Harry.
Quand Drago file sans un mot à travers les bureaux du Département, je sais que je devrais le suivre. Le rattraper, ramper, m'expliquer, m'excuser...
Mais tous les Aurors de l'étage ont le regard tourné vers moi.
Tandis que Drago est toujours si calme, moi je suis sur le point d'exploser. Devant tout le monde.
Une bouffée de colère m'étouffe.
Je suis en colère contre moi, contre lui, contre le monde entier.
En colère à cause de ce qu'il a interprété de travers, de ce que j'aurai dû lui expliquer, de ce qu'on n'arrive pas à se dire, de ce que je suis en train de foirer royalement...
Ron, qui a suivi la fuite de Drago, revient vers moi.
— Tu me débriefes votre avancée ? Dans mon bureau.
Son intonation n'attend pas de réponse.
Avant que j'aie pu trouver une excuse foireuse pour éviter ce point inutile, il est déjà sur le pas de sa porte.
Il referme la porte dans mon dos et m'interroge avant même que je m'installe.
— C'est quoi ce bordel ?
— Quoi, quelle piste ?
Il ne peut pas nous reprocher d'avancer lentement ! Comme convenu, on explore toutes les pistes pour les écarter, et le manque d'implication des médicomages nous a forcément ralentis, mais rien de bloquant à ce stade.
— Je parle de Malefoy ! Tu veux qu'il abandonne ? Parce que c'est bien parti ! Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi, Harry ? Pourquoi tu repousses les rares personnes qui tiennent à toi ?
Je me renfonce dans le fauteuil, pas super à l'aise de me faire remonter les bretelles par mon meilleur ami.
— Qu'est-ce qu'il t'a dit ?
— Lui, rien. C'est Hermione qui a laissé échapper une remarque. Parce qu'ils se parlent, figure-toi !
L'idée que Hermione soit au courant de mes dérapages me glace.
Ça fait un moment qu'elle m'octroie des regards désapprobateurs sur la façon dont je gère ma barque depuis ma séparation avec Ginny.
— Mais ils se sont vus quand ? Il venait à peine de partir de chez moi.
Au regard de Ron, je comprends qu'on ne parle pas de la même chose.
— Tu parles de quoi ?
— Toi, tu parles de quoi ?
Ron se pince les ailes du nez.
— Ils se sont vus la semaine dernière pour bosser ensemble. Je ne suis pas censé t'en parler. Ça reste entre nous, mais Malefoy pense que tu le testes et que tu sabotes votre relation. Tu parlais de quoi, toi ?
La honte me bouffe les entrailles.
— Je croyais que tu tenais à lui !
— C'est le cas !
— Alors, quoi ?
Je me renferme dans un silence buté.
Il ne peut pas comprendre. Personne ne peut.
Mais c'est Ron, il ne va pas me lâcher.
— Tu sais comme ils sont quand ils s'y mettent, je m'emporte.
— Qui ça ?
— Ceux qui se passionnent à décortiquer chaque instant de ma vie. Ceux qui commentent chacun de mes putains de choix, chaque pas de travers que je fais. Ceux qui s'octroient le droit d'étaler chaque détail de ma vie sentimentale. Ceux qui se permettent de donner leur avis sur ma vie de famille, qui est un fiasco. Ceux qui se régalent de mes échecs...
Ron reste silencieux face à ma tirade.
— C'est infernal, mais j'ai l'habitude. Je sais encaisser. Mais je veux pas que Drago ait à affronter ça...
— Tu ne penses pas qu'il saura se défendre si c'est le cas ?
— Ils vont tout ressortir sur le tapis : son passé, ses erreurs de jeunesse, ses choix...
— Alors, tu préfères saboter votre relation ?
— Je veux juste le protéger !
Ron soupire, le regard compatissant.
— Tu vas le perdre, Harry.
Je croise les bras, sur la défensive.
Comme si je n'en avais pas conscience !
— Hé ! S'il faut cadrer les journalistes, je peux m'en charger. Remettre à leur place les paparazzis, je gère. S'il faut faire jouer la Justice Magique pour vous protéger, Hermione s'en occupe ! Tu as des alliés, Harry, ne l'oublie pas.
Ma gorge se serre.
Je ne mérite pas un meilleur ami comme Ron.
J'ai envie qu'il ait raison, que ce soit aussi simple...
Puis, comme pour mettre fin à la conversation, il ouvre un tiroir pour en sortir un dossier et me tend le parchemin qu'il contient.
— Tiens, Shacklebot m'a demandé de vérifier une piste qu'un indic lui a refilée. Vous êtes en planque toi et Malefoy, ce soir. Profites-en pour lui parler et démêler ton bordel !
.oOo.
Avant la foutue planque du soir, je passe chez Ginny pour lui rendre quelques affaires que les gamins ont laissé traîner chez moi.
