Bonjour bonjour :)
On retrouve nos fauves pour un verre post match. J'aime beaucoup ce passage de l'histoire, j'espère qu'il vous plaira aussi.

Shadow: Aomine commence effectivement à avoir des réactions pas très claires... Pour ce qui est de Momoi et Himuro, ils viennent de se rencontrer, alors un peu tôt pour le dire !

Bonne lecture :)


Il ne leur faut que quelques minutes pour rallier son immeuble. Ça fait du bien de retrouver la chaleur de son foyer, sa tranquillité, et le calme après cette session de basket riche en émotions. Kagami allume ses petites lampes d'appoint pour apporter un éclairage tamisé, et va piocher deux bières dans le frigo. Il en tend une à Aomine tandis que celui-ci s'installe dans le canapé, puis il met un peu de musique.

« Je crois qu'Alex s'est amusée comme une petite folle aujourd'hui... constate-t-il en s'asseyant. Moi aussi, j'avoue... Et j'pense que ça a plu à Tatsuya aussi. »

Aomine accepte la boisson avec appréciation. Il en bois quelques gorgées bienfaitrices et se détend doucement dans l'ambiance chaleureuse de l'appartement de Kagami.

« Tout le monde s'est bien amusé. Satsu et Tetsu aussi n'ont pas arrêté de sourire. C'était vraiment cool, j'aurais été déçu de rater ça.

— Ouais... Et c'était sympa de jouer avec Momoi. Et puis c'est clair que ça m'a rappelé des souvenirs... »

Il se renfonce dans le fond du canapé et renverse la tête en arrière, contemplant le plafond avec un léger sourire aux lèvres.

« Ça devait faire pas loin de deux ans que j'avais pas eu l'occasion de jouer avec Alex et Tatsuya en même temps. »

Le bonheur de Kagami n'échappe pas à Aomine. Son sourire est contagieux. Il le comprend plus qu'il ne saurait le dire. Rejouer avec Kuroko, et voir la complicité des trois Américains sur le terrain l'ont aussi ramené quelques années en arrière.

« Je suis content pour toi. Je vous ai jamais vus jouer ensemble avant, mais je pense pas me tromper en disant que vous n'avez rien perdu, affirme-t-il, sincère. D'ailleurs, où est ce qu'il crèche ? J'aurais cru le trouver chez toi après tout ce temps éloignés.

— Alex et Izumi ont une chambre en plus. D'habitude c'est moi qui squatte là-bas, mais du coup... C'est plus simple comme ça. J'ai pas exactement un appartement immense, on se serait marché dessus.

— Ouais je vois... En tout cas, il a un sacré style. Je comprends mieux ce qui t'a donné envie de jouer.

— Yeah... Il est vraiment bon. Mais y a un peu plus que ça... »

Kagami sourit et jette un coup d'œil à Aomine, avant de redresser la tête pour boire quelques gorgées de bière.

« Quand ma famille s'est installée aux USA... Disons que j'ai eu du mal à m'intégrer. J'étais du genre... timide et renfermé. Je savais pas comment aller vers les autres. Tatsuya et moi on était dans la même école, et je sais pas trop pourquoi, peut-être parce qu'on était japonais tous les deux, il m'a pris sous son aile. Je lui ai demandé comment il faisait pour avoir des amis... Il m'a simplement répondu qu'il s'en était fait au sport. Et c'est comme ça que j'ai commencé le basket... Et que je me suis fait un ami ! »

Il rit un peu, les yeux voilés par ses souvenirs, et reprend une gorgée de bière.

Aomine ne s'attendait pas à cette confession. C'est vrai que l'autre fois sur son terrain, il avait remarqué que Kagami était en retrait, moins confiant. Donc ça ne l'étonne pas trop d'apprendre qu'il était timide. D'autant plus dans un pays étranger. La présence de Tatsuya doit lui rappeler un tas de choses et Aomine doit dire qu'il est curieux d'en savoir plus. Surtout si Kagami est d'humeur à les partager, lui qui semble si réservé.

« C'est vrai que c'est un bon moyen de briser la glace. Il a eu une bonne idée de t'initier si tu veux mon avis, déclare-t-il avec un sourire amusé. Tu t'en es fait d'autres j'imagine, ça joue beaucoup là-bas non ? Enfin plus qu'au Japon j'veux dire...

— Ouais... C'est clairement plus ancré dans la culture. Là-bas, des tas de gamins rêvent de devenir basketteur pro. On s'invitait les uns chez les autres pour regarder les matchs à la télé... Alors ouais, avec le temps, je me suis fait des potes... Mais à part Tatsuya, j'ai gardé contact avec personne là-bas. Faut dire que le déménagement au lycée a pas aidé.

— Ouais c'est pas la meilleur période, c'est dommage... Ça n'a pas dû être simple de tout recommencer après avoir réussi à t'intégrer. Sans Himuro en plus. »

Cette histoire ne fait que lui confirmer ce qu'il a cru comprendre. Himuro est vraiment très important pour Kagami. Il est le seul ami qu'il a gardé de son passé. Il est certainement son point de repère. Comme Satsuki l'est pour lui. Ce genre de relation, c'est précieux. Avoir quelqu'un qui vous a vu grandir, qui était là à chaque étape, qui vous connait assez bien pour vous ramener sur le droit chemin quand vous êtes perdu... Aomine ressent une certaine gratitude. Il est heureux que le jeune Taïga ait croisé la route de Tatsuya. Et au fond de lui, une petite voix lui murmure qu'il aurait aimé rencontrer Kagami plus tôt. Bien plus tôt... Il la fait taire un reprenant un peu de bière, essayant d'imaginer les deux garçons enfants.

« Ouais, je te cache pas que les premières années de retour au Japon ont été compliquées. »

Il fronce les sourcils, se remémorant cette époque où il se sentait seul au monde. Il savait déjà se débrouiller seul, il était très autonome pour un ado. Mais le manque de liens, d'affection dans son entourage a ramené au galop son caractère renfermé. Il avait ses propres rêves et ambitions et s'y accrochait avec la même détermination qu'il a toujours eue, mais pour protéger cette énergie, préserver ses rêves, il est redevenu en un sens le gamin fuyant qu'il était avant de rencontrer Tatsuya.

« C'est devenu plus facile quand Alex est venue s'installer ici », avoue-t-il. Il esquisse un sourire et ajoute : « Elle m'a appris beaucoup de choses. Bien au-delà du basket. »

Et ce n'est pas comme si les figures de guide et d'autorité s'étaient bousculées au portillon. Il ne savait rien et n'en avait même pas conscience, et devait gérer tout seul. Maintenant, ça lui apparaît avec davantage d'évidence : il lui doit énormément.

