussi, et Marcus continuait avec un air déchiré :
- Quand j'ai compris que cela concernait notre famille, j'ai cru…
Freya fit un pas vers lui et tenta de tendre sa main dans sa direction.
- Je sais, Marcus, j'imagine que-…
- Non, tu ne le peux pas.
Sa voix avait grondé, vibré dans l'air humide et il avait fait un rapide pas en arrière.
Alors qu'un nouveau sanglot avait explosé dans sa gorge, il avait fait glisser ses yeux rougis dans la direction de Dragonneau, dont la silhouette avait été elle aussi paralysée derrière Freya.
- C'est pour ça que j'ai rejoint le Ministère.
Son visage passa de souffrance à sarcasme, et sa voix dérapa à nouveau :
- J'étais obsédé par ce que mon esprit essayait de me faire comprendre…
Ses yeux noirs et injectés de rouge revinrent vers la jeune sorcière, pleins de désolation.
Les mots qu'ils prononça eurent l'air d'être un véritable supplice :
- … et, oh, ma pauvre Freya, j'ai tout compris.
Il y eut un nouveau silence, perturbé par le souffle haletant et irrégulier de Marcus. Freya dût s'agripper à la corde râpeuse et gorgée d'eau pour maintenir un semblant d'équilibre.
Sa voix trembla bien moins que ce qu'elle avait imaginé :
- Tu sais ce qu'il s'est passé
Elle était tant tendue que son ton avait été complètement plat, morne, sans énergie et sans vie.
Devant la nouvelle expression de torture de Marcus, elle répéta un peu plus fort :
- Tu dois me dire, Marcus. Tu dois m'expliquer.
Malgré la douleur lancinante dans son épaule et son dos, elle avait soudainement envie de se jeter sur son frère. Se jeter sur lui par pure folie, le secouer et lui faire enfin cracher le morceau.
Mais révéler la vérité, ne faisait visiblement pas partie des plans de Marcus.
- Je ne veux pas que tu saches tout ça.
Ses pleurs avaient brutalement cessé, et ses yeux, encore mouillés malgré tout, n'étaient plus animés par la douleur. C'était de la détermination qui y était reflété, de l'acharnement.
Sa voix était plus posée, elle aussi, comme si cette discussion était soudainement devenue un bref échange de banalités. Sa tête se pencha légèrement sur le côté, et il ajouta :
- C'est ce qui était prévu, avant que tu commences à faire ces maudits rêves toi aussi.
Il fit un pas en arrière, et instinctivement, Thésée avait poussé Freya, dont le corps avait été soudainement mou et anesthésié, pour la dépasser. Marcus ne regardait plus sa soeur désormais, mais fixait son homologue avec une expression instable et dangereuse. Sa voix continuait pourtant :
- Tu ne dois rien savoir.
Les deux Aurors se faisaient face, et les pointes de leur baguette se touchaient presque.
La voix de Marcus asséna le coup de grâce :
- Et tu ne sauras rien.
Freya se mit à pleurer cette fois.
Elle voulut l'implorer, le supplier, mais sa gorge ne parvint qu'à vaguement articuler son nom :
- Marcus…
Il fit plusieurs pas en arrière, rapides et vifs.
Sa main pleine de rouge attrapa la corde de la passerelle, et il passa une première jambe en dehors de cette dernière. Le coeur de Freya implosa.
Elle cria en se précipitant vers lui :
- MARCUS !
Mais il était trop tard.
Avec un dernier regard, torturé et torturant, il se jeta dans le vide.
Dans le vide.
Freya s'élança par-dessus la corde trempée, passant presque par dessus bord elle aussi. Elle arriva juste à temps pour voir la silhouette de son frère se distordre avant d'entrer en collision avec le reste de la jungle.
La gorge de Freya se fissura alors qu'elle hurlait :
- NON !
Mais son horreur décupla encore alors que la grande silhouette de Dragonneau passa vivement à côté d'elle. Elle tenta d'attraper sa manche de costume, de le retenir, elle l'implora lui aussi :
- Ne le suivez pas, Thésée !
Mais il l'ignora, fixant son regard noir vers la Jungle dense qui tapissait le sol. Dans un geste rapide et agile, il passa au-dessus de la rambarde, et sauta lui aussi.
La voix de Freya se brisa, arrachant une partie de son oesophage :
- … Non !
Elle crut devenir folle, et répéta sans cesse :
- Non, non, non !
Et dans un coup de folie, elle sauta par-delà la corde.
Sa chute fut terrible.
Dans des flashs, elle revoyait en boucle la pluie, le balai, le cognard.
Le terrain de Quidditch de Poudlard, à moitié caché dans la brume et la pluie.
Et puis, elle revoyait Exmoor.
La silhouette désespérée de Dragonneau qui n'avait pas réussi à la rattraper.
Son cri, qui lui avait arraché la gorge et abrasé les poumons.
De justesse, et alors qu'elle se cognait contre les premières et larges feuilles de la jungle tropicale, elle parvint à transplaner elle aussi. Elle transplana sans même savoir où elle aller.
Mais sa distorsion fut chaotique, dangereuse et déroutante.
Sa blessure à l'épaule était déchirante, et elle finit par s'écraser lourdement contre une surface molle et étrange. Et le silence l'engouffra.
Freya gémit douloureusement, tenta de se traîner un peu plus loin, mais finit par perdre connaissance.
Et la jungle fut subitement plongée dans le noir.
Bimbamboum, Badaboum.
Il me fait de la peine ce Marcus, j'étais moi-même émue d'écrire ces lignes !
J'aime beaucoup ces personnages aux multiples couches. Je pense que l'on a tous des secrets, et un visage que l'on cache aux autres - c'est très intéressant de développer notre cher Marcus en ce sens. Jusqu'à présent il avait un rôle plutôt comique, mais vous verrez que tout cela est plus profond que ce nous pourrions penser.
Avez-vous aimé ce Chapitre ?
Je suis déjà en train de peaufiner la suite,
Donc à très vite pour le prochain Chapitre !
et Happy Halloween !
Netphis.
