Bonjour vous :) !
Dans l'épisode précédent, on laissait un Aomine complètement à l'ouest chez un Kagami pour le moins... dubitatif. Comme vous l'avez souligné dans vos retours, le réveil s'annonce difficile. On vous laisse découvrir ça sans plus de suspense.
Bonne lecture !
Shadow: Ne t'excuses pas... Aomine est un vrai crétin ! xD C'est sûr qu'ils ont des choses à se dire.
Le lendemain matin, Kagami se réveille tôt. Il a mal dormi dans le canapé, et ses rêves ont été remplis d'angoisse. Quand il ouvre les yeux, il se rappelle aussitôt ce qui s'est passé la veille. Il ne sait toujours pas quoi en penser, mais il se sent nerveux et perturbé, et toujours un peu en colère contre Aomine, essentiellement par frustration parce qu'il n'arrive pas à comprendre ce qui s'est passé.
En se redressant, il jette un coup d'œil à son futon, où le brun dort toujours profondément. Il s'adoucit un peu en le voyant et se rappelle sa détresse et sa vulnérabilité la veille. Quoi qu'il puisse y avoir ou non entre eux... Ça reste son ami. Il soupire et se lève, puis il va se rafraîchir avant de commencer le petit-déjeuner dans la cuisine. Il n'a pas fermé le store la veille et un rayon de soleil passe à travers l'appartement, lui remontant un peu le moral, de même que la bonne odeur de bacon qui commence à monter de sa poêle.
La couette remontée jusque sur ses yeux pour éviter la lumière, Aomine est tiré du sommeil par le son délicieux des grésillements d'une poêle et l'odeur alléchante d'un copieux petit déjeuner. Instantanément, son estomac se rappelle à lui, réclamant bruyamment quelque chose de solide. Pourtant malgré la faim qui le tiraille il se sent vaseux. Barbouillé lorsqu'il réalise qu'il n'est pas chez lui et que des bribes de souvenirs se superposent par images désordonnées sous ses paupières qu'il préfère garder closes. Plus il se rappelle la soirée de la veille, plus son ventre se tord. Son rythme cardiaque accélère sensiblement aussi, en comprenant qu'il est dans les draps de Kagami. Dans son dos, un filet de sueur glacé termine de le réveiller. Paniqué à l'idée d'affronter ce qu'il espère être un simple cauchemar, il hésite à sortir de dessous la couverture, le protégeant pour le moment de la réalité.
Il prend un moment pour rassembler ses esprits et tenter de se calmer. Puis il se redresse dans le futon, grognant sous la douleur de sa tête lourde qui tambourine de protestation.
Kagami lui jette un coup d'œil quand il l'entend s'agiter. Il n'a pas l'air frais, mais ça n'a rien d'étonnant. Il met ses toasts au grille-pain et remue ses œufs brouillés, laissant le brun émerger. Il se dit que ce serait bien s'il pouvait lui faire un jus pressé, il en aura besoin pour se remettre, et se rappelle qu'il a encore des oranges au frigo. Il les sort donc et s'attèle à les presser tout en surveillant ses autres préparations.
Kagami ne lui adresse pas un mot, et qu'un bref regard. Il l'observe un moment, appliqué dans ses gestes et peut sentir la tension qui émane de son ami. Il ne s'en offusque pas. Pensant que c'est amplement mérité. Il s'estime déjà chanceux qu'il ne l'ait pas laissé dehors. La honte l'étreint en repensant au spectacle qu'il a offert cette nuit à son hôte forcé. Chancelant il sort du lit et d'une voix éraillée et rocailleuse il demande :
« Ça t'ennuie si je vais prendre une douche ? »
Kagami relève la tête. Aomine a une voix plus grave au réveil. Plutôt sexy. Il chasse ça de sa tête et acquiesce.
« Ouais, évidemment, fais comme chez toi. C'est bientôt prêt. »
Lorsqu'Aomine s'éloigne, il termine son jus d'orange et prend conscience soudain de la tension dans son dos. Il n'est pas à l'aise dans cette situation, avec quelqu'un à la maison, et d'autant plus que ce quelqu'un est Aomine qui a échoué chez lui la veille et n'a pas été capable de lui dire quoi que ce soit de cohérent. Il fronce les sourcils et se reconcentre sur ses préparatifs, tant qu'il est occupé, au moins, il ne laisse pas trop de place à ses interrogations.
Sous le jet d'eau chaude Daïki soupir de soulagement. Peu à peu, il se sent reprendre forme humaine et bien que ses entrailles s'agitent, la migraine s'estompe. Il essaie de se remémorer ce qu'il a bien pu dire hier, mais il ne se souvient pas avoir beaucoup parlé. Néanmoins, il est à peu près certain que son ami ne le laissera pas partir d'ici sans un minimum d'explications. Une bouffée d'angoisse comprime sa poitrine à cette idée. Il s'oblige pourtant à sortir de sa cachette, préférant ne pas le faire attendre trop longtemps.
Lorsqu'il rejoint la pièce principale, Kagami termine d'installer le festin sur la table qui a retrouvé sa place. Il se passe la main sur la nuque, embarrassé et s'avance pour prendre place dans le canapé. Quand son ami s'installe à son tour il lui jette un regard en coin.
« Merci... Pour le petit dej' et... pour pas m'avoir laissé dehors cette nuit. Pas sûr que je mérite tout ça.
