Hello ! Voici la suite :)

Shadow: Merci pour la review. Contente que le match ait eu un effet "ouah" ^^

Ju: Pari gagné pour moi aussi si tu as eu l'impression d'y être. Je suis ravie ! Théories intéressantes... on te laisse découvrir ! ;)


De retour chez lui, Kagami trouve son appartement étrangement calme. Tout ce qui s'est passé cette après-midi apparaît soudain irréel, mais quand son regard se pose sur la tasse de café d'Aomine, il est bien obligé de reconnaître que oui, il est bien devenu ami avec un jeune flic après lui avoir offert un café. Et qu'ils ont même partagé un moment inoubliable sur le terrain de basket. Kagami n'a pas joué comme ça depuis des années, et ça lui avait manqué. Cette adrénaline, cette incertitude stimulante qu'on éprouve dans une situation difficile où il faut se réinventer pour vaincre. Quel drôle de hasard d'avoir croisé la route d'Aomine grâce à ses visiteurs nocturnes…

Kagami va prendre sa deuxième douche de la journée, et profite d'avoir encore un peu de temps avant de devoir se connecter pour mettre en place l'œil de bœuf et l'entrebâilleur. Il n'est pas un grand bricoleur, mais comme il vit seul depuis longtemps, il sait se débrouiller, et 45 minutes plus tard, tout est fin prêt. Il lance un regard satisfait sur son œuvre : c'est indubitable, il se sent moins vulnérable avec cette sécurité en plus. Il est content qu'Aomine ait décidé de lui apporter ça, et il lui enverrait bien un message pour le remercier et lui dire que tout est en place, mais il réalise, un peu déçu, qu'il n'a aucun moyen de le contacter.

Son estomac grogne, et décide de se préparer quelque chose à grignoter. Il en profite pour envoyer un message à Alex.

Moi - 18h50

Salut. J'ai rencontré un basketteur qui devrait t'intéresser... Si tu vois un grand basané sur le terrain, c'est lui.

Alex - 18h52

Really?! Dis-moi tout... Il est mignon ?

Il lève les yeux au ciel, mais ça le fait sourire. Alex cherche toujours à le caser. Elle s'inquiète pour lui presque comme une mère, qu'il mange bien, qu'il ne soit pas trop seul… Parfois ça l'agace un peu, mais au fond, ça lui fait plaisir qu'elle se soucie de lui, qu'elle lui prouve chaque fois qu'il est important pour elle.

Moi - 18h53

Mignon, et hétéro. Comme d'hab. Mais tu devrais voir son jeu... J'ai jamais vu quelqu'un d'aussi rapide et agile. Il est impressionnant.

Alex se montre étonnée par ses éloges, c'est rare qu'il complimente autant un autre joueur. Non qu'il en soit avare, mais peu de joueurs suscitent autant son attention, et encore moins son admiration.

Après ces échanges, Kagami s'installe devant son PC. Il s'étire, fait craquer sa nuque, puis ses doigts. Il est temps de se concentrer. Il commence par s'entraîner seul, comme toujours, pour se mettre en jambes. Il a toujours besoin de ce moment de solitude avant la compétition, se recentrer sur lui-même, se vider la tête de tout ce qui ne concerne pas directement le jeu. La plupart des gens ne se rendent pas compte de la concentration extrême que demande un jeu vidéo compétitif. Chaque fraction de seconde peut tout faire basculer. Comme au basket. De la concentration, il en a eu besoin ne serait-ce que pour gêner Aomine sur le terrain, tout comme pour marquer des paniers en outrepassant la vitesse, l'agilité et la détente de son adversaire. Il se rappelle son jeu aussi précis qu'imprévisible, son aisance surnaturelle, cette espèce de grâce alliant rapidité et fluidité, souplesse et menace. Il aime ce que dégage Aomine, quelque chose latent dans son regard, dans sa façon de s'exprimer et de bouger qui semble se révéler sur le terrain, dès qu'il a un ballon entre les mains.

