Les gens ont commencé à s'interroger sur mon compte dès l'instant où Edelgard et moi avons échangé quelques mots peu de temps après la rentrée scolaire. Je n'étais pas seulement la fille renvoyée de son ancien bahut mais la fille qui discutait avec Edelgard. Je suis devenue la fille qui avait bu dans sa bouteille d'eau lors de la quatrième séance de sport, ainsi que celle qui ne savait pas où se trouvait sa place. Je me souviens encore de son message : ca a bien pris tout au plus deux jours pour que de nombreuses rumeurs, dont certaines n'étaient pas très flatteuses, circulent dans l'enceinte de l'établissement. Et bientôt, tout le lycée n'allait parler plus que de ça. Les regards jusque là plus ou moins discrets n'auraient plus grand-chose de discrets. Ils deviendraient différents. Ils s'attarderaient. Ils diraient silencieusement des choses que je n'avais pas envie d'entendre. Ils me condamneraient sans même m'avoir jugée. J'ai longtemps repensé aux paroles de madame Nevrand que j'appelle désormais Shamir tout au long de l'année. Vous pouvez me croire, c'était une performance digne d'un oscar.

Je m'étais vraiment donné à fond sur le terrain de sport. Tellement à fond que même la prof l'avait remarqué. Cela aurait dû me faire un peu de bien (d'être félicité par la prof) mais j'avais beaucoup de mal avec la défaite. Finir dernière, ou, sans penser au pire, loin du podium, ne me dérangeait guère lorsque je ne barrais ma route avec aucun objectif à atteindre. Et la déception, ce n'était guère agréable (un peu comme la vérité). Finalement, il valait mieux ne jamais trop s'investir car il y avait toujours meilleur que soit. Bien-sûr, j'avais plus d'une fois eu envie de jeter ma manette de console au travers de mon téléviseur, mais contrairement aux autres élèves aux culs perlés de nacre, je n'avais pas les moyens de m'en racheter chaque fois que j'étais contrariée par un boss un peu récalcitrant. Alors, ma déception d'avoir fini deuxième… Je n'avais qu'à la digérer. Car ma déception, c'était surtout de ne pas avoir battu Edelgard.

La salle de musique n'était pas aussi grande que je l'avais imaginé, on ne pouvait pas y faire tenir une représentation (ni y accueillir une douzaine de chevalets). Des caisses et cartons étaient entreposés ci-et-là entres des instruments dont certains recouverts de draps. Même si la pièce semblait laissée à l'abandon ou presque, il n'y avait pas un seul grain de poussière. Cela n'aurait sied au standing de Saint Seiros. Je devinai une batterie planquée tout au fond à la forme qu'avait pris le drap par-dessus. Un piano qui devait coûter une douzaine d'année de frais de scolarité prenait un cinquième de la pièce. Dans le bois, une gravure dorée indiquait « Steinway & Sons ». Je me demandai une seconde si Edelgard l'avait déjà utilisé, Dorothea avait mentionné qu'elle pratiquait l'instrument. La réponse était presque évidente. Beaucoup d'étagères étaient aussi dépossédées, ce qui n'était pas étonnant puisque les inscrits à l'option pouvaient utiliser voire emprunter le matériel (imaginez un gros piano dans une cage d'escalier). Il en restait quand même certains, un tuba par-ci, un hautbois par-là, un violon dans son écrin, d'autres choses encore ainsi que le fameux triangle. Mais ma curiosité avait été assouvie, et j'avais ma guitare qui m'attendait chez moi. Ce n'était pas ici que j'allais trouver mon bonheur. Mais peut-être était-ce le cas pour d'autres étudiants, car les yeux rivés sur l'onéreux piano, je ne vis pas à temps la personne qui venait d'entrer dans la pièce lorsque j'opérai un demi-tour pour partir. Je me ramassai violement contre elle, et dans ma délicatesse légendaire, la fit même trébucher sur le sol. Ce genre de scène n'arrivait pas uniquement dans les films.

