Bonjour ! Après une soirée quelque peu troublée voici un nouveaux chapitre. Des conversations difficiles au programme pour nos fauves

Shadow: C'est vrai que Kagami est plutôt pessimiste pour le moment, à raison peut-être... Merci pour tes reviews :)

Bonne lecture !


Le lendemain, Kagami ouvre les yeux sur la lumière grise filtrant à travers son store, et qui paraît alourdir l'atmosphère, se communiquant à ses poumons, à son cœur et à son estomac. Il se frotte les paupières en lâchant un soupir, tandis qu'il se remémore les événements de la veille. Il a été très heureux de faire ce match de basket et de passer la soirée avec Aomine, mais… L'amertume qu'il a ranimée en parlant de son père, ainsi que la tristesse qui point en lui en constatant l'impasse dans laquelle il se trouve avec le brun lui donnent des idées noires ce matin. Il se sent découragé. Il sait que c'est un sentiment passager, mais ça ne rend pas les choses plus faciles. Il se considère comme quelqu'un de résilient et de déterminé, mais on ne peut l'être qu'en connaissant le découragement et le doute. Et certains matins, le poids à porter semble plus lourd que d'autres. Au moins, il ne travaille pas aujourd'hui. Il a déjà prévenu son équipe qu'il prenait un peu de temps pour lui pendant le séjour de Tatsuya. Il a donc le temps de mettre un peu d'ordre dans ses pensées, de réfléchir peut-être aux questions qui le travaillent en ce moment.

Il met un certain temps à se motiver pour sortir du lit, puis il va se préparer du café et s'installe comme d'habitude derrière son ordinateur pour vérifier ses messages et faire le tour des réseaux sociaux. Il constate avec un léger sourire que Momoi a déjà bien commencé son travail pour faire la promo de l'équipe. Il est certain qu'elle sera un véritable atout pour eux et il a hâte de la présenter aux autres le lendemain. Au moins, même s'il a l'impression que tout le reste stagne, sa vie professionnelle s'améliore nettement. C'est déjà un sacré progrès, étant donné qu'il a eu des hauts et des bas au cours des dernières années, et qu'il n'a pas toujours été certain de pouvoir payer son loyer. Il a travaillé dur en s'offrant peu de choses et en s'autorisant rarement des vacances. Peut-être va-t-il pouvoir enfin souffler un peu. Et en tout cas, ça lui fait un souci de moins et ça allège un peu son humeur tandis qu'il délaisse son bureau pour aller préparer son petit-déjeuner.

Quelques heures plus tard, il se rend dans le café qu'il a choisi pour rencontrer Momoi afin d'y attendre Tatsuya. Il s'installe à une table à l'écart et commande un thé sensha. L'atmosphère résolument calme de l'endroit l'aide à se poser, à endiguer le flot de ses pensées qui depuis son réveil a tendance à le submerger. Malgré tout, il se sent toujours anxieux et agité, et sa jambe droite ne veut pas rester tranquille.

Quand il voit Tatsuya apparaître sur le seuil, il éprouve un certain soulagement, et salue son frère de cœur d'un sourire.

« You look like shit », l'informe gentiment le brun.

Kagami a bien envie de lui renvoyer la pareille, mais le fait est que Tatsuya a l'air d'avoir plutôt bien récupéré de son voyage, et lui paraît tout à fait serein.

« J'ai juste mal dormi… » marmonne le tigre.

Justification à laquelle Tatsuya oppose un haussement de sourcil caractéristique, tandis qu'il continue de le fixer en silence en attendant qu'il crache le morceau.

Kagami soupire, remuant mollement sa cuillère dans son thé très légèrement sucré. Il ne sait pas par où commencer. Ou plutôt, il est très réticent à le dire.

« Tu as fait quoi après le match ? l'aide Tatsuya.

— J'ai invité Aomine à boire un verre chez moi… »

Son ami ne répond rien, mais Kagami lit bien des questions dans ses yeux.

« C'était super… Comme d'hab, ajoute-t-il.

— Mais ? » veut savoir Tatsuya.

Kagami soupire lourdement et avoue finalement à voix basse :

« Je crois… enfin… J'ai des sentiments pour lui. Et je pense que ça me mène nulle part.

— Pourquoi t'en es aussi sûr ?

— C'est pas si dur que ça à savoir, Tatsuya… Quand quelqu'un est attiré par toi il passe pas son temps à se dérober…

— Mais il t'a donné aucun signe ?

— Si, en un sens, et ça me rend dingue. Mais je confonds tout, j'imagine. C'est juste qu'on n'a pas les mêmes attentes.

— Ou alors, qu'il sait plus très bien où il en est…

— Tu parles… J'ai déjà vécu ce genre de trucs. Tu comprends pas.

— Je me suis déjà pris des râteaux, observe Tatsuya.

— Ça a rien à voir. Plus il se rapproche de moi, plus ça me paraît injuste, moins j'arrive à l'accepter…

— Alors ne l'accepte pas. Dis-le-lui.

— Non. Je tiens à lui. Si je lui dis ça, c'est terminé.

— T'en es sûr ?

— Suffisamment pour pas prendre le risque. J'essaie de me protéger aussi. Je suis pas aussi fort que ça, pour aller voir tous les mecs hétéros qui me plaisent et tenter sous prétexte 'qu'on sait jamais'. T'as une idée comme c'est dur à encaisser de te faire refouler parce que t'as pas le bon genre ? D'être l'éternel pote ? De savoir que tu plairas pas à la majorité des gens qui te plaisent ? »

Cette fois, Tatsuya ne répond pas immédiatement. Au contraire, il prend le temps de réfléchir, les sourcils froncés. Et admet finalement :

« Non. Je suis désolé, lil'bro. Je veux juste que tu sois heureux… Et parfois je m'emballe un peu. »

Kagami soupire, fixant de nouveau son thé.

« Yeah… It's okay. Je suis juste… » Il se passe une main dans les cheveux, dépité. « Je passe pas une très bonne journée.

— Hey… Ça va s'arranger, ok ? D'une manière ou d'une autre. Si tu veux laisser tomber, je vais pas te forcer à tenter ta chance. Mais moi… J'ai sincèrement l'impression que y a un truc ambigu de son côté. »

Le rouge relève les yeux pour dévisager son frère de cœur, secouant la tête. D'un côté, il peut le comprendre… Quand il y réfléchit bien, parfois la façon de se comporter d'Aomine a vraiment de quoi le troubler… Et en même temps, les choses restent au même point et il refuse de se nourrir de faux espoirs. Quelques ambiguïtés, ça ne lui suffit pas.

« Et si tu me montrais comme t'es devenu un vrai pro aux jeux vidéo, hm ? demande tout à coup Tatsuya.

— Tu veux te faire rétamer ? demande Kagami en haussant un sourcil.

— Ma foi, pourquoi pas.

— T'es un peu bizarre.

— Un 'peu' ? Je gagne ma vie avec les maths, je te rappelle, dit Tatsuya avec un sourire en coin.

— C'est vrai… » soupire Kagami. Puis, un léger sourire éclaire son visage. « Okay. Si t'es trop triste après je te préparerai le dîner.