En entendant ça, Aomine a un pincement au cœur. La petite voix murmurant plus fort dans ses tripes. Mais en y réfléchissant, s'il avait croisé la route de Kagami à cette période, il n'aurait pas été en mesure de lui apporter un grand réconfort. Lui-même était brisé. En un sens ils avaient tous deux été très seuls... Même si lui était bien entouré, il avait été incapable de le voir, ou plutôt de l'accepter pendant longtemps. Il le regrette toujours aujourd'hui, encore plus en réalisant que Kagami n'a pas eu cette chance.

Il se rend compte que son humeur maussade et nostalgique s'accroche à lui. Même s'il apprécie ce moment de partage. Il a l'impression d'être plus triste que son ami à l'évocation de ces souvenirs, ce qui n'a aucun sens. Perdu dans ses réflexions, Aomine de répond pas tout de suite. Il se doute facilement de la place qu'a pris Alex. Un parent de substitution. Du peut qu'il en a vu, il estime que c'est réciproque. Il fronce un peu les sourcils à ce constat, réalisant que sur ce point ils sont à l'opposé l'un de l'autre. Quand Kagami a laissé toute la place à Alex, lui a repoussé farouchement la figure paternelle qui s'impose à son esprit.

À cette pensée, soudain une réflexion le frappe. Trop focalisé sur sa peur d'aborder le sujet, il ne s'était jamais posé la question. Mais maintenant qu'il n'a plus à l'esquiver, elle lui apparaît comme une évidence, et elle lui brûle tant les lèvres qu'il la pose sans réfléchir.

« Et ton père dans tout ça ? »

Kagami s'attendait à la question, et pourtant elle lui fait ressentir comme une lame froide se fichant dans son estomac. C'est drôle quand il y pense... Même s'ils ne sont pas de la même nature, loin de là, Aomine et lui ont tous les deux des problèmes avec la figure paternelle.

Il contemple sa bière qu'il fait tourner dans ses mains, et en boit soudain le fond avant de retourner en chercher. Il en pose une aussi devant Aomine, et entame la sienne avant de répondre à la question du brun.

« Disons que mon père est de la vieille école », dit-il finalement d'un ton dont il ne parvient pas à masquer le mépris. « Du genre qui voit des rôles répartis au sein d'une famille. Lui, il était le père, donc son rôle était de subvenir aux besoins de la famille, pas de rester à la maison. Alors quand ma mère est morte... J'imagine qu'il a pas trop su quoi faire d'un enfant à charge. Évidemment, si je veux être juste... » Mais sa voix étranglée laisse entendre qu'il n'a pas vraiment envie de l'être. Il reprend : «... Je suppose qu'il avait aussi sa propre à peine à gérer. En tout cas, on est vite devenus des étrangers... Et on l'est toujours aujourd'hui. »

Le silence de Kagami l'a tout de suite fait regretter sa question. Lui mieux que personne aurait dû se douter que s'il ne l'avait jamais évoqué avant, ça devait être un sujet sensible. Et il constate avec désarroi à quel point c'est vrai. Son ami a la mâchoire contractée quand il parle. Il peut sentir sa colère émaner de lui aussi nettement que si elle lui était destinée.

Aomine est un peu pris au dépourvu, mais il est hors de question pour lui de se dérober ou de changer de sujet. Pas après le soutien que Kagami lui a apporté quand il s'est confié. Il termine sa bière et s'approche inconsciemment de Kagami, cherchant à capter son regard fuyant.

« Merde... je suis désolé. T'as pas à lui chercher d'excuses. Je ne crois pas que ce soit ton rôle. C'était le sien d'être là pour toi. T'étais qu'un gosse Kagami... » Il soupire et se passe une main dans les cheveux, incertain. « Il... il n'a jamais tenté de renouer le contact ? »

Kagami jette un coup d'œil à son ami, le cœur battant. C'est difficile d'évoquer ça, mais ça devait arriver tôt ou tard. Il s'y est plus moins inconsciemment préparé, peut-être aussi quand Aomine a parlé de ses propres relations familiales. Il se détend légèrement et répond :

« À sa façon, si, j'imagine. Honnêtement... j'évite de lui parler, maintenant. Chaque fois, c'est juste bizarre, maladroit, aucun de nous deux n'a envie de continuer la conversation. Alors... ça sert à rien. C'est peut-être pas plus mal. On a chacun nos vies. »

Ce n'est pas entièrement vrai et Tatsuya l'a souligné encore récemment. Il n'y a pas vraiment de statu quo puisqu'il a toujours cette colère en lui. Et qui peut savoir ce que son père éprouve de son côté ? Mais voilà, lui, il n'a pas particulièrement envie de le découvrir.

Aomine imagine très bien. La fracture n'est pas si profonde entre lui et sa mère mais il y trouve des similitudes. Les non-dits et les blessures que chacun essaye de soigner de son côté... Il ne connait pas toute l'histoire, mais ce dont il est certain, c'est que plus le temps passe plus c'est difficile de changer les choses. Chaque partie se confortant dans ses idées, alimentées par les actions ou en l'occurrence, inactions de l'autre.

« Loin de moi l'idée de le défendre mais... Tu t'es jamais dit que c'était difficile pour lui de te parler par culpabilité ? Et pas par manque d'envie ? En plus... t'es super indépendant. Tu as bien été obligé mais je sais pas, j'imagine que ça a quelque chose d'intimidant de revenir dans la vie de quelqu'un qui a fait sans vous et qui s'en est admirablement sortit. »

Kagami lâche un rire bref.

« Ouais je sens son admiration d'ici. Un fils gay qui gagne sa vie en jouant aux jeux vidéos. Il doit être super fier. »

Il soupire et secoue la tête, se passant une main dans les cheveux. Lui-même n'aime pas s'entendre parler comme ça... Il n'est pas comme ça, d'habitude. Sauf avec son père.

« Sorry... souffle-t-il finalement. J'ai du mal à garder mon calme quand je parle de ça. Et au fond je comprends ce que tu dis, enfin en tout cas, je dis pas que c'est impossible, mais... Son éventuelle culpabilité, c'est pas mon problème. De toute façon, c'est pas comme si j'pouvais lui dire que c'était pas grave et que je lui en voulais pas, donc bon... »

Kagami en colère... Très égoïstement, Aomine se réjouit de découvrir cette nouvelle expression. Un masque tombe. Kagami cachait bel et bien quelque chose de bouillonnant. Depuis le début il l'a senti, sans être parvenu à mettre le doigt dessus. Ça a toujours été une impression fugace, un reflet ... Peut-être un écho de la sienne. Persuadé de ça, en cet instant il se sent connecté à lui à un niveau dont il n'avait pas encore conscience. Sachant que c'était là, sans être capable d'en déterminer la nature. Il le comprend, ni plus ni moins.

