Bonsoir :)
C'est avec joie qu'on vous partage ce chapitre, le plus long jusqu'ici. Nous l'aimons beaucoup toute les deux ^^
N'oubliez pas vos maillots de bain, on vous emmène à la plage !

Shadow: Kuroko est badass c'est vrai ! Contente que tu ais eu ce ressenti pendant le match, c'est ce que je voulais faire passer personnellement. Plus rien ne compte quand ils sont dans cet état ;)

Bonne lecture !


Une fois chez lui, comme la dernière fois qu'il a passé la journée avec Kagami, Aomine trouve le silence pesant, et son appartement trop grand. Il laisse tomber son sac dans l'entrée et s'affale sur son canapé ne sachant quoi faire de lui. Il ferme les yeux et très vite des images de leur affrontement lui reviennent, couvrant sa peau de chair de poule. Il revoit certaines de leurs actions qu'il n'a pas pris le temps de saluer sur le terrain, trop pris dans l'affrontement. Avant de se laisser glisser dans le sommeil, il se relève en sursaut. Une douche. Il ne peut pas rester tout poisseux comme ça. Sous l'eau chaude qui délasse ses muscles délicieusement, il poursuit le replay du match dans son esprit. Il a l'impression d'y être encore, prisonnier de sa concentration et de la défense farouche que lui oppose son rival, limitant ses mouvements et ses options, le contraignant à sortir des sentiers battus.

Un bruit finit par le sortir de sa méditation. Il tend l'oreille et reconnait le cliquetis de sa porte d'entrée qui se ferme. Il sourit et attrape le gel douche. Il ne sait pas ce qui amène Satsuki, mais il est plutôt content à l'idée qu'elle passe sa soirée avec lui. En sortant de la salle de bain, il la trouve assise par terre devant la télé, manette en main. Elle lui adresse un bref sourire quand il dépose un baiser sur le haut de son crâne. Sur la table basse il attrape le manga qu'il a entamé la veille et s'allonge de tout son long dans son divan dans un soupir de satisfaction.

« Tes copines t'ont lâchées ?

— Nan, ça me disait plus rien de sortir danser. Et je t'ai pas vu de la semaine.

— J'ai plutôt l'impression que c'est ma console qui t'a manquée... » fait-il remarquer à la jeune femme, sceptique.

Son amie se lève et le pousse sans ménagement pour s'installer à ses côtés en marmonnant pour elle-même. Il cale ses jambes sur les genoux de Momoï et revient à sa lecture, jetant de temps à autre un coup d'œil à son avancée dans le jeu vidéo. Apaisé par sa présence, la fatigue finissant par le rattraper il s'endort doucement au son d'un duel acharné.

Après une bonne douche, Kagami balaie du regard son appartement parfaitement rangé et se demande quoi faire. Il n'a pas envie de rester à mariner dans ses pensées. Alors, après une hésitation, il lance un stream. Il y a un RPG qui lui faisait de l'œil depuis un moment et qu'il n'a pas encore eu l'occasion de tester. Ça le sort un peu des jeux d'action dont il a l'habitude, et c'est tant mieux. Il a bien envie qu'on lui raconte une histoire, pour changer. Comme d'habitude, il parle peu mais salue quelques membres de sa communauté qui sont devenus des habitués, et au fur et à mesure de son live, il se détend et prend un peu plus ses aises, commentant davantage l'histoire et ses actions dans le jeu. Il n'est pas déçu par ce dernier qui l'absorbe dans son récit, et il oublie le temps qui passe tandis qu'il vit de nouvelles aventures dans un monde fantasy où il incarne un mage débutant. Il meurt souvent, rage beaucoup, rit parfois, et échange quelques blagues avec un gars de sa team qui est venu voir le live.

Ce n'est que tard dans la soirée qu'il déconnecte. Il se prépare un petit quelque chose à manger qu'il dévore devant une série, et finalement va se coucher. Il met du temps à trouver le sommeil cependant, ses pensées tournées vers la journée du lendemain. L'océan lui fera du bien. Quand il file sur les vagues, il a toujours la sensation que plus rien ne peut l'atteindre. Il défie les éléments et la gravité, se laissant emporter par la puissance sans limite de l'océan. Avec ces images en tête, il finit par sombrer dans le sommeil.

Après sa sieste, Aomine rejoignit la partie de son amie, l'assistant dans des quêtes difficiles à passer en solo. Il se demanda vaguement si Kagami était en train de jouer lui aussi, et cette idée lui plut beaucoup. Peut-être qu'il pourrait partager une game un de ces jours. Il se dit que Satsuki serait sûrement ravie d'avoir un partenaire plus doué que lui, qui passe plus de temps à faire l'andouille qu'avancer dans le jeu. Ils finirent par commander des pizzas, et Satsuki le quitta peu après minuit, préférant le laisser tranquille en apprenant qu'il se levait le lendemain. Pour être certain de ne pas louper l'heure il mit un réveil et se faufila dans les draps avec son livre.

Malgré son petit somme un peu plus tôt, il ne tarda pas à s'endormir. Il passa sa nuit sur une plage. Accompagné de ses anciens coéquipiers, entre souvenirs réels et imaginaires. Un par un, sans qu'il ne le réalise vraiment, ses amis s'évanouirent dans la nature et Kagami apparu à ses côtés. L'invitant à rejoindre la mer dont il pouvait sentir les embruns.

Quand son réveil sonne, il grogne. Aomine est un peu déboussolé. Pas certain de quel jour vient de se lever. Des bribes de son rêve lui revienne ce qui lui donne la sensation étrange d'avoir déjà vécu la journée surf qui était prévu. Dans le doute, il vérifie la date sur son téléphone et c'est avec un sourire qu'il réalise que cette journée l'attend, qu'elle ne fait que commencer.

Le réveil le sort d'un sommeil profond et Kagami envisage de l'éteindre et se rendormir avant de réaliser qu'aujourd'hui, il va surfer avec Aomine. À cette idée, il est soudain tout à fait réveillé et quitte son lit aussitôt. Il se sent fébrile en pensant qu'il va passer la journée avec le brun. Un peu nerveux, peut-être. Mais heureux aussi malgré ses inquiétudes sur l'avenir de leur relation. Il veut profiter autant qu'il le peut, et tant qu'il le peut. Alors il met de la musique, passe sous la douche et prépare son petit-déjeuner. Il fait tout rapidement et efficacement, et il est prêt en avance. Tant pis, il n'a pas envie de patienter comme un tigre en cage en attendant l'heure du départ, alors il prend son sac, sa planche de surf, et quitte l'appartement. En chemin, il envoie un message à Aomine.

[Kagami - 10h20]

Je pars à la gare. Y a des trains régulièrement donc te presse pas. À toute !

Aomine sirote son café, se réveillant doucement. L'esprit encore un peu embrumé de sommeil, il accueille le message avec un ricanement. Kagami à l'air plus en forme que lui. Il s'étire, et d'un pas déjà moins trainant il file s'habiller et préparer son sac. Il y fourre une serviette de plage, sa combi qu'il se félicite d'avoir gardé – ce sera ça de moins à louer – une grande bouteille d'eau, son huile solaire, et des tongs. Un air de vacances souffle autour de lui et son attirail, attisant son impatience. Sur la console de l'entrée il saisit ses lunettes de soleil puis sort de chez lui.

En chemin pour la gare, il achète une boite de gâteau à la boulangerie qu'il aime bien pour leur dessert. La vendeuse lui sert en plus son sourire mielleux auquel il préfère ne pas répondre.

Arrivé à la station il cherche le quai d'où part son train, et dans la petite foule qui s'y est attroupée il repère aisément son ami, dépassant tout le monde d'une voir deux têtes. Il le voit bouger au rythme de ce qui ce qu'il écoute dans son casque et ça le fait sourire, imaginant que c'est une musique qu'il connait. Entre les voyageurs, il se faufile pour le rejoindre.

Kagami se tourne vers lui en le voyant approcher du coin de l'œil. Il s'illumine d'un sourire et retire ses écouteurs.

« Hey. Bien dormi ?

— Comme une masse. Et toi ? T'es tombé du lit ?

— Nan pas vraiment, mais... » Kagami se frotte l'arrière du crâne un peu embarrassé. « J'étais impatient de partir. J'ai fait quelques sandwichs pour ce midi », ajoute-t-il aussitôt.