Il se secoue. À peine quelques minutes et voilà déjà que ses pensées dérivent, le ramenant à son visiteur inattendu. Il se rassure en se disant qu'après tout, rien de plus normal que ce petit match improvisé lui ait laissé un vif souvenir et qu'il y repense. Rencontrer un nouveau joueur, au talent exceptionnel, ça a de quoi turlupiner un passionné de basket comme lui. Une petite voix désagréable lui signale qu'il est de mauvaise foi. Le flic t'a tapé dans l'œil, que tu veuilles l'admettre ou non. Il grommelle, repoussant cette pensée. Il s'est promis de ne plus s'emballer quand il savait ne rien pouvoir espérer. Évidemment, c'est plus facile à dire qu'à faire… Mais il ne veut pas tout gâcher. Même si c'est vrai qu'il a flashé sur lui, il sait aussi qu'il pourrait s'en faire un véritable ami. Et il a très envie de rejouer contre lui… Alors il va falloir ranger ses ardeurs au placard.

Il profite du moment d'attente avant de réapparaître après que son avatar soit mort pour boire quelques gorgées de coca et revenir sur ce qui doit le préoccuper dans l'immédiat : l'entraînement. Il se met un peu de musique, ça l'aide toujours à se concentrer, à canaliser ses pensées pour rester fixé sur le moment présent.

Et c'est avec une détermination nouvelle qu'il reprend le match en cours.


Le lendemain matin, Kagami dort profondément quand un bruit insistant devenu trop familier le tire du sommeil. Il est immédiatement en alerte. Il jette un coup d'œil à son portable : 9h55. Il soupire. Est-ce que ça vaut le coup de se lever ? Puis, il se rappelle l'œil-de-bœuf et l'entrebâilleur. Il peut toujours aller voir… Si c'est relatif à ses petits problèmes récents, on ne sait jamais : peut-être qu'il aura de nouvelles informations à transmettre à Aomine. Il se lève donc à contrecœur, enfile un jogging et commence par regarder à qui il a affaire.

Il se fige derrière le battant, sa bouche s'entrouvrant sur un léger O de surprise. Son visiteur est vieux beau sur le retour, qui essaie de se donner une touche rock'n'roll avec un blouson en cuir qui a vu des jours meilleurs, et des lunettes avec des verres fumés. Kagami peut sentir d'ici l'odeur puissante de son eau de Cologne mêlée à un relent de tabac. Ça éveille sa curiosité, et il entrouvre sa porte.

« Bonjour ? »

L'homme le dévisage d'un air surpris, le même qui doit se lire en ce moment sur son visage, et demande finalement :

« Il est pas là Hoshi ? »

Le type a l'air si déçu que Kagami serait presque vexé. L'Indien de l'autre jour ne semblait pas avoir de problème avec son apparence, lui ! Il se rabroue, là n'est pas le problème :

« Hoshi ? Ben non. Y a pas de Hoshi ici. Qui vous a dit qu'il habitait là ? »

Le vieux beau semble embarrassé à cette question. Kagami sent qu'il va prendre la poudre d'escampette et lance avant qu'il ne s'enfuie :

« Je sais pas comment vous avez eu cette adresse, mais c'est pas la bonne ! Signalez-le, vous vous êtes fait avoir ! »

L'homme grogne, peut-être en signe d'assentiment, en tout cas, comme prévu, il tourne les talons. Kagami referme sa porte et la verrouille. Hoshi. Probablement un pseudonyme, mais c'est tout de même un indice. Puis, il rigole un peu. Un jeune Indien beau gosse, une troupe de jeunes filles ivres, et un vieux beau cherchant à rattraper sa jeunesse perdue. Qu'est-ce que ça va être la prochaine fois ? S'il ne trouvait pas tout ça un peu inquiétant, il aurait presque hâte de découvrir son prochain « client » !

En tout cas, il n'a plus envie de dormir maintenant. De toute façon, il commence déjà à se faire tard, et il a beaucoup à faire aujourd'hui, surtout s'il veut avoir le temps de passer au terrain de streetball… dans l'espoir demi avoué d'y revoir Aomine. Il a dit travailler surtout sur les horaires de nuit… Alors avec un peu de chance, il pourra le croiser dans l'après-midi, avant son service. Ça lui ferait tellement plaisir de le voir… Pour le basket, bien sûr.


