« Torren, lâche ce couteau tout de suite ! »
L'avertissement de Teyla traversa sans peine toute la salle d'entraînement.
Avec la moue coupable de celui qui se sait prit sur le fait, le jeune homme tendit la lame à son digne propriétaire, qui ne fit pas mine de la récupérer.
« C'est un homme maintenant. Il doit apprendre à se défendre ! » protesta Ronon, s'avançant vers son amie, qui le fusilla du regard en retour.
« Maman. Laisse-moi apprendre avec Ronon. S'il te plaît ! » supplia l'adolescent. « J'aimerais vraiment participer aux campagnes de négociation cette année, et ça me sera utile de savoir me défendre ! »
Teyla, les bras croisés, soupira. Ce n'était certainement pas la première fois qu'ils avaient cette discussion
« La larve dit vrai. D'ici un ou deux ans, il aura atteint son potentiel énergétique maximum. C'est une proie de choix. S'il n'apprend pas à se défendre, autant le placer tout de suite dans un cocon. » intervint l'officier wraith ouman'shii faisant office de veilleur sur la cité, alors qu'il passait dans le couloir sans même s'arrêter.
Ronon gronda, découvrant les dents.
« Le wraith a raison ! » cracha-t-il.
« Mêlez-vous de vos affaires, Bob (1) ! » hurla Teyla à l'attention de ce dernier, qui tournait déjà au coin.
Elle se retourna ensuite vers ses interlocuteurs principaux, s'approchant pour arracher le couteau des mains de son fils.
« D'accord, mais avec des lames d'entraînement. Pas avec ça ! » grinça-t-elle, rendant de force l'arme au Satédien – qui roula des yeux.
« Tu le protèges beaucoup trop. »
Elle le défia du regard alors que son oreillette grésillait.
« Comme si j'avais le choix, même ici sur Atlantis, il risque de se faire poignarder... » grinça-t-elle avant de se détourner.
Ils la regardèrent sortir, puis Ronon se retourna vers le jeune homme.
« Va chercher ces couteaux « d'entraînement », qu'on s'y remette. » suggéra-t-il.
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« Qu'est-ce qu'il se passe ? » s'enquit Teyla, en arrivant dans la salle de contrôle de la Porte.
Sheppard lui désigna trois personnes, qui discutaient avec le Dr Dickson, le nouveau dirigeant de la cité.
« Ces gens prétendent être des marchands malloriens. » expliqua-t-il.
Elle les détailla. Une femme, deux hommes, vêtus de longues robes de laine couleur de terre, et de coiffes du même tissu, brodées de rangées de perles de verre. A leurs pieds, de grandes hottes débordaient de lainages et autres produits artisanaux.
« Ils m'ont l'air de Malloriens et s'ils sont ici, je suppose qu'ils ont donné le bon code. Pourquoi m'avoir fait venir, colonel ? »
John fit la moue.
« Je ne sais pas. Un truc qui joue pas... » marmonna-t-il, claquant des doigts comme si cela pouvait l'aider à trouver.
Teyla opina, et reprit son examen plus soigneusement.
Effectivement, pour des vendeurs de laine, leurs habits semblaient plutôt usés et mal entretenus.
Elle connaissait bien l'adage terrien disant que les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés – mais ne pas montrer sa plus belle marchandise était plutôt stupide pour des marchands itinérants.
Et pour de simples bergers et tisserands, ils étaient remarquablement alertes et organisés. L'air de rien, ils s'étaient positionnés de manière à ce qu'ensemble, ils puissent surveiller toute la salle, sans aucun angle mort, et il y avait ce quelque chose dans leur manière de se tenir...
John l'observait, attendant sa réaction. Elle hocha imperceptiblement la tête.
Sans en avoir l'air, car la femme les avait dans sa ligne de vue, John se décala alors, coupant l'alimentation de la Porte, tout en se donnant l'air de simplement vérifier quelque chose sur un écran. L'opérateur en poste eut le bon sens de ne pas broncher.
« Dr Dickson, désolée de vous interrompre, mais il y a un petit souci avec la serre numéro deux. Vous pourriez venir voir ça un instant ? » appela Teyla, l'air sincèrement navré.
Le politologue se retourna.
« Ça ne peut pas attendre cinq minutes ? »
Elle lui offrit un sourire contrit en retour.
« Non, désolée. »
« C'est bon, j'arrive... » rouspéta l'homme.
Il n'avait pas fait deux pas qu'un des « Malloriens » le saisissait par le col, lui plaquant une lame sous la gorge, tandis que ses deux camarades sortaient des fusils-mitrailleurs de leurs hottes.
Il ne fallut qu'un instant à Sheppard pour activer l'alarme de la cité, alors que le personnel de sécurité de la Porte les mettait en joue.
« Baissez vos armes ou on le tue ! » hurla l'homme qui tenait Dickson.
« Vous êtes sérieux ? Vous êtes encerclés. Vous ne l'avez pas remarqué ? » répliqua John, son arme au poing.
