Lorsqu'il n'avait pas cours, Zeleph partait se réfugier à l'orée de la forêt afin de s'éloigner de toute forme de vie humaine qu'il pourrait tuer par inadvertance. Il était préférable qu'il ne reste pas dans sa salle de classe afin d'éviter de contaminer la barrière ou bien d'avoir des élèves venant frapper à la porte, à la recherche de conseils pour améliorer leur sortilège du bouclier – Natsu et lui avaient enseigné ce sort à toutes leurs classes, sans distinction de niveau.

Les premières années étaient très désappointés par ce qui leur était demandé car même s'ils ne le savaient pas, ils ressentaient la difficulté du sort en essayant de le lancer. Aucun des plus jeunes n'était parvenu à lancer un bouclier résistant au moindre petit sortilège. Néanmoins, la plupart était parvenu à faire ne serait-ce qu'une ébauche de bouclier. Zeleph pensait que beaucoup des difficultés que rencontraient mages et sorciers venaient du fait qu'ils se persuadaient eux-mêmes de la difficulté d'un sort, se bridant de ce fait sans s'en apercevoir. Il ne doutait pas qu'il parviendrait à faire faire un bouclier solide à tous ses premières années, quand bien même cela prendrait du temps. Si une guerre se profilait, il fallait qu'ils soient au moins capable de se protéger eux-mêmes.

Après le bouclier, il passerait au sortilège de désarmement. Contrairement aux mages qui appréciaient se servir de leurs poings, les sorciers étaient incapables de faire quoi que ce soit une fois que leur baguette leur échappait des mains. Maitriser le sortilège du bouclier, de désarmement et une attaque simple était de ce fait suffisant pour survivre si un sorcier se faisait prendre dans une cohue engendrée par un acte terroriste.

Zeleph observa les fleurs autour de lui se faner, l'herbe s'assécher et les arbres perdre leurs feuillages tandis qu'un sombre nuage se répandait sur un rayon de trois mètres. Tout ce qu'elle effleura perdit instantanément la vie, n'épargnant même pas la terre qui était à présent sèche et pleine de craquelure, comme si elle venait de subir une pénible canicule.

- Je me soucie trop de leur vie, murmura Zeleph pour lui-même.

Face à la solitude constante qui pesait sur ses épaules depuis quatre cent ans, parler seul l'empêchait de sombrer définitivement dans la folie. C'était comme s'il avait un interlocuteur particulièrement silencieux et intéressé par ce qu'il disait. Comme il n'y avait personne aux alentours, sa voix résonnait contre l'écorche des arbres, donnant une profondeur à sa voix qui lui donnait l'impression que c'était une autre personne qui lui parlait.

Jusqu'à quand allait-il continuer de vivre ainsi ? Quand croiserait-il la route d'une personne suffisamment forte pour le tuer ? Il avait de grands espoirs en Natsu. N'était-il pas son ultime et plus fort démon, celui qu'il avait baptisé en se disant qu'il serait celui qui abrégerait ses souffrances ? Mais pour l'instant, il n'était pas encore assez puissant pour ne serait-ce que faire jeu égal avec lui. Peut-être que s'il libérait sa puissance démoniaque, cela serait plus intéressant.

- Je me demande où est le livre d'END, murmura Zeleph. Je suppose qu'il faudra bien que je me mette à sa recherche bientôt…

- END ?

Zeleph sursauta en entendant la voix de Natsu à laquelle il ne s'était pas attendu. Ce dernier apparu de derrière un arbre. Il semblait venir du parc de Poudlard.

- Natsu, fit le mage noir avec un léger sourire.

- C'est à cause de ta magie que tu te caches ici ? demanda Natsu en lançant un regard aux arbres morts dépourvus de feuilles.

Zeleph hocha la tête.

- C'est la deuxième fois que je vois ça et… enfin, trois si tu comptes l'ile de Tenro où je l'ai vu deux fois de suite. Enfin bref, ça fait plusieurs fois que je vois ça et c'est toujours aussi impressionnant à constater !