« Mais tire, bordel ! L'angle est gérable avec la brise. »

Agacé, Aomine se redresse dans son canapé et scrute l'écran avec attention. Il regarde le live d'un streamer qu'il suit depuis un moment, mais aujourd'hui il n'a pas l'air en forme. D'après les emoji qu'il voit défiler à grande vitesse dans le chat, il conclut que les autres viewers partagent son avis. Le joueur à l'air d'être en retrait, d'éviter certaines zones stratégiques et de se planquer à outrance. Beaucoup trop prudent pour un gamer aussi aguerri. Et surtout, comportements auxquels il n'a pas habitué ses fans.

Aomine se gratte le menton, et se lève pour aller se chercher à boire. En se réinstallant, il ne peut s'empêcher de penser à Kagami. À vrai dire il est curieux de savoir s'il est un aussi bon joueur virtuel que sur le terrain, et de quel genre il est. Fonceur, stratège, plutôt armes à distance ou corps à corps ? Peut-être l'a t'il déjà regardé jouer sans le savoir. Par le biais du live d'un de ses adversaires. Cette idée lui plaît. L'éventualité qu'ils auraient pu se connaître autrement que grâce à son boulot ou à cause des ennuis de Kagami le rassure. Quelque part, ça légitime un peu son envie de le revoir, alors que le code de la déontologie le lui interdit.

Sans les kills spectaculaires et la mauvaise foi du streamer, quasi aussi légendaire que la sienne, le jeu finit par le lasser. En pleine digestion de son maxi brunch, et éreinté de sa journée de la veille, bien qu'il ait quitté son lit il y a moins de deux heures, Aomine se rendort devant un film choisi au hasard.

En effet, même s'il ne joue plus autant qu'il aimerait, il a gardé sa routine de sportif et il est accro à l'effort. Ou plutôt, aux endorphines qui saturent son système et repoussent toute forme de négativité, comme un bouclier de béatitude imperméable. Pour autant, hier contre Kagami il a dû se donner à cent pour cent. Déployer toutes ses capacités physiques, ainsi qu'une bonne partie de son endurance, et pas mal de ressources intellectuelles aussi. Il y avait longtemps qu'il ne s'était pas autant donné sur un terrain, ou qu'il avait autant réfléchi pour surprendre son adversaire. Avec le basket, il faut dire qu'Aomine a du mal à doser. Il a toujours tendance à en faire trop. Comme pour d'autres aspects de sa vie, à dire vrai. En fait, il met parfois du temps à se lancer, mais quand il commence quelque chose, il ne sait pas le faire à moitié. Le défi que lui a lancé Kagami n'a pas fait exception. Bien au contraire. Puis il a dû enchaîner sur une nuit de boulot. Qui, comme par hasard, n'a pas été des plus calmes. Pour une fois, il n'aurait pas dit non au remplissage, triage et archivage des dossiers...

Avec la mise au frais de trois de leurs comparses, ça chauffe un peu dans le secteur connu pour être sous l'emprise du gang qu'ils essayent de démanteler. Ils se vengent sur tout ce qui bouge, ou pas d'ailleurs… Avec Yori, ils ont été appelés en renfort pour assister leurs aînés dans leur patrouille. Rien à voir avec les sorties surveillance de boîte de nuit, ou les quartiers résidentiels en périphérie de la capitale. Mais il aime bien la dynamique de ce genre de nuit, réveillant son goût pour l'action et révélant son efficacité. Même s'il y a des soirs comme ça, sans raison apparente, où toute la ville – bien que toujours effervescente – s'agite sous un vent de violence. C'est donc au petit matin qu'il a dépointé; après une descente préventive dans un établissement louche, quatre arrestations dont une avec altercation, sa mâchoire s'en souvient… et un bouclage de périmètre pour stopper un fou du volant refusant un contrôle d'alcoolémie.

