Hello =)

Nous revoici avec la suite de Heartshot ! Au dernier chapitre, on laissait Aomine et Kagami sur des révélations troublantes. On est contentes qu'il vous ait plu en tout cas.

Bonne lecture !


Lorsque le téléphone d'Aomine se met à vibrer, le brun, profondément endormi, ne semble pas le moins du monde le remarquer. Kagami n'ose pas aller le récupérer, et puis de toute façon, il n'irait pas répondre au téléphone à sa place. Alors il laisse tomber et attend que la vibration s'arrête.

Dans son sommeil, Aomine tâte sa poche et éteint son téléphone qu'il jette à l'autre bout du canapé. Il ne sait pas qui insiste de la sorte, mais il n'a pas envie d'être dérangé ou même d'y penser alors que pour la première fois depuis des jours il profite d'un vrai repos. Ce n'est pas comme s'il était appelé pour une urgence au boulot de toute façon... Il gigote un peu pour se recaler contre Kagami et se laisse couler dans les limbes une nouvelle fois sans aucune difficulté, tant il est exténué.

Kagami rit un peu en voyant le geste du brun, clairement il n'a aucune envie d'être tiré du sommeil maintenant. Il jette un coup d'œil au téléphone, calme pour le moment, mais il se dit qu'il regardera qui appelle si ça se reproduit. On ne sait jamais... Ça pourrait être une urgence. L'endormi grogne de frustration lorsqu'il sent son oreiller se contorsionner sous lui, mais Morphée l'étreint trop étroitement pour que ça ne suffise à le faire émerger.

Quelques instants plus tard, le tigre sursaute quand ce n'est pas le téléphone d'Aomine, mais le sien, qui se met à vibrer. Il se dépêche de l'extraire de sa poche et a la surprise de voir le nom de Momoi s'afficher. Sans plus attendre, il décroche et répond d'un ton bas :

« Allô ? »

Satsuki s'en veut de déranger Kagami mais elle ne sait plus quoi faire. Il est son dernier espoir d'avoir des réponses avant de devenir folle. Alors quand elle entend sa voix, elle laisse s'exprimer la panique.

« Kagami ? Désolée de te déranger, je sais que tu es en off ces jours-ci mais je suis morte d'inquiétude ! Est-ce que tu as des nouvelles de Daï-chan ? Tu sais où il est ? Il ne me répond pas, je le trouve nulle part et… J'étais tellement occupée ces jours-ci, je ne l'ai pas vu je savais pas… »

La jeune femme, toujours dans l'appartement vide de son ami plaque une main sur sa bouche pour étouffer un sanglot.

Kagami se redresse, alerté par la peur qu'il sent dans la voix de la jeune femme, et s'empresse de la rassurer :

« Il est avec moi... On est chez moi. Il va bien. Il s'est endormi, c'est pour ça qu'il a pas répondu à ton appel. Il est là depuis hier soir... Désolé que tu te sois inquiétée... »

Cette fois, elle laisse le hoquet l'emporter et les larmes de soulagement couler. Il va bien. Elle se répète les mots de Kagami tandis qu'elle s'astreint à se calmer. Il lui faut quelques seconde pour relâcher la pression et être de nouveau en mesure de parler.

« C'est pas la première fois qu'il disparaît sans rien dire mais là... je suis passée au poste pensant l'y trouver et on m'a dit qu'il avait été mis à pied. Il ne m'a rien dit... Son boulot compte tellement, j'ai paniqué. »

Kagami déglutit, le cœur battant. Il ne pensait pas qu'Aomine s'était renfermé sur lui-même au point de ne rien dire même à sa meilleure amie... Cela dit, il n'est pas entièrement surpris.

« Je l'ai appris hier soir aussi... Il était pas bien, mais je crois que ça va un peu mieux ce matin. Je... je peux le réveiller si tu veux... »

Si Satsuki n'était pas autant soulagée de le savoir en sécurité, elle s'offusquerait presque que son meilleur ami soit aller trouver quelqu'un d'autre qu'elle dans ce moment difficile. Mais tout ce qui compte, c'est qu'il ne soit pas seul et qu'il se soit tourné vers quelqu'un pour un peu d'aide, ce qui a le don de la rassurer un peu plus. Daïki a toujours tendance à fuir et ignorer les problèmes, jusqu'à éviter les mains tendues.