« T'excuse pas. Pas avec moi... » Il lui sourit et lui presse amicalement l'épaule en poursuivant. « Écoute... ce qu'il pense c'est peut-être pas ton problème mais ce que tu ressens par contre, si. T'as tous les droits de lui en vouloir, et si tu veux mon avis tu devrais arrêter de l'en protéger. Il est assez grand pour encaisser. Je dis pas que ça changera quoi que ce soit, et peut être que comme tu le penses, il s'en tape, mais ça pourrait au moins te faire du bien. Ça te dirait pas d'être un peu égoïste pour une fois ? Et donner un grand coup de hache dans tout ça ? » Il inspire profondément pour reprendre un peu contenance et confesse : « Tu sais, moi aussi je suis en colère, mais je peux juste la digérer tout seul. Toi tu peux lui dire, t'en débarrasser si tu veux... Ma psy de l'époque m'avait conseillé de lui écrire. Si c'est trop dur de vive voix... Si tu savais le nombre de lettre qu'il n'a jamais reçu. »

Kagami considère ses paroles tout en buvant sa bière, les sourcils froncés. Mais Aomine n'a pas tout à fait raison... Visiblement, il a une trop haute opinion de lui. Ça le fait sourire légèrement tandis qu'il le détrompe :

« Je crois pas que ce soit lui que j'essaie de protéger. C'est moi. Je garde cette colère pour des raisons égoïstes. J'ai pas envie de revenir vers lui. J'ai pas envie de savoir ses raisons. Pas envie de savoir ce qu'il ressent. Même pas envie de lui laisser voir cette colère, justement. Je mentirais si je disais que je m'étais jamais imaginé la conversation qu'on aurait pu avoir. Mais ça se finit toujours de la même façon. Lui dire que je lui en veux, ça change rien. Ce qui est fait est fait. »

Il écoute et se penche pour récupère sa bière, sans lâcher l'épaule de son ami. Kagami a beau dire qu'il ne protège pas son père, il garde son avis. Mais il saisit son point de vue.

« Mouais, t'as pas envie de perdre de l'énergie pour être encore plus déçu... C'est compréhensible. N'empêche que si ça te met dans cet état, c'est que t'es pas tout à fait ok avec la situation non plus. Personne te demande de renouer le contact ou d'arranger les choses si t'en n'as pas envie. Tout ce que j'en dis, c'est que ça pourrait t'aider à faire la paix et à mettre ça derrière toi pour de bon. »

Kagami soupire et lève les yeux au ciel avec un léger sourire.

« Je croirais entendre Tatsuya... Si y en a deux qui s'y mettent maintenant... Alors je vais te dire ce que je dis toujours à Tatsuya : 'ouais, ouais, j'y penserai'. Un jour. Quand j'aurai le temps. Et que ça à penser. »

Aomine fronce les sourcils. Il rirait bien aussi mais en vérité ça le contrarie. Il a le sentiment que Kagami minimise la situation. Il en a fait sa normalité et s'en accommode. C'était sûrement salvateur, nécessaire en vérité, mais il n'est pas certain que ce soit une solution durable de tout enfouir et de remettre à plus tard. Il observe Kagami à la dérobé en buvant à nouveaux, pensif. Malgré qu'il ait dû se débrouiller seul et grandir plus vite que ses camarades, son ami lui donne soudain l'impression d'être toujours un enfant de dix ans qui boude son père et refuse de lui parler. Cette idée le fait finalement ricaner aussi.

« Et tu lui dis ça depuis combien de temps ?

— Hm... Je sais pas, six, sept ans ? Ça en dit long sur mon obstination... et la sienne ! »

Kagami hausse les épaules comme pour se débarrasser du sujet. Il ne voit pas cette situation changer de sitôt... Et c'est vrai qu'il a d'autres choses auxquelles penser. Beaucoup d'autres choses.

« Ouais j'ai cru remarquer que tu étais du genre obsessionnel... » S'amuse Aomine en déplaçant la plante trônant sur la table basse du bout du pied, juste pour voir.

Kagami claque de la langue en le voyant faire et remet la plante à sa place, au milieu. Sinon, ça casse l'harmonie.

« Je suis pas si obsessionnel que ça », dit-il sans véritable conviction.

Le brun éclate de rire à ce mensonge et pousse la taquinerie.

« Hum hum... dis, tu l'as récuré combien de fois ton évier cette semaine exactement ?

— Je le récure tous les jours évidemment ! s'offusque Kagami. Enfin... des fois deux fois par jour... » Il secoue la tête, agacé par sa propre maniaquerie. « Nan mais des fois je le fais pas. Je te jure ça m'arrive d'avoir la flemme. »

Mais bien sûr ! Aomine manque de recracher sa bière devant les justifications bancales de Kagami. Il rit à nouveau et se lève, joueur. Il s'approche des étagères près de l'ordinateur de son ami et avise les livres bien rangés, classés, alignés.

« Donc, si je fais ça c'est pas trop grave alors ? » demande-t-il en intervertissant deux bouquins, replaçant même le second à l'envers, un sourire narquois collé au visage.

« Mais arrête ! » proteste Kagami en se levant. Il se dépêche de rectifier la pagaille que sème le brun. « J'ai juste ma façon de m'organiser, marmonne-t-il. Bon, oui, OK, je suis peut-être obsessionnel et maniaque, voilà, t'es content ? Pff... »

Daïki ne bouge pas et le regarde tout remettre en place. Il lui offre le sourire du chat de Cheshire, satisfait.

« Très... » admet-il dans un souffle.

Puis il retourne à son observation, mains dans les poches cette fois pour détendre Kagami qui le surveille, suspicieux. Ces tocs l'amusent beaucoup mais il ne voudrait pas le vexer non plus.

Kagami croise les bras sur sa poitrine, et finalement se détend un peu. Au moins, Aomine a perdu son air soucieux qu'il avait pendant le match. Puis, il regarde de nouveau son étagère et une pensée étrange lui traverse l'esprit.

« Mon déo... C'était toi ! » s'exclame-t-il en fixant son vis-à-vis d'un air accusateur.

Grillé... Aomine ricane à se souvenir, toujours fier de sa connerie et se retourne pour affronter le courroux du tigre.

« Oui et... Tu vas faire quoi, me filer une amende pour bordélisme ? propose le flic dans une moue qu'il veut angélique.