— Évidemment que j'allais pas te laisser dehors... Je vais pas te mentir, j'ai pas vraiment apprécié la façon dont t'as débarqué, mais... Visiblement, ça allait pas. J'ai pas vraiment compris ce qui se passait... Mais bon... J'ai l'impression que c'était pas très clair pour toi non plus... Alors... ça sert à rien de s'engueuler pour ça. »
Là-dessus, il empoigne sa fourchette et entame son petit-déjeuner de bon appétit. Même s'il se sent toujours contrarié et nerveux, ça ne l'empêche pas d'avoir faim.
Aomine acquiesce doucement, un brin soulagé par l'état d'esprit de Kagami. Ne pouvant résister plus longtemps, il s'attaque à un toast dans lequel il mord avec entrain, puis gémit presque de plaisir en avalant le jus d'orange frais. La cuisine de son ami a toujours le don de le réconforter et au moins le temps de se rassasier il oublie un peu tous ce qui le tourmente et qu'il va devoir bientôt affronter.
Il ne faut pas beaucoup de temps à Kagami pour terminer son petit-déjeuner qu'il engloutit plutôt qu'il ne le mange. Une fois son assiette terminée, il se lève pour ouvrir la fenêtre et mettre un peu de musique, histoire d'alléger un peu l'atmosphère. Il se pose ensuite pour boire son café, incertain de ce qu'il devrait demander ou non à Aomine. Il ne veut pas le presser... mais il a tout de même besoin de certaines réponses.
« Hier soir... Tu te souviens vraiment pas comment t'es arrivé chez moi ? » demande-t-il finalement.
Aomine qui s'apprêtait à enfourner une nouvelle bouchée de bacon suspend son geste et se redresse, prenant le temps de réfléchir avant de répondre.
« J'étais persuadé d'être arrivé chez moi. J'ai même essayé d'ouvrir ta porte avec mes clés... » Confesse-t-il, désabusé par sa propre bêtise.
Kagami fronce les sourcils, il se demande si ce genre de chose arrive souvent à Aomine, il espère que non.
« Si tu tiens pas l'alcool faudrait éviter de boire autant », lâche-t-il finalement avec une pointe de sarcasme, une esquisse de sourire au coin de ses lèvres.
« Je tiens plutôt bien en général, quoique ce soit pas non plus une habitude... J'avais pas mangé grand-chose non plus faut dire. Bref, j'ai déconné. Désolé que t'ait eu à gérer ça.
— Ok... C'est pas un drame. Ça peut arriver. Et t'as rien détruit donc ça va ! »
Le sourire de Kagami s'élargit un peu, puis il se relève pour aller faire un peu de vaisselle, éprouvant le besoin de s'occuper les mains.
Plutôt content que son ami ne cherche pas à lui tirer les vers du nez, il l'aide à débarrasser après avoir fini son assiette. Accoudé au plan de travail avec le reste de son café, tandis qu'il l'observe s'affairer en silence, une voix lui murmure qu'il lui doit plus que ça. Surement la même qui a guidé ses pas jusqu'ici cette nuit. Celle qui parle de plus en plus fort dans son crâne ces derniers jours et qu'il a vainement cherché à faire taire. Un cri du cœur qu'il ne peut plus vraiment ignorer en vérité.
Son pouls en arythmie, la peur nouant sa gorge il déclare à voix basse :
« J'ai été mis à pied... »
Kagami relève la tête vers lui, choqué par cette déclaration. Aussitôt, l'inquiétude se peint sur ses traits.
« Il... Il s'est passé un truc au boulot ? » demande-t-il prudemment. Aomine tient vraiment à ce travail, alors cette mise à pied peut clairement expliquer son état de la veille.
Aomine soupire, plus trop sûr de savoir ce qu'il a envie de dévoiler ou non. Mais il ne veut surtout pas que Kagami le voit différemment, qu'il laisse cet incident ternir ce qu'il peut penser de lui. Cette simple idée lui est intolérable, alors même si c'est effrayant de jouer carte sur table, la perspective de le perdre est pire.
« Ouais... j'ai pété un câble contre un collègue. Je sais que j'aurais pas dû mais, j'ai pas réussi à garder mon calme. »
Kagami fronce les sourcils en entendant ça, et lâche sa vaisselle, attrapant un torchon pour s'essuyer les mains. Aomine possède un caractère plutôt sanguin donc le fait qu'il ait eu un coup de colère n'est en soi pas étonnant, mais Kagami a du mal à croire qu'il n'ait pas su se contrôler, sur son lieu de travail, alors qu'il y est si investi. Sauf si c'était vraiment personnel... Peut-être que ça concernait son père.
« Ok... J'avoue, ça craint. C'est pour combien de temps ? »
Aomine se redresse et s'adosse à la faïence, le regard rivé au sol de dépit, peu fier de lui.
« Encore une bonne semaine. Puis un mois de mise à l'épreuve... »
Kagami hoche la tête. Ça n'a pas l'air trop méchant malgré tout. Mais il essaie de se montrer réconfortant.
« Ça va vite passer alors. Ça arrive à tout le monde de faire des erreurs. Surtout quand on a trop de pression... Et j'imagine que ce collègue est pas tout à fait innocent non plus ! » ajoute-t-il avec un petit sourire.
Aomine se fige. Ce sourire... Surpris par sa propre réaction, il se demande si Kagami a toujours eu cet effet sur sa respiration ou si c'est seulement un des résultats de sa récente remise en question slash prise de conscience. Perdu dans le regard bienveillant de son ami, il lui rend tant bien que mal son sourire et confirme ses propos.
