Sur mon banc, que j'avais vu inondé de soleil avant qu'il s'imbibe de fantômes, celui qui disait être le diable s'étalait.
Crains les fantômes, m'avait-on dit, car ils peuvent t'attirer dans la mort. Je ne crois pas à mes capacités à survivre. Je suis un secrétaire, et je ne peux pas esquiver un coup de couteau, voire une griffe de chat ou un coup de plume acéré.
Le diable, cependant, aurait des difficultés à m'entraîner avec lui, pour la même raison ; je suis bien trop ennuyeux pour somber dans le péché.
Et puis, les brumes des fantômes peuvent ruiner un rare rayon de soleil, alors que les feux de l'enfer ne peuvent que le rendre plus brillant, plus estival. Voilà ce que je pensai, alors que je m'assis près de Reid Unthank.
"Weep, mon camarade, que viens-tu chercher ici ? Si tu veux un second livre, il faudra le payer."
"Le soleil, le soleil seulement !" Avez-vous déjà tenté le diable, voulant le persuader que vous n'aviez aucun intérêt en lui ? C'est ce que je ressentais.
"C'est bien. On ne sait jamais ce qu'on paie."
"Ma place de secrétaire, et ma tranquillité. Savais-tu que l'esprit de Chaucer et celui du chat ne poursuivraient par-delà les ténèbres ?"
"Non, j'ignorais que ton oeuvre leur plairait tant. Et toi, t'en doutais-tu, quand tu grattais le papier ?"
"Tu m'as fait croire que j'étais un écrivain." lui dis-je, sans vraie acrimonie. Cela avait été un sentiment plaisant. "Tous les écrivains pensent qu'ils vont écrire un chef d'oeuvre qui éblouira l'humanité."
Reid eut un ricanement noir et jaune. "Tout ceci est vrai. J'ignorais aussi que tu me plairais tant. Tu as rassemblé une belle collection."
"Reid," lui dis-je, nous étions vraiment amis, n'est-ce pas ?
J'oubliai qu'il était le diable, ou plutôt, je fis semblant d'oublier, pour ne pas avoir honte de l'orgueil de cette question.
"L'amour n'est pas pour moi, Weep. Aimer ta compagnie est déjà tricher avec ma chute, plus que je peux me permettre."
Je clignai des yeux, imaginant à moitié que cela ferait disparaître l'illusion. Et oui, son sourire était moqueur à nouveau, plutôt que d'être distordu par une terrible gravité.
"Que donnerais-tu pour que je dévore le fantôme ? Et je dois pouvoir trouver un arrangement avec le chat aussi."
Une question qui me griffa comme le chat l'aurait fait lui-même. Je ne voulais pas lui donner mon âme, je savais cela. La tristesse de la sienne, trop sombre et trop immense, m'aurait dévoré. J'ignorais ce que j'avais d'autre à offrir.
"Que veux-tu ?" demandai-je.
Mon coeur battit fort quand il s'approcha de moi, ses mains aux ongles trop longs encadrant mon visage. Je ne bougeai pas, pourtant, aussi fasciné qu'effrayé.
Il retira sans mains sans m'avoir rien fait, sans même un coup de griffe, et une goutte de déception empoisonna mon soulagement.
"Peu importe," dit-il. "Tu m'as déjà payé assez."
Et ainsi, la mort cessa de m'appeler. Et ainsi, le diable me prit quelque chose que je ne pouvais nommer. Au lieu d'être prisonnier de l'au-delà, je fus prisonnier de moi-même, mais je ne le regrettai pas.
C'est plus confortable, et on voit passer, de temps en temps, un éclair de feu noir.
