Hé coucou Bonsoiiiiiir !
Un grand Merci pour votre soutien et l'enthousiasme dont vous faites preuve pour cette histoire. Vous avez beaucoup aimé le précédent chapitre, on espère que celui-ci vous plaira aussi.
Bonne lecture ;)
Sur le chemin de chez lui, Aomine reste pensif, encore un peu éparpillé au cinéma, dans le restaurant et sur le terrain de street. Finalement, une fois rentré, il n'a qu'une envie : ressortir. L'endroit pourtant familier lui paraît inhospitalier. Trop silencieux, trop grand, trop vide. Il ne veut pas conclure sa journée sur une soirée de solitude, qui entacherait le souvenir qu'il veut en garder. Il n'oublie cependant pas qu'il est d'astreinte et qu'il doit rester disponible. Alors avant de repartir, il lance une machine avec ses affaires de sport et les vêtements de la semaine qui s'entassent dans la corbeille puis remplit son sac de son uniforme.
Rassuré par sa décision d'échapper à l'ennui, il sait exactement où il veut aller. Parler de son vieil ami lui a donné envie de le voir. Ça fait longtemps qu'ils ne se sont pas retrouvés, même s'ils échangent régulièrement par messages. Flottant encore sur son nuage d'allégresse, il se dirige vers le bar où travaille Kuroko.
Comme d'habitude à cette heure-ci, l'établissement est quasi plein. Les travailleurs alentour viennent décompresser et profiter du début de soirée. L'ambiance est cozy, le toit en partie de verre inonde la pièce de la lumière chatoyante du soleil déclinant et la musique jazzy discrète mais tout de même présente accompagne les discussions animées. Derrière le comptoir, il aperçoit son ami affairé à préparer une commande qu'une serveuse attend de pouvoir distribuer. Nonchalamment, il vient s'assoir à sa place favorite, tout au fond du bar, au bout du comptoir, vue sur la porte d'entrée et proche de la sortie de secours.
Avant même qu'il n'ait pu le saluer, et donc passer commande, son ami dépose un jus de banane frais devant lui. Il aurait préféré une bière, mais s'il doit partir d'urgence, il ne vaut mieux pas. Il sourit à son ami qui connait visiblement son emploi du temps et se rappelle de son pêché mignon en terme de boisson. Tetsu sort de son poste pour aller débarrasser une table nouvellement libérée, et c'est seulement sur le retour qu'il lui tend son poing en guise de salut.
« T'as l'air bien occupé ce soir Tetsu.
— C'est vendredi soir, tu t'attendais à quoi Aomine-kun ? »
Il y a longtemps qu'il a appris à ne pas s'offusquer des réflexions de son ancienne ombre. Il est comme ça Kuroko. Il est franc, cash et dit toujours ce qu'il pense sans détour. Jamais dans le but de blesser. Juste honnête et sans filtre. Un peu déroutant au départ, mais c'est quelque chose qu'il a appris à apprécier. C'est une qualité bien trop rare. Pourtant, bien qu'admirable, ce trait de caractère lui cause parfois du tort… tout le monde n'aime pas s'entendre dire ces quatre vérités.
« J'ai perdu le fil, j'ai pas réalisé que c'était déjà le week-end. »
Son ami l'observe et un léger rictus éclair son visage.
« Tu bosses trop.
— Et toi tu écoutes trop Satsu. Je vais bien.
— Elle n'a pas besoin de me le dire. T'es prêt à bondir de ton siège pour courir au poste. J'me trompe ?
— Mais c'est pas pareil ! J'suis d'astreinte ce soir. »
Kuroko lève les yeux au ciel à sa justification et il se sent comme un gamin qu'on réprimande. De mauvaise foi, il grommèle et boit son jus, ce qui a le don de l'adoucir un peu.
Il râle, mais au fond, ça lui plaît bien. Lui et Satsuki s'inquiètent toujours pour lui. Alors oui, parfois, ils sont un poil étouffants, comme s'ils s'étaient investis du devoir de combler l'absence de ses parents. Mais il sait que sans eux et leurs attentions, il se sentirait bien seul. Pas que son boulot soit un travail solitaire, au contraire… Mais même s'il s'entend parfaitement avec la plupart de ses collègues, il reste sur la réserve en dehors du poste. Il se sent encore comme un bleu qui doit faire ses preuves, et puis il n'est pas à l'abri d'une mutation alors s'attacher et créer du lien, il n'en voit pas vraiment l'intérêt. Quand il sort ou quand il a un problème, il appelle en premier sa vieille bande. Il le déplore, mais avec le temps et les années il doit bien avouer que leurs rencontres se font moins fréquentes. Chacun a ses propres occupations, sa propre vie à gérer.