« Non... Il a eu qu'une tape sur les doigts mais mon chef va l'avoir à l'œil aussi un moment.
— Okay. C'est pas facile à digérer... Mais ça va aller. Ça remet pas en question tout ce que t'as fait jusqu'à maintenant. Et tu seras très vite de retour au boulot. »
Kagami jette le torchon sur son épaule et reprend sa vaisselle, un peu rassuré maintenant. La situation est moins grave qu'il ne l'avait redouté. Aomine a juste besoin de relâcher un peu la pression.
Sans un mot, Aomine se saisit du torchon et s'applique à essuyer la vaisselle qui sort de l'évier. Il est nerveux à présent que la boîte de Pandore est ouverte. Il pensait que la curiosité de Kagami le pousserait à poser plus de questions, et alors il aurait simplement eu à répondre pour se libérer de ce poids envahissant ses tripes. Sa conscience le traite de lâche, et l'image d'une Satsuki contrariée voire carrément furax le juge en tapant du pied. Il lève les yeux au ciel face à son délire intérieur qui n'est qu'une distraction pour retarder ce qu'il redoute vraiment d'aborder. Pourtant, il n'est pas connu pour faire dans la dentelle ou tourner autour du pot. Prenant son courage à deux mains, il se lance finalement, d'un ton qu'il veut le plus désinvolte possible.
« Au fait, tu m'avais pas dit que t'avais un mec.»
Kagami se fige, l'éponge en plein centre d'une poêle graisseuse. Son cœur s'accélère. Il avait pratiquement oublié... préféré oublier... qu'Aomine l'avait vu ce soir-là. Il n'en était pas totalement sûr, mais il le savait au fond de lui. La culpabilité qu'il a éprouvé revient lui mordre le ventre et ça le met en colère. Pourquoi se sentirait-il coupable ? Il ne doit rien à Aomine... Il serre les mâchoires et reprend son nettoyage, récurant sa poêle avec une certaine hargne.
« Alors c'était bien toi... Je me suis demandé un moment si j'avais rêvé... » Il se racle la gorge et ajoute un peu sèchement. « C'était pas mon mec. Enfin, pas vraiment. »
Bien qu'il ne sache pas comment l'interpréter, le flic note le changement d'humeur et fronce les sourcils. Est-ce que ce gars a fait du mal à Kagami ? Il déglutit la bile acide qui lui brûle la gorge à cette pensée puis prend une grande inspiration. Aomine est conscient que le sujet est sensible et le laisse à fleur de peau, preuve de plus s'il en avait besoin, que Kagami titille un peu trop ses sens. Il ne peut non plus ignorer le vague soulagement qu'il éprouve à cet aveu et s'entend demander d'un ton faussement enjoué mais sincèrement curieux :
« Tu vas le revoir ? »
Kagami lui jette un coup d'œil, perplexe quant à cette curiosité soudaine pour sa vie sentimentale. C'est vrai qu'il n'en a jamais parlé à Aomine... Évidemment. C'est la dernière personne à qui il a envie d'en parler.
« Je sais pas, ça se peut, élude-t-il. C'est rien de sérieux pour l'instant. »
Aomine non plus ne lui parle pas de sa vie sentimentale, quand il pense... Peut-être parce qu'il n'y a rien à raconter, mais il en doute. Peut-être parce qu'il a remarqué la façon dont il le regardait. Cette idée lui cause un frisson désagréable.
Pour l'instant... donc il compte bien le revoir. Aux côtés de Kagami, s'imprégnant de sa présence, les angoisses se sont tuent mais les révélations de son ami ravivent les souvenirs cuisants qui l'ont mené à sa perte de contrôle. La vision de Kagami lové dans les bras d'un autre lui vrille le corps. Comme ce soir-là, il a l'impression de suffoquer. Le flot intarissable de questions que suscite sa réaction viscérale relance la machine infernale de son esprit qui déraille et sa migraine avec.
Devant le silence du brun, Kagami le regarde de nouveau, et lui trouve l'air préoccupé, presque douloureux. Il se sent de nouveau mal à l'aise, coupable. Et perdu. D'habitude, les choses sont si fluides, si faciles avec Aomine... mais ce matin, c'est tout le contraire, et ce constat le déprime. Il a l'impression que les choses sont en train de partir en vrilles, qu'elles lui échappent, sans même qu'il ait pu saisir sur quoi il s'est planté au juste. Il aimerait retrouver cette légèreté et cette joie simple qu'il a pu éprouver au contact du brun, et il a l'impression que depuis ce fameux soir... Plus rien n'est facile. Plus rien ne va de soi. Alors qu'il croyait sincèrement qu'essayer de fréquenter quelqu'un était la bonne décision... Et puis non. Quand il y réfléchit, les choses ont commencé à devenir tendues avant ça. Quand il a réalisé que ses sentiments pour Aomine prenaient trop de place. Alors il s'est éloigné... Ça n'a été que quelques jours, mais la distance entre eux n'est plus seulement temporelle, et c'est sans doute aussi ça qui lui donne cette sensation de malaise. Et il se sent démuni, sans savoir quoi faire maintenant.
Alors qu'il observe Aomine, il lui semble un peu pâle... Malgré le solide petit-déjeuner, la nuit a été rude pour lui.