Aomine lui sourit. Lui aussi avait hâte. Mais il a toujours un peu de mal à démarrer le matin. Hier faisait exception. Il lève le petit sac en papier contenant les mochis qu'il a ramené entre eux.

« Cool, j'ai apporté le dessert ! » Il ajoute en désignant la planche que Kagami tient sous le bras. « J'espère que j'en trouverais une à louer sur place. »

— Oh ouais, y aura pas de problème pour ça. Et merci pour les mochis. »

Kagami tourne la tête vers la droite alors que dans un vacarme caractéristique, le train entre en gare. Ils montent à bord et restent entre deux wagons, sa planche étant plutôt encombrante.

« On en a pour vingt minutes de trajet, annonce-t-il. Tu verras, l'endroit est cool. J'suis content de sortir de la ville un peu !

— Moi aussi. Ça fait longtemps que je suis pas allé à la mer. Pourtant c'est pas loin... »

Aomine se cale contre la paroi, regardant le paysage défiler à travers le hublot de la porte métallique. Les grands buildings s'éloignent pour laisser place à des quartiers résidentiels qu'ils traversent à vitesse de croisière. Il a toujours aimé les voyages en train. Propices à l'évasion et dans son cas, à la réflexion. Son esprit a tendance à vite s'éloigner au gré des panoramas qui se succèdent.

Aomine a un pli sérieux entre les sourcils quand il se plonge dans ses pensées. Kagami détourne les yeux quand il s'aperçoit qu'il le fixe un peu trop, pour regarder sagement le paysage défiler derrière la vitre. Le roulis du train les berce agréablement, et il se laisse envahir par un sentiment de calme, comme si les choses rentraient dans l'ordre, que tout était à sa place dans l'univers, y compris lui-même, avec Aomine dans ce train, sa planche de surf sous le bras. Ils ne parlent pas beaucoup pendant ce trajet, mais le silence est confortable. Finalement, ils arrivent à destination et sortent sur le quai d'une petite gare plus fréquentée par les touristes que par les travailleurs. La mer est à deux pas, et ils s'y dirigent à pied d'une bonne allure.

Le chant des vagues venant lécher le sable le transporte. Avant de descendre les quelques marches qui séparent le parvis de la rue de la plage, Aomine enlève ses baskets. D'un pas guilleret, il rejoint le sable et s'arrête un instant pour en savourer la douce et tiède caresse entre ses orteils. Il penche la tête en arrière et inspire à pleins poumons l'air marin et son parfum iodé familier. Puis il jette un regard vers son compagnon qui lui fait signe de le suivre. Si Kagami a l'habitude de venir, il doit connaître un endroit plus calme et moins envahi de parasols profitant de la fin de saison plus que clémente, attirant encore son lot de vacanciers et de locaux avides de soleil.

Ils remontent la plage vers une anse large où les vagues grondent. Non loin de là, un petit bâtiment en bois abrite un magasin proposant tous les articles dont on peut avoir besoin pour pratiquer le surf. Ils y louent une planche et descendent sur la plage, plus dégagée ici. Quelques surfeurs sont déjà à l'eau, profitant des rouleaux grondants qui se forment au large.

Kagami se déshabille rapidement, le regard fixé sur l'océan, impatient de répondre à son appel. Il enfile sa combi et jette un coup d'œil à son comparse :

« T'es prêt ? Ça va secouer aujourd'hui ! »

Aomine termine tout juste de remonter sa fermeture éclair. Ses jambes tremblent presque sous l'effet de l'adrénaline qui commence à envahir son corps. Il hoche la tête à l'intention de Kagami, saisit sa planche plantée dans le sable et s'élance sur la plage. Il enjambe la première vague, puis une seconde et vient se positionner souplement sur sa planche qu'il fait glisser sur les flots. Il commence à ramer, savourant les sensations qu'il redécouvre. Non loin de lui Kagami fait de même, un sourire radieux aux lèvres. Leurs regards se croisent et il accélère, essayant de rester stable tandis qu'une grosse vague vient soulever sa planche.

À sa gestuelle, Kagami constate qu'Aomine a l'habitude de surfer. Il ne semble avoir aucune peur face à l'océan imprévisible. Un rayon de soleil illumine les eaux émeraude crénelées d'écume, l'horizon semble leur appartenir, vaste et lumineux. Arrivés au bon endroit pour prendre les vagues, Kagami guette le moment idéal, attentif au mouvement de l'eau qui soulève sa planche. Dans ce genre de moment, il ne faut pas réfléchir, se fier à son instinct pour saisir l'opportunité quand elle se présente. Et c'est ce qu'il fait, se dressant sur sa planche et commence à chevaucher la vague qui l'emporte en se levant toujours plus haut. Il reste stable sur ses appuis, fendant l'eau à une vitesse qui ne cesse d'augmenter, lui arrachant un petit rire heureux.

Assis sur sa planche Aomine regarde Kagami se faire emporter par une puissante vague. Il peut entendre son rire à travers le grondement de l'océan. Il partage son bonheur, il est tout simplement communicatif. Quand il est hors de vue, caché derrière le rouleau qu'il a choisi, il se concentre de nouveau, attendant le sien. Il n'est pas certain de débuter avec une vague aussi puissante, il en choisit une moins haute, histoire de se mettre en jambe. Il l'accompagne un peu, et dès qu'il le sent il se redresse, relevant doucement son centre de gravité. Quand la vague accélère il pousse sur ses jambes pour rester dans l'axe. L'euphorie le gagne quand l'air vient fouetter son visage et que l'écume vient embrasser sa peau. Pour l'instant il préfère ne rien tenter, profitant de se laisser porter pour reprendre confiance en ses gestes qui reviennent plus naturellement qu'il ne l'aurait cru.

Kagami l'attend vers le bord, un grand sourire aux lèvres.

« Alors, ça fait du bien, pas vrai ? » Sans attendre la réponse, il se tourne vers l'océan et soupire avec un sourire satisfait : « Ça m'avait manqué. »

Aomine se laisse tomber dans l'eau en approchant de Kagami. Il ressort en riant et s'ébroue.

« Ouais ça décoiffe ! Elle est trop bonne ... On y retourne ?

— Yes ! »

Ça l'amuse de voir Aomine batifoler dans l'eau comme un chat qui aurait un amour incongru pour cet élément. Il se rallonge sur sa planche et pagaie vers le large. Il adore ce moment où l'anticipation monte en lui, créant une tension semblable à celle qu'on peut éprouver dans un grand huit, alors que les wagons gravissent une pente raide avec lenteur, sachant que dans quelques instants, ils vont se lancer à pleine vitesse dans la descente qui s'ensuit. De nouveau, il attend la bonne vague, surveillant Aomine du coin de l'œil, puis il s'élance avec encore plus d'aisance que pour la première. Il ne lutte pas contre la force de l'océan, il la laisse emprunter sa planche et lui, tout ce qu'il a à faire, c'est rester en équilibre et profiter de l'ivresse pure de la vitesse alors qu'il traverse le rouleau au fur et à mesure qu'il déferle, le mur liquide se refermant derrière lui au fil de sa course dans un fracas à la fois effrayant et familier.

Cette fois il se sent prêt à prendre un peu plus de risque. La performance de Kagami lui fait envie. Tordant un peu ses tripes. Il laisse filer des vagues qu'il juge trop petites et en repère une qui lui plait. Il s'élance dessus, emporté par la force de la nature. Souple sur ses appuis, Aomine accompagne le rouleau. Il surf, gauche droite gauche. C'est un peu comme une danse. Un jeu de maîtrise où le calme doit l'emporter sur l'effervescence. Malgré la joie qu'il éprouve il se contraint à la concentration pour ne pas tomber tandis que le rouleau se referme sur lui. Il se baisse un peu plus pour gagner en vitesse et caresse le mur d'eau du bout des doigts. Avant qu'il ne s'écrase sur lui, il tente une figure simple. Elle passe mais malheureusement il perd l'équilibre à la réception et tombe à l'eau sans la moindre élégance. En remontant à la surface il frappe dans une vague un peu rageux. Il a pris la confiance trop vite, il a plus perdue que ce qu'il avait espéré.