C'est seulement à son deuxième réveil au beau milieu de l'après-midi qu'il se sent pleinement reposé, quoiqu'un peu courbaturé. Les images floues de son rêve chaotique l'accompagnent pendant qu'il grignote quelques restes. Il se revoit en personnage de jeux vidéo un peu trop pixelisé, se battre avec un PNJ ou dans une course poursuite de voitures volées, ne sachant plus trop s'il était le fuyard, ou le poursuivant. En débarrassant son assiette, il se marre des raccourcis improbables qu'a encore fait son esprit. Superposant la réalité à son imaginaire, le tout saupoudré d'un chouia de folie.

Après son encas et un brin de rangement, il décide d'aller à la salle, histoire de détendre un peu ses muscles crispés par la tension constante de ces dernières heures que le repos n'a su effacer. Combattre le mal par le mal, il n'y a que ça d'efficace. Pas très loin de chez lui, il décide de bouder sa voiture et saute dans le premier tramway passant par la station la plus proche. Une fois sur place, il salue le gérant à l'accueil qui le voit assez régulièrement pour se souvenir de son nom et se dirige d'un pas décidé vers les tapis de courses. De son sac, il sort sa bouteille d'eau et ses écouteurs. Sur son téléphone, il choisit une playlist créée par ses soins et fait glisser son pouce sur l'écran jusqu'à la chanson qu'il a en tête. Un sourire se dessine sur ses lèvres au son des premières notes de Runnin' Wild de Airbourne. Parfaitement raccord à son humeur et son activité.

Après son footing d'échauffement, comme il a déjà pas mal travaillé les jambes à la poursuite du kangourou sous extasie qu'était son rival de la veille, il passe à la presse pour modeler son dos. Se sentant encore tendu, il décide de ne pas forcer. Limitant la charge. Son but n'est pas de prendre de la masse de toute façon, mais surtout de garder la forme et des muscles affutés, taillés pour la vitesse et la précision, parés à réagir au quart de tour. Au bout d'un moment, au fur et à mesure que la chaleur se diffuse sous sa peau, il sent les tensions se dissiper une à une, fondant sous l'effort régulier comme glace au soleil. Il savoure la sensation de liberté de mouvement retrouvée, dans toute leur amplitude. Il enchaîne encore une bonne heure supplémentaire sur deux machines ciblant les bras et le torse, afin de compléter ses exercices sur le haut du corps avant de se décider à partir. Il passe tout de même par les vestiaires pour se rincer et se changer, autant pour son propre confort que pour celui des autres usagers des transports en commun. Aomine sort de la salle de sport lessivé, mais par de la bonne fatigue cette fois. La musique que certains qualifient de satanique rugissant toujours dans ses oreilles, il plane sur son nuage, shooté aux hormones du plaisir.

Debout dans la rame, Aomine se laisse aller contre la vitre, sans chercher à retenir ses pensées fugaces survolant son esprit. Lorsque ses écouteurs diffusent Rivalry, décidément il adore ce groupe, le visage de Kagami s'impose à lui. Il se refait le film de leur match de la veille, et il a la sensation étrange qu'il l'a vécu il y a des années, voire pas du tout. Sans savoir si c'est le rythme de la guitare où ses souvenirs qui le sortent de sa brume de léthargie, il se redresse un peu et lève le nez sur l'itinéraire de sa ligne.

Enthousiasmé par sa décision, il regarde le poste et sa résidence passer sous ses yeux. D'abord, un arrêt pour reprendre un peu de force, ensuite, le terrain de basket… Il envoie un texto à Satsuki et son humeur s'améliore encore à sa réponse.

Moi - 17h45
Fini les cours ? Goûter au Magi dans 10 min ?

Satsu - 17h45
C'est fou ! J'allais t'appeler ;)

Lorsqu'il arrive, il commande pour lui et son amie qui ne tarde pas à le rejoindre. Au collège, ils venaient souvent traîner dans cette enseigne avec toute la bande. Ils ont gardé ce petit rituel de temps en temps, entre nostalgie et habitude. Réussissant parfois, à se faire accompagner d'un autre de leur compagnon passé.