Natsu s'avança jusqu'à être à moins d'un mètre de Zeleph.

- Ne t'approche pas plus ! s'exclama le mage noir d'une voix paniquée. Je ne souhaite pas avoir ta mort sur ma conscience…

Natsu haussa les épaules avant de se laisser tomber contre le tronc d'un arbre face à Zeleph, à un mètre de lui.

- Je peux toujours m'enfuir si je vois ta magie se déchainer, dit-il.

Zeleph n'était pas trop sûr d'aimer ce genre de choses.

- C'est quoi ce Iendi dont tu parles ?

- Iendi ? répété Zeleph, confus. Ah, tu veux parler de END ?

- Ouais, c'est ça ! C'est quoi ?

Le mage noir regarda durant de longues secondes Natsu, se demandant ce qu'il pouvait ou non lui dire. Il doutait que ce dernier le croit s'il lui disait que c'était lui, alors qu'il était persuadé qu'il avait dit s'appeler Dragnir pour ne pas donner son véritable nom de famille. Comment lui en vouloir ? N'importe qui trouverait ce genre de propos insensé. Zeleph avait plus de quatre cent ans et Natsu était persuadé d'être pas loin de la vingtaine.

- C'est le démon le plus puissant que j'ai créé.

- Ah, comme Lullaby ?

Zeleph n'était pas sûr de vouloir savoir comment Natsu connaissait l'existence de Lullaby. Néanmoins, il hocha la tête.

- Je suppose qu'on peut dire cela…

- Je sais pas si t'es au courant, mais on lui a mit une bonne raclée à Lullaby ! C'était pas facile, mais on a fini par en venir à bout avant qu'il fasse trop de dégât. Alors je suppose qu'on peut dire qu'on est quitte : t'as abimé l'écharpe d'Ignir, j'ai tabassé un de tes puissants démons !

Le mage noir eut du mal à cacher l'expression de sa déception en entendant Natsu affirmer que Lullaby avait été coriace. Si pour lui ce démon était difficile à battre, alors il était encore bien trop loin de le tuer.

- Lullaby est le premier monstre que j'ai créé et c'est donc le plus faible.

- Sérieux ? Et t'en as fait combien au total, au juste ?

- Une centaine, à peu près…

- Tant que ça ? s'exclama Natsu. Mais pourquoi ?

- Ma malédiction m'empêche de mourir. J'ai créé ces monstres sans l'espoir qu'ils parviennent à me tuer… Cependant, aucun n'y est parvenu, comme tu peux le constater.

- T'aurais quand même pu t'occuper d'eux au lieu de les laisser courir librement dans la nature ! Ils ont tué plein de gens. Alors d'accord, c'est pas toi qui leur a dit de tuer tous les humains qu'ils croiseraient, mais c'est un peu parce que tu ne les as pas détruit toi-même après avoir constaté qu'ils ne te serviraient pas qu'ils ont fait tout ça. Grey a fait les frais de Deliora !

Zeleph baissa la tête, fixant le sol sous lui avec un regard empli de larmes.

- Eh, attends ! Je disais pas ça pour t'accuser ! Ne pleure pas ! Et… Et si tu me parlais d'END, tiens ? Comme ça, ça sortira de ton esprit ce qu'ont commis tes démons.

Le mage noir trouva que c'était une bonne idée.

- C'est le démon le plus puissant que j'ai créé ainsi que le dernier. Je l'ai scellé il y a trois cent ans.

- Pourquoi ? S'il est le plus puissant, il ne pourrait pas te tuer ? Et puis c'est quand même bizarre de sceller celui-là et pas les autres, quand même… T'avais le temps, en quatre cent ans, après tout.

- Son pouvoir est tellement puissant qu'à l'époque, il risquait de s'auto détruire. Il avait besoin de se renforcer pour supporter le poids de sa magie.

Natsu fronça les sourcils.

- Et du coup, tu veux le libérer dans l'espoir qu'il soit suffisamment puissant actuellement ?