—Merde, pestai-je en me frottant le front. Désolée, j'ai pas…

Ma phrase s'arrêta au moment ou je tendis ma main vers elle. Blonde, les yeux verts, plus ou moins de la même taille que moi : Ingrid pinçait l'arrête de son nez.

—Ca va, je n'ai rien.

La jeune femme attrapa ma main et je tirai pour l'aider à se relever. Elle tapota sa veste ornée de bleu puis sa jupe pendant une seconde, avant de reporter son attention sur moi. Elle sembla m'observer, ou plutôt s'assurait que je n'avais rien non plus mais j'avais déjà vu pire. Dorothea aurait vendu son âme pour être à ma place et en aurait trouvé milles autres pour retourner dans le passé et s'inscrire à l'option musique – instrument guitare.

—Je ne t'avais pas vue, je regardais le…

—Le piano ? Ma foi, tu as raison il est magnifique en effet, me coupa-t-elle en glissant sa main sur le couvercle du clavier. Tu es inscrite en musique ?

—Oui, depuis vendredi dernier.

—Tu es Byleth, c'est ça ?

« La fille qui s'est faite virée de son ancien bahut » pensai-je, mais ces mots n'arrivèrent jamais.

—Et toi, Ingrid ?

Elle remua la tête de bas en haut pour m'indiquer la positive en souriant, puis regarda tout autour de nous. Ingrid était certainement inscrite en musique également, pour se trouver ici, alors je me passai de lui poser ridiculement la question.

—Tu es l'amie de Dorothea et d'Edelgard, je crois.

—C'est à peu près ça.

Surtout de Dorothea puisqu'Edelgard était désormais ma fausse petite-amie. Elle était bien petite mais ce n'était pas mon amie. Pour le dire plus franchement, Edelgard n'était donc pas grand-chose à mes yeux, et je ne l'étais pas non plus aux siens. C'est ce qu'on avait convenu.

—Et toi, tu traînes souvent avec ? Tu étais à notre table lundi midi.

—Ca arrive oui. Je passe beaucoup de temps avec Felix, Sylvain et Dimitri. Et Dimitri passe pas mal de temps avec Edelgard, on se croise régulièrement.

—Tous ces garçons… Ca doit être épuisant.

—Tu n'as pas idée !

Ingrid laissa un rire s'échapper. A la fois enjoué et faussement contrarié. Puis elle continua sa petite observation des lieux.

—Tu joues de quel instrument ? demanda-t-elle en s'arrêtant devant une étagère à moitié vide.

—De la guitare, mais juste un peu. Et toi ?

Elle était belle et élégante, j'imaginais un instrument distingué façon Saint Seiros, du genre à attirer tous les regards et l'attention. L'alto ? Ou bien du violoncelle, peut-être. Quelque chose qui produisait un son clair et délicat.

—De la basse.

Ou pas. Ce qui me laissa pendant une seconde un peu interloquée.

—Je touche un peu à la batterie aussi, Felix m'a appris quelques rythmes, mais je préfère les instruments à cordes.

—Felix joue de la batterie ?

—Oui, et Sylvain de la guitare, comme toi. Il joue de l'électrique surtout. Ces deux-là, enfin, c'était surtout Sylvain, ont réussi à me convaincre de monter un groupe. Il disait que ce serait une super occasion de faire rougir les filles.

—Est-ce que cela fonctionne ? ris-je une seconde.

—Selon Sylvain, c'est un succès !

Je ne pouvais prétendre le contraire puisque moi-même avait mis une fille ou deux dans mon lit en jouant quelques accords simplistes (un peu trop si vous voulez mon avis).

—Et vous vous produisez ?

—Ca arrive. Lors des évènements scolaires de Saint Seiros principalement. On répète parfois dans le gymnase après les cours puisque même la pièce insonorisée de musique ne suffit pas à couvrir les solos un peu trop énergiques de Sylvain. Tu pourrais passer, à l'occasion. Enfin, si tu aimes le rock bien-sûr.

J'adorais le rock, et la pop, ainsi que beaucoup d'autres genres de musique en fait (mais pas le rap). Un groupe, c'était plutôt classe pensai-je. Je me demandai si je serais capable de jouer devant une foule de lycéens en ébullition. Certainement pas.