Sans gêne, Satsuki le salue chaleureusement d'un baiser sur sa joue puis observe son plateau avec gourmandise. Part de tarte à la fraise et milkshake assortie pour elle, tarte au citron, sodas et teriyaki burger pour lui. Tout en dégustant leurs mets favoris, ils bavardent de choses et d'autres. Aomine est content que la jeune femme face à lui prenne un peu le temps de faire des pauses. Il trouve qu'elle travaille trop. Mais c'est sa dernière année, il peut comprendre la pression que cela représente après autant d'investissement et de sacrifices. Elle veut réussir, et s'en donne les moyens. Tout en restant disponible, joyeuse et aussi pimpante chaque fois qu'il la voit. S'il ne la connaissait pas si bien, son instinct de flic lui dicterai certainement de fouiller ses affaires à la recherche de produits dopants.

Quand vient son tour, il ne parle que du boulot, et de sa longue nuit qu'il lui raconte façon synopsis de blockbuster Américain. Satsuki s'amuse des mimes de ses arrestations héroïques. Et elle rit aux éclats lorsqu'il lui raconte la méprise de son collègue concernant leur relation lors de sa dernière visite. Elle a autant l'habitude que lui, mais ça l'a fait toujours rire. Et il adore la faire rire.

Un coup d'œil à sa montre lui rappelle la raison qui l'a fait renoncer à rentrer chez lui et il prend congé de son amie, visiblement déçue qu'il écourte la soirée sans véritable excuse. Aomine ne sait pas pourquoi il ne lui dit pas tout simplement la vérité. Qu'il a rencontré un joueur qu'il a l'impression d'avoir attendu toute sa vie, et que la simple idée de l'affronter de nouveau lui faisait oublier toute fatigue. L'envie de garder ces moments pour lui est pour l'instant plus forte que le besoin de le raconter à sa meilleure amie. Comme si… comme s'il faisait quelque chose de mal et qu'il avait peur de son jugement. Ce qui est doublement ridicule. Satsuki ne le jugerait jamais. Même s'il décidait de ne plus porter rien d'autre qu'un costume de T-rex pour sortir de chez lui, comme lorsqu'il a eu 5 ans. Et surtout, parce qu'il ne fait rien de mal. Ce n'est pas comme si Kagami avait porté plainte. Et encore, même là, il n'est pas certain que ça dérogerait à une quelconque limite, sinon la sienne.

Chassant ces questions aussi dérangeantes que désagréables, il se met en quête du terrain où l'avait amené Kagami. La lumière du jour s'estompe en orange derrière les immeubles voisins, et les lampadaires alentour s'éclairent un à un. Heureusement, la soirée est douce. Assez pour dissiper la pointe de déception qui l'étreint en trouvant le terrain vide. Il va pouvoir jouer un peu quand même. Et puis qui sait ? Un autre oiseau de nuit viendra peut-être le rejoindre plus tard.


Ce jour-là, Kagami se réveille avec une nouvelle résolution : il va aller au commissariat et demander à voir Aomine pour lui parler du nom qu'on lui a donné l'autre jour. "Hoshi". C'est maigre, mais ça pourrait peut-être aider. Au fond de lui, il n'est pas sûr de lui sur ce coup-là, et une sorte de malaise persistant s'accroche à lui. Car il ne peut pas se voiler la face : il sait que cette nouvelle information, dans une enquête qui n'existe pas, est surtout un prétexte pour tenter de revoir Aomine. Car en dépit de ses espoirs ces derniers jours, il n'a plus croisé le beau basané sur le terrain de basket. Peut-être qu'il n'a pas eu le temps de passer, qu'ils se sont manqués, ou... que ça ne l'intéressait pas tant que ça.

En se préparant pour la journée, il tâche d'envisager et de se préparer à toutes les éventualités. Plusieurs fois sa résolution de passer au commissariat vacille, puis il en revient au point de départ : ça vaut le coup d'essayer. Il n'a jamais été du genre à se défiler, ce n'est pas maintenant qu'il va commencer.

Alors, en dépit de ses appréhensions, il s'efforce de passer une journée normale, rythmée par ses petits rituels bien ancrés. Et après le travail, en plein milieu de la nuit, il enfile ses baskets. Il se dit qu'à cette heure, il aura peut-être une chance de tomber sur Aomine au commissariat. Sinon, tant pis, il reviendra. Il n'a aucune envie de raconter les détails de son histoire et de la reprendre depuis le début devant un flic ou une fliquette ébahie.