Kagami ne peut s'empêcher de rire en assistant à cette magnifique chute finale. Mais Aomine a assuré avant ça. Il n'a pas autant d'expérience que lui sur l'eau, mais il se défend bien.

« Ça arrive aux meilleurs ! » lance-t-il en repartant déjà vers le large.

Il ne sait pas trop s'il doit prendre ça pour un encouragement ou une moquerie. Peut-être un peu des deux. Il enchaîne encore quelques vagues avant de se sentir faiblir. L'océan est redoutable aujourd'hui, la lutte contre cet élément déchaîné le fatigue rapidement. Il fait signe à Kagami qu'il rejoint la plage puis s'assoit sur sa serviette pour reprendre un peu son souffle.

Kagami surfe encore quelques vagues, se ressourçant alors qu'il file sur l'eau, presque aérien. C'est si bon d'oublier la terre ferme, où tout est plus lent et plus lourd. Ici, les couleurs se fondent les unes aux autres dans des nuances de vert, de gris et de bleu, étincelant sous le soleil, tout est en mouvement perpétuel, un monde de liberté où il trouve parfaitement sa place.

De sa serviette, il observe Kagami ne faire qu'un avec l'océan. Il a l'air à l'aise quoi qu'il fasse. Cette impression de force tranquille le frappe encore en regardant son ami faire la course avec un rouleau démesuré. La nonchalance apparente de Kagami s'efface aussitôt qu'il entreprend de se donner dans quelque chose. Que ce soit sur un terrain de basket, dans le e-sport ou sur une planche. Il apprécie son caractère fonceur, l'énergie qu'il met dans ses intentions et ce qu'il dégage. À le regarder faire, tout semble si facile. Pourtant il sait ce qui se cache derrière. Du travail. De la rigueur. De la persévérance. Il l'a compris assez vite, Kagami n'a pas l'air du genre à abandonner facilement et il ne peut qu'admirer cet esprit tenace et combatif.

Finalement, Kagami se décide à rentrer, et ressort de l'eau sa planche sous le bras, l'eau dégouttant sur tout son corps alors qu'il ouvre sa combinaison en rejoignant Aomine. Celui-ci lui tend une bouteille d'eau tandis qu'il s'installe à ses côtés, tout sourire.

« Heureux ? »

Kagami prend la bouteille et se désaltère longuement avant de lui répondre :

« Yes ! Impossible de pas être heureux quand on a des vagues comme ça. Et toi, ça t'a plu ?

— Carrément ! Je suis un peu rouillé mais les sensations sont toujours aussi grisantes. Je reprends un peu des forces et j'y retourne.

— Ça fait combien de temps que t'as pas surfé ? T'allais en faire à Osaka, tu disais ?

— Ouais, c'était un peu une tradition avec les copains. Mais ça fait trois ans qu'on n'a pas trouvé de date qui convient à tout le monde. Et tout seul ça me disait rien.

— Ah ouais, ça fait un bail. Tes potes se sont dispersés un peu partout au Japon, où ils sont trop occupés avec le boulot ?

— Les deux. Tetsu est vite devenue gérant du bar où il a commencé en tant que serveur. Ryota est toujours en déplacement, Shin a fait médecine, j'te laisse imaginer... Seij' s'est investi dans son rôle d'héritier et Atsushi... c'est le genre à ne pas bouger si on n'est pas derrière pour le pousser. Ça devient difficile même de les avoir au téléphone. » Il soupire, un peu triste de réaliser la fatalité des choses et de la vie qui semble les séparer inexorablement puis ajoute. « Tu dois savoir ce que s'est avec Tatsuya à l'autre bout du monde.

— Ouais, et dans notre cas le décalage horaire complique encore les choses. » Kagami marque une pause, regardant l'océan rêveusement, puis reprend. « Mais c'était aussi mon choix de rester au Japon... J'aurais pu retourner là-bas avec lui. Mais... J'avais envie de découvrir cette part de mon identité au lieu de faire un passage en coup de vent. Je sais que... » Il se mordille la lèvre, hésitant un instant à continuer. Et puis, pourquoi s'en empêcher, après tout ? Il a confiance en Aomine et s'ils doivent passer davantage de temps ensemble, autant s'ouvrir un peu. Les yeux toujours fixés sur l'océan, il achève sa phrase : « Que ma mère était très attachée à ses racines nippones. »

Aomine écoute Kagami en triturant le sable de ses doigts. Il pose sa tête sur ses genoux pour l'observer alors qu'il hésite à poursuivre. Il ne le brusque pas, sentant la fragilité dans sa voix qui a baissé d'un ton. Son cœur s'emballe quand il entend sa confession. C'est la première fois qu'il entend Kagami parler de sa mère et il l'évoque au passé... Il est touché, curieux et à la fois il connaît cette douleur et la difficulté de l'aborder. Pourtant si son ami lui en parle, il se dit qu'il ne risque rien à poser la question qui lui brûle les lèvres.

« Tu avais quel âge ?

— Dix ans. J'ai pas eu le temps de beaucoup la connaître... Alors je crois que je la cherche toujours un peu, d'une certaine manière. Ou peut-être que c'est moi que je cherche... Enfin, au bout du compte, ça revient au même, j'imagine. En tout cas, ce que je cherche est ici, je sais pas pourquoi, mais je le sais au fond de moi. » Il sourit et jette un coup d'œil à Aomine. « Donc c'est pour ça que je suis resté, quitte à affronter un peu de solitude. Et puis maintenant, Alex est là, donc c'est mieux. »

Et je t'ai rencontré, ajoute-t-il mentalement, mais bien sûr il ne formule pas sa pensée.

La tête toujours posée sur ses genoux il le regarde. Sa poitrine se sert pour le jeune Kagami. Et forcément il pense à sa propre histoire. Il éprouve un profond respect pour son ami et sa quête. Il imagine très bien combien ça a dû être difficile, et à quel point ça doit le rester parfois de vivre sans sa mère. Il lui offre un sourire, les yeux un peu brillants. Il ne s'était pas attendu à de telles confidences. Doucement il se penche pour bousculer un peu Kagami avec son épaule et lui souffle :

« Je suis désolé. »

À son tour il contemple l'océan, la gorge nouée. Il n'avait pas prévu d'évoquer le sujet. Pas aujourd'hui en tout cas. En fait il l'évite la plupart du temps parce que ça le met encore dans de drôles d'états. Mais ici, l'océan l'apaise, telle une bulle hors du temps, hors réalité et Kagami qui s'ouvre à lui l'incite à partager son fardeau. Un peu comme une façon de lui dire qu'il le comprend, et qu'il n'est pas seul.

« Je... Je cherche un peu mon père aussi avec l'uniforme. Son portrait est même sur un mur au poste... »

Kagami acquiesce, plus pour lui-même qu'autre chose. Il s'était douté d'une histoire de ce genre, dans la façon dont Aomine semblait soigneusement esquiver le sujet, tout liant sa vocation à un passif personnel, et à la façon dont il semble blessé par quelque chose au plus profond de lui-même. Il le regarde et demande doucement :

« C'est arrivé au travail ?

— Ouais... Mort en héros. Alors qu'il aurait dû attendre les forces spéciales. » Souffle-t-il, un peu amer. Ne préférant pas s'attarder sur le sujet il ose une autre question. « Et ta maman, elle était malade ? »

Réfléchissant toujours à ce que vient de lui dire Aomine et d'autres questions lui brûlant les lèvres, celle du brun le prend au dépourvu. Il n'aime pas parler de ça, il n'a que quelques souvenirs fragmentaires, mais quand il se rappelle cette période, il revit cette curieuse et pesante impression de traverser un couloir glacé éclairé violemment au néon, où il n'y a aucun endroit où se cacher, où tout se ressemble, et où tout espoir de sortie diminue à mesure qu'il progresse. Un couloir assez similaire, en fait, à celui d'un hôpital.

« Ouais, dit-il finalement. Cancer du sein. En quelques mois, c'était terminé. »

Aomine sent l'émotion monter en lui telle une des vagues qu'il admire sans plus vraiment les voir. Perdus dans ses souvenirs, essayant de s'accrocher au moment présent pour ne pas se laisser submerger. Ne pas couler. Il inspire profondément pour la faire refluer. Il a soudainement froid malgré la douceur du soleil sur son dos. D'un geste qu'il veut discret il chasse une larme fuyarde en l'écrasant sur son bras.