En pensant à eux, il s'enquiert de leurs nouvelles auprès du barman. Leur sixième homme est toujours au courant de tout, et surtout c'est un peu lui le ciment de leur groupe. Il écoute attentivement, se promettant de les appeler bientôt. Il se marre en apprenant les dernières frasques de Ryôta et ça le rassure un peu de le savoir inchangé. Un phénomène ambulant.
Les souvenirs qu'ils évoquent ensuite avec Tetsu le rendent nostalgique. Un temps qu'il a l'impression de ne pas avoir savouré à sa juste valeur. Sous-estimant son importance. Le contrecoup de cette journée aussi peut être s'abat sur ses épaules et alourdit un peu son cœur. La nuit tombe au-dessus d'eux et les lumières se tamisent sur les murs. Il reste silencieux un moment, le regard dans le vague. Observant sans vraiment les voir les clients qui entrent et sortent dans un ballet régulier, les serveurs aller et venir, rapides, efficaces. Entouré de monde, Aomine se sent étrangement seul. Loin de ce qui l'entoure. Perdu dans le labyrinthe de ses pensées décousues. Il réalise que le contraste avec ce qu'il a ressenti tout le reste de la journée est trop grand, si marqué qu'il en devient dérangeant. Alors il se demande si c'est seulement l'attrait de la nouveauté, l'excitation de rencontrer quelqu'un qui vous sort de votre routine, la joie d'avoir trouvé un adversaire capable de le faire progresser qui en s'estompant, le laisse si morne à présent.
Peut-être qu'en vérité, il se sent plus seul qu'il ne veut bien se l'avouer. Peut-être que son instinct l'a poussé à revoir Kagami parce qu'il a inconsciemment décelé en lui une personne capable de tromper un peu cette solitude insidieuse dont il prend peu à peu la mesure. Juste comme ça, parce qu'elle le frappe plus crûment, plus violemment ce soir, alors que tous les autres clients sont accompagnés ou en groupe et que le siège à côté du sien reste vide.
Il n'a pas le temps de pousser ses réflexions ni de s'apitoyer plus longuement que son téléphone sonne à côté de lui. Satsuki le cherche. Il se résout à lui dévoiler sa cachette, conscient que de toute façon, Kuroko lui dira s'il ne le fait pas.
« Satsu arrive », prévient-il simplement.
Il voit Tetsu acquiescer, et s'empresser de préparer le cocktail préféré de sa meilleure amie, pour le poser à côté de lui. Quand il relève les yeux sur la salle pour guetter son arrivée, il surprend le regard de Tetsu fixé sur lui.
« Qu'est-ce qu'il y a Aomine-kun ?
— Hu ?
— Ça va faire une demi-heure que tu te morfonds. »
Il ricane. Évidemment, rien ne lui échappe… Il n'est pas certain de trouver les mots pour exprimer ce qui le préoccupe vraiment mais une chose est sûre : il ne peut plus le garder pour lui seul.
« Dis Tetsu… tu te souviens de la promesse que tu m'as faite il y a au moins une vie de ça ? »
Son ami cesse d'essuyer le verre qu'il tient dans ses mains et plonge son regard azur dans le sien. Son intensité et son intérêt soudain lui confirme qu'il comprend à quel souvenir il fait allusion. Il termine sa boisson pour se donner un peu de contenance et dans un murmure, un sourire irrépressible pendu au coin de ses lèvres, il souffle :
« J'crois que je l'ai trouvé… »
Tetsuya ne dit rien. Il le scrute, cherchant à déceler dans ses mots plus que ce qu'il a voulu dire. Il le laisse faire, laissant transparaître l'émotion qui le traverse en comprenant combien c'est vrai, réalisant combien il l'a attendu. Son rival. L'adversaire que Kuroko lui avait un jour promis qu'il croiserait sur sa route et changerait la donne. Il ne le connaît pas encore très bien, mais il en sait assez sur Kagami pour savoir qu'il aurait aimé le rencontrer plus tôt.