- Je ne compte pas le libérer, dit doucement Zeleph. Je pense qu'il n'est pas encore prêt pour ça. Il faut qu'il acquiert davantage de puissance afin que ce ne soit pas sans risque.

- Ouais bah le libère jamais, en fait. Parce que si t'es pas au courant, c'est principalement à cause de tes démons que t'as toujours une aussi mauvaise réputation alors que ça fait des siècles que tu fais profil bas.

- Je suppose que tu as raison… Mais si je meurs, de toute façon, END mourra avec moi.

Natsu n'avait pas l'air très convaincu par l'idée que Zeleph utilise ce démon pour mettre fin à ses jours.

- Dis, tu faisais quoi avant que Dumbledore vienne te voir pour que tu viennes ici ?

- Je voyageais.

- Depuis quatre cent ans ?

- Oui.

Pour des raisons que Zeleph ignore, les yeux de Natsu se mirent à briller tels des étoiles. Alors qu'auparavant il semblait plus sur la défensive, il semblait à présent très intéressé par cette conversation. Il se rapprocha même de lui, de telle sorte que le mage noir se mit soudainement à craindre pour la vie du dragon slayer.

- Alors t'as peut-être croisé un dragon ! Un dragon énorme comme ça (il écarta les bras au maximum qu'il pouvait). Il a des écailles rouges, il crache du feu et il s'appelle Ignir. C'est le dragon qui m'a élevé. Il est parti un jour sans rien me dire et depuis, je le cherche constamment. Ça te dit quelque chose ? Il compte vraiment beaucoup pour moi… J'aimerai tant le revoir.

Entendre Natsu parler ainsi du dragon auquel il l'avait confié donna un pincement au cœur de Zeleph. Alors qu'il était son frère ainé, son seul véritable parent restant, et qu'il avait passé tant d'années et été maudit pour avoir voulu le ressusciter, Natsu voyait Ignir comme son unique véritable famille. Il savait, en confiant son cadet au dragon, que le dragon slayer risquait de l'oublier en grandissant mais le constater était une tout autre chose, quand bien c'était pour son bien.

L'espace d'un instant, il hésita à révéler toute la vérité à son frère, mais il savait à quel point c'était une mauvaise idée. Natsu n'était pas prêt pour entendre ce genre de choses. Comment réagirait-il en apprenant tout cela ? Certainement mal. Alors Zeleph préféra garder ses pensées et sa souffrance pour lui, se contentant simplement de répondre à Natsu :

- Non, je ne l'ai pas croisé. Les dragons sont assez difficiles à croiser depuis la fin de la guerre qui les opposa aux humains, tu sais, Natsu.

- Mais s'ils sont difficiles à croiser, ça veut dire que tu en as déjà croisé, non ? demanda le dragon slayer avec véhémence, se rapprochant toujours plus de lui.

- Oui… répondit-il lentement, incertain quant à où le mage voulait en venir.

- Tu penses qu'ils auraient pu croiser Ignir ou avoir une idée d'où il se cache ?

Zeleph songea à Irene Belserion, membre de ses Spriggan Twelve. Etant donné qu'il savait où se trouvait le roi des dragons feu, il savait qu'Irene ignorait la position de celui-ci.

- Ils ne doivent pas savoir.

- Oh…

Natsu poussa un profond soupir, dépité de voir une piste nouvelle déjà voler en éclats.

- Merci quand même…

Il retourna s'affaler contre un arbre, dépité. En le voyant afficher une telle expression, Zeleph ne put s'empêcher de lui dire :

- S'il tenait autant à toi que tu le laisses penser, je ne pense pas qu'il soit parti très loin et même, pour de bonnes raisons. Les dragons n'abandonnent pas leurs petits ainsi du jour au lendemain.

Natsu lui fit un petit sourire.

- Merci, Zeleph.

Zeleph lui rendit son sourire.

C'étaient les mots les plus agréables qu'il ait entendu depuis bien longtemps.