« Non. Non merci ça va, laisse-le dormir. Je suis contente qu'il se soit tourné vers toi plutôt que de faire une bêtise. Tu… il t'a raconté ce qui s'était passé ? On m'a dit qu'il avait agressé un collègue, j'ai dû mal à y croire... »

Kagami se frotte l'arrière du crâne, embarrassé. Il y a des choses qu'il ne peut pas lui dire, car c'est à Aomine de le faire...

« Yeah, on a parlé un peu, répond-il prudemment. J'ai pas tous les détails, mais... Je suis sûr qu'il t'en parlera de lui-même. Je lui dirai de t'appeler dès qu'il sera réveillé, ok ? »

La jeune femme acquiesce, la boule au ventre et frustrée de ne pas en savoir davantage.

« D'accord. Merci Kagamin... Dis-lui que je suis toujours chez lui, je comptais dormir là ce soir de toute façon. »

— Ok, je lui dirai. Désolé encore, si j'avais su, je lui aurais dit de t'envoyer au moins un message...

— Te blâme pas. J'aurais dû passer le voir plus tôt, mais j'avais trop la tête dans le guidon... Je t'embête pas plus, merci d'avoir pris soin de lui. Qu'il se presse pas pour rentrer, je l'attends. Bye Kagamin. »

Kagami la salue à son tour, puis raccroche, un peu troublé. Il jette un coup d'œil à Aomine, qui semble toujours profondément endormi. Il se raisonne et se dit qu'il ne peut rien faire de plus pour l'instant... Le brun a vraiment besoin de cette dose de sommeil supplémentaire. Alors il se recale plus confortablement dans le canapé et retourne son attention sur le film.

Lorsqu'il émerge du sommeil, groggy, Aomine sent une main sur son épaule. Il se souvient s'être endormi avec ce contact et se réveiller avec étire le coin de sa lèvre. Seule différence, il repose non plus sur l'épaule de son ami mais sur sa cuisse, et à moins qu'Indiana Jones ait trouvé une machine à voyager dans le temps – ce dont il n'a pas souvenir – le film a changé. Dans un bâillement il s'étire mais n'ose pas se redresser.

Kagami sent Aomine bouger contre lui et musèle l'envie de passer sa main dans ses cheveux, il est probablement encore trop tôt pour ce genre de geste, même si c'est difficile de s'en abstenir quand le brun repose ainsi contre lui.

« Hey sleepy head... » murmure-t-il avec un sourire.

Aomine tourne le visage pour croiser le regard de Kagami et répond à son sourire.

« Hey... J'ai pas ronflé j'espère ? » s'inquiète Aomine en se frottant les yeux pour en chasser le sommeil.

Kagami laisse échapper un petit rire.

« Nan... T'as été très calme. Sage comme une image !

— Ça va alors … »

Puis cette fois il se redresse, mais vient se coller à Kagami, peu enclin à s'éloigner de sa chaleur rassurante. Il fixe l'écran, essayant de déterminer s'il a déjà vu le film qui s'y joue et demande :

« Qu'est-ce que j'ai loupé ?

— Quelques cascades, explosions et serpents, une énième victoire d'Indy... Là on est passés au troisième film de la saga ! » Il hésite un peu puis reprend : « Hm... Faudrait que t'appelles Momoi. Elle a essayé de te joindre, elle était inquiète alors elle m'a appelé. »

Aomine sursaute à l'évocation de Satsuki. Bordel... Un sentiment de culpabilité lui glace la poitrine et la bulle éclate. Penser à Satsuki, aux réponses qu'elle va exiger, lui rappelle qu'il y a un monde en dehors de ces murs. Un monde où il a des sentiments troublants pour un homme. Un monde différent de celui qu'il a toujours connu, qui lui semble pour l'heure des plus hostiles. Une sourde angoisse revient le hanter. Évidemment le répit ne pouvait pas durer indéfiniment, la vie va devoir reprendre son cours et cette parenthèse de sérénité, bien que toute relative, va devoir se refermer. Le regard dans le vague, il triture le plaid entre ses doigts.

« Elle va m'étriper... C'était sympa de t'avoir connu. J'espère que tu viendras à mes funérailles », tente-t-il de plaisanter pour masquer son trouble.