— Tu es trop bon, lil'bro. »

Sur ces entrefaites, les deux amis quittent le café et rejoignent l'appartement de Kagami, où ils se lancent dans une partie de NBA2K, jeu que Kagami maîtrise presque aussi bien que le véritable basket. À vrai dire, il trouve que c'est bien plus facile en jeu vidéo, du moment qu'on a retenu les dizaines de combinaisons de touches pour exploiter toutes les subtilités du jeu. Et ça fait toujours plaisir d'incarner un joueur de légende… Ou bien c'est frustrant, comme pour Tatsuya, qui a beau endosser le rôle du Black Mamba lui-même, a plutôt l'air d'un newbie encore mal dans ses baskets. Ça a le don de faire rire Kagami, qui se détend et ne montre aucune pitié envers son frère de cœur. Très vite, de nombreux cris se mettent à résonner dans le petit appartement, entre bonheur, frustration, rage et désespoir. Bref, ils s'amusent beaucoup, oubliant leurs sujets de préoccupation, et passent un bon moment. Un moment de complicité comme ils n'en avaient pas partagé depuis longtemps, réparateur pour Kagami qui avait besoin de se changer les idées, et pour Himuro qui sait qu'il s'accorde trop peu de temps libre.

Sa nuit sans rêve et réparatrice laisse Daïki parfaitement reposé et plus serein que ces derniers jours. Lorsqu'il émerge totalement et ouvre un œil, le réveil indique presque midi. Rien d'inhabituel pour lui. Il aurait même cru qu'il serait plus tard que ça, vu l'heure à laquelle il s'est couché et l'énergie dépensée au terrain la veille. Pourtant, ces temps-ci il se trouve particulièrement en forme. À cette pensée un léger sourire étire ses lèvres. Un visage flotte dans son esprit et il doit bien admettre que c'est depuis qu'il est entré dans sa vie qu'il a un peu hâte de débuter chaque nouvelle journée. Quand il n'y a encore pas si longtemps, la routine quotidienne lui minait le moral insidieusement, telle l'eau d'un torrent qui ronge la roche et la creuse jour après jour.
C'est aussi par ce qu'il a eu conscience très tôt de sa tendance à se lasser rapidement des choses qu'il a choisi cette voie. Ce n'est pas comme s'il était toujours cloitré dans un bureau à effectuer les mêmes tâches répétitives. Définitivement pas fait pour lui. Étrangement, reprendre conscience de ce détail qu'il a tendance à omettre le met un peu plus de bonne humeur malgré le temps grisâtre qu'il observe par la fenêtre depuis son lit. C'est une raison valable qui n'a en rien à voir avec son père ou son besoin obscur de suivre ses traces. Et puis au fond… peu importe les raisons qui l'ont poussé à prendre l'uniforme non ? Tant qu'il est un bon flic et que ça le rend heureux. En tout cas aujourd'hui c'est cet état d'esprit qui allège encore un peu le poids qui traine sur sa poitrine depuis l'autre soir.

C'est fort de cette conclusion qu'il se décide à sortir des draps pour se sustenter. Ce ne sera pas aussi savoureux que les plats de Kagami, mais il peut toujours essayer de faire mieux que d'habitude. En tout cas, se moquant de lui-même il se dit que ça ne pourra pas être pire qu'un paquet de biscuits ramollis ou des nouilles instantanées trop épicées.

Dans le milieu d'après-midi, après avoir effectué toutes les tâches qu'il devait faire ainsi que des courses qu'il n'avait pas vraiment prévues, Aomine ne trouve plus rien pour le détourner de ce qu'il repousse maintenant depuis des jours. Jusqu'ici il avait toujours une bonne excuse, mieux à faire, un truc urgent… Mais il est arrivé à court. Nerveux il s'installe sur son canapé avec son portable qu'il regarde sans vraiment le voir, perdu dans ses pensées, nourrissant le secret espoir de recevoir un message qui le détournerait un peu plus longtemps de ce qui se retrouve à présent en tête de sa to do liste. Appeler sa mère.

Il sait qu'il aurait dû le faire avant, mais il se sentait déjà tellement à côté de ses Rangers… C'est toujours un peu étrange, douloureux parfois de lui parler, alors quand il est dans un mauvais engrenage, il préfère éviter. D'autant qu'il a énormément de mal à garder son calme lorsqu'il s'agit d'elle. La moindre remarque ou réflexion le pique plus que si ça venait de n'importe qui d'autre. Et par ses réactions excessives, il blesse sa mère involontairement en retour. Avoir pris conscience de ce fonctionnement n'aide pas, au contraire le temps qui s'écoule entre chaque appel semble se rallonger chaque fois un peu plus. Augmentant par la même occasion son sentiment de culpabilité.

Il soupire profondément, essayant de se raccrocher à la bonne humeur qu'il a ressentie en débutant sa journée. Kagami s'invite de nouveau dans son esprit. Dès lors, Aomine ferme les yeux, se laissant aller aux souvenirs de leur soirée. Il sait que les confessions de son ami sur sa relation quasi inexistante avec son père ont certainement contribué à mettre un terme à sa procrastination. Il en revient à la même conclusion que la dernière fois qu'il a pensé à ses rapports avec sa mère. Il ne veut pas en arriver là. Il tient à sa maman. Elle est le seul parent qui lui reste après tout… Et un jour, il espère qu'ils seront capables d'exprimer tout ce qu'ils taisent, des mots jamais prononcés les éloignant plus surement que les kilomètres. Chaque fois qu'ils se voient, il peut presque sentir le poids de ces non-dits qui écrase l'air de la pièce. Une épée de Damoclès dont ils ont tous deux pleinement conscience et affreusement peur du tranchant, menaçant de briser leur lien à tout jamais. Alors ils l'ignorent, comblant les silences avec des banalités du quotidien et des sujets innocents, chacun sur ses gardes pour ne pas dire quelque chose qui pourrait faire dégoupiller l'autre, ou tomber cette épée en équilibre précaire.

Résigné, Aomine inspire un grand coup avant de rouvrir les yeux et d'appeler enfin. Il retient son souffle pendant que les tonalités résonnent à son oreille, puis sa mère décroche et son cœur fait un bond inattendu dans sa poitrine. À force de redouter ce qui les sépare, il en oublie à chaque fois combien elle peut lui manquer.

« Daïki mon chéri c'est toi ?

Tu as d'autres fils caché dans ton répertoire ? »

Il entend sa mère glousser et le traiter d'idiot. Ça lui arrache un demi sourire.

« Comment tu vas fils ? Je suis contente de t'entendre !

Ça va bien. Désolé… mais tu peux appeler toi aussi tu sais.

Je sais que tu es très occupé, j'a toujours peur de te déranger. Et puis j'ai quelques nouvelles par mon frère.

'Man, si tu me déranges je te le dirais. Et Masato est plus occupé que moi.

Pourtant il m'appelle plus souvent, lui. »

Aomine lève les yeux au ciel. Voilà, premier reproche. Mérité cela dit… et sur le ton de l'humour alors il ravale son agacement sans broncher.