Dehors, la nuit est tiède, et agréablement calme. Le ronronnement de la circulation crée un bruit de fond sur lequel se détachent des aboiements épars, des conversations diffuses. Kagami accélère le pas, nerveux et impatient. Et bientôt le commissariat apparaît dans son champ de vision, vivement illuminé. Il se repasse encore fois ses arguments dans sa tête, et prend une dernière fois la même résolution. Il grimpe quatre à quatre les marches du porche, et pénètre dans l'édifice, se retrouvant face à un accueil spartiate éclairé par de désagréables néons blancs. Il s'approche et décline son identité au standardiste, ajoutant qu'il aimerait voir l'agent Aomine.

Rentré de patrouille il y a peu, Aomine est maintenant concentré sur son écran. Avant de partir, il aurait aimé finir ses rapports des derniers jours. Il avance plutôt bien pour quelqu'un qui n'aime pas trop ça mais il a besoin d'une pause s'il veut rester efficace. Il se frotte les yeux et s'étire le dos sur sa chaise, bras en l'air, quand le téléphone de son bureau sonne et manque le faire tomber à la renverse. La ligne interne. Elle sonne si rarement qu'il s'est souvent demandé à quoi servait le combiné qui encombrait son espace de travail déjà réduit par son bordel personnel...

Il lui jette un œil torve, puis incertain, vérifiant autour de lui si un de ses collègues a été témoin de son sursaut de surprise, il décroche :

« Oui ? »

Kagami observe le standardiste d'un œil attentif. Une lueur d'espoir illumine son paysage mental quand il constate qu'il y a quelqu'un au bout du fil. Aomine est là. Va-t-il le recevoir ? C'est là toute la question. Il continue d'examiner ce standardiste sous toutes les coutures, jusqu'au point où ce dernier se détourne légèrement comme pour fuir son regard insistant. Alors seulement, il baisse les yeux, un peu honteux, pour les relever tout à coup quelques instants plus tard quand le standardiste annonce :

« L'agent Aomine va vous recevoir. C'est à l'étage, troisième porte à gauche. »

Kagami marmonne un remerciement et file vers l'escalier.

S'il n'était pas déjà assis, Aomine aurait eu besoin de s'assoir. En entendant que Kagami le demandait à l'accueil, sa première pensée a été : est ce qu'il va bien ? Parce que s'il vient jusqu'au poste, c'est forcément qu'il a encore eu des problèmes. À moins que ce mec ne soit plus obsédé que lui du basket et ne vienne jusqu'ici, en pleine nuit que pour lui demander de jouer. Ce à quoi il aurait sûrement répondu un grand oui. Mais il en doute. Alors forcément, il s'inquiète. A t'il loupé quelque chose ? La situation est-elle plus grave que ce qu'il a compris ? Aurait-il dû le convaincre de porter plainte pour enquêter ? C'est avec ce genre de questions tournant à mille à l'heure dans son esprit qu'il attend Kagami, un peu nerveux de savoir ce qui l'amène.

Lorsqu'il le voit franchir la porte de l'open space presque vide et plutôt calme pour une fois, il se surprend à soupirer de soulagement. Kagami à l'air d'aller bien. En tout cas, physiquement intact. À son approche, il se lève pour aller à sa rencontre.

En voyant Aomine dans le contexte de son travail, Kagami se traite d'imbécile. Aller le déranger ici pour une affaire certes originale, mais sans véritable indice ou gravité comme la sienne ? C'était une idée stupide. Il ne peut pas venir ici juste parce qu'il a un crush sur le basané. Et pourtant… il est trop tard pour faire demi-tour, d'autant qu'Aomine marche droit sur lui. Kagami se ressaisit et se fend d'un sourire.

« Salut... J'ai envie de dire 'désolé il est tard', mais bon... Pour nous c'est à peine la fin de journée ! »

Il rigole un peu nerveusement, guettant la réaction de son vis-à-vis.

