Ecrit pour Calimera sur le thème "Hante-moi, alors !"


Je ne croyais pas aux fantômes. Toi, tu y croyais, Victor. Visité dans tes rêves par les esprits d'Élisabeth, de Clerval, de ton tendre petit frère, et je les pensais fruits de ton imagination. Pourtant, je te rejoins dans cette chimère, le dernier lieu où je te trouve.

Une nuit, alors que le navire, couvert d'opprobre et d'ombres, retournait vers le sud, j'entendis des bruits sur le pont. Je n'étais pas malade, mais j'avais perdu l'énergie de la découverte, et celle de la mise en forme de ton histoire, Victor, qui me faisaient veiller jusqu'à l'aube sans que la fatigue ose m'approcher. Je ne souhaitais maintenant plus qu'une fin heureuse à ce voyage, revoir ma sœur dont j'avais éprouvé les nerfs. La paix, à défaut de la grandeur, de la renommée, de l'amitié même, de tout ce à quoi j'avais dû renoncer.

Je passais rapidement mon manteau et montai sur le pont. Rien de néfaste, heureusement, mais l'équipage exprimant une bruyante admiration devant une des plus magnifiques aurores boréales que j'aie vues. C'est le Pôle qui nous fait ses adieux, pensai-je, touché par tant de beauté.

Puis j'entendis ta voix, Victor. Comme portée par le vent, comme portée par l'espace. Ce n'était que mon nom, mais tes nobles accents en faisaient un son riche et éthéré. Je courus à l'avant du navire, me penchai tant pour mieux entendre ton message que certains membres de l'équipage craignirent que je saute. Mais je m'agrippai au plat-bord gelé et résistai au désir de plonger pour mieux entendre de miraculeuses dernières paroles.

Je ne dormis pas cette nuit. L'esprit, m'as-tu révélé plus clairement que quiconque, se manifeste sur cette terre par des impulsions électriques dans le cerveau. Alors quoi, qui sait si une volonté aussi exceptionnelle que la tienne ne pourrait, après la mort, se fixer dans les phénomènes électriques extraordinaires du ciel polaire ?

Je veux y croire, Victor, plutôt que de t'avoir perdu pour toujours. Lis mon esprit, lis mon âme. Si tu es là, tu le peux.

Je sais n'avoir aucun droit sur toi. Ton cœur devrait, en toute justice, rejoindre dans l'autre monde ceux que tu as aimés. Même si tu es injustement condamné à un cruel purgatoire, vérifier que ta Créature est définitivement neutralisée était l'objet de tes toutes dernières aspirations. Qu'y a-t-il pour toi ici, sur mon navire ? Le récit de ta vie et le désir de mon âme, deux choses que tu as rejetées comme indignes de toi. Mais je suis vivant, et mon cœur désire le tien, et peut-être les vivants peuvent-ils hanter les morts autant que le contraire.

Je t'en prie, reviens ! Parle-moi, hante-moi, je porterai tout le poids de tes regrets et ne te demanderai rien. Depuis cette aurore, je dors le jour. La nuit, je guette le ciel et ce ruban de lumière divine qui contient peut-être un fragment de ton âme. Je crains maintenant le retour aux mers familières, aux ciels tièdes, à la lumière autrefois sublime de la lune et des étoiles, qui ne te rêve pas.

Si tu dois me dire de te quitter, de ne plus jamais revenir, je le ferai. Mais une lueur encore, même sans ta voix, et après avoir tenu mon serment à mon équipage, je reviendrai.

J'ai renoncé à la gloire de conquérir le Pôle, mais mes espoirs y restent ; je crois d'une foi trop forte qu'il abrite quelque chose de plus précieux encore.