« Et toi ça va ?

Oui très bien. Je t'ai vu aux informations l'autre jour. Félicitations, j'ai cru comprendre que c'était un gros poisson ! Tu sais ici les nouvelles vont vites, tout le village est venu m'en parler.

Oh je vois, je suis une star alors ? » demande-t-il, amusé de l'enthousiasme de sa génitrice.

« Et bien disons que je ne me suis pas privé de me vanter d'être ta mère !

Et moi qui pensait que tu te rongeais les sangs pour ton fils…

L'un n'empêche pas l'autre Daïki… »

Aomine déglutit. Il se doute bien qu'elle est inquiète. Son aveu lui fait regretter sa plaisanterie, pas certain qu'elle l'ait saisie. Il se racle la gorge et se redresse un peu, préférant changer de sujet.

« Et ton atelier de poterie ? Ça te plait toujours autant ?

Oui beaucoup ! Je me suis bien améliorée. On va faire une exposition bientôt au centre culturel de la ville, j'espère qu'une de mes pièces sera choisie pour l'occasion.

Ce serait génial.

Tu… tu penses que tu pourrais venir la voir ? Ça fait longtemps que tu n'es pas venu, ça me ferait plaisir.

Faut voir quand ça tombe. Envoie-moi les dates d'accord ? Je te promets rien mais j'ai des congés à poser alors... »

Il sourit à nouveau en entendant l'excitation de sa mère. La connaissant, il n'a aucun doute sur le fait qu'elle va redoubler d'effort pour être exposée. Juste pour lui donner une raison de venir. Sa mère a toujours été très manuelle, un brin artiste, jouant avec crayons et pinceaux à ses heures perdues. Depuis qu'elle s'est inscrite à ce cours de poterie, il paraît qu'elle va mieux. Alors il est content de l'écouter. Même si la méthode de l'émaillage céramique, eh bien… il s'en fiche un peu.

Ils papotent encore un moment de tout et de rien. Elle lui raconte la vie du village, de ses voisins plus qu'elle ne parle d'elle, comme toujours. Une manie qui l'agace autant que ça l'amuse. Comme si elle se définissait par son entourage et son univers plus que par son travail ou ses propres ressentis. Puis elle le questionne sur son quotidien, son hygiène de vie, d'éventuelles rencontres… Il soupire un peu plus lourdement à chaque question, répondant par monosyllabes. Isamu Aomine est une véritable commère et ne manque jamais de lui tirer les vers du nez. Cependant cette fois, il a de quoi satisfaire sa curiosité. Il hésite un peu, de peur qu'elle le harcèle d'un nouveau flot de questions mais il passe un meilleur moment qu'il n'aurait cru et n'a pas vraiment envie d'y mettre un terme. C'est assez rare pour faire pencher la balance du côté de la tentation.

« Non maman je n'ai personne en ce moment si c'est ce que tu demandes. Mais… j'ai fait une rencontre intéressante.

Oh… ? C'est-à-dire ?

Il s'appelle Kagami Taïga et il joue au basket. On s'affronte régulièrement. »

Aomine n'espérait aucune réaction en particulier, mais une réaction tout de même. Le silence s'éternise un peu, au point de s'inquiéter que la conversation soit coupée. Il vérifie sur son écran avant d'interpeler sa mère, toujours muette.

« 'Man t'es là ?

Oui… oui je suis là. Désolé je… je suis contente de l'entendre. Je ne t'avais pas entendu parler de basket depuis… » Elle s'arrête, pensive.

Son cœur se serre dans sa poitrine. Il n'avait pas spécialement réalisé qu'il avait fait du basket un tabou, ni même que sa mère l'avait remarqué. En tout cas, la nouvelle a l'air de la chambouler et sans trop savoir pourquoi, ça lui noue la gorge. Il peut sentir son dos se couvrir d'une fine couche de sueur, le malaise suintant de ses pores et réveillant une vieille douleur au creux de ses omoplates.

« Il y a un moment que je rejoue tu sais… » se sent-il obligé de lui rappeler. « C'est juste que Kagami est vraiment bon. Et il aime ça autant que moi je crois.

Je vois… Eh bien je ne pensais pas ça possible te connaissant mais si tu prends du plaisir grâce à lui alors je sais que tu vas bien. Le basket a toujours été important pour toi. »

Il se sent rougir à la formulation de sa mère mais ne peut pas la contredire. Puisqu'il se fait la même réflexion à chaque fois qu'il le voit. Et bien qu'ils ne soient pas les plus proches du monde, sa mère l'a deviné instinctivement, juste avec ces quelques mots qu'il voulait pourtant désinvoltes. Soudainement gêné par la tournure que prend la conversation, il décide d'y mettre fin. D'autant que c'est bientôt l'heure pour lui de partir au poste.

« Rhm… ouais 'Man. Je vais bien. Vraiment. Je… Je vais devoir y aller.

Oh. Oui bien sur mon chéri. Merci d'avoir appelé. À bientôt ?

Yeah… à bientôt. Bisous.

Bonne soirée Daïki, prends soin de toi. Bisous… »

Aomine reste pensif un moment, le regard dans le vide après avoir raccroché. Plein de pensées se bousculent dans sa tête. Cet appel a été surprenant à plus d'un titre et ne fait que le conforter dans sa volonté de renouer le contact avec elle. Il oublie que parfois tout se passe bien. Sa poitrine est encore chaude des rires et de la voix de sa mère, et son demi sourire ne voulant plus le quitter est le témoin silencieux de toute l'affection qu'il lui porte malgré tout. Il aimerait arriver à lui témoigner, à dire les mots mais ils se font engloutir par d'autres plus sombres, tapis dans son cœur. Chez les Aomine, ils ont toujours été très pudiques. Les sentiments, on n'en fait pas étalage. Il n'a jamais vraiment appris à les communiquer autrement que par le geste, pourtant ils sont là en lui, bouillonnant en secret. Les bons, comme les mauvais.

Se sentant agité, à présent il tourne en rond. C'est pourquoi même s'il a échangé ses horaires pour arranger un collège, il décide d'aller prendre son poste. Préférant s'occuper plutôt que de cogiter chez lui en boucle, incapable de se concentrer sur la moindre distraction habituelle. Il a besoin de prendre un peu de recul. Alors il se prépare, remplit un bento avec les restes de sa cuisine approximative mais mangeable et sort de chez lui en écrivant un sms sur la route.

Aomine – 18h43

Hey ! Je sais pas si t'es dispo mais au cas où, si tu veux poser ta plainte je serais au poste :)

Avec Tatsuya, ils sont en train de boire une bière en se racontant de vieilles anecdotes. Le brun a repéré la photo de sa mère au restaurant et a posé des questions, et de là, ils ont dérivé sur plein de choses. Des souvenirs d'enfance, d'adolescence, des personnes qu'ils ont connues, des moments drôles, d'autres beaucoup moins. Kagami réalise que ça lui fait un bien fou de parler de tout ça, de se rappeler toute cette vie qu'il a déjà vécue, l'arrachant à ce perpétuel présent tourné vers un avenir incertain. Ça lui donne la sensation de se recentrer, de se retrouver lui-même. Il reprend conscience de ses racines, d'être une personne avec un passé, et pas juste un jeune adulte anonyme qui n'est qu'un visage dans la rue, un nom sur une boîte aux lettres, un numéro de dossier pour l'administration. Vivre seul lui fait parfois négliger à quel point on peut perdre de sa substance et s'oublier soi-même lorsqu'on ne prend pas le temps de s'occuper de soi et qu'on ne s'inquiète que de préoccupations matérielles à court terme.