« La vie est merdique parfois. »

Son émotion n'échappe pas à Kagami, qui se mordille la lèvre, la gorge un peu nouée. Il hésite un instant mais suit son impulsion et pose une main sur son épaule.

« Yeah, it is... »

Sans savoir quoi ajouter, il presse légèrement son épaule dans sa main, tentant de lui montrer par ce simple geste qu'il est là, et qu'il partage sa peine.

Aomine se fige sous le contact. Il se mord durement la lèvre pour étouffer le sanglot qui menace face à cette démonstration de compassion. Il se sent minable. Kagami aussi doit souffrir et il est incapable de le réconforter. Mais il n'y a pas grand-chose à dire de plus de toute façon, rien qu'on ne lui a jamais dit. Doucement, un peu fébrile il vient poser sa main sur celle qui l'étreint. Il ne sait pas combien de temps ils restent ainsi, mais ce simple contact finit par le calmer, le ramenant au présent. Sa voix est un peu rauque quand il l'entend s'élever, brisant le silence relatif du moment.

« Ils sont à quoi tes sandwichs ? »

Kagami sourit à la question et attend qu'Aomine retire sa main pour enlever la sienne. Il attrape son sac et annonce tout en sortant les sandwichs :

« J'ai fait un assortiment. Y en a au thon, au porc pané, et... J'ai cru remarquer que t'aimais la sauce teriyaki, alors j'en ai fait au poulet teriyaki. »

Pas insensible à l'attention, sûrement encore à fleur de peau, sa poitrine se gonfle d'affection. Il se déplace un peu pour lui faire face et s'installe en tailleur. Et malgré l'émotion qui pèse toujours sur son cœur il ne peut retenir un sourire. Il a hâte de gouter !

« Ça a dû te prendre du temps ! Merci beaucoup.

— Oh nan, j'ai l'habitude de cuisiner, ça va vite. »

Kagami sourit, heureux de voir Aomine reprendre un peu du poil de la bête. Réconforter par la nourriture, c'est quelque chose qu'il applique à lui-même, mais qu'il fait aussi pour les autres. Quand Alex ou Tatsuya avaient des coups de déprime, il cuisinait toujours quelque chose de spécial, et il le fait toujours pour Alex. Il se souvient que sa mère le faisait pour lui quand il avait des chagrins d'enfant, et il a pris cette habitude rapidement après son décès. Son père travaillant beaucoup, il fallait bien qu'il apprenne un peu à se débrouiller, et notamment pour se faire à manger. Il prend un sandwich au porc pané et avant d'y mordre à belles dents, il lance :

« Bon app ! »

Aomine note la qualité des sandwichs et de leur emballage expert. Effectivement, ils ont le parfum de l'habitude. Ne se faisant pas prier il attaque aussi et laisse échapper un gémissement de gourmandise. Tout en mastiquant il écarquille les yeux et pose son regard successivement sur Kagami et son casse-croute. Il ne s'était pas attendu à une telle explosion de saveur. Il enchaîne avec une autre bouchée tout aussi savoureuse et il marmonne un peu la bouche pleine.

« La prochaine fois que tu perds, y a moyen que tu cuisines ? C'est trop bon ! »

Kagami rigole franchement à cette demande, mais il y accéderait avec plaisir.

« Ouais, ça peut se faire. Et puis t'inquiètes, pas besoin que j'ai un gage post-défaite pour te préparer un truc si t'aimes ce que je fais. Je cuisine souvent pour Alex et Izumi. »

Kagami l'observe avec un sourire, tout heureux de le voir apprécier son sandwich fait maison.

« T'aurais pas dû dire ça... Oublie pas que je connais ton adresse ! T'étonnes pas si un jour je débarque sans prévenir avec des ingrédients. Tout ce que je sais faire c'est cuire du riz, et encore ! »

Il se marre à son tour en imaginant mettre sa menace à exécution. Décidemment Kagami est plein de surprise. Souvent il se contente de plat tout fait ou à emporter.

« Et encore ? répète Kagami en rigolant. Je vois... Eh bah très bien, débarque avec tes ingrédients, alors. » Puis il se rappelle quelque chose et demande : « Mais, et ta copine qui te materne, elle te cuisine pas des trucs ? »

Aomine manque de s'étrangler.

« Satsuki ?! Ça va pas ! Elle est pire que moi dans une cuisine, je savais même pas que c'était possible. Elle remplit mes placards et mon frigo pour être sûre que j'ai de quoi manger, mais il y a longtemps que je ne mange plus rien qui sort de ses fourneaux.

— À ce point-là ? s'étonne Kagami. Oh... faudra que je lui fasse à manger aussi », réalise-t-il, l'air grave, car la nourriture est une affaire avec laquelle on ne plaisante pas : on ne peut pas se permettre de manger n'importe quoi.

Incrédule, Aomine secoue la tête. Kagami à l'air on ne peut plus sérieux. Il décide de le rassurer.

« T'en fais pas. Elle est encore à la fac, elle mange à la cafet' et sa mère lui prépare des plats aussi pour la semaine. Parfois elle vient en partager un avec moi quand elle veut squatter ma console ou ma connexion internet.

— Ah, c'est bien. »

Kagami est effectivement rassuré à l'idée que quelqu'un fasse bien à manger à cette pauvre jeune femme. Mais maintenant, il s'inquiète des repas quotidiens d'Aomine. Il est sûr qu'ils sont peu réguliers, insuffisants ou pas équilibrés. Bref, catastrophiques.

« Mais toi tu en as sûrement besoin, dit-il en lui jetant un coup d'œil soupçonneux. Je suis sûr que tu manges n'importe quoi avec tes horaires de boulot. »

Aomine attrape un nouveau sandwich au thon cette fois et en croque un bout avant de répondre.

« Bah... Je grignote plus qu'autre chose. Je mange sur le pouce plusieurs fois dans la journée. Les vrais gros repas c'est quand je suis de repos, mais c'est rarement moi qui les prépare. » Il ricane un peu, pas certain d'avoir saisi où veut en venir son vis-à-vis . « Pourquoi, tu veux me préparer à manger ? »

Kagami rougit légèrement, il se laisse un peu emporter, mais ça n'empêche pas qu'il considère sérieusement cette possibilité, et que ça lui ferait plaisir.

« Hm eh ben... C'est à dire que ça me dérangerait pas... C'est toujours sympa de cuisiner autrement que pour soi, pour quelqu'un qui va apprécier ses plats... »

Plusieurs fois il cligne des yeux. Il avait dit ça pour rire mais apparemment il avait bien compris. Aomine déglutit, réfléchissant à toute vitesse à ce que cette possibilité impliquerait. Quelque part ça le gêne énormément. Mais d'un autre côté, si Kagami met autant de cœur à la cuisine que dans tout le reste...

« Je... je ne peux pas vraiment te demander ça. Enfin, j'imagine que si tu me laisses payer pour les ingrédients je pourrais me laisser tenter pour passer quelques commandes. »

Ouais, s'il le prévient à l'avance et achète ce dont Kagami a besoin, il estime que c'est envisageable. Ce serait comme acheter chez le traiteur, sauf que le traiteur en question serait son pote. Pas vrai ?

Kagami sourit et acquiesce.

« Tu fais les courses, je cuisine, ça me semble équitable. Moi je bosse chez moi, c'est plus simple pour gérer les repas. Alors si ça peut te dépanner, et comme on habite pas loin... Bref, c'est pas un problème. »

Il a l'impression de se convaincre lui-même autant qu'il convainc Aomine, en cherchant des arguments rationnels pour justifier sa proposition, car il sait très bien qu'il le fait surtout parce qu'il craque pour lui et qu'il a envie de lui faire plaisir. Mais en y réfléchissant, ses arguments sont plutôt valides, alors il s'en sort bien.

« Deal. »

Aomine hoche la tête, satisfait et impatient de tester leur petit arrangement. Il étouffe la petite voix qui lui murmure qu'il se sert honteusement de la gentillesse de Kagami avec la fin de son repas puis s'étire en soupirant d'aise, requinqué.

« Hmmm pile ce qu'il me fallait. J'crois que je suis prêt à y retourner, tu viens ? »

Kagami range les papiers sales dans un sac en plastique qu'il remet dans son sac et relève la tête pour regarder la mer.