— Dommage que ce soit pas un délit », grogne Kagami. Le rouge le regarde encore un moment comme s'il se demandait ce qu'il allait faire de lui, puis lâche finalement : « Bon, ça passe pour cette fois. »

Il retourne s'assoir dans le canapé, plus détendu maintenant grâce à cette diversion, quoiqu'il ne l'avouera pas. Et puis, il est content que les choses soient redevenues "normales" entre Aomine et lui. C'est étrange comme ils s'entendent si bien, comme tout est facile entre eux, mais comme ils semblent sensibles à ce qui arrive à l'autre, rendant tout plus intense et à la fois délicat à gérer.

« Trop aimable, Monsieur maniaque. »

Aomine ricane encore en entendant Kagami grogner pour toute réponse. Décidément, il aime beaucoup le provoquer. Son petit jeu a au moins eu le mérite de changer les idées de son ami. Le sujet de son père est sensible et il sent bien que Kagami n'est pas prêt à ce que les choses changent. Il se contente de ce qu'il a bien voulu lui offrir et se réjouit d'avoir pu lui rendre la pareille. Une écoute. C'est peut-être tout ce dont il a besoin pour l'instant. Après tout, si Himuro se charge de lui rappeler d'appeler son père depuis des années, ce n'est pas lui qui va tout changer en quelques jours. Il n'a pas cette prétention. Mais leur discussion, bien que difficile l'a étonnement soulagé. Peut-être qu'il n'est pas aussi proche de lui que Tatsuya, mais un peu plus à présent qu'il s'est ouvert à lui sur son passé.

Ses yeux se baladent toujours sur les différents livres, jeux et CD, il en reconnait même certains. Alors qu'il s'apprête à rejoindre Kagami sur le canapé, son regard tombe sur un cadre qu'il n'avait pas remarqué avant. Il se penche un peu pour le détailler et il comprend tout de suite où les photos ont été prises et ce qu'elles représentent. Il sourit en remarquant la ressemblance évidente entre son ami et celle qu'il devine être sa mère.

« Elle était très belle, ta maman. Ça a été pris dans le restaurant dont tu m'as parlé j'me trompe ? »

Kagami tourne la tête pour regarder la photo, même s'il sait déjà de quoi il s'agit. Il n'a quasiment aucune photo chez lui, et encore moins de sa mère, en tout cas pas exposée ainsi à la vue de tous. Il acquiesce, un léger sourire aux lèvres.

« Non, tu te trompes pas. C'est le proprio qui a insisté pour me prendre en photo aussi. Il a dit que comme ça la ressemblance me sauterait aux yeux. Et il avait raison... Ça fait un peu bizarre, j'avoue. Elle avait quasiment mon âge sur cette photo. »

Il revient s'assoir et boit ce qu'il reste de sa bouteille en écoutant les explications de Kagami. L'histoire le touche, et il est sincèrement heureux pour son ami d'avoir cette photo. Il la voit comme une pièce du puzzle manquant qui vient combler un peu le trou dans le tableau de sa vie.

« Il a bien fait. C'est une bonne idée je trouve. C'est un peu comme si tu avais une photo avec elle.

— Ouais... Je crois que c'était un peu l'idée. Y a peut-être d'autres endroits où je pourrais aller... C'était le plan à la base. Reprendre mon vieil album photo et repasser par les mêmes endroits qu'elle. »

Aomine sourit. Sûrement une autre déformation professionnelle, c'est un peu une sorte d'enquête ce jeu de piste. Avec des photos pour seules indices.

« C'est génial. T'en as déjà fait un. Tu devrais t'acheter un album aussi, si tu continus tu risques de manquer de place.

— Ouais... Pas sûr que je me mette au reportage photo non plus ! » Il rigole, se passant une main dans les cheveux. « Mes grands-parents sont plus là, mais... J'pensais passer dans le village où ils habitaient, un de ces quatre. Faut juste que je m'organise un peu parce que c'est paumé en cambrousse.

— T'as le temps. Le village va pas s'envoler. Elle t'as laissé quelque chose pour te souvenir c'est déjà énorme. »

Il sait que ce n'est pas facile à entreprendre comme voyage. Et pas seulement pour une question d'emploi du temps. Il faut être prêt. Prêt à faire face au vide. Même si certains lieux, certaines dates nous rappellent à ceux qu'on a perdu, ils creusent aussi douloureusement la distance, qu'ils apaisent l'absence. Kagami l'a bien décrit quand ils en ont parlé. C'est doux amer...

Kagami relève la tête et regarde le brun. Parfois, il se demande... Est-ce que ce serait plus dur, ou plus facile, s'il était moins attentionné et gentil envers lui ? Il l'ignore, mais ce qu'il sait, c'est que son cœur a tendance à s'emballer quand il reste près de lui trop longtemps... Comme maintenant. Il éprouve des émotions contraires, et il serait même incapable de dire s'il est heureux ou triste en cet instant. Une nouvelle fois, un doute sournois s'insinue en lui. Faut-il vraiment qu'il s'accroche à cette amitié ? Il sait qu'elle est précieuse, mais à quel point ? Car même s'il essaie de se le cacher, il sent bien qu'il a déjà commencé à en souffrir.

Il finit sa bière, profitant de cette diversion pour se ressaisir. Ce n'est pas ce soir qu'il résoudra cette question, de toute façon. Peut-être qu'il demandera conseil à Tatsuya demain... Maintenant qu'il a vu Aomine, son opinion sera peut-être un peu différente.

Il repose sa bière et sourit au brun.

« Au fait, tu bosses demain ? »

Aomine réfléchit avant de répondre. Curieux de savoir si c'est simplement pour faire la discussion où lui proposer quelque chose. Ce dont il s'étonne un peu, Himuro étant là, il aurait compris que Kagami préfère lui accorder tout son temps.

« Ouais mais je remplace un collègue, je commence super tard pourquoi ?

— Si tu commences super tard, t'as le temps de traîner un peu. On pourrait se mater des films, ou jouer un truc, si ça te dit. »

Kagami sait que ce n'est pas raisonnable, il vient même de s'avouer que la présence d'Aomine ne lui faisait pas que du bien... Mais il est faible. Il n'a juste pas envie de le voir partir, et apparemment, ce sentiment est plus fort que les autres.

Un sourire étire le coin de ses lèvres. Chaque fois qu'ils sont ensemble, il a l'impression que l'un ou l'autre repousse le moment de se séparer. Ça le rassure que cette fois ce soit Kagami qui le retienne. Plus il reste avec son ami, plus les inquiétudes qui ont parasité son esprit plus tôt dans la soirée s'estompent. Alors il ne se voit pas refuser.

« Ouais ça me plairait bien. Et si t'as un petit truc à grignoter je dirais pas non, on s'est encore bien dépensé aujourd'hui.

— Hm... Je vais nous faire des sandwichs. Et du pop-corn ! »

Ragaillardi par sa nouvelle mission, Kagami se lève et passe dans sa cuisine ouverte pour confectionner leur en-cas. Il sort aussi de nouvelles bières, et travaille en chantonnant.