C'est alors qu'il reçoit le message d'Aomine. Il fronce les sourcils. Il avait quasiment oublié cette histoire de plainte... Il montre le message à Tatsuya.

« C'est vrai que je t'ai pas raconté ce qui s'est passé hier soir... » ajoute-t-il avant de se lancer dans le récit de la visite d'un nouvel importun particulièrement agressif, vertement remis à sa place par un Aomine furieux.

Tatsuya rit à son récit mais reprend rapidement son sérieux :

« Tu devrais aller porter plainte. Ça te coûte rien et si ça a une chance d'arranger les choses, tu devrais la saisir. Tu ne peux pas savoir à quel point les choses pourraient dégénérer. Mieux vaut être prudent.

— Yeah... I know, soupire Kagami en se massant la nuque. Mais je suis pas sûr d'avoir envie de voir Aomine aujourd'hui.

— Fais-le maintenant, ça te fera au moins une préoccupation en moins. Je viens avec toi si tu veux. »

Kagami hésite, il sait que son ami n'a pas tort. Il n'a pas particulièrement envie d'effectuer cette démarche et risque de se trouver toujours d'autres prétextes pour ne rien faire. Aussi, il finit par taper une réponse pour Aomine :

Kagami - 18h50

Ok thx, je passe d'ici peu. À toute !

Aomine qui n'est pas censé être là fait des heures supplémentaires à l'accueil. En soirée, ils ont toujours plus de monde qui débarque après leur journée de travail alors ils ne sont pas trop de deux pour recevoir les civils et leurs problèmes. Lorsqu'il prend connaissance du message de Kagami, il se rend compte qu'il a été envoyé il y a presque une demi-heure, donc il s'attend à le voir passer la porte d'un moment à l'autre. En attendant, il fait signe à la personne suivante de s'avancer. Une jeune femme à l'air hagard visiblement nerveuse. Il lui adresse un sourire chaleureux pour la rassurer et lui demande l'objet de sa venue avant de jeter un coup d'œil à l'écran de la caméra extérieure.

En chemin, Kagami sent que Tatsuya a quelque chose à dire, à la façon dont il lui jette des coups d'œil réguliers.

« Bon ça va, crache le morceau ! s'impatiente-t-il.

— Non, c'est juste que...

— Quoi ?!

— Je sais que t'as pas envie de parler de ça, mais quand même ça te saute pas aux yeux ? L'attitude d'Aomine hier soir ? Très... chevaleresque, non ?

— Pff... Ok, j'admets, c'est une façon de voir les choses. Mais on peut aussi se dire que c'est juste un bon ami et un bon flic.

— Hm...

— T'es pas convaincu, c'est ça ? »

Tatsuya hausse les épaules.

« C'est ça. Mais bon... mon séjour ici ne fait que commencer ! »

Il sourit, un peu moqueur, ce qui a le don d'agacer Kagami, qui voit bien que son frère de cœur a l'intention de jouer au flic lui aussi, à sa manière. En attendant, ils sont arrivés devant le commissariat, et il enfonce le bouton de l'interphone, un peu nerveux.

Alors qu'il tend le document à la plaignante pour qu'elle le signe, Aomine aperçoit le visage de son ami sur l'écran de surveillance. Il se doutait un peu qu'il serait accompagné, mais il est tout de même content qu'il soit venu. Il appuie sur le bouton pour déverrouiller la porte sans plus de formalités et répond à la question silencieuse de son collègue.

« Une affaire en cours, j'attendais sa venue. »

Il remplit les informations manquantes dans son logiciel et rassure la jeune femme victime d'une annonce malveillante venue par précaution.

« Tenez, s'il vous arrive quoique ce soit, ce document permettra d'attester que vous aviez signalé le problème. Je ne pense pas que vous craignez grand-chose mais prévenez tout de même votre banquier d'être attentif. »

Rassurée, la demoiselle le remercie. Il lui offre en dernier sourire poli puis lève les yeux sur les nouveaux arrivants. Il leur fait signe de patienter deux minutes, le temps de boucler son dossier. Il signale à son collègue qu'il l'abandonne à son sort et lui file une claque derrière le crâne en s'entendant traiter de lâcheur, puis il sort de son poste le sourire aux lèvres.

Kagami répond au sourire que lui adresse Aomine, un peu crispé. Il n'est décidément pas bien dans ses baskets aujourd'hui, et l'environnement formel du commissariat n'aide pas.

« Salut Ao... »

Tatsuya hoche la tête à l'intention d'Aomine :

« Salut. J'ai encore dû convaincre Taïga de venir. Autant il est plutôt responsable d'habitude, autant là il a l'air de vouloir attendre que les choses s'arrangent d'elles-mêmes.

— Hey ! » proteste l'accusé en lui donnant un coup de coude dans les côtes, mais Tatsuya garde son sourire en coin.

Aomine fronce les sourcils à l'intention de Kagami, pas franchement surpris mais un peu déçu qu'il ait encore voulu l'esquiver.

« Mouais, content que tu l'aies traîné là dans ce cas. On ne prend pas les plaintes à domicile, sinon il y a longtemps qu'elle serait enregistrée... Suivez-moi, on sera plus tranquilles à mon bureau. »

Kagami et Tatsuya emboîtent donc le pas à Aomine, et montent les escaliers pour rejoindre le premier étage. Kagami a une étrange sensation d'irréalité, comme s'il s'était endormi tout à l'heure dans le canapé. Sans doute parce qu'il a eu une nuit courte et que la présence de Tatsuya ici lui paraît un peu décalée. Une fois arrivés, ils prennent place dans les deux sièges face au bureau et il regarde Aomine, pas trop sûr de la manière dont les choses doivent se dérouler pour déposer une plainte.

Aomine s'installe, allume son poste et cherche le dossier de Kagami dans l'armoire derrière lui. Il s'installe face aux deux amis et remarque la jambe nerveuse de son vis à vis. Il l'observe du coin de l'œil en ouvrant son logiciel, inquiet. Il le sent particulièrement tendu et se demande si son affaire en est la seule raison. Hier, il avait plutôt l'air de prendre la situation à la rigolade. Autant ne pas s'éterniser, se dit-il. Dans sa pochette il pioche quelques feuillets qu'il tend à Kagami.