« Ouais, je crois que ça ferait du bien après tous ces sandwichs. »

Et surtout après ces confessions et cette proposition presque indécente ! Se défouler, c'est tout ce dont il a besoin. Il se relève d'un air décidé et enfile sa combinaison avant de se saisir de sa planche, prêt à conquérir les vagues à nouveau.

Le repas l'a aidé à se détendre mais il a vraiment envie de se jeter à corps perdu dans les flots pour se défaire du poids encombrant sa poitrine. Alors il suit Kagami lorsqu'il s'élance au large. Il se sent un peu lourd sur sa première vague avec tout ce qu'il a mangé mais plus il prend de vagues, mieux il se sent. Se libérant l'esprit pour profiter de l'adrénaline qui revient prendre possession de ses membres et l'emmener toujours plus vite.

Kagami enchaîne les vagues, gardant un œil sur Aomine pour vérifier que tout se passe bien pour lui. La mer lui semble plus âpre que tout à l'heure, plus rétive, mais il sait que c'est parce que son état d'esprit l'éloigne de son environnement. Et plus il revient au moment présent, concentré sur ses perceptions et sur son effort, plus il lui semble se fondre de nouveau à l'élément liquide, s'y intégrer comme s'il en avait toujours fait partie, comme si les vagues le poussaient et jouaient avec lui. Le plaisir de la vitesse l'enivre et ses appréhensions s'envolent.

Au bout d'un moment, il s'assoit à califourchon sur sa planche près du bord, et met sa main en visière pour guetter la silhouette d'Aomine, en train de surfer avec aisance au cœur d'un rouleau. Il l'observe en souriant, pendant qu'il reprend son souffle, fatigué par cet exercice beaucoup plus physique qu'il n'en a l'air.

À force, et après quelques chutes, l'insouciance et le plaisir lui sont revenus. Aomine est content, il a même réussi à passer quelques figures qu'il avait du mal à tenir ce matin. Il a eu l'occasion de voir Kagami en exécuter une ou deux, plus difficiles. Il aimerait bien qu'il lui apprenne, ce serait une bonne raison de revenir, parce qu'il s'amuse énormément. En rejoignant son complice, il se demande vaguement pourquoi il s'est privé d'un loisir qu'il apprécie autant, sous prétexte qu'il était seul.

« Comment j'm'en sors ? »

— Super bien. T'as facilement repris les bons gestes. Encore quelques séances et ce sera comme si t'avais jamais arrêté !

— Et combien pour arriver à faire ce que tu m'as sortie tout à l'heure ? »

Kagami rigole :

« Oh ça je sais pas, c'est des années de pratique... Mais bon, comme t'as déjà un bon niveau, tu devrais les maîtriser l'année prochaine !

— Ça veut dire qu'on va devoir revenir souvent alors, s'amuse-t-il. C'était dingue, tu gères comme un pro !

— Thanks. On retourne au sec ? J'ai bien envie de prendre un peu le soleil maintenant !

— Tu lis dans mes pensées... »

Il lui sourit et rejoint la berge. Près de leurs serviettes, il plante sa planche dans le sable et fait glisser la fermeture de sa combinaison pour s'en délester entièrement. Aomine soupire d'aise en s'étalant sur sa serviette, savourant les rayons du soleil venant réchauffer et sécher sa peau. Du coin de l'œil, il observe Kagami faire de même et ne peut s'empêcher de remarquer une trace de bronzage qu'il trouve charmante. Son ami est la preuve vivante que les gamers ne sont pas des vampires reclus dans des grottes sombres.

Kagami évite de trop regarder le corps grâcieux et puissant d'Aomine, encore mis en valeur par l'eau qui moire sa peau caramel. Il se dépêche de prendre sa place sur sa serviette, s'étendant sur le ventre pour sentir le soleil réchauffer sa nuque et son dos fatigué. Il pose son visage contre ses mains croisées et écoute le ressac, avec l'impression qui s'accroche à lui d'être encore sur l'eau, son corps bercé par les vagues.

« Ça faisait longtemps que j'avais pas profité d'un week-end comme ça... C'est vraiment cool », murmure-t-il en souriant, les yeux clos.

Un sourire étire ses lèvres. L'impression de vacances qu'il a éprouvée en préparant ses affaires s'arrime de nouveaux à lui. Le bruit de la mer, le soleil et cette quiétude partagée. Il a l'impression de ne pas avoir travaillé depuis une éternité et ça lui fait un bien fou.

« Hmm c'est clair. J'suis bien content qu'on soit venu. Ça m'avait manqué. »

Aomine se redresse et fouille dans son sac pour s'étaler un peu de soin solaire. Il aime son parfum qui accentue son sentiment d'être loin de son quotidien, comme dans une parenthèse hermétique à tout ce qui n'appartient pas à l'instant, repoussant toutes ondes et pensées négatives.

Quand il a vu Kagami torse nu pour la première fois chez lui, il s'était senti gêné, mal à l'aise. Parce que la situation avait quelque chose d'intime et d'incongrue. Ici, sur la plage il ne ressent aucun embarras à le voir dénudé à côté de lui. Il se permet même de parcourir son dos du regard tandis qu'il se badigeonne les bras d'huile bronzante. Sa position dévoile ses trapèzes, puissants, et fait ressortir ses omoplates saillantes. Sur ses flancs il remarque aussi le début du tracé de ses abdominaux et deux fossettes au creux de ses reins. Il se surprend à penser que même si Kagami s'entretient physiquement, c'est un bel homme.

Tout semble si naturel avec Aomine. Même s'ils se connaissent à peine finalement, quand ils sont ensemble, les choses sont fluides. Et peu à peu ils se dévoilent davantage, se découvrant des points communs. Kagami se dit que c'est vraiment un drôle de hasard que leurs routes se soient croisées de cette manière, par une simple coïncidence, alors que tant de choses les rapprochent. Il se sent attiré par lui dans tous les sens du terme, sa présence lui donne le sourire, et malgré les sentiments qu'il doit taire... il se sent lui-même. Et accepté comme il est. Une petite voix lui souffle qu'il ne doit pas se laisser ainsi conquérir si facilement, qu'il doit garder les pieds sur terre, mais... Il n'en a pas envie. C'est difficile de se persuader qu'on le regrettera plus tard quand on est heureux. Et peut-être aussi qu'après tout, tout ça n'est pas une erreur. Il ne voit pas comment ce serait possible, mais l'espoir s'accroche à lui.

Il sent le parfum ensoleillé de l'huile d'Aomine chatouiller ses narines et de drôles d'images naviguent sous ses paupières closes, quand il se voit masser le corps élancé et musclé de son voisin. Il se donne une claque mentale et s'efforce de passer à autre chose. À la place, il repense à la conversation qu'ils ont eue juste avant le déjeuner, ce qui a le mérite de doucher ses ardeurs. Il comprend maintenant pourquoi Aomine rêve des forces spéciales. Un flic qui sauve des flics... Son cœur se serre en y pensant. Et il s'interroge aussi sur sa mère, qui doit être terrifiée de voir son fils évoluer dans le même métier que son mari.

Il se retourne pour prendre le soleil de face, espérant qu'ils auront l'occasion d'évoquer de nouveau tout ça. Et alors qu'il laisse doucement ses pensées dériver de nouveau, il se dit qu'il a une petite faim et rouvre les yeux :

« Oh, t'avais pas dit que t'avais pris des mochis ?! J'ai un petit creux ! »

La réflexion de son voisin le tire du sommeil dans lequel il était en train de sombrer, errant entre conscience et inconscience, alangui par la chaleur du soleil. Il redresse ses lunettes de soleil sur son crâne et se contorsionne pour attraper le petit sac de pâtisseries.

« Tiens, j'ai pris plein de parfums différents, je... je savais pas trop ce que tu préférais. Il y a fraise, framboise, pêche et citron je crois. »

Il présente la boîte à Kagami et la dépose entre leurs serviettes pour le laisser choisir en premier.

Kagami en choisit un à la pêche et déguste la pâtisserie. Il n'est pas très sucré mais il apprécie les mochis.

« Délicieux ! commente-t-il. Ça fait du bien après tout ce qu'on a donné sur les vagues ! Et puis entre nous, les sandwichs, c'est pratiquement un en-cas plutôt qu'un repas... »

Il ne peut s'empêcher de rire à la remarque. Il a l'habitude des en cas. Mais ce qu'il a vu de Kagami concernant la nourriture, il peut comprendre qu'il soit frustré. Il pioche un mochis fraise et le goute.