Le brun se calle sur le canapé de façon à pouvoir l'observer, amusé par son entrain.

« Alors, Satsu m'a dit que vous avez prévu une rencontre après demain avec toute l'équipe ? Elle est impatiente.

— Ouais, il est temps que les autres la rencontrent. Ça permettra d'acter la collaboration, mais je suis pas inquiet, je pense qu'ils vont tous la trouver super.

— J'en doute pas non plus. » Il ajoute en marmonnant pour lui-même, un brin inquiet. « Pas trop quand même j'espère...

Kagami rigole en entendant cette note d'appréhension dans la voix d'Aomine.

« Même moi je peux voir qu'elle est très jolie. Alors c'est un risque à courir. Mais je suis sûr qu'elle pourra très bien se débrouiller toute seule pour gérer l'attention de ces messieurs », ajoute-t-il en lui adressant un clin d'œil.

Aomine ricane. De ça non plus il n'en doute pas. Sa meilleure amie a toujours attiré les convoitises. Beaucoup plus qu'elle ne le pense... Et c'est ça qui l'inquiète. Même si elle a appris quelques parades efficaces il n'est pas toujours là pour calmer les ardeurs de certains. Il secoue la tête pour se ressaisir, ça ne sert à rien d'anticiper. Un jour, un gars réussira à voler son cœur et tout ce qu'il souhaite c'est qu'il soit respectable et à la hauteur de Satsuki. Il se lève pour récupérer la bière que Kagami a sorti à son intention sur le comptoir et l'ouvre pour en boire une gorgée, toujours dans ses pensées dérangeantes.

Kagami observe sa mine soucieuse, le couteau suspendu en l'air quelques instants, puis il ajoute en reprenant son travail :

« Mais t'en fais pas... Alex m'a fait assez de sermons pour que je sois au courant que c'est pas facile d'être une fille tous les jours. Alors je m'assurerai que personne la mette mal à l'aise ou lui manque de respect. »

Aomine fixe Kagami en entendant ces mots, surpris. Il le soulage d'un poids qu'il ne sentait pas peser sur lui jusqu'à ce qu'il le quitte, au moins un peu.

« Merci... j'te la confie alors », conclut-il en souriant, rassuré de savoir son amie entre de bonnes mains.

Une fois ses sandwichs terminés, Kagami s'attèle au pop-corn, qu'on ne tarde pas à entendre éclater sous le couvercle de sa poêle, un bruit qu'il a toujours trouvé très satisfaisant. Une fois prêt, il transfère le pop-corn dans un grand saladier, et l'apporte avec les sandwichs sur la table basse.

« Un petit film ? propose-t-il. On a fait un ciné une fois... Mais ça me suffit pas vraiment à savoir c'est quoi les genres que tu préfères !

— Hum vaste question ! Si tu veux tout savoir, j'ai un penchant pour les univers fantastiques. Et les films d'aventure en général, ceux qui te collent au siège. Mais je suis pas difficile. Tant que c'est pas un thriller tiré par les cheveux.

— Hm... Je dois avoir ce qu'il te faut, alors. » Il balaie du regard son étagère et tombe sur l'intégrale d'Indiana Jones. « Les aventures stupides et mystiques d'un archéologue avec un fouet, ça te tente ? »

Aomine rit au résumé plus que succinct de la mythique saga. Il s'installe en piochant un pop-corn ou deux.

« Ouais c'est parfait. Et toi quel genre tu préfères ?

— Je sais pas si j'ai vraiment un genre préféré... Mais j'aime bien les films où y a de la bagarre ! » Il regarde le blu-ray qu'il a dans la main. « Quand j'étais petit, je voulais devenir archéologue. Mais j'ai vite compris que les films étaient pas très réalistes. »

Aomine qui s'apprêtait à s'enfiler une gorgée de bière suspend son geste et se tourne vers Kagami.

« T'es sérieux ? Quand j'étais petit, j'étais fan de dinosaures. Mais c'est plus le niveau d'études requis qui a brisé mon rêve », confesse-t-il dans un rire.

Kagami rit doucement tout en mettant le blu-ray dans le lecteur.

« Un archéologue et un paléontologue. On aurait fait un sacré duo. On aurait sûrement fait des tas de films sur nos aventures ! »

Il sourit à l'idée, se voyant déjà à la tête d'affiche d'un remake de Jurassic Park aux allures de documentaire aux côtés de Kagami.

« J'aime beaucoup l'idée ! Je suis sûr que la panoplie chapeau et fouet t'irait bien », se moque le brun en faisant une place à son ami.

Kagami se laisse tomber dans le canapé à côté de lui et lance le film avant d'attraper un sandwich.

« Ouais et toi j'te vois bien en pantalon en toile et jumelles rivées aux yeux en train de t'extasier tel un Sam Neill devant un troupeau de diplodocus. »

Rêveur, Aomine soupire et commente :

« Qui ne s'extasierait pas devant un troupeau de diplodocus ? »

Puis il pique un sandwich et mord dedans avec appréciation en se callant au fond du canapé.

Kagami lui jette un coup d'œil, amusé par sa fascination pour les grosses bestioles des temps anciens. Il commence à son tour son sandwich, constatant qu'il avait un sacré creux... Chose peu commune, il a oublié son estomac pendant un moment. Sans doute encore un effet de la présence d'Aomine, qui a décidément le don de le chambouler. Il reporte son attention sur l'écran et se détend. Quoi qu'il se passe dans sa vie, et aussi compliquées que soient ses émotions, il a envie d'apprécier ce moment de calme et de complicité. Tout le reste peut attendre.

Totalement pris dans le film, ils rient et commentent ce qui se passe à l'écran. C'est plus simple de le faire dans le salon de Kagami qu'au cinéma et depuis qu'ils se connaissent mieux. Il réalise le chemin parcouru avec son ami en repensant à cette sortie. Il a le sentiment que c'était il y a une éternité, alors que ça ne fait que quelques semaines. Aomine jette un regard un coin à son voisin, ne sachant trop quoi penser de cette évolution pour le moins rapide. Il a envie de s'en réjouir, ne pas trop analyser puisque tout se passe bien, mais il y a toujours cette petite voix qui chuchote à l'orée de sa conscience. Cette conviction grandissante qui lui souffle que ce qu'ils partagent et ce qu'ils construisent est vraiment spécial, même précieux.