« Qu'est ce qui se passe ici ? »
La voie suspicieuse de Satsuki les sort de leur échange silencieux. Aomine sourit à la nouvelle venue, lui embrasse la tempe et la rassure :
« Rien, on discu-
— Aomine-kun a rencontré quelqu'un, quelqu'un d'important.
— COMMENT ?! » bondit Satsuki, entre surprise et exaltation.
Ahuri, la bouche ouverte, Aomine sent le bout de ses oreilles s'échauffer. Il lance un regard assassin à son faux frère qui lui adresse un sourire satisfait, quasiment diabolique, tandis que Satsu le harcèle déjà de questions. Mais qu'est ce qui lui a pris de dire ça comme ça à la pire des commères du quartier ! Elle ne va plus le lâcher maintenant, c'est sûr… Il soupir d'exaspération, résigné et plaque une main sur la bouche de la furie rose qui réussit tout de même à marmonner derrière ses doigts.
« Ok ça va j'vais tout vous dire, mais seulement si tu la boucles ! »
Satsu hoche la tête vivement, impatiente de tout savoir, et Tetsu lance son torchon sur son épaule et s'accoude à son comptoir, prêt à l'écouter, vérifiant tout de même d'un regard expert que tout roule dans la salle. Ne pouvant plus reculer, Aomine débute son récit par le commencement. Sa rencontre avec Kagami, sa visite chez lui, leur premier match, leur première dispute – qui lui vaut deux regards réprobateurs – et leur sortie d'aujourd'hui. Évidemment, il subit un véritable interrogatoire digne de ce qu'on lui a enseigné à l'école de police, avec le bon et le mauvais flic, mais il y répond de bonne grâce, heureux de partager ces évènements avec ses amis. Finalement il se sent un peu stupide d'en avoir fait toute une montagne et de ne pas en avoir parlé avant. Une fois leur curiosité assouvie, Starsky et Hutch passent naturellement à un autre sujet. Et comme souvent ils finissent par discuter jusqu'à tard, en refaisant le monde sans que son téléphone ne les interrompe, le laissant profiter de cette journée décidemment très agréable, jusqu'au bout.
Les jours suivants, Kagami suit scrupuleusement sa routine, s'occupant le corps et l'esprit pour éviter de laisser ses pensées dériver trop souvent vers Aomine. Il attend avec plus d'impatience qu'il ne le faudrait que le brun le recontacte, et il se retrouve à tressaillir chaque fois que son téléphone vibre. Et quand il streame, il lit son chat plus attentivement que d'habitude, dans l'espoir d'y trouver un message d'Aomine.
Mais les jours s'écoulent et rien ne se passe. Il n'y a même pas de clients de Hoshi pour venir le déranger. C'est le calme plat. Tant mieux pour ses petits ennuis habituels, et quant à Aomine… Il doit être très occupé avec le travail. Oui, c'est sans doute ça. C'est normal. Pas de quoi s'alarmer.
Ce matin-là, il se lève fatigué. Il a besoin de vacances, certainement. Dès que le championnat sera terminé, c'est probablement ce qu'il fera. Cela dit, ce n'est pas le jour pour y penser : ça commence aujourd'hui. À cette pensée, un frémissement de stress le parcourt du haut de la nuque jusqu'aux orteils. Et merde… Est-ce qu'il est assez préparé ? Il a la tête ailleurs ces temps-ci, et ça, ce n'est pas bon. Ce genre de boulot demande un dévouement intense, presque total. On ne peut pas avoir l'esprit égaré à deux endroits différents. Il faut être présent à 100%. D'ailleurs, c'est aussi pour ça qu'il a choisi ce métier : il a besoin de se canaliser, voire de se trouver un prétexte pour fermer toutes les écoutilles et se consacrer à une activité donnée en restant imperméable à tout signal extérieur. Ça l'empêche de penser à tout un tas de trucs, ça stimule son esprit, et surtout… Ça fonctionne. Alors ce n'est pas le moment de dévier de son objectif. Cependant, comme si le cosmos avait décidé de se rire de lui et de sa détermination à tout contrôler, son portable se met à sonner. Il hausse les sourcils en découvrant l'identité du trouble-fête. C'est Tatsuya. Ils ne s'appellent pas souvent, alors il espère qu'il n'y a rien de grave. Il décroche.
