Stiles était ronchon. Ronchon non pas parce qu'il était blessé – il trouvait d'ailleurs l'emploi de ce terme quelque peu abusé quant à sa situation –, mais plutôt parce que c'était visible. Et qu'on ne l'avait pas laissé partir tant que l'on n'était pas sûr qu'il garderait ses plaies couvertes. Elles avaient beau être légères, on ne plaisantait pas avec la santé de l'humain : en cela, on le chouchoutait. En ce qui concernait le reste de ses états-d'âme, c'était le désert. Stiles n'était cependant pas difficile et il acceptait volontiers l'idée qu'on puisse vouloir prendre soin de lui – il fallait avouer que c'était plaisant. Néanmoins, il ne supportait pas que l'on désinfecte ses plaies. S'il comprenait le principe de l'antiseptique, il appréciait qu'on tienne ce produit des enfers loin de lui et qu'on cesse de vouloir l'appliquer sur sa peau si sensible. Le jeune homme préférait mille fois faire une infection et se faire mettre sous antibiotiques que laisser ce liquide le brûler jusqu'aux tréfonds de son être. S'il exagérait ? A peine. Comme il avait tendance à le répéter – il se faisait l'impression d'être un perroquet –, il avait des globules blancs en béton armé et n'était pas contre l'idée de les faire travailler régulièrement. Ce n'était pas pour autant qu'il allait, à chaque mission, prendre des risques en se mettant volontairement sur le devant de la scène, non : cette fois-là était juste véritablement nécessaire.

Puis Scott ne l'en avait pas tant empêché que cela ce qui, à ses yeux, voulait tout dire. Son meilleur ami lui faisait finalement confiance, ou en tout cas suffisamment pour lui laisser davantage de place dans les interventions de la meute. Stiles adorait élaborer des plans, mais il aimait tout autant les faire fonctionner, les exécuter – d'autant plus qu'ils étaient forts safes. Evidemment, on n'était jamais à l'abri d'un imprévu, d'une petite incartade, de tous ces petits détails qui pouvaient envoyer balader la meilleure des sécurités. Au final, Stiles n'avait pas pris grand-chose : ce n'étaient pas quelques égratignures et bleus qui iraient le mettre à terre. Sa condition d'humain le rendait certes fragiles par rapport aux autres, mais pas impotent. Disons qu'il avait ses forces et ses faiblesses et qu'il ne tenait qu'à lui de les utiliser correctement – encore fallait-il qu'on lui laisse le champ libre. Et peu à peu, c'était le cas. Stiles ne demandait rien de plus que l'accord de cette confiance qu'il savait mériter. Avec tout ce qu'il faisait pour la meute, il ne voyait pas ce qui pourrait l'en empêcher. Une chose était certaine : il n'hésiterait pas à faire davantage si cela lui permettait de faire oublier aux autres son statut humain.

Stiles gara sa Jeep à côté de celle de son père, déjà rentré depuis belle lurette. Evidemment, celui-ci allait sans doute lui poser des questions et le jeune homme sentait déjà les reproches venir, ainsi que les recommandations tout à fait stériles de Noah Stilinski. Stériles parce que ce père casse-cou prenait le même genre de risques au travail, à la différence qu'il était payé. Alors forcément, Stiles prépara toute une multitude de soupirs à lui sortir. Il arrivait à Derek de parler avec ses sourcils : lorsqu'il n'était pas d'humeur, l'hyperactif faisait de même avec lesdits soupirs, pour un temps donné. Plus simple. Moins prise de tête. Et pendant que son vis-à-vis s'acharnait à l'embêter et à l'assommer de reproches, Stiles préparait mentalement son armée de mots et sa bouche, si bien entraînée, balançait tout d'un coup. Imparable.

Mais Stiles choisit d'entrer dans sa maison en arborant un air totalement tranquille et s'il aperçut son père dans la cuisine, celui-ci devrait se contenter d'un « je suis rentré ». Si l'hyperactif savait à quoi s'attendre, il n'était pas contre l'idée d'éviter le face à face. C'était encore plus simple que tout le reste. Comme tout, il faisait en sorte de se ménager et de ne pas s'infliger de débat au sujet de sa soi-disant inconscience. Il en connaissait déjà les tenants et les aboutissants, de toute manière. Alors pour lui, c'était simple : direction sa chambre. Il avait un petit creux, mais ça pourrait attendre – il n'aurait qu'à prétexter une maladie soudaine pour ne pas manger avec le paternel et ne pénétrer dans la cuisine que lorsqu'il se saurait complètement tranquille. Cela tout en sachant qu'il ne pourrait pas éviter Noah éternellement. Et il n'avait jamais eu aussi raison qu'en ce début de soirée.

- Stiles, tu viens ici, entendit-il alors qu'il commençait à monter les escaliers.

- Je suis malade, tenta-t-il d'un ton fort peu convaincant.

- Fils, je ne me répèterai pas.