« Tiens, c'est les rapports que j'ai fait de ce que tu m'as déjà raconté. Vérifie qu'il y a tout et j'aurais juste à le retranscrire en dépôt de plainte. Ça devrait pas prendre trop de temps. »

Kagami prend les feuillets et doit les relire plusieurs fois, parce qu'il a du mal à se concentrer. Mais tout lui semble exact, pas d'omission importante, en tout cas rien qui lui vienne à l'esprit. Tatsuya se penche légèrement de son côté pour lire lui aussi, ajoutant de temps en temps un commentaire du style « Oh, tu m'avais pas raconté pour celui-là », et déclare quand il a terminé : « Tu fais une bonne action Taiga. Il faut vraiment rendre tous ses clients à Hoshi : imagine, il ne doit même pas comprendre pourquoi ses fins de mois sont difficiles à boucler ! » À ces mots, Kagami ne peut retenir un éclat de rire.

« Ouais... Enfin si ça se trouve, il existe pas, ou il pratique plus, ou il a déménagé très loin...

— Au pire, tu peux toujours envisager l'idée d'arrondir tes propres fins de mois », lâche Tatsuya.

Kagami le regarde bouche-bée. Non mais vraiment, quel sans gêne ! Devant Aomine en plus !

Alors qu'il tape sur son clavier, Aomine suspend son geste à ces mots. Il se tourne pour faire face à Kagami, un sourire narquois aux lèvres. L'entendre rire le rassure et il joue le jeu de Himuro en terminant le rapport de ce qui est arrivé la veille.

« Oh... c'est pour ça que tu rechignais à porter plaintes ? Dis-le-moi si c'est le cas et on arrête tout. »

Kagami pique un fard et regarde Tatsuya et Aomine à tour de rôle, les lèvres entrouvertes dans une expression choquée. Puis, il réalise qu'on se fiche de lui et fronce les sourcils, marmonnant dans sa barbe.

« Ça va, je passe mon tour, merci. »

Aomine ricane à la mine renfrognée de son ami et en récupérant les pages pour recopier les principales informations il souffle :

« Ouais, j'me disais aussi... »

Puis il adresse un demi sourire à Himuro dont il sent le regard peser un peu sur lui.

Himuro observe, attentif. Peu de choses lui échappent d'ordinaire, il a un sens inné du détail. Ça lui a toujours servi dans la vie, pour le sport, la vie professionnelle, aussi bien que dans les relations sociales. Il aime bien ce que dégage Aomine. Un type généreux qui se soucie des autres, devine-t-il. Il lui rend son sourire.

« Taiga m'a raconté que tu avais remis à sa place un importun hier. C'est sympa. Même si tu es flic et tout, je connais des gars plus musclés que toi qui se seraient défilés dans ce genre de situation. Ou qui auraient trouvé ça trop gênant. »

Concentré sur sa tâche, Aomine ne répond pas tout de suite. Repensant au conflit intérieur qui l'avait fait hésiter sur la façon d'intervenir. Puis, toujours affairé à sa tâche il répond finalement dans un haussement d'épaule.

« Pour être franc, j'aurais pas été flic, il en aurait sûrement prit une. Si j'avais été en service il aurait fini menotté. Pour ce qui est des muscles ça veut pas dire grand-chose. De ce que j'ai observé, souvent ceux qui font de la gonflette c'est plus pour l'image que pour s'en servir. Et puis, j'ai déjà vu pire que lui. »

Himuro hoche la tête, prenant bonne note de ces informations. Un tempérament très sanguin ? Ou un attachement particulier à Taiga ? Comme dirait ce dernier, on pourrait voir la situation des deux façons... Il comprend un peu mieux l'incertitude dérangeante dans laquelle se trouve son frère de cœur, et sa difficulté à se positionner.

« J'habite pas loin de Venice Beach, commence Tatsuya... Alors je te confirme pour la gonflette ! J'en vois tous les jours des comme ça ! Les poseurs de la plage, comme on les appelle dans le coin. »

Kagami relève la tête avec un léger sourire à cette évocation.

« Ils font leur show tous les matins, approuve-t-il. Avec la musique poussée à fond et tout. C'est marrant. »

Des images très nettes apparaissent dans l'esprit de Aomine. Il voit très bien le tableau. Il assiste à peu près au même à la salle, l'océan, le sable et les palmiers en moins.

« Haha ouais je vois le genre. Et je suis sûr qu'ils ont des spectateurs, ça doit les encourager dans leur délire. »

— Clairement », confirme Himuro.

Un silence succède pendant que les deux amis attendent qu'Aomine finisse de taper la déposition, puis Kagami demande :

« Une fois la plainte enregistrée, il va se passer quoi ? Tu vas mener l'enquête ? T'avais parlé d'interroger le voisinage... »

Aomine s'interrompt un instant pour faire face à Kagami et lui expliquer ce qui va suivre.

« Eh bien ton dossier passera dans les affaires à traiter. D'ici les prochains jours, moi ou un collègue on passera interroger le voisinage pour savoir s'ils ont aussi eu des visites inopportunes. De mon côté je vais pouvoir faire la demande à la cybercriminalité – officiellement cette fois, se dit-il – de faire des recherche sur ce fameux 'Hoshi' et en fonction de ce qu'il ressort on avisera. Et surtout avec la plainte, si les visites empirent, ça deviendra possible de déployer une patrouille de surveillance. » Se voulant rassurant, il a parlé d'un ton calme et posé, pour lui c'est la routine. Puis dans un sourire qu'il veut chaleureux il poursuit : « J'ai presque fini, j'aurais juste besoin de tes papiers d'identité s'il te plait. »

Kagami fouille dans la poche intérieure de sa veste pour en sortir son portefeuille. Il évite de regarder la photo de sa carte d'identité, il y est sensiblement plus jeune et il a un peu honte de son allure de gamin dessus. Il tend la carte à Aomine et se renfonce dans son siège, impatient d'en avoir terminé avec toutes ses formalités.

Aomine récupère la carte et son visage s'illumine en découvrant Kagami adolescent. Il relève le regard sur lui, puis revient à sa paperasse sans faire de commentaires. Il se dit qu'il n'a pas tant changé que ça. Même tignasse indomptable, même regard flamboyant et déterminé. Quoique peut-être un peu blasé. Des épaules moins larges qu'aujourd'hui mais une stature déjà impressionnante pour son âge, devine-t-il. Sans savoir pourquoi, ça lui fait étonnamment plaisir de découvrir son ami plus jeune. Et alors qu'il tape les derniers renseignements nécessaires, la pensée qu'il aurait vraiment voulu le rencontrer plus tôt revient le titiller.

Son travail achevé, il relit en diagonale avant de lancer l'impression de la plainte.

« Plus qu'un autographe et tu seras libre. Vous avez prévu un truc ce soir ? » s'enquiert il pour faire la conversation en s'adressant aux deux amis.

Kagami regarde Tatsuya, qui hausse les épaules, et se tourne vers Aomine :

« Pas vraiment, sans doute chiller à la maison. Je bosse pas trop le temps du séjour de Tatsuya. »

Aomine se lève pour aller chercher les papiers dans l'imprimante, ses Rangers résonnant dans l'open space qu'il traverse. Il tend les deux exemplaires à Kagami ainsi qu'un stylo et s'entend leur proposer :

« Le bar de Tetsu n'est pas très loin. Si jamais ça vous tente, ça lui fera plaisir.