—Si jamais ça t'intéresse, cherche The Holy Rock of Faerghus.

—C'est noté.

Ingrid était une fille agréable et plaisante, en fait. Loin des idées reçues sur les Lions. Loin des idées reçues sur les élèves non boursiers de Saint Seiros qui pouvaient chaque année donner la grosse enveloppe sans se soucier de s'il resterait assez d'argent ou non pour manger autre chose que des coquillettes pour les mois à venir. Elle n'était ni hautaine, ni arrogante, et discuter avec elle était plutôt facile. Je comprenais aisément ce que Dorothea lui trouvait, Ingrid avait du charme.

—Ha, regarde ça.

La jeune femme attrapa une housse qui ressemblait à celle de ma Fender en format miniature. Elle sorti l'instrument à quatre cordes qu'elle prit à la manière d'une guitare avant d'ajuster les petites mécaniques de la tête avec l'approbation de ses oreilles. Après une dernière hésitation et un énième réglage, elle balaya les cordes. Les notes étaient plus rondes que sur une guitare.

—Tu veux essayer ?

—De jouer sur ce truc miniature ?

—C'est un ukulélé.

—Je sais.

Mais ça restait un truc miniature à mes yeux. J'attrapai l'instrument que je grattais à mon tour. C'était plutôt sympa. Les quatre cordes au lieu de six permettaient de positionner correctement les doigts malgré l'étroitesse du manche. Enfin, positionner était un grand mot puisque je ne savais pas du tout sur quelles frettes et cordes appuyer.

—Si tu mets tes doigts comme ça… fit elle en posant sa main sur la mienne, tu as le mi mineur. Comme cela, le sol.

Elle déplaça une troisième fois mes doigts. Sa peau était très douce malgré l'habitude de gratter les cordes épaisses d'une basse.

—Le Do, et enfin le Ré.

—Les quatre accords de base.

—Exact ! Si tu sais jouer de la guitare, jouer du ukulélé ne devrait te poser aucun problème !

—Si on aime ce qui est minuscule, dis-je à haute voix avant de ricaner sur la pensée qui me traversa la tête. Tu imagines cet instrument dans les mains de Raphael ?

La blonde éclata presque de rire. Et moi aussi. Car Raphael était un type de la promo des Cerfs. Et il mesurait presque deux mètres de haut pour un mètre de large. Une véritable armoire à glace !

—Je pense que je vais me cantonner à la guitare, il faut que je prépare quelque chose de présentable pour l'examen final.

—Si jamais, n'hésite pas à demander conseils à Sylvain, je suis certaine qu'il en serait ravi ! C'est peut-être un charmeur compulsif un peu pénible sur les bords, mais il est plutôt bon.

—Okay, ça marche.

—Et s'il devient lourd, n'hésite pas à le remettre à sa place surtout !

Ingrid reporta son attention sur une pile de feuilles posée sur l'étagère du fond, tout près de la batterie.

—Ha, voila. C'est ce que je cherchais. Felix a laissé ça ici en venant chercher une paire de baguette. Je dois y aller, ils m'attendent.

Je me décalai pour la laisser passer et elle se retourna avant de franchir la porte.

—Byleth, c'était un plaisir. Et si jamais tu as besoin, demande à Edelgard ou Dimitri, ils te donneront mon numéro.

—Merci.

Puis Ingrid disparut en me laissant un peu pantoise. C'était quoi, cette gentillesse ? Les élèves de Saint Seiros n'étaient-ils pas censés me prendre de haut ? Me faire remarquer que j'avais été virée de mon ancien bahut ? Peut-être qu'Ingrid l'ignorait (mais tout le monde le savait). Pour une fille qui fréquentait le groupe d'élèves le plus populaire du lycée, elle était vraiment agréable et plus que sympathique. Le genre de fille avec qui ça ne m'aurait pas dérangé de nouer une amitié. Ingrid était très cool. Et, c'est surement pour cette raison que je suis toujours amie avec elle aujourd'hui. Je n'avais pas seulement écouté ses propositions, j'allais les appliquer bientôt.