Pour toute réponse, l'homme appuya un peu plus fort sa lame, faisant couler un mince filet de sang du cou du politicien, qui gémit.
« Flinguez-le, Sheppard ! »
Le militaire l'ignora. Il savait quand suivre les ordres de son supérieur hiérarchique et quand ne pas le faire.
« Vous n'êtes certainement pas des Malloriens. Vous êtes quoi ? Genii ? Frygiens ? Autre chose ? »
« Nous sommes le Front de décolonisation de Pégase ! »
John fronça les sourcils, réprimant péniblement un sourire, puis se racla la gorge, tentant de garder contenance.
« Donc, vous êtes des FdP ? » demanda-t-il, l'air aussi sérieux que possible.
Teyla tenta de comprendre pourquoi cet acronyme l'amusait autant, puis renonça. Elle pourrait toujours lui demander plus tard. Il y avait vraiment plus urgent.
« Nous allons libérer cette galaxie de ses envahisseurs ! Retournez chez vous ! Cessez de voler les reliques de NOS ancêtres ! » beugla la femme, agitant son arme.
« Sheppard ! Butez-les, c'est un ordre ! » siffla Dickson.
John l'ignora encore, se contentant de vérifier discrètement que l'équipe de sécurité appliquait le protocole, et que les snipers étaient bien en place sur les passerelles.
« Écoutez les gars, visiblement, vous avez des revendications. Nous, on est pas là pour coloniser qui que ce soit, on est là pour aider. Pour protéger. Alors pourquoi vous baisseriez pas vos armes, qu'on en discute calmement ? »
« Menteur ! Vous volez les technologies des Ancêtres. Vous ne partagez rien ! Tout pour vous ! Mais c'est à nous. C'est notre héritage, pas le vôtre ! »
John soupira, se tournant vers son amie.
« Teyla, dites-leur tout ce qu'on fait pour aider les Athosiens. »
« Le colonel a raison. Le SGC a sauvé mon peuple, et il nous aide encore beaucoup, tous les jours. Ce sont nos amis et nos alliés. »
« Ah ouais ? Qu'est-ce qu'ils vous donnent ? » répliqua un des hommes.
« Ils nous protègent quand les wraiths attaquent, ils nous donnent des médicaments et des vaccins, ils nous ont aidé à déménager plusieurs fois. »
« Ils vous protègent avec les armes que les Ancêtres nous ont laissées à nous ! Et s'ils sont tant que ça vos amis, pourquoi ils ne vous apprennent pas à vous défendre et à vous soigner et à vous débrouiller par vous-mêmes ? Dites-nous donc, Athosienne ! » siffla la femme.
Teyla jeta un regard perdu à John. Que répondre ? Elle n'en eut pas besoin, car ce dernier eut un petit geste du menton, et trois tirs de blaster simultanés retentirent. Les trois assaillants tombèrent au sol, assommés, alors que le Dr Dickson allait trébucher un peu plus loin, rapidement soutenu et emmené par l'équipe médicale.
Aussitôt les attaquants menottés et embarqués, John fit arrêter l'alarme et se passa une main sur le visage, l'air las.
« Bien joué, John. » le félicita-t-elle. « Sans votre vigilance, ça aurait pu tourner beaucoup plus mal. »
Il opina en soupirant.
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« Sheppard, vous m'avez désobéi ! » gronda Dickson, déchargé de l'infirmerie avec un beau pansement sur le cou.
« Oui, docteur. Si je faisais mine ne serait-ce que de pointer mon arme sur eux, ils auraient eu quinze fois le temps de vous abattre. » grommela le colonel.
« Vous n'en savez rien. Mais ce qui est certain, c'est qu'avec tout votre blabla, ils ont en eu quinze fois le temps ! »
«Mais tout va bien, et vous êtes vivant. » intervint Teyla, tentant de calmer le jeu.
« Ouais, j'ai même pas eu le temps d'arriver jusqu'à la salle de la Porte ! » renchérit Ronon avec une pointe de déception.
Le politologue marmonna dans la barbe qu'il n'avait pas.
« Avez-vous pu tirer quelque chose de mes agresseurs ? »
« Non, rien. Ils ne cessent de répéter qu'ils font partie de ce Front de décolonisation de Pégase, et qu'Atlantis et tout le tintouin devrait leur revenir. Pour le reste, ils ne veulent rien dire. Mais je soupçonne qu'ils viennent d'au moins deux planètes différentes. » expliqua John.
« Qu'est-ce qui vous fait dire ça ? »
« Ils ont des accents un peu différents. »
«Si vous le dites. Est-ce qu'au moins vous savez s'il n'y a qu'eux trois, ou si on doit s'attendre à d'autres attaques ? »
« Aucune idée. »
« Et bien, trouvez ! »
« A vos ordres. »
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« John, ça va ? » demanda Teyla en entrant dans leur chambre.