— Bonne idée, approuve Tatsuya. T'en dis quoi Taiga ?

— Hm... Ouais, pourquoi pas. » Le rouge prend les documents et y appose sa signature avant de les rendre à Aomine. « Merci.

— Celui-là est pour toi », déclare-t-il en rangeant l'autre dans le dossier, un sentiment d'accomplissement envahissant sa poitrine.

Boosté par cette petite victoire pour le reste de son service, il les invite à le suivre vers la sortie. Il les laisse en haut de l'escalier et se passe une main dans les cheveux.

« Tu vois s'était pas si difficile », se moque-t-il gentiment avant de poursuivre : « Si vous allez au Miracles, la première tournée est pour moi, dites à Tetsu de la rajouter à mon ardoise.

— Merci, c'est gentil, » approuve Tatsuya en lui adressant un signe de la main avant de dévaler les escaliers.

Un peu embarrassé, Kagami hoche la tête et salue Aomine.

« Bon, on se voit plus tard alors. Bon courage pour le boulot.

— Merci, bonne soirée. »

Aomine aurait cru que la fin des démarches auraient soulagé son ami, mais il a toujours l'air aussi soucieux quand il se détourne à la suite de Himuro. Aomine fronce les sourcils, croise les bras sur son torse et les observe quitter le commissariat. Ce n'est qu'une fois qu'ils ont franchi la porte qu'il retourne à son travail, pensif. Quoi qui puisse tracasser Kagami, au moins il n'est pas seul ce soir. Et cette idée le rassure autant qu'elle le contrarie. Il regrette presque d'être venu bosser plus tôt, sans ça, il aurait peut-être pu les accompagner...

Kagami et Himuro décident de rejoindre le bar à pied, ce n'est pas très loin de toute façon, et prendre l'air ne leur fait pas de mal. En chemin, Kagami raconte à Tatsuya ce qu'il sait de son presque homonyme, c'est à dire pas grand-chose. Et il ne sait pas trop à quoi s'attendre à propos de ce bar, mais en tout cas, l'idée d'une bonne bière le séduit.

Dix minutes plus tard, ils sont sur place, et poussent la porte du bar. Kagami scanne les lieux à la recherche de Kuroko, qu'il finit par remarquer derrière le bar alors qu'il ne l'avait pas vu la première fois. Il se rapproche pour le saluer.

« Hey. Aomine nous a dit qu'on devrait passer et nous a donné l'adresse. »

Kuroko balance son torchon sur son épaule et un rictus se coince au coin de sa bouche en découvrant les nouveaux clients qui s'installent au comptoir.

« Salut, il a bien fait. Qu'est-ce que je vous sers ?

— Une blonde bien fraîche s'te plaît.

— Whisky, ajoute Tatsuya. Du japonais. Ça fait longtemps. »

Kagami regarde autour de lui, inspectant les lieux. L'endroit est accueillant, lumineux. On s'y sent aussitôt comme chez soi, il a presque l'impression d'être déjà venu ici même s'il est certain que ce n'est pas le cas.

« Chaud ou froid le whisky ? demande Kuroko en remplissant un verre de sa pression pour Kagami.

— Sans glaçons, si c'est ce que tu veux dire, répond Tatsuya, amusé. Les glaçons font que diluer le goût.

— Pas de soucis. »

Avec des gestes sûrs, le jeune gérant sert les boissons demandées et les dépose soigneusement devant les clients envoyés par son ami. Il se demande vaguement dans quelles circonstances il les a envoyés ici, mais ça ne l'étonne pas d'Aomine. Le bar n'est pas bondé ce soir, surtout des habitués. Peut-être quelques étudiants un peu plus tard, en attendant, l'ambiance est tranquille pour l'instant. Alors qu'il observe discrètement les deux acolytes boire leurs premières gorgées en silence, il retourne à sa vaisselle, attentif aux autres clients.

Kagami enchaîne quelques gorgées de bière et s'essuie les lèvres d'un revers de la main, appréciant le goût légèrement amer du breuvage, et sa fraîcheur contrastant avec l'alcool qui lui réchauffe le gosier.

« Alors demain tu revois les gars de l'équipe, c'est ça ? demande Tatsuya.

— Ouais, avec Momoi. Elle a déjà commencé le boulot, elle est super efficace. J'espère que ça va nous aider.

— J'en doute pas. Vous avez le talent, elle se charge de le faire savoir. Ça ne peut que fonctionner. Ce tournoi que tu as fait... C'était que la première étape.

— Peut-être. En tout cas, première chose que je fais si je gagne plus de fric : je déménage ! »

Tatsuya rigole :

« Lassé de tes prétendants ? »

Kagami hausse les épaules :

« J'aimerais bien un truc un tout petit peu plus grand. Surtout pour la cuisine. Peut-être que je pourrais louer une petite maison. Le quartier d'Alex est sympa.

— C'est vrai. C'est tranquille. Et y a un grand parc à côté, idéal pour tes footings !

— Ouais, je pensais à ça aussi. »

Kagami est pensif, il ne veut pas aller trop vite en besogne, mais c'est vrai que c'est agréable d'envisager un peu de changement dans sa vie.

Bien qu'il n'espionne pas particulièrement, le nom de son amie attire forcément son attention. À l'évocation de l'envie de Kagami de déménager, il se rappelle des circonstances dans lesquelles il a rencontré Daïki. C'est vrai qu'à les voir ensemble, il avait oublié que c'est en portant l'uniforme que son ami avait rencontré son rival. En y repensant ça l'amuse. Combien de temps l'avait-il suivi à travers la ville, faisant le tour de chaque terrain de street, à la recherche de nouveaux adversaires ? Et il a fallu qu'il tombe dessus par hasard...

Après leurs verres, ils en commandent aussitôt d'autre, et Himuro n'oublie pas de préciser qu'ils se sont fait offrir la première tournée. Ils prennent la même chose et trinquent à son séjour. Ça lui fait du bien d'oublier un peu la routine, de retrouver Taiga et de partager du temps ensemble. Et ce whisky est vraiment exquis. Il se détend facilement, et trouve le tigre un peu plus relaxé maintenant aussi, la conversation et la chaleur de l'endroit le tenant sans doute éloigné de la mélancolie anxieuse qui le travaille parfois.

Alors qu'il leur sert la seconde vague de boissons, Kuroko remarque leur complicité évidente, les regards et les sourires équivoques que les deux amis échangent. Soudain, un éclair de lucidité le frappe lorsqu'une réflexion de Aomine résonne dans son crâne. Il était si sûr de lui en déclarant que Kagami n'était pas intéressé par Naoko... Et puis il faut dire aussi qu'il a la sainte horreur d'avoir tort. Il voit donc ici la parfaite occasion de mener sa petite enquête, sans risquer de se faire museler ou réprimander par Daïki. En apportant les verres pleins il se poste devant ses clients et avec l'air le plus innocent et détaché du monde il déclare :

« Vous pouvez être tranquilles ici, j'ai zéro tolérance pour les intolérants. Alors ne vous gênez pas surtout. »

Kagami et Himuro échangent un regard interloqué, puis le brun lâche un petit rire.