« Hey... You're okay ? J'ai de l'aspirine si t'as besoin... »
La voix de Kagami le ramène au présent. Et sa sollicitude l'apaise un peu. Mais pas assez pour calmer son agitation. Le trou noir contre lequel il a lutté ces derniers jours menace de nouveau de l'engloutir. Non, ça ne va pas, a-t-il envie de hurler. Mais ça ne fera pas disparaître son sentiment d'impuissance ni la perfide douleur qui l'empêche de raisonner calmement. Et surtout, Kagami n'y est pour rien. Enfin pas vraiment… S'en prendre à lui ne fera que l'éloigner un peu plus. De ça il en est sûr. Est-ce par ce qu'il le sentait si loin qu'il a échoué devant son appartement ? Les mains crispées sur le rebord du plan de travail pour ne pas s'effondrer sous le choc qui l'ébranle une nouvelle fois il hoche la tête et souffle :
« J'veux bien...
— You really don't seem okay... » Il pose une main sur son bras et le ramène au canapé où il le fait asseoir. « Je vais te chercher une aspirine, bouge pas. »
Kagami se rend rapidement à la salle de bain, inquiet. Il a l'impression que quelque chose ronge Aomine, et pas seulement cette cuite qu'il s'est prise la veille ou cette altercation avec son collègue. Il peut le sentir dans ses tripes... Il fouille dans son armoire à pharmacie et en sort un tube d'aspirine, puis revient dans la cuisine pour remplir un verre d'eau où il jette un comprimé effervescent, puis rejoint Aomine et lui tend le verre.
« Bois ça. »
Il s'assoit à côté de lui et le surveille d'un œil, toujours inquiet. Puis, après une hésitation, il se lance :
« Écoute... On n'a pas trop parlé ces derniers jours... J'étais embarrassé que tu m'aies vu et je me suis dit que peut-être... ça t'avait gêné... Et puis... j'avais peut-être besoin de prendre un peu l'air. Mais... on est toujours amis. »
Kagami déglutit, ne sachant pas trop quoi ajouter, regrettant ses propos maladroits, il en dit trop ou il n'en dit pas assez, mais c'est tout ce qu'il peut faire pour l'instant.
Son verre quasi vide à la main, Aomine ricane à ces paroles, sarcastique, nerveux. Il avale le reste du cachet, espérant qu'il agisse rapidement et bascule la tête sur le dossier du canapé. Il grimace quand la bosse derrière son crâne rencontre le meuble, pourtant plus confortable que le battant de la porte... Dans tout le désordre émotionnel qu'il éprouve, l'amertume se glisse dans sa voix, à défaut de pouvoir exploser. Il a un peu de mal à gérer sa vulnérabilité, et surtout que Kagami en soit encore témoin.
« Si ça m'a gêné ? Kagami, tu ne pourrais pas être plus loin de la vérité... avoue-t-il en se massant les tempes.
— Alors explique-moi... » souffle Kagami, le cœur battant.
Il se rappelle ce pressentiment étrange qu'il a eu avant de quitter son appartement ce soir-là, comme s'il allait au-devant d'une catastrophe... Il est alarmé et se sent perdu, et regarde Aomine nerveusement, se demandant s'il va l'envoyer balader et le laisser planté là avec toutes ses questions.
Au pied du mur, ou plutôt au bord d'un précipice dont il ne distingue pas le fond, Daïki tourne la tête pour croiser le regard perdu de son ami. Son cœur se serre face à ses traits tirés d'inquiétude. Exprimer ce qui le ronge à voix haute le tétanise. À choisir, il préfèrerait courser un gangster armé jusqu'aux dents sans renfort que de sauter dans le vide qui s'ouvre sous ses pieds à cette demande pourtant légitime. Tant que ça reste dans sa tête, ce n'est pas vraiment réel, ou tangible. Essaie-t-il d'abord de se rassurer. Mais la voix infernale qui ne s'efforce même plus de chuchoter lui assène que si les émotions sont immatérielles, elles laissent des traces capables de vous trahir. Il ne peut contrer cet argument, lui qui a appris à les reconnaître, les décrypter même pour glaner des informations essentielles pour son travail. Complètement déboussolé, il se raccroche au regard de braise, laissant le silence s'éterniser entre eux.
Pourtant Kagami ne cille pas, ne le brusque pas. Alors il repense à toutes ces fois où il s'est confié à lui. Combien les mots sont faciles entre eux depuis le début. Il se rend compte à quel point ça a été stupide de tenter de prendre ses distances, quand depuis qu'il l'a rencontré il ne cherche que son contact, se rapprocher de lui d'une façon ou d'une autre.
Finalement il inspire pour se donner un peu de courage, après tout, le mieux placé pour l'aider à traverser cette crise existentielle c'est peut-être bien lui. Celui qui en est la cause...
« Ça ne m'a pas gêné de te voir avec un autre ce soir-là, commence-t-il doucement. Ça... ça m'a bouleversé Kagami. Si profondément et violement, que je m'en suis pris au premier venu, incapable de gérer l'information autrement. »
Toujours ancré dans les yeux en fusion, Aomine a tout le loisir de les voir s'écarquiller sous la surprise. Pour être sûr d'être clair tant qu'à faire, pris dans son élan d'honnêteté – quoiqu'un peu honteux de l'avouer – il énonce une vérité toute simple qu'il peine encore à réaliser lui-même.