Sans comprendre ses excuses et surpris de son sourire, contrastant largement avec ses scénarios catastrophes, Aomine ricane, plus de soulagement qu'autre chose. Un instant il hésite sur la manière de le saluer. L'envie de lui serrer la main le saisit, mais il préfère finalement la tendre en direction de son bureau. Invitant Kagami à s'y installer.

« Salut... Oui c'est vrai haha. » Il prend place et observe Kagami à l'air penaud. « Dis-moi tout, qu'est ce qui t'amène ? Quelqu'un a forcé ta porte ? »

Kagami regarde autour de lui. Il n'y a pas grand-monde, l'endroit est calme. Il agite sa jambe nerveusement, réalise qu'il le fait, et se force à arrêter.

« Hm... Non. Mais j'ai eu une nouvelle visite. La personne cherchait un certain... "Hoshi". J'imagine que c'est un pseudo... Mais c'est quand même quelque chose... »

Aomine cligne des yeux plusieurs fois, pas certain de comprendre... Kagami est venu juste pour lui donner cette information ? Pas que ce ne soit pas important, mais les dernières fois, il s'était contenté d'appeler, alors il demande :

« Et tu viens porter plainte cette fois ? »

Kagami se sent rougir et baisse les yeux.

« Non... Je vois pas à quoi ça servirait... Je sais pas, j'me suis juste dit que ça pourrait t'intéresser. »

Après tout, c'est toi qui es venu m'apporter du matériel de sécurité, ajoute-t-il mentalement.

Aomine sent son palpitant sursauter sous son insigne. Il a déjà vu Kagami rougir, pourtant aujourd'hui ça le perturbe assez pour qu'il le remarque. Il n'a pas envie de mal interpréter mais... son job c'est littéralement de poser des questions et déduire des réponses qu'il doit valider par des preuves. Kagami ne s'est pas caché de ses préférences, dès leur premier contact. Il a relégué cette information dans un coin de sa mémoire, parce qu'il jugeait que ça ne le regardait pas. Jusqu'ici... Il se repasse leurs conversations mentalement, cherchant d'autres indices pouvant étayer ou détruire sa théorie. Est-ce que... Est-ce qu'il plait à Kagami ? Il n'a jamais eu l'impression que c'était le cas, à aucun moment il ne s'est posé la question ou senti mal à l'aise, et elle n'est jamais revenue sur le tapis non plus. Un peu gêné à la lumière de sa réflexion, il se racle la gorge en trouvant son silence un peu long.

« Oui, c'est une avancée. Mais sans plainte, pas d'enquête. Alors je ne peux pas vraiment en faire un indice. Je vais quand même le noter dans le rapport de ton affaire », rassure-t-il son vis-à-vis dans un sourire qu'il veut bienveillant.

Kagami voit presque littéralement les pensées défiler dans le crâne de son interlocuteur à mesure que différentes expressions se peignent sur son visage, même s'il se rend bien compte qu'Aomine essaie de les cacher. Il y a de place pour l'interprétation là-dedans, par contre il perçoit très clairement sa gêne dans ce silence interminable et ce raclement de gorge. Ça lui fait l'effet d'une douche froide. Il a été percé à jour. Il a trop poussé sa chance. Il acquiesce sans regarder Aomine, mortifié.

« OK. Thanks. »

Ne sachant pas quoi faire de lui-même, il se lève, et ajoute après une hésitation, d'une voix faussement enjouée :

« Il était marrant, ce gars. On aurait dit qu'il était resté coincé dans les années 90. J'ai pas eu besoin d'insister pour qu'il parte en tout cas... Il avait l'air très déçu de me voir. »

Il rigole un peu jaune, parce que c'est exactement l'impression qu'il a maintenant.

« Bon, du coup... J'suis venu pour rien, enchaîne-t-il. Ça fait rien, c'est pas loin de chez moi. »

Mais la prochaine fois, je garderai les développements de mon affaire pour moi, note-t-il en se disant encore une fois qu'il est vraiment un imbécile.