« Vraiment ? C'est une bonne politique. Je suis heureux de l'entendre.

— Euh... Moi aussi, je suppose... » acquiesce Kagami, confus.

Le fantôme hoche la tête, presque solennel, curieux de voir les résultats de son laïus, puis se dirige vers une table qui l'appelle pour passer commande.

« C'est pas la première fois qu'il dit des trucs chelous... murmure Kagami.

— Je pense qu'il croit qu'on est ensemble, chuchote Tatsuya en retour.

— Hein ?! Mais pourquoi ?

— Ce serait pas la première fois.

— Bah dans les bars gay c'est pas étonnant, mais...

— Soit il a un côté fleur bleue qui aime voir la romance partout, soit il essaie d'en savoir plus sur ton statut. Peut-être qu'il est célibataire et en recherche de l'amour.

— Tu crois ?! s'étrangle Kagami, jetant des regards furtifs à Kuroko qu'il craint de voir attiré par leurs messes basses.

— Qui sait ! dit Tatsuya en haussant les épaules. Tu dis que tu plais à personne mais tu vois pas toujours quand tu plais non plus !

— Hmpf... Tu parles... » se renfrogne Kagami.

Affairé à préparer la commande de la table quatre, il remarque que Kagami et Himuro se sont rapprochés et parlent sur le ton de la confidence, mais il ne capte aucun geste qui pourrait trahir une quelconque romance entre les deux jeunes hommes. Cela dit, ça ne prouve encore rien. Ça l'amuse toujours beaucoup de manier les mots de façon à susciter des réactions chez ses interlocuteurs. L'effet de surprise lui en apprend toujours plus que ce que les gens veulent bien dire. Parce que souvent, ils n'ont pas le temps de se composer un visage dénué d'émotions, ou un mensonge sans bafouiller. C'est quelque chose qu'il a appris avec le temps, quand il était obnubilé par l'observation de ses semblables pour les décrypter plus facilement. Au départ, c'était seulement pour améliorer son basket, mais ça s'est aussi parfois avéré utile dans la vie.

Kagami espère que la dernière hypothèse de Tatsuya n'est pas la bonne. Il ne manquerait plus qu'un triangle amoureux pour parfaire sa vie, tiens ! Mais il n'y croit pas trop... Il n'a aucune idée du genre de personne qui peut intéresser Kuroko, mais il a l'impression que ce n'est pas lui. Sans pouvoir vraiment se l'expliquer, juste une intuition. En tout cas, on dirait que Kuroko cherche effectivement à savoir s'il a quelqu'un dans sa vie, il ne comprend simplement pas pourquoi. Il frissonne à la pensée qu'il aurait pu faire ou dire quelque chose qu'Aomine n'ait pas remarqué, mais Kuroko si. Il chasse cette pensée, il n'en a vraiment pas besoin ce soir. À la place, il se réintéresse à sa bière et reprend la discussion avec Tatsuya, qui lui parle justement de sa dernière copine avec qui ça n'a pas marché.

« Tu travailles trop, en même temps...

— Je pense pas que c'était ça le problème, mais... J'imagine que t'as pas tort. J'y pense plus que d'habitude ces temps-ci... Peut-être que ce serait bien que je ralentisse un peu.

— Évidemment que ça serait bien ! »

C'est plus fort que lui. Bien que Tetsuya se considère comme quelqu'un de très respectueux d'ordinaire, il ne peut s'empêcher d'entendre. Pourtant il est à l'autre bout de son bar, s'efforçant de leur laisser assez d'intimité. Sans trop savoir pourquoi il donne autant d'importance à cette histoire, son ouïe semble s'être décuplée malgré lui. À l'évocation d'une ex petite amie, il arrête d'essuyer son verre une seconde, surpris. Il se retient de se tourner pour observer les micros expressions des deux amis, enregistre l'information et reprend sa tâche, l'esprit en ébullition.

Les deux amis en sont à leur quatrième verre et ils sont bien ici, ils n'ont plus envie de bouger. Plutôt l'envie de reprendre une autre tournée. Alors ils en demandent une, se sentant un peu échauffés par l'alcool, mais au moins ils ont dîné avant de passer au commissariat. Plus rien ne s'oppose à une bonne soirée de discussions, et tant pis s'ils boivent un peu trop, après tout, ce sont les vacances !

Comme Tetsuya l'avait anticipé, un groupe de quelques étudiants débarque dans son bar, et visiblement le Miracles n'est pas le premier qu'ils visitent. Il se charge de les installer et de les servir avant de proposer un cinquième verre à Himuro et Kagami qui acquiescent joyeusement. Il jette un coup d'œil à sa montre et décide de s'offrir une rousse. Quand il est seul, il ne prend pas vraiment de pause, mais tout le monde est servi et l'ambiance est paisible, quoiqu'un peu à la fête au fond du bar.

« Tu bois un verre avec nous, Kuroko ? propose Himuro en levant son verre pour trinquer.

— Pourquoi pas. »

Dans un sourire, il approche son tabouret et se place face à eux, levant son verre pour trinquer.

« Ça fait longtemps que t'as ce bar ? demande Kagami après avoir trinqué et avalé une gorgée.

— Hum ça va faire quatre ans que j'ai des parts dedans. Mais j'y ai débuté comme serveur pendant mes études. Des amis ont bien voulu m'aider à le racheter à l'ancien propriétaire.

— C'est super d'avoir ton propre business à ton âge ! s'enthousiasme Tatsuya. En tout cas l'endroit est sympa. Surtout maintenant qu'on sait qu'il est interdit aux intolérants, ajoute-t-il avec un clin d'œil.

— Merci c'est gentil. J'ai refait toute la déco avec Momoi-kun avant la réouverture. Elle m'aide aussi un peu à l'occasion. Avant, ça faisait plutôt taverne lugubre. Une autre ambiance... »

De nouveau, Kagami parcourt son environnement du regard et commente :

« Ouais, vous avez fait du bon boulot. Peut-être que je reviendrai alors ! J'ai pas trop l'habitude d'aller, au bar, mais bon. De temps en temps, pourquoi pas.

— Quand tu veux, ce sera avec plaisir. Ce que je vais dire n'est peut-être pas bon pour mes affaires, mais je préfère ne pas trop avoir d'habitués », avoue Kuroko, flatté que Kagami pense revenir si ce n'est pas son genre.

Kagami rit un peu à cette confession :

« Ouais... Je comprends. Moi non plus j'aime pas trop quand y a foule. Bah, tant que tu t'y retrouves dans tes comptes, pas besoin de devoir toujours agrandir le business. »

Kuroko hoche la tête, amusé.

« Et toi alors, les statistiques ? Tu bosses pour une grosse boîte ou à ton compte ? demande-t-il à l'Américain.

— Dans une boîte, répond Tatsuya. Je me mettrai peut-être à mon compte plus tard, mais je voulais me faire de l'expérience avant.