« Kagami... je ne veux pas que tu le revoies. Ni lui, ni aucun autre d'ailleurs... »
Kagami le fixe encore un moment, essayant d'intégrer ce qu'il vient de lui dire. Bouleversé. Et sa dernière demande lui coupe le souffle. Il comprend peu à peu ce qui se passe dans sa tête, du moins en partie. Aussitôt les mots de Tatsuya lui reviennent à l'esprit. « Il ne sait pas où il en est. » Stupéfié, il ne peut s'empêcher de rire en réalisant qu'une fois de plus, son frère de cœur avait raison. Ces ambiguïtés dans le comportement d'Aomine à son égard, ce n'était pas simplement dû à sa façon d'être, plus protectrice et chaleureuse peut-être que la plupart des gens. Et cette relation si particulière qu'ils entretiennent était effectivement spéciale, et pas que pour lui, et peut-être depuis le début.
« Fuck... Tatsuya was right... » marmonne-t-il en baissant les yeux sur ses mains, son esprit affolé tournant à plein régime.
Il ne s'y attendait pas, il a tout fait pour, éliminant ses espoirs au fur et à mesure qu'ils surgissaient. Gardant le cap avec détermination, jusqu'à ce que la tristesse et le manque prennent le dessus. Et juste au moment où il se fait une raison et abandonne pour de bon, de nouveau tout lui crie qu'il fait fausse route. Il n'y était pas préparé et ne sait pas quoi faire de ces informations. C'est ce qu'il voulait, non ? Peut-être... Car ça lui paraît si soudain. Ça lui donne de nouveau un espoir, et c'est bien ça qui l'inquiète. C'est nouveau pour Aomine et les sentiments sont plus compliqués et ambigus que ne le pensent la plupart des gens. Alors maintenant qu'Aomine laisse une porte entrouverte, il ne sait plus s'il a envie de la pousser. Par crainte de se retrouver, non pas avec une mélancolie chronique cette fois, mais un cœur brisé.
Le cœur battant contre ses côtes, la gorge sèche, Aomine est en chute libre. Il se crispe en entendant le rire de Kagami, jurant qu'il se fout de sa gueule jusqu'à ce qu'il entende le nom de son ami d'enfance. Il fronce les sourcils et se renfrogne, perplexe. S'il ne savait pas vraiment à quel genre de réaction s'attendre, celle-ci lui fait l'effet d'un seau d'eau froide au réveil et n'était dans aucun de ses scénarios catastrophes. Il vient de se mettre à poil devant lui et Kagami détourne le regard, se moque, le privant de sa chaleur rassurante. Sans cet infime contact, il panique. L'envie de fuir le saisit et se fait grandissante tandis que son ami reste silencieux, égaré dans des pensées qu'il ne peut deviner. Une chape de plomb s'abat sur lui, avortant sa tentative pour se lever. Pour la première fois, le silence entre eux le met mal à l'aise, s'ajoutant à l'inconfortable sensation d'être nu et vulnérable. Aomine trouve seulement la force de se hisser jusqu'au bord du sofa, il agrippe sa nuque, l'approchant de ses genoux qu'il peut sentir trembler sous ses coudes. Il se recroqueville, ne supportant plus le vide assourdissant du silence qui le brise lentement mais sûrement.
« Je vois pas trop ce que Tatsuya à avoir là-dedans mais tant mieux si ça te fais marrer. »
Kagami se mordille la lèvre, jouant nerveusement avec ses doigts. Il n'aime pas voir Aomine aussi mal, souffrant visiblement, et cette fois c'est à cause de lui. Il cherche ses mots, essaie de mettre de l'ordre dans ses pensées, alors qu'il ne comprend même pas ce qu'il ressent.
« Look... I'm sorry... Je ne savais pas... C'était la dernière chose à laquelle je m'attendais... Je me suis blindé, Ao... Tu sais ce que c'est, non ? Quand t'es au boulot, tu mets tes émotions de côté quand il le faut pour avancer. Avec toi... J'ai fait pareil », termine-t-il dans un souffle, d'une voix un peu étranglée.
Aomine redresse le visage avec un demi sourire malgré le foutoir dans sa tête. Parce qu'il s'y était attendu lui peut-être ? La comparaison avec son travail l'aide cependant à comprendre sa réaction. Cloisonner le boulot et le privé, c'est une nécessité absolue pour rester concentré, et ne pas vriller une fois seul chez lui. Bien que ce ne soit pas toujours facile. Une part de lui ne peut s'empêcher de jubiler, prenant conscience qu'il avait eu raison pour les sentiments de Kagami à son égard, mais très vite la culpabilité lui fiche un coup de poing dans l'estomac. S'il est paumé en ce moment, la douleur dans la voix de son ami lui assure que ça n'a pas été simple pour lui non plus.
« Ouais je comprends », soupire-t-il. Puis triturant ses ongles, le regard rivé au sol il poursuit. « J'suis désolé moi aussi... Parce que je crois qu'au fond je le savais. Et au lieu de prendre mes distances j'ai fait tout l'inverse. C'était égoïste mais ... y a ce truc qui me pousse toujours vers toi. Regarde… même quand j'essaie de t'éviter, j'arrive à débarquer chez toi.
— Je t'ai pas évité non plus... J'ai cherché à te voir, à te revoir... » Kagami se passe une main lasse dans les cheveux, la fatigue de la mauvaise nuit lui retombant dessus maintenant que la tension se relâche un peu. « Depuis qu'on se connaît... J'ai pas cherché à fréquenter quelqu'un... Mais... je me sentais seul et je voulais juste... avancer. »
Cette confession percute Aomine avec la force d'un bulldozer. Il se laisse retomber dans le fond du divan, sonné, les mains sur le visage. Lui non plus, n'a cherché à voir personne depuis qu'il le connait. Même pas pour une nuit de passion sans lendemain... et son abstinence volontaire ne lui avait même pas mit la puce à l'oreille ? Lui pour qui séduire et "chasser" a toujours été un jeu et un exutoire efficace aux tensions qu'il accumule ? Incrédule face à l'ampleur de son aveuglement il laisse un ricanement blasé lui échapper et pense à voix haute :
« Merde... j'crois que tu me plais vraiment. J'ai pas envie que t'avance... » souffle-t-il plus pour lui-même, conscient qu'il n'a pas le droit de lui demander un truc pareil.