« Les meilleurs de la ville. Content que ça te plaise, c'est pas trop sucré alors je me suis dit que ça irait.»

Kagami en prend un autre, au citron cette fois, examinant les vagues tout en mastiquant le petit gâteau. Les surfeurs sont assez nombreux maintenant, mais ils n'ont pas leur talent, visiblement.

« Hm... Il a pris la vague trop tôt, celui-là, commente-t-il, sourcils froncés. Pas étonnant qu'il se casse la gueule. On dirait pas, mais le surf, ça demande une certaine patience. »

Aomine se redresse un peu sur les coudes. Il jette un coup d'œil à Kagami qui observe et juge, tel un prof exigeant surveillant ses élèves. Un énième sourire vient taquiner sa bouche quand il se rallonge. Il croise les bras sous sa tête en réfléchissant à ce qu'il vient de dire.

« Pour ça que ça te va si bien. Et le gaming aussi finalement. » marmonne-t-il plus pour lui-même, comme une conclusion venant valider ses impressions.

Kagami lui lance un regard surpris.

« Tu me trouves patient ? Ouais... après c'est vrai que je sais l'être quand c'est du sport ou du gaming. Obligé, sinon on progresse jamais.

— Hmm patient je sais pas... mais dans le contrôle c'est sûr », précise Aomine, réalisant en l'énonçant à voix haute combien c'est vrai. « En fait t'es un peu une bombe à retardement. Comme au basket hier. Y a fallu que je te nargue pour que tu lâches tout. »

Kagami le fixe quelques instants, désarçonné par cette analyse. Il sait qu'elle est vraie, mais il ne pensait pas que ça se voyait autant. Il en serait presque vexé, mais en l'occurrence, il préfère en rire. Après tout, il a bien conscience que ce trait de caractère est parfois un défaut qui lui joue des tours, et cet aspect de lui est comme en perpétuelle rivalité avec son côté bouillonnant, chacun cherchant à prendre le dessus sur l'autre.

« Ouais... Tu m'as percé à jour, je suis un control freak. Ou tout l'inverse quand le timer de la bombe arrive à zéro.

— Tout feu tout flamme ! » complète-t-il en riant.

Il ne pense pas avoir percé à jour Kagami. Il se découvre à peine. Mais ce besoin de contrôle venant compenser cette énergie débordante lui saute aux yeux à présents. Dans plein d'aspect différents. Son appartement, ses gouts musicaux, ses loisirs, sa carrière... Il faut que ça bouge, vite, et en même temps que chaque chose ait sa place.

« Yeah... Mais tu comptes me narguer à chaque fois que je serai trop en contrôle à ton goût ? s'inquiète Kagami en le regardant suspicieusement.

— Je peux rien te promettre ! Il faut bien que je te teste. » Il rit sous le regard méfiant de son ami et poursuit. « J'imagine que ça dépendra de mon humeur. »

Kagami grimace. Il ne sait pas pourquoi, mais il pressent qu'Aomine pourrait se montrer particulièrement redoutable dans le domaine de la provocation et diverses taquineries.

« À tes risques et périls, si t'as pas peur de mon côté soupe-au-lait...

— Disons qu'on sera quittes... »

Loin d'avoir peur, au contraire il a hâte de découvrir cette facette-là de Kagami. Entendre rugir le fauve qui sommeil. Il ne veut pas le brusquer non plus, ni le froisser. Tout ça reste un jeu pour lui. Pousser ses potes dans leurs retranchements et les faire réagir est une façon de les connaître, de les dérider, d'avoir leur attention aussi parfois. Et puis il faut dire que c'est sacrément amusant. Sa victime préférée qui démarre toujours au quart de tour c'est Kise... Avec Seijuro il ne s'y est jamais trop risqué cependant. Mais il sent un potentiel de réponse en face de lui en la personne de Kagami plutôt alléchant. Il faut juste qu'ils continuent de s'apprivoiser pour définir leurs limites respectives, mais petit à petit il espère que ça viendra.

Kagami observe son voisin et son sourire amusé, et esquisse la même expression. Il sent la complicité naissante entre eux et se dit qu'il pourrait sûrement très bien s'entendre avec Aomine. Et lui aussi, à sa façon semble se sentir un peu seul, malgré Kuroko et Satsuki. Il a confusément l'impression qu'ils ont besoin de l'un de l'autre, qu'ils se comprennent à un niveau intime, même dans certaines choses qu'ils ne disent pas, et il trouve cette sensation terriblement réconfortante.

Il se rallonge sur sa serviette, mais se redresse presque aussitôt. Dans la précipitation ce matin, lui qui est toujours si organisé, il a oublié quelque chose, et lance un coup d'œil timide à Aomine avant de demander :

« Hm... Je pourrais t'emprunter ton huile solaire ? J'ai oublié la mienne... »

Aomine redresse ses lunettes et hausse un sourcil à l'intention de son voisin, faussement choqué.

« Comment ? Monsieur maniaque ne l'a pas mis en premier dans son sac ?! » N'arrivant pas à garder son sérieux à sa propre connerie, il ricane en cherchant l'huile à tâtons et la tend à Kagami.

« Tss... siffle le rouge en la prenant. J'étais pressé d'aller faire du surf j'ai fait mon sac trop vite... »

Il verse un peu d'huile dans sa paume et commence par l'étaler sur ses biceps, profitant de son parfum ambré rappelant toutes les vacances d'été du monde. Il y a peut-être aussi une petite note sensuelle de coco. Il s'occupe ensuite des jambes, masse son torse et ses abdos consciencieusement, et n'oublie pas d'en mettre un peu sur son visage : il n'a aucune envie de se retrouver demain avec un teint et des cheveux assortis.

Ça va, c'est une bonne excuse. Aomine aurait certainement oublié la sienne aussi si elle n'était pas ranger dans le tiroir avec son maillot de bain. Mais il ne lui avouera pas. Aomine note avec quelle précaution Kagami n'omet de protéger aucun recoin, et lorsqu'il le voit se contorsionner sans la moindre souplesse pour s'en appliquer sur le haut du dos il se redresse sans réfléchir.

« Donne, je vais t'aider. »

Kagami lève un regard surpris sur lui, mais lui donne le flacon par automatisme. Tout à l'heure il s'en est bien sorti à fermer les yeux pendant qu'Aomine se tartinait, mais maintenant comment il va faire ? Fermer les yeux pourrait encore empirer les choses... Son cœur s'accélère mais il n'en laisse rien paraître, inutile de rendre la situation plus bizarre que nécessaire, et il murmure un simple "Thanks" tout en se repositionnant pour lui faciliter le travail.

Ce n'est que maintenant qu'il est en possession du flacon qu'il réalise ce que sa proposition a d'intrusif et de familier. Il se secoue mentalement, après tout Kagami a accepté son offre, alors autant ne pas s'en faire toute une histoire à supposer encore des choses sans fondement tout seul avec son imagination. Il fait chauffer un peu l'huile entre ses mains pour la rendre plus malléable et commence à l'appliquer sur les épaules de l'américain. Il n'appuie pas comme il le ferait pour un massage, mais n'hésite pas non plus. Il faut dire qu'il a un peu peur de ce que Kagami pourrait interpréter d'une main incertaine.

Kagami s'efforce de rester détendu, fixant l'horizon, concentré. Les mains d'Aomine sont chaudes sur sa peau, il peut sentir les cals caractéristiques causés par le ballon orange, mais sa gestuelle est douce et naturelle. Alors peu à peu il n'a plus besoin de faire d'efforts pour se détendre, et malgré lui il ferme les yeux, profitant de ce contact apaisant, mais un peu trop sensuel pour qu'il puisse garder toute sa sérénité.

Concentré sur sa tâche, Aomine descend, suivant la colonne vertébrale de Kagami. Sa carrure imposante devient au sens propre du terme palpable. Sous ses doigts les muscles sont solides, et il se perd un peu dans sa fascination de la façon dont ils se contractent quand il passe dessus. Faisant durer un peu plus que nécessaire son étalage de crème solaire. Il passe plus rapidement sur ses reins, de plus en plus conscient de ce qu'il est en train de faire et de l'intimité du moment.