— Et ça te plait ? Enfin je veux dire les projets sur lesquels tu travails. Les maths oui j'imagine, on y atterrit pas par hasard, pense-t-il à voix haute, se souvenant de son enthousiasme évident à parler stats avec Satsuki la veille.

— Ouais ça m'intéresse. Au début c'était un peu compliqué, on donnait les tâches ingrates au petit nouveau... Mais maintenant je fais des trucs stimulants. »

Kagami ne peut s'empêcher de lever les yeux au ciel :

« Des statistiques "stimulantes", et puis quoi encore ? De la paperasse amusante ? Un sandwich industriel réjouissant ? »

Tatsuya rigole et lui donne une tape à l'arrière du crâne.

« Un peu de respect, lil'bro !

— Pff », marmonne Kagami pour toute répartie.

Kuroko s'amuse de leurs chamailleries. De vieux souvenirs s'immiscent dans son esprit et lui arrachent un sourire franc. Il lui semble comprendre d'où est venu le sentiment de familiarité dont lui a parlé Momoï après son entretien avec Kagami. Et il ne pense pas se tromper en imaginant que Aomine l'a probablement ressenti aussi.

« Aomine m'a dit que vous vous connaissez depuis longtemps.

— Depuis l'école primaire, oui, répond Tatsuya. On s'est rencontrés aux USA. Moi aussi je suis un peu revenu au Japon entre temps, mais j'étais à Kyoto. On s'est pas trop vus. Maintenant on fait comme on peut malgré les kilomètres !

— Je connais ça. C'est pas toujours facile mais de se retrouver ça fait chaud au cœur. Je suis content pour vous.

— Thanks ! Et Aomine et toi vous vous connaissez depuis le collège, c'est ça ?

— Exact. Ça commence à faire un bail aussi, confirme-t-il avant d'avaler une gorgée de sa bière.

— C'est cool de garder les vieux amis. C'est pas toujours évident. En tout cas je suis content que vous soyez là pour faire un peu de compagnie à Taïga ! Il sort pas assez !

— Hey ! J'ai pas besoin de compagnie ! proteste Kagami, même si ce n'est pas tout à fait vrai.

— Aomine par contre... tu voudras bien continuer de le voir ? Je suis pas toujours dispo pour l'occuper. » Demande Kuroko.

Particulièrement attentif aux réactions de Kagami, il affiche un sourire mutin, fier de son sous-entendu. Si Daïki l'entendait parler de lui en ces termes, il en aurait surement pris une, comme son vis à vis un peu plus tôt. Le concerné grognerait surement un truc du genre qu'il n'est pas un chien qu'on doit promener et qu'il sait très bien s'occuper tout seul, haussement de sourcil graveleux à l'appui.

Kagami rougit à cette demande inattendue et se passe une main dans les cheveux, gêné.

« Ouais euh... Je ferai de mon mieux... »

Même si justement, ce n'est pas le meilleur moment de faire des promesses et que même si ça lui broie le cœur, il n'est pas sûr de continuer à le fréquenter aussi régulièrement. Cela dit... Après tout ce qu'ils ont déjà vécu... Il ne peut pas le laisser tomber plus. Il ne veut pas non plus. Bref... Il n'est pas plus avancé que ce matin sur ces questions, évidemment.

La tristesse qui voile soudainement le regard de Kagami alerte Kuroko. D'autant plus qu'Himuro observe son lil'bro avec compassion. Maintenant, il se sent bête. Ce qu'il voulait plaisanterie, le jeune homme l'a visiblement pris très au sérieux. Malgré son malaise, il ne manque pas d'enregistrer ce détail et tente de se rattraper.

« Je plaisantais Kagami-kun. Je sais que Aomine peut être un peu ... extrême et difficile à gérer. S'il te soûle, t'as qu'à lui dire. Moi je me gêne pas et on est toujours amis », déclare-t-il en haussant les épaules.

Aomine ne lui en a jamais voulu d'être honnête avec lui, même quand ce n'étaient pas des choses faciles à entendre. Et s'il s'en est trouvé plus d'une fois offusqué, son vieil ami est toujours revenu vers lui, comme si de rien était.

Cette remarque fait sourire Kagami, qui reprend une gorgée de bière.

« T'en fais pas, il me soûle pas. »

Il détourne le regard et cherche désespérément un autre sujet de conversation, mais ne trouve rien. Heureusement, Tatsuya est là pour le sauver.

« Et Momoi, elle passe souvent ici ? demande-t-il à Kuroko. D'après ce que m'a dit Taiga, elle a l'air bien occupée !

— Régulièrement oui. Elle est passée après son entrevue avec Kagami. Pour me raconter et squatter ma connexion. Honnêtement, j'ai jamais compris comment elle faisait. Elle est sur tous les fronts, et toujours en forme. Au collège, rien qu'à la voir courir partout, elle nous épuisait. Ça n'a pas changé.

— La clé doit être dans l'organisation, estime Tatsuya. Ou alors elle a un retourneur de temps comme Hermione dans Harry Potter, ajoute-t-il pensivement.

— Ça lui va bien. C'est vrai qu'elle est un peu magicienne notre Satsuki. »

Himuro rit et jette un coup d'œil à Taiga, qui semble avoir retrouvé son humeur maussade. Il n'aime pas le voir comme ça, mais n'est pas vraiment certain de savoir comment l'aider. C'est vrai que sa vie sentimentale n'est pas simple pour lui. Il va falloir qu'il se batte, comme il le fait toujours. Mais Himuro est confiant. Kagami s'en sort toujours, même s'il a parfois besoin d'un coup de main.

Kuroko termine sa bière puis farfouille dans les étagères derrière lui. Il remplit deux verres de son meilleur saké, bouteille qu'il réserve aux occasions spéciales. Il voit bien que Kagami a l'air abattu, et d'une façon ou d'une autre, il sent que c'est de sa faute. Il espère que ce petit remontant lui fera plaisir.

« Tenez, c'est la maison qui offre. »

Sur un signe de tête, il les laisse pour débarrasser une table et prendre des commandes.

Kagami trempe les lèvres dans le liquide et le laisse rouler sur sa langue.

« Hm... Pas mal ce saké.

— C'est vrai, approuve Tatsuya après en avoir bu une gorgée. T'as vu, on est populaires ! On est jamais venus dans ce bar et on se fait déjà payer des verres !

— Yeah... » acquiesce Kagami avec un léger sourire.

Ils repartent dans une discussion sur les films qu'ils ont vus récemment, les jeux auxquels ils ont joués, et finalement décident qu'il se fait tard et qu'il est temps de rentrer. Tatsuya se lève et insiste pour payer l'addition.

« Merci pour les verres, Kuroko. C'était sympa. »

Le gérant les remercie à son tour d'être passé puis leur adresse un signe de la main avant qu'ils ne quittent son établissement. Il les observe s'éloigner bras dessus bras dessous dans la pénombre de la nuit se disant qu'il les aime bien, ces gars-là. Il espère avoir l'occasion de rejouer avec eux avant que Himuro ne reparte, et aussi de lever le mystère qui s'épaissit autour de Kagami...