« Salut Tatsuya.
— Hey lil' bro. Comment ça va ?
— Ça va, répond-il, laconique. Et toi ?
— Bien. Tu me donnais plus de nouvelles, alors je viens en prendre !
— Toi non plus tu m'en as pas donné !
— À ce rythme-là, on s'appellerait jamais, Tai. »
Kagami soupire. Il sait qu'il ne contacte pas Tatsuya aussi souvent qu'il le devrait. Le temps passe trop vite, et il a l'impression de ne jamais rien avoir à raconter. Et puis, il déteste le téléphone. Alors bien que son frère de cœur lui manque, il préférerait largement l'avoir en face de lui.
« Hmm… J'ai mon championnat la semaine prochaine, alors j'me prépare et j'essaie de rester concentré.
— Cool ! Et Alex va bien ?
— Toujours égale à elle-même ! Et puis… Y a un nouveau venu sur le terrain… Enfin, c'est pas comme ça que je l'ai rencontré, mais… »
Kagami hésite un peu, se frottant l'arrière du crâne en se demandant comment raconter ça. Mais comme à l'autre bout du fil, Tatsuya le tanne de questions, il se jette à l'eau et commence par le début et son premier visiteur insistant, puis l'arrivée d'Aomine répondant à son appel. Il raconte ensuite comment le jeune flic est revenu chez lui avec son sac d'articles de bricolage, le café, le basket… À ce point de son récit, Tatsuya l'interrompt :
« Eh ben, tu perds pas de temps ! remarque-t-il en rigolant. Et on peut dire que lui non plus !
— C'est pas ce que tu crois…
— Non ? Pourtant, vu comment tu en parles…
— Ok, il me plaît, avoue Kagami du bout des lèvres. Mais c'est pas réciproque.
— Hm-hm », commente Tatsuya avec scepticisme.
Kagami se passe la main dans les cheveux d'un geste agacé et reprend le fil de son récit. Il évoque son idée stupide d'aller directement au commissariat en plein milieu de la nuit pour voir Aomine. Il n'entre pas dans les détails, car il regrette toujours d'avoir pris cette initiative irréfléchie. Enfin, il conclut avec l'après-midi qu'Aomine et lui ont passé ensemble.
« Et t'es vraiment sûr que ce gars en pince pas au moins un tout petit peu pour toi ? demande Tatsuya, railleur.
— Mais nan ! On est juste amis. »
En le disant, son cœur se serre, mais c'est la vérité. Oui, il a bien remarqué qu'il y a quelque chose de fort entre eux, une intensité particulière, quelque chose qu'il ne parvient pas vraiment à décrire, comme une attirance magnétique qui va au-delà du physique. Seulement, à ce sentiment-là s'en mêlent d'autres, et puis, comment pourrait-il être vraiment certain de ce que ressent Aomine de son côté ?
« Ouais, ouais, si tu le dis, réplique Tatsuya visiblement toujours aussi sceptique. Tu sais lil' bro… Parfois, être trop prudent c'est la mauvaise option.
— Ah ouais ? Et comment je suis censé savoir quand c'est la bonne ou la mauvaise option ?
— Je sais pas, Taiga. J'imagine que c'est quelque chose que tu dois sentir dans tes tripes. »
Kagami se contente de répondre par un grognement. Il en a de bonnes, Tatsuya. Même si… ses paroles font écho en lui et qu'une partie de lui a envie d'y croire.
La conversation dérive sur d'autres sujets, et finalement, il oublie un peu qu'il déteste le téléphone. Ça lui fait plaisir d'entendre la voix de Tatsuya, de savoir ce qui se passe dans sa vie et à quoi il pense en ce moment, presque comme s'ils étaient ensemble, et non en train de discuter à plusieurs milliers de kilomètres et une dizaine d'heures d'intervalle. Tatsuya lui parle de son métier, de sa vie amoureuse aussi désertique que la sienne en ce moment. Et finalement, la question tombe :
« Tu as parlé à ton père récemment ? »
Tatsuya n'a jamais cessé de lui poser la question depuis que Kagami est revenu seul au Japon. Non pas qu'il veuille le pousser absolument à se rapprocher de son père, simplement, il n'oublie jamais ce sujet. Et même si Kagami n'aime pas l'évoquer, il préfère voir dans cette éternelle question une marque d'amitié. La preuve que Tatsuya s'en préoccupe.