Son cœur se serre douloureusement aux paroles d'Aomine. C'est quelque chose qu'il n'espérait plus entendre... Est-ce vraiment possible ? Il reste sans bouger, le cœur cognant contre ses côtes, des émotions contradictoires se disputant dans sa poitrine. Il inspire un grand coup et souffle doucement par le nez, puis se lance finalement :
« Okay... Je crois qu'on a besoin d'éclaircir tout ça... Et ce qui est sûr... C'est que ce sera pas possible si on fréquente d'autres personnes... »
Il n'a pas demandé à Aomine, il ne veut pas le savoir, qui il a vu, combien de fois, quand... Il est bien content que le brun ne lui ait jamais parlé de ça.
« Alors... Je reverrai pas le gars que tu as aperçu l'autre jour », conclut-il à voix basse.
C'est un peu difficile à dire, à admettre, car il n'est sûr de rien et qu'après tout ça, il n'a pas envie de céder si facilement. Il reste encore prudent, sur la défensive. Mais il sait au fond de lui que ce serait stupide de rejeter Aomine par fierté et simplement pour se protéger. Il doit prendre au moins un petit risque.
Aomine revient braquer son regard dans celui de Kagami. Il ne déborde pas de son assurance coutumière, mais il lit une forme de détermination qui le rassure quelque part au fond de lui. Ce qu'il a ressenti l'autre soir... il se sent incapable de le vivre au quotidien, son imagination le torturant bien assez pour ne pas y ajouter une dose de concret. Et bien que le constat le terrifie, de par ce qu'il implique, il se doit d'admettre qu'il est soulagé de savoir que Kagami ne compte pas revoir ce mec. Au moins le temps qu'il fasse la lumière sur ce qui lui arrive, qu'il trie un peu le bordel qu'a laissé la tempête dans son crâne.
« Merci... » Murmure-t-il avec reconnaissance.
Il déglutit la boule de peur qui obstrue sa trachée et d'une voix plus assurée confesse une des rares choses dont il est encore sûr.
« Je ne sais pas vraiment ce que je veux Kagami, ni ce que je suis prêt à te donner. Bordel... je ne sais même plus qui je suis là tout de suite. » Il laisse échapper un rire creux, réalisant combien c'est vrai puis reprend. « Tout ce dont je suis sûr c'est que je peux pas renoncer à te voir. Même si tu me dis que tu préfères oublier tout ça, continuer comme avant, je m'en contenterai. »
Kagami hoche la tête, les mots d'Aomine confirmant ce qu'il pensait avoir compris de son état d'esprit. Mais la fin le fait sourire un peu douloureusement.
« Ça peut pas être comme avant, Ao... C'est pour ça qu'on en est là. Mais je comprends que tu ne saches pas non plus encore ce que tu veux ou ce que tu attends... Mais je te promets que je vais pas m'envoler, alors... on a le temps. »
Il lui sourit un peu plus franchement, se voulant rassurant. Car au fond de lui, il a la certitude qu'il ne veut pas le perdre. Mais les choses vont-elles changer maintenant ? Ce serait facile pour Aomine de fuir ses propres sentiments et se réinstaller dans la routine des meilleurs amis un peu tactiles et fusionnels. C'est ce qu'il craint le plus... Mais il veut lui laisser, leur laisser une chance.
Si son estomac se dénoue un peu, c'est uniquement pour faire une embardé inattendue. Kagami ne va pas l'abandonner. Kagami va l'aider. Il va traverser ça avec lui et c'est tout ce dont il a besoin de savoir là maintenant. La fatigue le submerge et fait briller ses yeux. Cette conversation à cœur ouvert, plus que sa courte nuit le laisse vidé et éreinté. Un frisson le parcours, le froid commence à l'envahir, anesthésiant ses pensées en pagaille et sa poitrine douloureuse. Le soulagement aussi commence à l'étreindre, contre coup de ne plus avoir à lutter contre ce qu'il éprouve, ce qui le rongeait, grignotant ses tripes à coup de morsures déchirantes et qui avait simplement besoin de sortir de lui pour exister.
À présent qu'il a baissé les armes, une envie réprimée depuis longtemps se fraye un chemin à l'orée de sa conscience. Ses efforts constants pour freiner ses pulsions tactiles de peur qu'elles soient mal interprétées, semblent insuffisants à contenir le besoin qu'il éprouve de toucher Kagami en cet instant. À la lumière de ce qu'il n'arrive plus à nier, Aomine se dit que se priver de cette proximité physique était sûrement un moyen inconscient de se protéger. De ne pas alimenter ce besoin presque viscéral qu'il a de sa présence. Comme si une infime part de lui avait su dès le départ que Kagami changerait tout et qu'elle avait eu peur, préférant demeurer aveugle et sourde à tout ce que son ami déclenchait en lui.
Épuisé de lutter contre lui-même, malgré ses craintes et la peur qui accélère le rythme de son cœur, il se rapproche de son ami et vient l'enlacer doucement pour sceller cette promesse. Kagami est là. Kagami ne le laissera pas.