Kagami laisse la présence d'Aomine, le film, la nourriture et la bière apaiser ses insécurités et ses inquiétudes. Il est bien posé là dans son canapé avec le brun. S'il avait senti ne serait-ce qu'une ouverture, il aurait tenté de l'embrasser. Mais il n'arrive pas vraiment à lire Aomine... Il perçoit toute son affection, et pourtant, il semble y avoir un mur qui les sépare. Ils n'auront jamais une relation romantique. Parfois, ça semble terriblement injuste et absurde, mais personne n'y peut rien. C'est quelque chose qu'il a souvent eu du mal à digérer, et cette fois-ci ne fait pas exception, c'est même pire, en fait. Il doit absolument changer d'état d'esprit s'il veut faire perdurer leur relation. La prendre pour ce qu'elle est. Et elle est déjà belle comme ça, non ? Pourquoi vouloir chercher plus ? Certes, il ne peut pas vraiment s'en empêcher... Mais peut-être peut-il tout de même mettre ça de côté, suffisamment pour avoir un ami à ses côtés, faute d'un petit ami. Au fond de lui pourtant, il sait que ça ne lui suffit pas, et que s'il s'obstine sur cette voie... Ce ne sera pas juste non plus de le cacher éternellement à Aomine. Car ce soir, tandis qu'il regarde les exploits de l'archéologue aux côtés du brun, il ne peut que constater l'évidence si simple, si pure, qui envahit son esprit et son cœur. Il est amoureux d'Aomine. Étrangement, quelque part, le fait de se l'avouer à lui-même l'apaise. Comme s'il acceptait enfin ces sentiments non sollicités. Il ne sait pas encore comment il fera avec... Mais au moins, il ne cherche plus à les nier.

Alors que le dénouement approche, le saladier de pop-corn entre eux presque vide, un bruit sourd retentit dans l'appartement. Assez fort pour couvrir la musique épique de la fin du film. Concentré, Aomine sursaute presque et c'est d'un même mouvement que Kagami et lui se tourne vers la porte derrière eux.

« Tu attendais quelqu'un ? demande-t-il plus par reflexe, connaissant déjà la réponse.

— Sûrement pas à cette heure-là... soupire Kagami. Sans doute encore un de mes "clients". Je me demande vraiment pourquoi ils se pointent tous à cette adresse... Peut-être qu'ils se trompent d'étage ? » Il grogne et met le film en pause. « Bon, je ferais mieux d'aller voir... »

Aomine fronce les sourcils. C'est malheureusement bien ce qu'il pensait aussi. Ça faisait un moment que personne n'était venu importuner Kagami, mais il se rassure en se disant que cette fois, la police est déjà là. Il s'empresse à la suite de son ami et le retient par le poignet, lui indiquant d'un regard et d'un doigt sur les lèvres mimant le silence qu'il s'en charge. Sans bruit, il dépasse son hôte et s'avance vers la porte. Il attend quelques secondes, jusqu'à ce que celle-ci résonne à nouveau sous des coups insistants.

Kagami reste en retrait et croise et les bras sur sa poitrine, observant le brun, assez curieux de voir comment il va gérer cette "intervention" à domicile. Il n'est pas mécontent de pouvoir déléguer la tâche ingrate de refouler les importuns, ce coup-ci. Soudain il pense à la première fois que c'est arrivé, et ça lui donne presque le vertige d'imaginer que c'est comme ça qu'il a rencontré Aomine. Jamais il n'aurait pensé que le brun se retrouverait un jour de l'autre côté de la porte, chez lui.

Après avoir vérifié par l'œil de bœuf qu'il ne s'agit pas d'une connaissance de Kagami, le flic demande à travers la porte, mécontent :

« Ouais c'est pour quoi ? »

Vu le gabarit et l'air revêche du gars de l'autre côté, il se doute que ce n'est pas pour une mission associative, ou une vente de cookies pour les scouts.

Kagami observe la scène, assez amusé de voir l'air mécontent d'Aomine. Il n'aimerait pas trop être à la place du gars de l'autre côté de la porte.

« Je viens voir Hoshi. On a rendez-vous. Allez ouvre ! »

Aomine regarde brièvement Kagami. Hoshi. Encore ce nom. Ça ne peut définitivement pas être une coïncidence. Si les autres visiteurs dont lui a parlé son ami étaient plutôt courtois, celui-là n'a pas l'air de connaître la diplomatie.

« Y a personne de ce nom-là ici, tu t'es trompé d'adresse mec. »

Malgré la présence d'Aomine, le stress monte chez Kagami. S'il a des gars de plus en plus agressifs qui se pointent à sa porte... Un de ces jours, ça va mal tourner. Il va falloir qu'il tire cette affaire au clair... Mais pour l'heure, il est bien content d'avoir un flic en renforts directement à domicile.

De l'autre côté, il peut entendre le malotru grogner et cogner d'un coup sec dans la porte. Il encaisse le coup et serre les dents. Il aurait bien envie de sortir pour lui apprendre les bonnes manières, mais Daïki se ressaisit, se contraignant au calme. La violence ne résout rien, et surtout, il est plus malin que ça. Le fait que ce soit chez son ami le touche plus que ça ne devrait, c'est tout. Il doit en faire abstraction pour gérer la situation.

« Hé elle t'a rien fait ma porte ! Désolé si on t'a mené en bateau mon gars mais j'te l'ai dit, y a pas de Hoshi ici, affirme-t-il plus calmement.

— Pourtant je suis sûr de l'adresse qu'on m'a envoyée. Te fous pas de ma gueule et ouvre. »

Kagami jette un coup d'œil au brun, pas très rassuré par la tournure que prennent les choses.

« Qu'est-ce qu'on fait ? » chuchote-t-il pour que l'autre ne puisse pas l'entendre.

Aomine réfléchit à toute vitesse. Il a assez de métier pour savoir que l'autre ne va pas lâcher l'affaire, et il aurait aimé en profiter pour en savoir plus sur ce qui se trame. Mais l'inquiétude palpable de Kagami le dissuade faire traîner ce visiteur dans le coin. Il répond à son ami qu'il gère dans un sourire qu'il veut rassurant avant de reporter son attention sur la porte qui essuie un nouveau coup. Cette fois, il s'énerve.

« Oh tu te calmes ? J'suis pas sourd. Tu commences à m'emmerder ! Tire-toi avant que les voisins appellent les flics pour tapage nocturne, menace-t-il, rageux.

— T'es qui putain ?

— Pas Hoshi ! Alors dégage de chez moi. Parce que si j'ouvre la porte tu vas pas être déçu du voyage.»

Kagami ne peut s'empêcher de rire un peu en assistant à cette altercation. Il ne peut qu'imaginer en effet ce qui se produirait si cette porte s'ouvrait... Avec son entraînement, Aomine ne ferait sans doute qu'une bouchée de l'importun. Il reste tendu malgré tout, il ne voudrait pas en arriver là. Et il se demande déjà ce qu'il va faire si ce crétin-là revient...

