A la naissance d'Edric Storm, impossible de se tromper sur l'identité de son géniteur : bien que la majorité des bambins soit pourvue d'yeux bleus, son crâne mou est déjà couvert d'un duvet noir comme la nuit. Aussi, Bruce a remarqué que le second orteil sur chacun de ses pieds est plus long que le gros, détail intéressant qu'il peut retrouver sur sa propre personne ainsi que sur ses frères et leurs enfants.

Il voit le jour quelques neuf mois après les noces de Stannis et de Selyse Florent. Apparemment, les dieux ont une fois de plus décidé de prouver leur infernal sens de l'humeur en détournant la bénédiction de fécondité supposée être attribuée à l'heureux couple pour le conférer à un autre, créant donc un vivant mémorial de l'humiliation infligée ce jour-là.

Pour une fois, Robert agit de manière honorable et reconnaît sa paternité. Il faut avouer qu'il n'a pas le choix : Delena Florent n'est pas une putain mariée à cent hommes dans un bordel sordide, et elle n'est pas non plus une paysanne prête à tous les déshonneurs en échange d'une poignée de pièces de cuivre pour acheter à manger et de quoi se vêtir. La nièce de lord Alester Florent mérite plus d'égards que cela.

Bruce ne la blâme guère pour avoir cédé au roi, pas alors que Robert est tellement plus grand qu'elle et peu accoutumé à ce qu'on lui dise non (parfois, le troisième frère Barathéon songe que la seule raison pour laquelle Robert ne se console pas de la mort de Lyanna Stark est qu'elle est la seule femme qu'il n'a jamais pu avoir). Vraiment, c'est la faute de Robert – il devrait faire plus d'efforts pour ne pas courir après tous les cotillons qui passent devant lui.

Il a entendu que Delena voulait garder son fils auprès d'elle, seulement pour que ser Colin Florent lui refuse cette possibilité. Maintenant qu'elle a été souillée, lui trouver un mari ne sera pas chose facile, et deviendra pire qu'impossible si elle conserve le fruit de sa honte dans ses jupes. Il paraîtrait que lord Tywin a suggéré de la marier à son fils nain, c'est tout dire sur les perspectives qui l'attendent.

Comme Robert refuse d'amener son bâtard au Donjon Rouge – encore une preuve de sa négligence, ou peut-être une rare démonstration d'intelligence ? Qui voudrait grandir dans ce nid d'araignées après tout – Bruce intervient et assume formellement la garde d'Edric Storm. Lui qui élève déjà son frère cadet et ses deux fils, ça ne devrait pas le changer beaucoup de s'occuper d'un neveu.

Ser Cortnay Penrose hausse les sourcils alors qu'il apprend la nouvelle.

« J'ai entendu parler de la fièvre de l'or » lance-t-il nonchalamment, les mains derrière le dos et le regard fixant l'horizon plutôt que son suzerain. « Une affliction qui a touché plusieurs des Lannister dans le passé. Peu importe combien ils entassaient et accumulaient d'or, ils ne pensaient jamais en avoir assez à leur disposition. »

Bruce émet un grognement, fronçant les sourcils pour l'inciter à dire le fond de sa pensée. Une lueur hilare brille dans les prunelles sombres de son banneret.

« Vous devriez consulter votre mestre pour voir s'il est possible de contracter la fièvre des enfants, messire » lâche-t-il avec le plus grand sérieux.

Bruce l'envoie vérifier que les inventaires des deux dernières années ne comportent aucune erreur pour cette remarque. Penrose attend qu'il tourne les talons pour le maudire copieusement et accuser ses ancêtres de s'être adonnés à des actes indécents et plutôt anatomiquement improbables avec divers bestiaux.

Le seigneur d'Accalmie ne le réprimande pas, en partie pour l'inventivité des injures. Quoique, il admet ne pas comprendre pourquoi les poulets figuraient dans la liste.

Pour sa part, Stannis se renfrogne encore plus qu'à l'ordinaire.

« Tu commences à avoir la réputation d'être trop coulant envers les bâtards » signale-t-il à son cadet immédiat.