« Ok...»
Plus que les mots d'Aomine, cette étreinte fait bondir son cœur qui palpite comme un oiseau paniqué dans sa cage thoracique. Lentement, il noue ses bras autour de lui à son tour et le serre contre lui. Il ferme les yeux et déglutit difficilement à cause du nœud dans sa gorge. Il perçoit sa chaleur, son parfum légèrement épicé, et même de légers tremblements parcourant son corps. Il commence à caresser son dos doucement, envahi du besoin viscéral de le protéger et le rassurer.
« It's okay... I'm here... I won't let you down. »
Il prend une inspiration un peu tremblante, une larme roulant sur sa joue, et il ajoute en chuchotant :
« Je tiens à toi... La vie est plus belle depuis que tu y es... J'ai découvert plein de choses... Ça a été intense... Ça m'a fait du bien. Je veux pas que ça s'arrête. »
La friction de la main chaude de Kagami dans son dos l'apaise, le rassurant sur son élan d'affection et son besoin de le lui témoigner, qu'il accepte sans ciller. Mais ce qu'il entend l'affole. Résonnant en lui comme un écho. Il n'arrive pas bien à déterminer si c'est de la panique, ou du bonheur pur qui lui donne soudainement aussi chaud mais il ne s'attarde pas sur la question. À la place, il resserre son étreinte sur le corps puissant de son ami, s'arrimant à cette unique vérité. Il tient à lui. Puis il cale sa tête sur son épaule, l'impression de solidité qui s'en dégage le réconforte, le soulèvement de son torse au rythme de sa respiration le berce imperceptiblement et son odeur devenue si familière le calme. Il ne tremble plus quand il parle, mais sa voix résonne de façon incertaine entre eux.
« Moi non plus je veux pas que ça s'arrête... J'ai jamais ressenti tout ça avant, et ça me fou un peu la trouille. »
Kagami hoche la tête, cherchant à calmer un peu les battements de son cœur alors qu'il continue à caresser le dos du brun.
« I know... Je suis pas très rassuré non plus... » Une pensée le traverse et un petit rire le secoue alors qu'il a envie de pleurer, toutes ses émotions se mélangent. « Si j'avais su que j'allais déclencher tout ça en appelant les flics... Mais je suis heureux de l'avoir fait. »
Aomine glousse à son tour en se redressant, sans se défaire de la prise de Kagami. Quand il repense à cette fameuse nuit, ça lui tire un sourire. Et dire qu'il avait cru à une fausse alerte de tapage nocturne, un simple canular.
« Et je suis heureux d'avoir été dans le secteur pour répondre en premier. Même si je suis complètement paumé aujourd'hui. »
Le brun rit à nouveau, adressant un sourire à son ami malgré le vertige qui l'assaille en réalisant le chemin parcouru depuis cette intervention.
« Ouais... Ça aurait pas fait le même effet avec l'un de tes collègues. »
Kagami le regarde avec une certaine tendresse, se remémorant divers moments qu'ils ont partagés. C'est vrai qu'elles ont été riches en émotions, ces quelques semaines... Et on dirait bien que la suite s'annonce sous les mêmes auspices. Mais maintenant qu'il tient Aomine dans ses bras, il se sent prêt. Après tout... Il a confiance en lui. Même si ça doit mal finir... Il ne sera pas seul.
« Tu sais, tout à l'heure j'ai dit que Tatsuya avait raison... Alors, je le reconnais, il est du genre observateur et perspicace, mais... Il y croyait plus que moi. Il savait que t'en pinçait au moins un tout petit peu pour moi. »
Kagami l'observe avec un sourire taquin, il ne veut pas le brusquer, mais il éprouve le besoin de dédramatiser un peu la situation.
Aomine cligne des yeux plusieurs fois, se demandant comment quelqu'un qui ne le connaissait pas il y a encore une semaine a pu le percer à jour alors que lui-même se voilait la face. Il éprouve un élan d'admiration pour cet exploit. Puis son regard glisse sur le torse de Kagami. Là où pend placidement son anneau dont il connait à présent le jumeau. Il fronce les sourcils, prit d'un doute. Se rappelant au passage le désagréable sentiment qu'il n'avait pas su nommer le jour où il a rencontré Himuro.
« J'avoue, il est balaise. Il l'a su avant moi... »
Kagami sourit devant l'expression d'Aomine.
« Yeah... Il me connaît par cœur, j'imagine qu'il est d'autant plus attentif à ceux qui me sont proches et à la façon dont j'interagis avec eux. En un sens il agit toujours comme un grand-frère et parfois ça m'exaspère... »
Le brun réalise qu'il était tendu en sentant ses muscles se relâcher. Cette possessivité fulgurante est l'élément déclencheur qui a levé le voile sur son attirance pour l'homme entre ses bras. Ça lui est encore très étrange de le penser mais les faits sont là. Kagami l'attire, d'une façon différente qu'aucun autre de ses amis. Et savoir quelqu'un si proche de lui, plus qu'il ne peut l'être, lui hérisse apparemment le poil.
« Ouais... je vois le genre. C'est ton Satsuki quoi, comprend-il, amusé. Et qu'est-ce qu'il a dit d'autre à mon sujet, si je peux me permettre ? demande-t-il soudain curieux de l'avis du "grand-frère" sur sa personne.