Sur la terrasse en bois de la maison où on a habité ensemble, l'air est frais.
Je me pose sur le banc en bois qu'on avait construit avec Ron, à l'époque.
Tandis qu'elle récupère les vêtements et les livres d'école oubliés, je lui raconte mes déboires avec Drago.
— Et ça valait le coup au moins, cette baise sans lendemain ?
— Il ne s'est rien passé, je la reprends.
— Je croyais que t'avais levé le pied depuis que vous êtes ensemble.
— Je... ne fais rien, depuis des mois. Je me tiens à carreau, c'est la vérité ! J'ai arrêté les plans cul, mais les flirts sans enjeux, c'est rien, bon sang ! C'est juste... un jeu. Un jeu agréable qui fait me sentir...
— Puissant ? Dans le contrôle ?
Elle fronce le nez dans une grimace, mais elle n'a pas tout à fait tort.
— C'est la seule facette de ma vie que je peux contrôler. Les mecs et les filles que je séduis. J'y peux rien, j'aime trop ça, cette séduction constante...
— C'est la seule facette qui t'intéresse ! Tu as délaissé tous les autres pans de ta vie...
J'étouffe un râle de protestation.
— Je me sens déjà nul, Gin'. Inutile de m'achever...
Elle me jette un regard narquois.
On a beau être séparés, on continue de se voir, principalement pour les enfants, et on se raconte encore nos tracas. Comme si le divorce nous avait permis de nous parler sans prendre de pincettes.
Elle sait pour Drago. Même si d'après elle, ça ne tiendra jamais.
— Mais de toute façon, on n'est pas vraiment "ensemble"...
Elle hausse un sourcil face à ma justification bancale.
— Pas officiellement, je précise.
Elle ricane et lève le nez vers le ciel qui se couvre.
— T'as pas besoin de faire la une de la gazette pour que ce soit officiel, tu sais. T'as pas besoin d'une grande déclaration ou d'un déclic divin. Tu te prends trop la tête, Harry.
Je déglutis, on n'arrête pas de me le dire.
— Les enfants sentent quand tu ne vas pas bien...
Elle tourne ses taches de rousseur vers moi, penche un peu la tête.
— D'ailleurs, tant que tu n'auras pas réglé tes soucis, je préfère conserver la garde.
Un poids en fonte tombe dans mon ventre.
— J'ai le droit de les voir, Gin'.
— Et je ne t'en empêche pas. Comme convenu, certains week-ends quand ils rentrent de Poudlard, et pendant les vacances.
Elle passe une main dans ses longs cheveux roux pour les démêler.
— Mais tu n'es clairement pas apte à les gérer au quotidien...
Alors que je m'apprête à riposter, elle contrecarre.
— Penser à prendre rendez-vous pour la rougeole de Lilly ? Gérer les angoisses d'Albus ? Les charmes de l'adolescence de James ? T'as déjà du mal à te gérer tout seul...
Ça me fait chier, mais au fond je sais qu'elle a raison.
— Me fais pas la morale Gin'. Je pourrais te retourner le miroir et te faire la leçon quand tu te barres pour tes tournois de Quidditch à l'autre bout du pays ! On n'est clairement pas des parents modèles, toi et moi.
Elle fronce le nez dans un air buté.
— Mais moi, j'essaie ! Je ne me réfugie pas dans le boulot ou dans des plans cul pour fuir mes responsabilités !
— Toi, tu les confies sans rechigner à ta mère quand ça t'arrange !
Elle étouffe un râle en se relevant du banc.
— Si tu veux toujours les avoir ce week-end, on va arrêter cette discussion avant que ça s'envenime et que je ne change d'avis !
Elle se lève, s'étire avant de récupérer les affaires éparpillées sur la terrasse.
— Tu sais quoi, je le plains ton Malefoy. Réussir à avoir le Sauveur dans son pieu et se rendre compte à quel point il est invivable au quotidien, ça a dû lui faire une sacrée déception !
L'amertume est désagréable sous ma langue.
Le silence s'étire entre nous.
— Je suis désolé, Gin'.
Elle pince les lèvres.
— Ouais, moi aussi...
Tandis que je quitte notre ancienne terrasse, le doute me tenaille.
Est-ce que Drago a raison, est-ce que je sabote inconsciemment ce que j'ai ?
Pourquoi je ne suis pas foutu d'être heureux ? Comment diable font les autres ?
Pourquoi je n'ai pas droit moi aussi à cette accalmie, vingt ans après cette foutue Guerre ?
J'avise l'heure, je ne pensais pas m'être autant éternisé chez Ginny.
Au bout du chemin, je transplane pour rejoindre Drago pour notre mission du soir.
J'ai le cœur au bord des lèvres et les mains moites, mais il va falloir qu'on discute.