« Hm… pas depuis un moment, répond Kagami comme il le fait toujours. On n'a pas grand-chose à se dire.
— Taiga… J'évite de te le dire trop souvent pour pas te mettre en boule, mais ça fait longtemps que j'ai pas fait un rappel, alors… C'est possible que lui ait pas grand-chose à te dire, j'en sais rien. Mais toi, si. Tu lui en veux.
— Je peux pas lui en vouloir, je lui donne rien non plus. On est presque des étrangers.
— Mais ça te met en colère quand même.
— So what ? C'est pas en parler qui va changer quoi que ce soit.
— Je pense que si. Si tu lui disais ce que t'avais sur le cœur, je pense que tu te sentirais mieux. Comme ça tu serais sûr qu'il le sache. Y a trop de non-dits entre vous. »
Kagami soupire. Il sait que Tatsuya a raison. Et pourtant il ne parvient pas à trouver cette résolution en lui. C'est d'autant plus difficile que son père et lui ne se voient jamais. Et… il ne va certainement pas avoir cette conversation-là au téléphone.
« Ouais… Je vais y réfléchir, lâche-t-il finalement à contrecœur.
— C'est ça. Et pense aussi à essayer de séduire ton Aomine.
— Ça, c'est un grand non, par contre ! proteste Kagami.
— Pourtant, quelque chose me dit que tu vas le faire plutôt que de te parler à ton père.
— Je risque plutôt de faire aucun de ces deux trucs ! » gronde Kagami.
Tatsuya se contente de rire. Il sait que malgré sa grande gueule, son petit frère va réfléchir à ses conseils. Il les appliquera quand il sera prêt. Et pour l'instant, il ne l'est pas. Il est trop perturbé, et une partie de son esprit est absorbée par son championnat. Ce n'est pas le moment de prendre des grandes décisions dans sa vie.
Ils continuent à discuter un moment, puis Tatsuya finit par prendre congé. Kagami a terminé son café et file sous la douche, méditant cette conversation. Et s'il partait aux USA pour ses vacances ? Ça lui aérerait sans doute la tête. Mais quelque chose le retient… Ou plutôt quelqu'un. Obscurément, il a besoin de continuer ce qu'il a commencé avec Aomine, de voir où ça le mène. Ensuite seulement, il pourra décider quoi faire. En attendant… Il a vraiment besoin de se concentrer. Il s'occupe de quelques affaires courantes, puis fait son sac et part pour la salle de sport.
Un… deux… trois… quatre… cinq…
Kagami ramène à lui les bras métalliques lestés de la machine, sentant ses pectoraux se tendre douloureusement à chaque poussée. La sueur coule au creux de ses reins tandis qu'il répète toujours le même mouvement, guidé par le rythme obsédant de la musique résonnant entre ses oreilles. Il inspire, pousse, expire, recommence. Simple. Efficace. Il ne pense plus à rien. Ni à son père, ni à Aomine, ni à Tatsuya, ni à la compétition. La pureté de l'effort brut. La douleur latente, la fatigue qui s'accumule et tire ses articulations. Et pourtant, c'est bon. Ça clarifie sa tête. Ça le purifie. Il n'y a plus de place pour les tergiversations habituelles : la peur sourde de ne jamais vraiment trouver sa place, que ce soit ici au Japon, auprès de quelqu'un en couple, ou même dans sa team. La peur de devoir se contenter de soi, de continuer seul à porter à bout de bras son existence. C'est aussi pour ça que c'est bon de forcer sur ses muscles, comme une façon de s'assurer qu'il est toujours vivant, combattant, puissant, même d'une manière futile.
Les minutes s'écoulent. Il n'y arrive pas. Comme s'il devait se purger mais que la boule noire et compacte qui lui pèse sur l'estomac depuis le début de la journée refusait de se dissoudre dans la pureté de l'effort. Ses pensées sont bien alignées, ordonnées, mais son corps refuse de céder. Cette masse froide et pesante logée juste sous son sternum continue de lui donner la nausée. Cette fois-ci, le sport est impuissant à chasser tous les fantômes qui parlent en même temps dans sa tête, ceux qui viennent de son passé et regroupent sa peur de l'abandon, son sentiment fondamental d'inadéquation, ceux du futur qui réunissent la peur de l'échec, de ne pas être assez, de ne plus jamais changer et de rester indéfiniment une personne qu'il ne connaît pas vraiment.