« J'ai trop peur ! J'attends que ça que t'ouvre la porte bébé », se moque l'autre, à présent tout mielleux.

Aomine cligne des yeux, stupéfait. Il a bien entendu là ? Vu l'hilarité qui s'empare de Kagami qui tente d'étouffer un nouveau rire, il se dit que oui. Non mais c'est quoi ce délire ? Il fait signe à son ami de reculer pour ne pas être vu et il ouvre la porte avec hargne, tout du moins, autant que la chaîne le lui permet. Furibond, mâchoire serrée il articule pour que le grand gaillard comprenne bien.

« Vire de chez moi et t'avise pas de revenir, ou 'bébé' va-t'en coller une. »

Aomine a au moins la satisfaction de voir son vis-à-vis reculer, un éclat de panique dans le regard.

En entendant ça, et malgré le stress qui lui noue l'estomac, Kagami plaque une main sur sa bouche pour retenir son hilarité. Il aurait presque envie de voir "bébé" passer à l'action, maintenant.

Entendre le gloussement contenu de Kagami derrière lui ne l'aide pas à garder son calme. Aomine hésite entre exploser de rire, ou exploser le gars qui reste planté là tout court. Ce dernier le regarde fixement avant de soupirer, déçu.

« Oh... T'es pas Hoshi

— Ça fait dix minutes que j'te le dis ! » grogne-t-il.

Finalement résigné, le bougre s'en retourne d'un pas trainant avant de pivoter pour demander :

« Et y a pas moyen de… »

Aomine ne le laisse pas terminer sa phrase. Il enlève la sécurité et sort sur le pas de la porte. Il tant le bras en pointant la sortie et feule :

« DE-HORS ! »

Il observe le gars s'en aller enfin en levant les mains en signe de reddition. Les poings serrés, Aomine bouillonne. C'est donc à ça que Kagami doit faire face ? Ce n'est qu'une fois sûr que l'autre est parti qu'il se décide à rentrer. Il ferme tout et s'adosse contre la porte, les nerfs en boule.

Kagami fixe le brun quelques secondes, sous le choc de ce qui vient de se produire. Et finalement, le stress et l'absurdité de la situation le rattrapent et il est pris d'un fou rire incontrôlable.

« Et il a quand même demandé si y avait pas moyen... » murmure-t-il entre deux éclats de rire.

Aomine est perdu. Ce qui vient d'arriver est complètement lunaire et il ne sait pas comment réagir. En flic ou en civil, ce qu'il est censé être ce soir. Mais le rire de Kagami est contagieux et lui arrache un sourire. Il se passe la main dans les cheveux et lâche prise à son tour en se repassant la scène. Il éclate de rire, se joignant à son ami.

« Je veux même pas savoir à quoi il pensait ! »

Kagami met un moment à se calmer, et il essuie une larme au coin de ses paupières. Il avait bien besoin d'un coup de rigolade pour désamorcer la situation. Puis, il s'adosse contre un mur et lâche dans un soupir :

« Merde... Il avait vraiment pas l'air commode... Qui que soit Hoshi, j'aimerais pas être à sa place... »

Aomine se tient les côtes, douloureuses d'avoir autant ri. Ça lui a fait du bien, mais l'inquiétude est toujours là. Il se laisse un peu plus aller contre la porte et observe Kagami, incrédule. Ne se rend-il pas compte qu'il est à sa place ? Combien d'autre viendront le réclamer, plus ou moins menaçant ? La situation n'est pas gérable selon lui.

« T'en sais rien, peut être que ça lui convient. En revanche toi, t'as rien demandé.

— Ouais... » Il se passe une main dans les cheveux et réfléchit, sourcils froncés. « J'avoue je sais pas trop quoi faire. Je pense pas que ce soit malveillant, j'vois pas trop qui pourrait faire ça... J'veux dire... Je reste dans mon coin, je parle pas à mes voisins... Alors peut-être que y a bien un Hoshi dans cet immeuble et que les gens se trompent de porte. »

Aomine sent bien que Kagami essaye de se persuader d'une solution logique. Et ça se pourrait. Mais il en doute. Une erreur, deux à la limite... mais il vient d'assister à la quatrième.

« J'irai interroger les voisins demain pour être sûr. Et faudra que j'ajoute ça à ton dossier. Ça commence à faire beaucoup Kagami... »

Kagami ne peut s'empêcher de ressentir une bouffée de bonheur et de satisfaction en voyant Aomine s'intéresser de près à cette affaire. Il se rappelle, il n'y a encore pas si longtemps, quand il est passé au commissariat avec le nom de Hoshi, et que la sollicitude du brun l'avait profondément agacé. Il était méfiant, alors... Beaucoup moins qu'il ne l'est maintenant, parce qu'il connaît mieux Aomine. Il sourit et s'approche, posant une main amicale sur son épaule.

« Thanks. Et aussi pour avoir géré ça ce soir. J'dois avouer que c'est... plutôt rassurant. »

Aomine secoue la tête et soupir. Il est content d'avoir pu aider ce soir, mais il ne sera pas toujours là. Il se sent pieds et mains liées à ne pouvoir rien faire de plus. Frustré de ne pas pouvoir tirer cette affaire au clair une bonne fois pour toute. Un sourire désabusé aux lèvres il répond, un peu piquant.

« J'pourrais faire plus, si tu me laissais faire mon boulot... Mais pas de quoi, j'étais là au bon moment.

— Comment ça, te laisser faire ton boulot ? demande Kagami, haussant les sourcils.

— Si tu déposais une plainte, j'aurais plus d'outils pour t'aider. Mais je comprends, c'est pas comme s'il était arrivé quelque chose de grave. C'est juste... j'aime pas me sentir inutile. »

Il ne veut le forcer à rien. Le souvenir de leur dispute au poste le pousse à dévoiler son trouble en justification. Si Kagami ne veut rien faire c'est son droit, et il l'aidera du mieux qu'il peut, avec ou sans uniforme. Son sentiment d'impuissance, c'est son problème.

Kagami soupire et baisse la tête, vaincu.

« Ok... Dans ce cas, je vais porter plainte. C'est juste que... J'veux pas rapporter d'ennuis à ce Hoshi. Il fait déjà un métier difficile et dangereux... C'est pour ça que je voulais pas, à la base... »

Soulagé de l'entendre, Aomine lui presse l'épaule. Kagami est trop gentil. La pensée que son ami n'a vraiment pas l'habitude qu'on s'occupe de lui l'effleure et lui sert la poitrine. A-t-il seulement déjà laissé quelqu'un le faire, lui qui a toujours dû se débrouiller seul ?

« C'est très chevaleresque ça. Mais en attendant c'est toi qui as des ennuis. Qui sait ce que tu vas encore trouver derrière ta porte...