— Il t'aime bien. Il te trouve beau. En tout bien tout honneur évidemment ! ajoute Kagami en rigolant. Il trouve que tu es un bon joueur de basket. Il pense que t'es un mec bien. »
Aomine perd un peu contenance. Il n'en attendait pas tant. Il se racle la gorge, embarrassé puis marmonne :
« J'l'aime bien aussi. Et il est doué au basket. Moins que toi mais il a du style. » Concède-t-il dans un haussement d'épaule.
Ces propos mesurés font rire Kagami.
« Yeah... Je lui transmettrai ton admiration sans bornes. » Il se recule un peu pour examiner le brun. « Est-ce que ça va mieux ? L'aspirine a fait effet ? »
Aomine grimace pour toute réponse à la moquerie, ne trouvant pas meilleure répartie. Il hoche la tête. La migraine ne joue plus de la batterie dans son crâne mais il a toujours la tête lourde et bourdonnante du millier de questions sans réponse. Il retire ses bras de la taille de Kagami pour se masser la nuque.
« Ça va. Je me sens toujours dans le coltard mais ça m'élance plus. Cela dit, pas sûr que mes excès soient seuls responsables, admet-il avec un rictus à l'attention de son ami.
— Yeah... Probablement pas. Si tu as envie, reste un peu. On pourrait se regarder un film. J'ai rien de spécial prévu aujourd'hui. »
Il considère la proposition, et la simple perspective de rentrer dans un appartement vide sans rien qui l'attend à part peut-être de nouveaux maux de tête suffit à le convaincre. Même s'il ne sait absolument pas comment il est censé se comporter maintenant avec Kagami, il préfère de loin rester avec lui à s'abrutir devant un film.
« La suite des aventures d'Indiana Jones ?
— OK. »
Kagami sourit, un peu soulagé qu'Aomine choisisse de rester. Il a besoin de réfléchir, mais ça lui semble trop tôt pour voir le brun partir. Il a besoin de sentir se relâcher ce qui reste de tension, retrouver une part de leur complicité. Et aussi, être sûr qu'il va bien. Ça doit déjà être suffisamment compliqué pour lui, il ne peut plus aller travailler alors qu'il se passe plein de choses dans sa tête... Tout seul, le jeune flic risque de ruminer.
Il se lève et commence par leur resservir du café, puis il allume sa télé et lance la suite de la saga. Il se réinstalle auprès d'un brun et lui propose un coin de son plaid, qu'il soulève d'un air interrogateur.
Aomine sourit à la réponse silencieuse et s'installe en tailleur sous le plaid. Il se penche pour attraper son café fumant, le parfum corsé et la chaleur de la tasse l'enrobant dans un cocon bienfaiteur. La peur lui tiraille encore les entrailles, son trou noir oppresse toujours sa poitrine, mais c'est supportable. Ça le rend fébrile et à fleur de peau mais pour l'instant ça ne fait plus si mal. La surcharge émotionnelle laisse peu à peu place au vide et à l'apaisement lorsqu'il se concentre sur ce qu'il se passe à l'écran. Une diversion salutaire, bien qu'il ait pleinement conscience de la proximité de Kagami et de l'effet qu'elle a sur son rythme cardiaque.
Kagami observe Aomine du coin de l'œil. Il a l'impression de le voir différemment maintenant. À la fois plus lointain et plus proche, comme un mystère à déchiffrer. En tout cas, il est soulagé de voir ses traits se détendre peu à peu. Il sirote son café lentement, et au bout d'un moment, il cède à son impulsion et passe un bras autour des épaules d'Aomine. Il éprouve le besoin de le sentir proche physiquement, et toujours cet étrange instinct de protection qu'il sait réveiller comme personne.
Aomine observe la main de Kagami se glisser sur son épaule, figé de panique. Il se contraint au calme en inspirant profondément. Ce n'est pas la première fois qu'ils se retrouvent si proches. Seulement, avec ce qu'ils se sont dit, ça change la donne. La signification est tout autre et elle comprime son estomac. D'autant que d'ordinaire, il en est l'instigateur. C'est plus le fait que Kagami soit entreprenant que son geste qui le surprend. Plus de proximité physique ? Ok. Il peut gérer. À vrai dire, s'il veut être honnête avec sa conscience ce bras protecteur enroulé nonchalamment autour de sa nuque est loin d'être désagréable. Il sourit discrètement pour lui-même en replongeant dans sa tasse puis se rapproche de Kagami, acceptant l'invitation sans essayer de la décortiquer plus que nécessaire.
Kagami soupire imperceptiblement de soulagement, il a craint un instant qu'Aomine ne le rejette. Il se sent plus complet, plus lui-même maintenant qu'il le tient contre lui, et peut se reconcentrer sur le film. Il n'y a plus ce poids sur son estomac, et peu à peu la tension se dissipe dans son dos, et il éprouve un certain bien-être, posé au chaud devant un film qui lui rappelle son enfance, avec Aomine qui ne le fuit pas et semble même plutôt détendu lui aussi.
Dans la chaleur des bras de Kagami, sous le plaid douillet et surtout la turbine de son esprit enfin en pause, Aomine s'endort sans s'en rendre compte malgré la caféine. Cependant, il ne sombre pas profondément. Il est toujours partiellement conscient de la musique du film qu'il entend au loin et du corps contre lequel il s'est échoué. Il se sent bien. Nimbé dans une bulle protectrice du monde extérieur, et de ses questions intérieures mise en veilleuse par son état léthargique. Peu à peu, la torpeur le gagne tout à fait et lorsque son portable vibre dans sa poche, il est trop loin pour s'en soucier.