Stiles poussa un soupir. Il y avait des fois où son père allait jusqu'à oublier sa présence tant son boulot était prenant et lui volait toute son énergie… Alors pourquoi n'était-ce pas le cas ce soir ? Sachant fort bien que le shérif risquait de perdre patience et n'ayant pas la moindre envie de le voir monter à sa suite, l'hyperactif quitta les escaliers et s'en alla dans la cuisine. Dire qu'il n'appréhendait pas serait mentir : l'air de rien, il avait beau être habitué aux reproches et mises en gardes de son père, il ne s'y habituait pas. En fait, l'attitude de Noah à son égard était toujours changeante, tant et si bien qu'il ne savait jamais réellement sur quel pied danser. Il avait les bases pour interagir avec lui, mais ça s'arrêtait là – il lui fallait par la suite improviser. Noah était tantôt présent, tantôt absent – et pas toujours quand il le fallait.

Ainsi, Stiles ne sut comment interpréter son expression faciale lorsqu'il le vit pénétrer dans la cuisine. Il y avait un mélange d'effarement, de colère et… D'un petit il ne savait quoi qui ne lui plaisait qu'à moitié. Dans un sens, il restait heureux que son père réagisse par rapport à son état, mais… Il n'avait pas envie de l'inquiéter de quelque manière que ce soit.

- Stiles… Fit Noah sur un ton quelque peu menaçant.

L'hyperactif sentit la menace de sanction arriver.

- Scott m'a laissé prendre un peu plus de responsabilités, s'empressa de dire Stiles. La meute était dans de beaux draps et… Sans mon intervention, on y aurait laissé des plumes.

- Tu es quand même blessé, lui fit remarquer le shérif, pas content de son explication pour un sou.

- C'est rien que des égratignures de rien du tout, des trucs qui ne méritaient même pas qu'on les désinfecte.

Et pourtant, c'était ce qu'on avait fait. Ah, ce que Peter s'était amusé à le torturer ainsi… Il avait accepté de le soigner juste parce qu'il le savait douillet. Ainsi, le désinfectant lui avait servi d'arme.

Noah se leva de sa chaise et s'avança pour s'arrêter près de lui. Proche. Ses doigts attrapèrent son menton, lui firent tourner la tête à gauche, puis à droite. Il l'examinait.

- La dernière fois que tu es revenu à la maison dans un tel état, c'était parce qu'on t'avait tabassé.

Si Stiles se souviendrait toujours de ce jour où Gérard Argent avait déchaîné sa violence sur lui, il ne pensait pas que c'était également le cas de son père. Ainsi, il ne put cacher sa surprise, ni contrôler complètement l'émotion qui le prit soudainement. Une émotion qui le fit bégayer plus qu'habituellement :

- C'était… C'était pas ça, j'ai juste… Pris des risques.

Parce que les mots de son père l'avaient chamboulé malgré lui. Ainsi, ça l'avait marqué ? Stiles avait la fâcheuse tendance à s'imaginer que son bien-être importait peu, que ses mauvaises expériences passaient à la trappe… Parce que la vie continuait, qu'on avançait. Et lui aussi, parce qu'il ne s'arrêtait jamais. A côté de cela, il s'évertuait à écarter l'inquiétude du chemin de ceux qui croisaient son regard. Il allait bien, en soi… Et trouvait toujours le moyen d'éviter de se plaindre.

Noah poussa un soupir en lâchant son menton mais ne cessa de fixer son visage constellé de pansements ici et là. Il avait une pommette un peu bleuie, d'ailleurs.

- Et Scott n'aurait pas dû te laisser faire.

- Il m'a fait confiance, objecta l'hyperactif.

- Qu'il te fasse confiance est une chose, qu'il t'envoie au casse-pipe en est une autre.

Légère pause. Et même s'il n'était pas d'accord avec sa vision des choses, Stiles ne dit rien. Disons que l'attitude étrangement protectrice de son père le clouait littéralement sur place… Trop pour qu'il trouve quelque argument valable à lui soumettre.

- Tu sais fils, je n'ai jamais été très emballé à l'idée que tu fasses toutes ces choses avec la meute, mais je te laisse faire parce que je sais que ça te tient à cœur et que l'air de rien… Vous sauvez des vies. Mais je ne veux pas que ce soit au détriment de la tienne. J'en toucherai un mot à Scott.

Ce fut à cet instant que Stiles sembla se réveiller de cette espèce de torpeur bienheureuse :

- Non, ce n'est pas la peine, je…

- Stiles, le coupa Noah, je n'ai pas envie de te perdre, tu m'entends ?

Si l'hyperactif avait été capable de répondre à cet instant, il ne lui aurait rien répondu à part un « oui » aussi simple qu'étranglé. Parce qu'il n'était pas habitué aux démonstrations d'affections à son encontre, encore moins venant de son père, shérif de profession, homme de loi de cœur. Ainsi, il considéra la main que son paternel posa sur son épaule comme l'équivalent d'un câlin, d'une étreinte fébrile à laquelle il répondit par un simple hochement de tête, peu coutumier au fait qu'on puisse témoigner une réelle inquiétude à son égard... Lui montrer qu'on pouvait tenir à lui, son père en particulier.

Ainsi, adieu l'humeur ronchonne, l'air grognon. Stiles se perdit dans une confusion telle qu'il se rendit dans sa chambre sans demander son reste.