— Yeah... J't'avoue que je suis pas vraiment rassuré. Ok je suis pas une brindille mais c'est pas comme si j'avais l'habitude de me battre...

—Ouais... Faudrait pas que t'aies plus de problèmes non plus. Ça va aller cette nuit ? » s'assure Aomine qui se demande tout de même si l'autre gars ne va pas revenir à la charge.

« Ouais, t'inquiète. Ça m'étonnerait que ce gars-là retente sa chance. » Kagami sourit et croise les bras sur sa poitrine avant d'ajouter d'un air taquin : « Quoique, apparemment, tu lui as tapé dans l'œil. »

Aomine lève les yeux au ciel pour masquer son embarras et grommèle dans sa barbe.

« Ouais ben un peu de plus et je lui tapais dans autre chose... »

Kagami rigole et lui donne une petite claque sur l'épaule, l'invitant à revenir au salon.

« Allez viens, on va mater la fin de ce film. »

Le brun acquiesce et suit son ami. Ce dernier recule le film de quelques minutes pour qu'ils puissent se remettre dedans. Mais malgré ça, il a la tête ailleurs. Kagami n'a pourtant pas l'air de s'en faire une montagne. Tant bien que mal il essaie de se détendre et d'oublier cette histoire. Au moins pour un moment. De toute façon, il ne peut pas faire grand-chose de plus dans l'immédiat.

Ils finissent le film tranquillement, terminant par la même occasion le saladier de pop-corn. Alors que le générique défile, ils échangent leurs impressions d'un ton léger, puis, finalement, l'incident revient à l'esprit de Kagami qui demande :

« Au fait, si je veux porter plainte pour cette affaire... Est-ce que tu pourrais t'en occuper ? J'suis un peu gêné par toute cette histoire...

— Ouais bien-sûr. Faudra que tu passes au poste par contre. Je te dirai quand j'y serai si ça te va. »

Aomine aurait sûrement récupéré l'affaire, puisqu'il a créé le dossier. Autant que ce soit lui qui se charge de cette étape aussi. Il peut facilement comprendre la réticence de son ami à raconter tout ça une fois encore. Il lui adresse un sourire puis regarde l'heure. Il se fait vraiment tard et Kagami a sûrement prévu plein de choses demain. Il se redresse et emmène le saladier dans la cuisine.

« J't'aide à débarrasser et je vais pas tarder je pense. »

Kagami hoche la tête, un peu réticent comme toujours à le laisser partir. Mais lui proposer de passer la nuit ici n'est définitivement pas une bonne idée. Il se lève pour ranger les bouteilles de bière.

« Encore merci pour m'aider avec cette histoire bizarre... Et puis, j'ai passé une bonne soirée. Faudra qu'on se mate les autres de la saga aussi. »

Le brun se masse la nuque et approuve. Ravi de ce rendez-vous sans date. Il a beaucoup aimé la soirée lui aussi et il a hâte de remettre ça. Sans interruption espère-t-il. En récupérant une veste dans son sac il propose :

« On pourra faire le second volet chez moi, on sera sûr d'être tranquille comme ça. Même si je te souhaite pas d'avoir d'autres visiteurs d'ici là ...

— Ah bon, tes collègues flics se pointent pas à ta porte en te demandant si "y a pas moyen, bébé ?" » ne peut s'empêcher de demander Kagami en riant. Il sent qu'il va se rappeler longtemps de cet épisode.

Il enfile sa veste en soupirant, dépité. Celle-là va le suivre un moment, réalise Aomine. Il hausse un sourcil vers Kagami, réprobateur. Mais il ne peut s'empêcher d'esquisser un rictus amusé par le trait d'humour.

« Nan personne n'a encore osé... Alors t'y amuses pas trop non plus », ajoute-t-il en plissant les yeux, menaçant.

— Bon, bon, je serai sage, alors ! » assure Kagami en levant les mains en signe de bonne foi, toujours un sourire aux lèvres. « Rentre bien, Ao. On se voit bientôt. »

Toujours suspicieux, le jeune flic tend son poing à Kagami en guise de salut. Puis avant de sortir, il lâche sur un ton qu'il veut neutre, essayant de ne pas s'imposer de trop. Conscient qu'il est déjà très impliqué dans ce qui arrive à son ami.

« Et plus sérieusement, hésite pas à appeler si t'as besoin. Pour quoi que ce soit. J'suis pas loin.

— Ça marche. Merci. »

Kagami adore quand Aomine fait ça... Et il déteste ça aussi. Quand il se soucie de lui comme ça... Ça lui réchauffe le cœur, mais ça lui fait mal aussi, car ça lui fait voir avec d'autant plus d'évidence ce qui les séparera toujours. Mais il ne laisse rien filtrer et sourit à son ami.

« Bonne nuit. »

Le brun hoche la tête et sort de l'appartement. Il attend quelques instants, écoutant attentivement les cliquetis du loquet et de la chaîne se verrouiller derrière lui. Satisfait, il remonte son sac sur son épaule, et se dirige vers la cage d'escalier les mains dans les poches. Tandis qu'il descend les marches il réfléchit déjà à la procédure qu'il va pouvoir mettre en place pour élucider ce mystère et protéger son ami des prochains visiteurs.

Kagami est fatigué, et il n'a pas envie de ruminer. Alors il ne perd pas de temps et installe son futon pour la nuit, et après un passage rapide par la salle de bain, il va se coucher.

Toutes les lumières éteintes et le silence revenu, les images de la journée lui reviennent à l'esprit. Il se repasse le match, s'attardant sur des détails, réfléchissant à leurs erreurs, à d'autres stratégies possibles. Cette revue technique a le mérite d'empêcher ses pensées de dériver, et apparemment de faciliter son endormissement, car il sombre dans le sommeil alors qu'il examinait mentalement un tir particulièrement étrange d'Aomine.

Les lumières sont éteintes depuis presque un quart d'heure quand Aomine se décide à quitter les lieux. Il a monté la garde encore un peu, pour être certain que l'importun ne rôdait pas dans le coin. Et aussi pour une raison plus sombre qu'il n'a pas envie de mettre en lumière. Un besoin viscéral de s'assurer que Kagami est en sécurité. Peut-être qu'en apprendre plus sur son histoire décuple simplement son instinct de protection envers lui. Aujourd'hui il a appris que d'une certaine façon, son ami a été abandonné, qu'il a dû se débrouiller seul à un âge où la vie n'est censée être qu'insouciance. Il admire d'autant plus sa force de caractère, comprenant toute son ampleur. Aomine rentre finalement chez lui, pensif. Il exécute les gestes du quotidien par automatisme et une fois dans son lit, il tourne un long moment avant de trouver enfin le sommeil.