Aomine semble étrangement à l'aise avec cet exercice et Kagami trouverait presque ça suspect. Si c'est une façon de lui prouver qu'il n'a pas peur d'être familier avec lui en dépit de son orientation sexuelle, c'est clair que ça fonctionne. De son côté, lâchement il en profite, l'occasion est trop belle. Et puis... même pour un massage innocent, ça fait une éternité qu'on ne l'a pas touché comme ça. Il ne sort plus tellement, fatigué par les histoires sans lendemain qui lui laissent souvent un léger goût amer. Et de ce fait... c'est encore plus difficile de rester stoïque.

Aomine a toujours été tactile, mettant mal à l'aise la plupart de ses camarades. C'est peut-être en partie dû à son éducation un peu dure qu'il a essayé de compenser en cherchant de l'affection ailleurs. Mais depuis gamin il ressent le besoin de toucher ses proches. Comme une façon d'ancrer leurs liens dans un contact physique et tangible. Une accolade, une poignée de main, un bras nonchalant posé sur une épaule. C'est naturel pour lui, une façon aussi de témoigner son affection quand les mots lui manquent. Montrer plutôt que dire. Mais avec Kagami, il ne sait pas s'il devrait le faire ainsi sans réfléchir. Lui ça ne le dérange pas de le toucher de cette façon, même en sachant son orientation. Mais encore une fois, il doute de comment ça pourrait être reçu. Alors en refermant son huile il se promet de faire plus attention. Parce que tout est tellement facile et simple avec Kagami... il aimerait que ça le reste, même si pour ça il doit endiguer son naturel tactile.

Kagami émerge de sa transe alors que les mains d'Aomine se retirent et il lui jette un coup d'œil en souriant.

« Merci. »

Il se rallonge sur le ventre, chassant son trouble et dissimulant un début d'érection. Pfiou... C'est passé près. Parfois il envie les femmes de pouvoir rester si discrètes dans ce genre de situation.

« Je parie que toi t'en mets juste par coquetterie », remarque-t-il pour faire diversion, avec une pointe de taquinerie. « Halé comme t'es, ta peau doit bien prendre le soleil...

— Justement ! Je ne veux pas finir tout fripé à 40 piges. Et je suis accro à l'odeur... ça sent le paradis », admet-il en inspirant profondément pour s'imprégner des effluves flottant encore dans l'air.

Kagami rit doucement à ces commentaires auxquels il trouve une certaine candeur, contrastant avec l'air soucieux ou mélancolique qu'arbore parfois son ami.

« C'est vrai que ça sent bon. En fermant les yeux comme ça, on pourrait croire qu'on est sur une île perdue au beau milieu de l'océan. »

Aomine ferait bien remarquer qu'ils sont sur une île au milieu de l'océan mais il comprend ce qu'il veut dire. Il sourit en s'imaginant à l'ombre d'un palmier, sur une plage de sable blanc au bord d'une eau turquoise. Il laisse le chant des vagues combler le silence entre eux, glissant entièrement dans sa rêverie.

Puis les images de littoral laissent peu à peu la place à d'autres paysages. Un terrain de jeu qu'il aime tout autant, si ce n'est plus.

« La prochaine fois on se fait une randonnée si ça te tente. »

Kagami sourit, les yeux toujours clos, en entendant sa proposition. Il s'imagine cavaler dans les montagnes, au beau milieu de nulle part avec Aomine, et cette perspective le séduit.

« Ouais, ça me plairait bien. Une idée de l'endroit où tu voudrais aller ?

— Le mont Gozen-Yama. C'est pas très loin et le circuit prend la journée. Si t'as pas peur de la difficulté... Ça grimpe un peu. »

Contrairement au surf, il ne s'est pas privé de marcher en pleine nature. C'est son petit plaisir secret. Son activité à lui où il emmène rarement quelqu'un. Encore moins sur ce sentier en particulier. Parce qu'il n'est effectivement pas pour tout le monde et surtout long, donc assez isolé. Mais c'est ce qu'il aime justement. Parfois quand il a besoin de s'aérer et de se couper du monde, il le fait sur deux jours. Pourtant, après la journée qu'ils viennent de partager, ça lui ferait plaisir d'emmener Kagami dans son univers, là où l'océan est plutôt celui de son ami.

« Un challenge de plus ? Ça m'intéresse. »

Kagami sourit. Il n'est pas un grand habitué des randonnées mais athlétique comme il l'est, ça devrait le faire. Et effectivement, il n'aime rien de plus que de relever un défi. Et puis...

« Si ça grimpe bien, on doit avoir des super panoramas, non ?

— Sur un lac de montagne et sur le mont Fuji. Mais il n'y a pas que ça ...

— Ah ouais ? » Kagami rouvre les yeux et se redresse sur un coude pour l'observer, intrigué. « Y a quoi d'autre ? »

Aomine sourit, content de son petit effet. Il lui répond en ouvrant un œil pour capter sa réaction.

« Si tu gères bien et qu'on la termine, on est censé arriver sur une station thermale.

— Une station thermale ? Oh... Nice ! Mais comment ça, "si je gère bien" ?! Évidemment que je vais gérer ! Surtout si y a une récompense au bout... » Il rigole.

Ce n'est pas comme s'il doutait de ses capacités, mais au moins maintenant il sait que Kagami est motivé, et ça lui fait drôlement plaisir. Il ricane un peu en se recalant, offrant son visage à la chaleur du soleil.

« Je prends ça pour un oui alors. L'idéal ce serait d'y aller au début de l'automne.

— Ouais ? Pourquoi ?

— Parce qu'il ne fait pas trop chaud, pas trop froid, pas trop humide et on peut encore apercevoir un peu de faune. Sans parler des couleurs qui s'installent... Si t'aimes les jolis panoramas, tu ne seras pas déçu. Je te le garantis !

— Ok, je te fais confiance. » Il sourit. « Vendu pour la randonnée automnale, alors. »

Kagami se rallonge au soleil, mais change de côté, histoire d'unifier son bronzage, et maintenant que son petit souci de tout à l'heure a disparu.

Satisfait, Aomine se projette déjà. Il faudra qu'ils fixent une date pour qu'il puisse demander son jour à Masato, voir deux s'ils veulent bivouaquer au lac. Il a hâte d'y retourner, ça fait un petit moment qu'il n'a pas fait cette randonnée, alors qu'elle est une de ses préférées. Pour toutes les raisons qu'il a évoquées à Kagami. Et c'est la première fois qu'il ne la fera pas seul. Ce qui ajoute à son impatience. Contrairement à ses autres potes, Kagami n'a pas froid aux yeux et semble prêt à relever tous ses défis, l'accompagner dans tous ses délires. Ils sont bien venus ici sur un coup de tête après tout.

Kagami se sent détendu et il est presque somnolent sous le soleil, écoutant le grondement de l'océan en arrière-plan, les quelques mouettes solitaires, alors que le vent tempère sur sa peau l'ardeur du soleil. Se perdant dans ses rêveries, il reste silencieux un moment. Au bout d'un long moment, la pensée désagréable qu'ils sont là depuis longtemps et qu'ils feraient mieux de rentrer point dans son esprit. Il aurait aimé que ce week-end dure plus longtemps... Mais il aimerait toujours que ça dure plus longtemps quand il voit Aomine, semble-t-il. Il se redresse et regarde l'océan, pensif. Peut-être que s'ils ne décident pas de rentrer, le soleil arrêtera de se rapprocher de l'horizon et ils pourront rester indéfiniment.

Quand il s'éveille de sa sieste impromptue dans un bâillement silencieux, il remarque son ami assis à ses côtés l'air pensif. Alors que l'astre solaire trônait bien haut au-dessus d'eux tout à l'heure, il peut le voir se refléter sur la surface de l'eau qui ondule toujours sous le vent, imperturbable. Il doit se faire tard. Comme pour lui donner raison, la brise vient caresser sa peau chaude et le fait frissonner. L'air s'est rafraîchi... Il fouille dans son sac à la recherche de son t-shirt puis s'assoit à son tour, contemplant le spectacle qui s'offre à eux. Le ciel se pare de douces couleurs rosées qui tireront bientôt sur des oranges plus profonds. Pour rien au monde il n'a envie de briser cet instant de quiétude, enveloppé par ce cocon de lumière, bercé par la mer.