Assis sur le bord de leur lit, son pantalon de pyjama oublié à côté de lui, il fixait sans le voir la tapisserie murale okranienne qu'ils avaient achetée ensemble quelques années plus tôt.
« Ouais, ça va. »
Elle vint s'asseoir à côté de lui.
« Ne mens pas. Qu'est-ce qui ne va pas ? »
Avec un soupir, John se releva, arpentant la pièce de long en large. Elle le laissa faire. Il avait toujours besoin de temps pour articuler ses problèmes.
« Ils ont raison. Les gars du Front de décolonisation. Ils ont raison. »
« Je ne comprends pas ? »
« C'est quand la dernière fois qu'on a découvert un artefact utile, et qu'il n'est pas parti droit sur Terre ? »
« Heu... »
« Tu vois ? Ils ont raison. On prend, on prend, on prend, et on ne donne rien ! »
« John, c'est faux. Atlantis aide des dizaines de peuples. Pas que les Athosiens. Beaucoup d'autres. Ça fait des années qu'aucun enfant athosien n'est mort de la peste gahle, grâce aux campagnes de vaccination. Et l'université de Belcor va grandement bénéficier des documents qu'on leur a amené la semaine passée. Et je ne vais pas te rappeler tout le bien qu'on fait chaque jour. Pendant des millénaires, nos peuples survivaient sans espoir. Mais les Terriens nous ont rendu cet espoir. Ils nous ont montré qu'on peut – et qu'on doit – se battre. Et qu'un avenir meilleur est possible ! »
« Teyla, t'es sérieuse ? »
« Oui ! »
« C'est nous qui avons réveillé les wraiths ! Les Hoffans sont morts par millions à cause de nous ! Si vraiment les Terriens voulaient le bien des peuples de Pégase, on n'organiserait pas de pauvres campagnes de vaccination à gauche, à droite. On ne distribuerait pas quelques dizaines de fusils de chasse et des manuels de physique de niveau primaire. On vous apprendrait à créer et à fabriquer vos propres médicaments ! On vous donnerait de vraies armes pour combattre les wraiths, et on partagerait vraiment notre technologie ! » s'énerva-t-il, jetant les bras au ciel.
Se levant, elle l'interrompit dans sa marche furieuse et inutile, le serrant contre elle. Au bout de quelques secondes, la tension qui le crispait se dissipa un peu et il soupira.
« Tu sais ce qui est le pire ? »
«Non ? »
« C'est que je ne sais pas où vont toutes ces choses qu'on... vole. »
« Comment ça ? »
« Les E2PZ par exemple. On en a trouvé combien ? Quarante ? Cinquante ? Même si y en a que la moitié qui sont en état d'être utilisés, ça en fait quand même assez pour alimenter toute l'Amérique en énergie propre, saine et gratuite. Mais non : on en est encore à allumer des saletés de centrales à charbon chaque hiver pour couvrir les besoins énergétiques ! Ils sont passés où ?! »
Elle opina gravement. Elle n'était pas retournée sur Terre depuis quelques années, mais elle avait déjà été frappée par l'écart technologique entre la cité d'Atlantis et certaines régions de cette planète.
« Tu as raison, il y a un problème, mais ces gens ont tort. Atlantis et les Terriens ont apporté et apportent toujours beaucoup à Pégase. Même si ce n'est pas autant que ce dont ils seraient capables... »
John fit la moue. Le genre de tête qui disait « je ne suis pas d'accord, mais je ne vais pas discuter et juste ravaler mes arguments. »
« Si ça te gêne tant que ça, pourquoi ne pas essayer de changer les choses ? » suggéra-t-elle.
John eut un rire sombre.
« Ah ! Parce que tu crois que ces grosses huiles de la Commission vont écouter un militaire comme moi ?! Pourquoi tu crois que c'est que des politicards bénis-oui-oui du genre de Dickson qu'on s'enquille depuis le départ de Weir ? Hein ? »
Elle opina. Aucun chef d'Atlantis n'avait duré plus de trois ans depuis le départ de la diplomate, neuf ans plus tôt. Et aucun n'avait su se hisser à sa hauteur.
« John. Regarde-moi, John. »
A contrecœur, il baissa les yeux, rivant son regard au sien. Se hissant presque sur la pointe des pieds, elle lui prit le visage entre les mains.
« Tu n'as jamais eu besoin de l'accord de la Commission ou de qui que ce soit pour faire ce qui est juste. Jamais. »
Il opina, imperceptiblement.
Avec un sourire doux, elle le força à pencher la tête jusqu'à ce qu'ils soient front contre front.
Les dernières tensions quittèrent les épaules du militaire, qui soupira.
« Merci. »
(1) Oui, oui, il s'agit bien du même Bob que celui de « Par-delà le destin 4 ». Celui qui se faisait appeler Naiu'reyn et qui a parié qu'il serait plus capable d'entraîner les unités mixtes que Sel'kym.