Ce n'est pas de la réprobation dans sa voix, rien qu'une constatation. Mais ser Davos Mervault est pratiquement le seul homme que le sire de Peyredragon considère son ami (même s'il se refuse à l'exprimer) et il y a de fortes chances pour que le contrebandier repenti ignore le nom de son propre père, issu de Culpucier comme il l'est.

« Je suppose que Cersei Lannister figure parmi ceux encourageant cette réputation ? » interroge Bruce en retour.

Stannis pince les lèvres au lieu de répondre verbalement, mais c'est plus que suffisant pour confirmer. L'agacement retrousse les propres commissures de Bruce, dénudant sa dentition.

« Si sa grâce la reine peut infester le Donjon Rouge de laquais à cheveux jaunes sous prétexte qu'elle ne désire que s'entourer de sa famille Lannister, je peux bien ouvrir les portes d'Accalmie à quiconque peut revendiquer du sang Barathéon. Si ça ne lui plaît pas, qu'elle me montre l'exemple à suivre. »

« Tu ne suis jamais l'exemple qu'elle donne. »

« Parce qu'il n'est jamais que mauvais, et elle s'entête à croire le contraire. »

La discussion s'arrête là. Il faut avouer que l'argument est imparable, même pour qui ne connaît qu'à peine la lionne qui se terre à Port-Réal. Il existe des gens qui constituent naturellement des références, en bien comme en mal, et la fille de lord Tywin appartient incontestablement à cette seconde catégorie.

Lorsqu'il se présente devant Delena Florent afin de pouvoir emmener le fils de celle-ci dans la forteresse de sa famille paternelle, elle darde sur lui un regard mouillant mais résigné. La gêne le tracasse à la manière d'un pourpoint trop serré ; ni Jeyne ni Mary n'ont jamais versé de larmes en sa présence, pas même alors qu'elles envisageaient la possibilité qu'il prenne leurs enfants.

« Il vous écrira » promet-il maladroitement. « Dès qu'il aura appris ses lettres. »

Elle laisse échapper un gloussement surpris qui se transforme en sourire timide, et en dépit de n'être visiblement pas heureuse de la situation, au moins ne semble-t-elle plus malheureuse.

Edric Storm rejoint donc la maisonnée de son oncle à quatre mois, ainsi qu'une nourrice jusqu'à ce qu'il soit sevré, et l'affaire est close.

Enfin, sauf en ce qui concerne les enfants. Bruce doit s'y reprendre à trois reprises avant qu'ils ne se décident à croire que non, il ne s'agit pas d'un nouveau rejeton du seigneur d'Accalmie, mais du fils du roi.

Pour un peu, Bruce se vexerait, mais il est conscient que ses antécédents travaillent contre lui alors c'est difficile de leur en tenir rigueur.

« Il ne sait donc rien faire ? » s'ébahit Tim, penché au-dessus du berceau et visiblement incrédule qu'il puisse exister une créature si inutile qu'elle passe son temps à dormir, manger et déféquer.

« Tu ne savais rien faire non plus quand tu avais son âge » lui rappelle gentiment Bruce pour l'inciter à l'indulgence.

« Mais ça m'est passé ! » proteste l'enfançon, avec toute la supériorité que lui procure la moitié de décennie de son existence.

« Et ça passera aussi à ton cousin. Laisse-lui simplement le temps, d'accord ? »

Tim doit être convaincu, puisqu'il s'abstient de critiquer le bébé Edric par la suite. À la place, il calque sa conduite sur celle de Renly et de Dickon, qui ignorent résolument le bambin sous prétexte qu'à cet âge-là, ce n'est pas intéressant du tout.

Aux oreilles de Bruce, ça sonne désagréablement comme les justifications de Robert. Sauf que pour le roi, jamais ses frères n'ont atteint l'âge où il est enfin possible de devenir intéressant.

Il devra garder l'œil sur les garçons, s'il ne veut pas voir recommencer le désastre qu'est la fratrie de la précédente génération Barathéon.