Kagami jette un coup d'œil au brun, qui ne semble pas pressé de partir non plus, alors il ne dit rien et continue de contempler le crépuscule qui s'installe. Il n'y a plus grand monde sur la plage maintenant, et tout est baigné d'un grand calme. Il commence à frissonner et se rhabille, et finalement rompt le silence :

« On devrait rentrer, si on rate le dernier train on va se retrouver coincés ici. »

Non que ça lui déplairait fondamentalement, mais ils ont une vie à mener à Tokyo.

« Hmmm... j'ai pas envie. Mais t'as pas tort. » À contre cœur il se redresse, s'étire et demande. «T'es prêt ?

— Ouaip. »

Kagami secoue sa serviette et la range soigneusement avec le reste de ses affaires, puis attrape son sac et sa planche. Ils vont d'abord rendre celle d'Aomine à la boutique, puis remontent le front de mer, direction la gare.

Aomine lève le regard vers l'horloge. Le train ne devrait pas tarder. Il trouve un banc sur le quai et s'y assoit. En attendant il envoie le selfie qu'il a pris de lui plus tôt avec sa planche dans la conversation de groupe de sa clique. Histoire de les faire un peu rager. C'est aussi et surtout une excuse pour leur faire signe. Ces jours-ci, plus il se rapproche de Kagami plus il pense à eux. Pas qu'il a l'impression de les remplacer, mais il ne veut surtout pas reproduire les mêmes erreurs. Alors il se dit qu'en renouant le contact avec eux, il sera capable de ne pas perdre son nouvel ami de la même façon, laissant la distance et le silence s'installer insidieusement, jusqu'à ce qu'ils n'aient plus rien à se dire.

Comme il ne veut pas trop penser à la semaine qui vient, ni à la soirée en rentrant seul chez lui, Kagami compose mentalement son repas du soir. C'est vrai qu'il commence à faire faim, en plus. Il n'a pas non plus envie de réfléchir à tout ce qui s'est passé ce week-end, à ce qu'il a ressenti, à ce que ça implique. Il se sent fatigué et c'est sans doute le blues du dimanche soir qui le rattrape. Le train arrive à quai et ils montent à bord.

« Je suis content que t'aies apprécié la sortie surf, en tout cas, dit-il en s'installant dans le wagon. Et c'était sympa de pique-niquer sur la plage.

— C'était génial. Définitivement à refaire ! »

Il lui sourit, encore sur son petit nuage. Ce week-end était loin d'être reposant, alors que toute la semaine il n'avait attendu que ça, et pourtant d'une certaine façon il l'était bien plus que prévu. Sortir, changer d'environnement, passer du temps avec Kagami lui a vidé la tête, quand chez lui il n'aurait peut-être pas réussi à décrocher du boulot qu'il voit littéralement depuis sa fenêtre. Le cœur gonflé de gratitude pour ces moments en sa compagnie, Aomine s'autorise à lui dévoiler sa pensée.

« Merci pour ce week-end. De m'avoir supporté deux jours d'affilés. Je suis content si ça t'a plu aussi.

— 'Supporté' ? demande Kagami, amusé. J'ai pas eu besoin de te 'supporter'. C'était cool. Et puis, on dirait qu'on a quelques points communs et qu'on apprécie les mêmes loisirs, alors...

— 'Quelques' ? s'amuse -t-il à son tour. C'est vrai. S'en est presque effrayant.

— C'est sûr que c'est une drôle de coïncidence. Quand je pense que ça fait même pas un mois que t'as débarqué chez moi pour faire fuir des visiteurs indésirables...

— C'est tout ! T'es sûr ? »

Il l'observe, ahuri. Il n'avait pas réalisé mais maintenant qu'il y réfléchit, c'est vrai que depuis leur rencontre pour le moins... hors normes, tout est allé très vite. Même s'ils apprennent tout juste à se connaître et qu'il a encore parfois le sentiment de ne pas pouvoir être vraiment lui-même, de se dévoiler au fur et à mesure il a aussi l'étrange sensation de connaître Kagami depuis toujours. Un peu à la manière du temps qu'on trouve parfois très long et très court à la fois.

« Ouais... C'est vrai qu'on dirait que ça fait plus longtemps. » Il regarde Aomine un sourire en coin. « Et en plus on a été pas mal occupés ces derniers jours. »

À ce rythme, Kagami se demande à quoi ressemblera leur relation dans quelques semaines. Seront-ils les meilleurs amis du monde ? Une part de lui se plaît à le penser. Malgré ses appréhensions, il a hâte de voir où tout ça va les mener.

Aomine acquiesce en silence en fronçant un peu les sourcils. Jamais il ne s'est attaché si vite à quelqu'un. Si peut-être... avec Kuroko. Mais là c'est encore différent, sans qu'il n'arrive à se l'expliquer ni à mettre le doigt sur ce qui sépare les deux relations. Il finit par hausser les épaules, ne voulant pas se torturer les méninges en se posant trop de questions. Il profite de la chance qu'il a eu de rencontrer quelqu'un avec qui partager ses passe-temps. De toute façon, les réponses viendront sûrement au fil de leurs fréquentations, ou peut-être pas. Il décide que ce n'est pas très grave, tout n'est pas obligé d'être explicable, d'avoir une raison d'exister. C'est un peu ça aussi qui en fait la magie.

Encore une fois le défilement des paysages dans la nuit tombante l'a emmené dans des réflexions nébuleuses sans queue ni tête, à la philosophie hasardeuse. Il sort de sa bulle méditative lorsqu'il reconnaît les environs de leur terminus, et réalise avec mélancolie que la journée est belle et bien finie.

Quand ils sortent sur le quai, la nuit est tombée. La gare est presque déserte, comme à moitié endormie, et l'atmosphère un peu pesante. Ils traversent les tunnels pour rejoindre la rue et Kagami marque un temps d'arrêt sur le trottoir, tâchant de rassembler son courage pour dire quelque chose qu'il a retourné dans sa tête pendant le trajet en se remémorant leurs conversations. Finalement, il déglutit et se lance :

« Au fait, j'voulais te dire... Si t'as besoin de parler ou te changer les idées... Envoie-moi un message, OK ? Tu me dérangeras pas. »

À ces mots, Aomine se fige. Il ne s'y était pas attendu. Et à dire vrai, il aurait préféré que Kagami oublie son moment de faiblesse, qu'il le laisse sur cette plage. Même si la confiance dont il a fait preuve en se confiant le premier le touche beaucoup. Tout comme ses paroles. Malgré la gêne de Kagami, il peut lire dans son regard doux et franc qu'il est sincère. En parler... Il ne voit pas trop ce qu'il pourrait ajouter de plus sur le sujet. Puis il se détend un peu. Kagami ne faisait peut-être pas référence à ça en particulier. En effet, ça sonne un peu comme une offre qui va de pair avec le rapprochement qui s'est opéré entre eux se week-end. Ils ont changé de niveau, passant à un stade un peu plus intime voilà tout. Il lui offre un sourire qu'il veut rassurant.

« Merci Kagami, je prends note. Hésite pas non plus, surtout si on est trop occupés pour se voir. Ça me fera plaisir. »

Kagami acquiesce avec un sourire, soulagé. Il se sent toujours un peu maladroit à exprimer les choses dans les relations sociales, mais quelque chose en Aomine le pousse encore et toujours à sortir de sa zone de confort.

« Ça marche. Bonne soirée. »

Il lui adresse un signe de la main et s'éloigne rapidement. Il ne voulait pas que ça s'arrête mais il s'aperçoit que toutes ces émotions ce week-end l'ont fatigué, et se poser pour la soirée ne lui fera pas de mal, d'autant qu'il a toujours faim. Il compte dîner affalé dans son canapé et se coucher avec un film. Un programme simple et efficace.

Avant de bifurquer dans une autre rue, Aomine se retourne. Il marque un temps d'arrêt pour regarder Kagami disparaître dans la nuit. Ce n'est qu'une fois hors de sa vue qu'il se décide à reprendre son chemin. Il avance lentement, en traînant un peu des pieds. Une façon de retarder l'inévitable. Il met son trajet à profit pour graver les moments forts de ces derniers jours dans sa mémoire, déjà impatient de vivre les prochains.