Il lâche la machine et se penche en avant, essoufflé, tandis qu'il éponge son visage en sueur. Il a peut-être un peu trop forcé cette fois-ci. Son cœur cogne laborieusement contre ses côtes. Bien sûr, ça ne peut pas être aussi simple. Une séance de sport ne résout pas tout… mais au moins il se sent raisonnablement vidé. Il n'a plus assez d'énergie pour que ses pensées deviennent trop féroces. Et après un repas solide, il sera d'attaque.
Il regagne les vestiaires et se change, puis prend en sortant un repas à emporter, ensuite, son sac sur l'épaule, il se dirige vers la salle accueillant le championnat auquel il participe. Il est en avance mais quelques coéquipiers sont déjà sur place. Ils ont le temps d'apprivoiser les lieux, d'entendre tout le briefing sur la soirée qui sera diffusée en direct sur Twitch. Ils ont même chacun leur loge, du grand luxe ! Avec l'adrénaline de la compétition, il oublie peu à peu cette boule noire logée sous son sternum. Dans une demi-heure, il sera sous le feu des projecteurs, filmé et diffusé partout au Japon et dans le monde. Il aimerait envoyer un message à Aomine pour lui dire où il est et ce qu'il s'apprête à faire. Il chasse cette pensée stupide. Fait craquer les articulations de ses doigts. Et quand on toque à sa porte, il est prêt. Il se lève, et hoche la tête à l'intention du jeune homme du staff qui lui indique que c'est l'heure. Dans le couloir obscur menant à la scène, il retrouve ses coéquipiers. Ils échangent des regards sérieux, puis Okonomiyaki éclate de rire et lui met une tape dans le dos.
« Allez les gars ! Le match de ce soir, c'est dans la poche ! »
Kagami se tend un peu à cette attention non sollicitée, mais sourit. Oko n'est pas des plus subtils, mais il sait alléger l'atmosphère. Les autres échangent des sourires crispés et hochent la tête. Puis, ils rentrent dans la lumière et chacun s'installe devant son ordinateur attitré
Aomine aurait dû se douter que la journée qu'il a passée avec Kagami et cette soirée à rire avec Tetsu et Satsu était le calme avant la tempête… Autant de quiétude, ça se paye forcément. C'était il y a seulement quelques jours et pourtant ça lui semble s'être produit le mois dernier, tellement il a été occupé depuis. Masato l'a pratiquement envoyé tous les jours en intervention, plutôt qu'en patrouille. Et il y en a eu beaucoup. Comme si toute la ville avait décidé de se déchaîner pour lui. D'ordinaire, il en aurait plutôt été content. C'est un homme d'action, et il a souvent demandé à son chef de lui confier plus de missions. Il a été particulièrement servi cette semaine. Après le travail, il rentrait tellement fatigué qu'il s'écroulait dans son lit. Et si Satsuki n'était pas venu lui remplir ses placards, il aurait sauté plus d'un repas.
Pourtant, même s'il n'est pas mécontent de pouvoir faire ses armes et en apprendre plus sur le terrain, il aurait bien aimé pouvoir passer un peu de temps sur un autre. Du genre plus récréatif. Mais même en bas de chez il n'a pas eu le temps d'aller jouer, alors rejoindre son nouvel adversaire... Même à distance, il n'a pas pu le voir, chaque fois qu'il a allumé Twitch pour vérifier si Kagami streamait, il s'est lamentablement endormi devant. Il aurait pu lui envoyer un message, mais pour dire quoi ? Qu'il n'était pas disponible ? Alors il s'est abstenu.
Aujourd'hui c'est différent. À peine sortit des brumes du sommeil, Aomine saisit son téléphone. Il pianote dans sa barre de recherche pour s'assurer qu'il ne se trompe pas. C'est si facile pour lui qui a un rythme inversé et pas vraiment fixe de s'emmêler les pinceaux. Il constate avec satisfaction qu'il ne perd pas complètement la tête le tournoi de Kagami commence bien aujourd'hui, et vu l'heure, il est peut-être même sur le point de commencer sa première partie. Alors avant d'aller se faire couler un saladier de café et se poser devant sa télé pour suivre ça, il lui envoie un message d'encouragement :
[Moi 14h05]
Défonce tout !
AD