Pour ne pas avoir l'air aigri – et ne pas perdre la face tandis qu'il s'apprête à partir – il lance encore :

« Peut-être qu'on se croisera plus tard au basket ! »

Aomine est confus. Kagami ne le regarde même plus en enchaînant à toute vitesse des paroles sans rapport tandis qu'il met visiblement de la distance entre eux. Malgré sa volonté de rester naturel, il sent la tension dans sa voix et sa mâchoire contractée. Merde... Avant de se demander si c'est la bonne chose à faire il se lève à sa suite et saisit son poignet pour le retourner face à lui.

« T'es pas venu pour rien. C'est important. Si on ouvre l'enquête, il faudra aussi des descriptions précises des gens qui t'importunent. Mais... avant tout, si t'en a ressenti le besoin, alors c'est ce qu'il fallait faire. On est là pour ça, ok ? »

Kagami lève enfin le regard vers lui, intense. Il ne peut soutenir longtemps la chaleur de ces puits de lave. Il se masse la nuque et confesse un peu plus bas, détournant le regard à son tour :

« Je suis passé... mais je crois qu'on s'est loupé. J'espère bien qu'on pourra remettre ça. »

Kagami regarde la main qui retient son poignet, frissonnant. Il n'aime pas qu'on le touche d'ordinaire, et cette fois ne déroge pas à la règle, mais c'est surtout parce qu'il se sent stupide. Il se dégage d'un geste un peu brusque et marmonne :

« Yeah... OK. On finira bien par se croiser, vu que j'y suis presque tous les jours. »

Devant la commisération d'Aomine, il hésite entre trouver ça gentil ou juste rageant. Le flic a capté son intérêt et a pitié. Essaie de rattraper le coup. Il n'a pas besoin de ça. Il s'en veut de réagir comme ça, mais il a déjà du mal à s'ouvrir... Il n'a pas besoin de ce genre de trucs en plus. Il a juste besoin de prendre l'air. Un peu de recul. Les choses rentreront dans l'ordre d'elles-mêmes après ça. Il jette un coup d'œil à l'horloge. Presque quatre heures du matin.

« Bon courage pour la fin de ton service. Moi, il est temps que j'aille me coucher... »

Aomine pensait avoir dit ce qu'il fallait. Retenant Kagami et laissant son instinct prendre le pas sur le devoir, sur son lieu de travail. Mais visiblement, ça n'a pas adoucit l'humeur de Kagami et l'incompréhension l'agace. D'autant que l'autre n'a pas l'air de le croire, ce qui plante une flèche glacée dans sa poitrine. Il veut bien être gentil et compréhensif, mais il pense mériter un peu plus de confiance, surtout ici dans ce contexte, en uniforme. Il serre les poings et les dents, inspirant longuement pour refouler la vague de colère qui menace de le submerger. Sans pour autant parvenir à effacer la hargne de sa voix, il répond de la seule façon qu'il connait, plus fort qu'il ne l'aurait souhaité :

« C'est ça, reposes toi bien. T'en aura besoin. »

Kagami ne se sent pas d'humeur à répondre aux provocations, quand bien même ça le met en rogne. Pour qui il se prend, ce type ? Il n'est même plus sûr d'avoir encore envie de le croiser sur un terrain de basket, aussi bon qu'il soit. Il se sent furieux, surtout contre lui-même. Il n'aurait jamais dû venir ici. Il n'a rien accompli, sinon se mettre son "nouvel ami" à dos, apparemment. Il accélère le pas et dévale les escaliers, puis quitte les lieux sans un regard au standardiste qu'il a si bien dévisagé tout à l'heure.

Aucune réponse. Mais cette fois il ne pourra pas lui reprocher de ne pas être venu. Il l'a prévenu qu'il serait là. Et Kagami a intérêt de se pointer pour régler ce qui vient de se passer. Qu'il est toujours en train d'essayer de comprendre d'ailleurs. Frustré, il se rassoit à son bureau et regarde dans le vide, perdu. Il ne voit vraiment pas ce qu'il a pu dire de travers. D'un geste rageux, il replie ses dossiers qu'il fourre sans ménagement dans son tiroir et éteint son pc. De toute façon, il ne pourra plus se concentrer maintenant. Sans prêter attention à son collègue qui l'interpelle derrière lui, il quitte son poste et se précipite à l'extérieur.