Kagami sourit et lui donne une légère tape sur le crâne.

« Tu lui as fait peur, c'est tout. Rassure-la et excuse-toi, et tout ira bien. Et puis, c'est ma faute aussi... Alors tu peux faire peser un peu de responsabilité sur moi. Je suis prêt à affronter les effroyables conséquences. »

Aomine sourit, appréciant le soutien. Mais ce n'est pas vraiment d'affronter la furie de sa meilleure amie qu'il appréhende.

« Si y avait que ça... Je… je lui ai jamais menti Kagami. Et quand elle va me demander pourquoi j'ai pété les plombs... Je sais pas quoi lui dire », déclare-t-il dans un soupir défait.

Kagami réfléchit quelques instants, puis baisse les yeux sur Aomine, pressant légèrement son épaule entre ses doigts.

« Alors dis-lui que tu sais pas. Que t'es perdu, que tu sais plus trop où tu en es. Et puis... Peut-être qu'elle sera de bon conseil. Mais pour ça il faut que tu lui dises ce qui te perturbe. T'as pas besoin d'avoir des réponses toutes prêtes. Explique-lui juste ce qui s'est passé. »

Aomine hoche la tête. Ça, ce ne serait pas mentir. Il connait Satsuki, il sait combien il compte pour elle, pourtant il ne peut s'empêcher de se demander ce qu'elle en pensera. Si ça ne va pas changer quelque chose entre eux quand elle saura.

« Ouais... et puis c'est pas comme si s'était le genre de fille à vouloir tout savoir et qui analyse tout, tout le temps, conclu-t-il avec un sourire crispé.

— Justement, ça peut aider. C'est ta meilleure amie... Alors t'as pas à t'en faire. Elle te laissera pas tomber et elle saura te comprendre. Tu la connais depuis toujours, non ? Alors donne-lui un peu de crédit.

— Je sais que t'as raison... C'est juste... À part avec toi, je suis pas le genre à me confier d'habitude.

— Je comprends... Je suis pas vraiment comme ça non plus... Mais parfois, c'est nécessaire. Elle a besoin que tu lui parles... Et je pense qu'au fond, t'en as besoin aussi.

— Sûrement... » admet-il en énumérant mentalement tous les sujets qui lui viennent à l'esprit et qu'il rumine seul dans son coin.

Satsuki lui a toujours assuré qu'il pouvait tout lui dire. Ce n'est pas un manque de confiance où qu'il n'en a pas envie. Parler de ce qu'il a dans la tête et sur le cœur, c'est simplement un exercice dont il n'est pas familier. Parler, ça rend aussi tout plus réel. Il n'est pas doué avec les mots et quand il est sur la défensive, souvent ils passent de travers. Seulement, il se connait assez bien pour savoir que garder autant de trucs pour lui n'est pas bon. Il s'est déjà fait aspirer une fois par cette spirale infernale d'auto-destruction, lorsqu'il avait réussi à se convaincre que personne au monde ne pourrait le comprendre et qu'il était seul. Il frémit à se souvenir, luttant contre son premier réflex qui serait de fuir sa meilleure amie. De se renfermer en l'ignorant comme ces derniers jours. Mais il connait cette pente raide, et où elle le mènera. Il pousse un long soupir de résignation, se préparant psychologiquement à affronter ce qui le pèse.

Kagami le contemple, il peut presque voir les rouages tourner dans sa tête, et il ne peut s'empêcher de sourire en voyant ses sourcils froncés dans la concentration, une expression qu'il trouve craquante.

« Écoute... Commence par l'appeler pour la rassurer. Ensuite... Tu t'arranges avec elle pour passer un peu de temps ensemble... Et le reste viendra tout seul. Ok ? »

Pensif, Aomine acquiesce. Il farfouille sous le plaid à la recherche de son téléphone, et quand il le rallume il écarquille un peu les yeux. Le nombre de notifications renforce sa culpabilité. Apparemment Satsuki a appelé tout le monde dans sa quête pour le retrouver, et évidemment, tout le monde s'est inquiété. Il sourit en lisant les messages échangés sur leur groupe. Ils ont beau être en silence radio pendant des lustres, manquez à l'appel et ils sont tous au garde à vous. Il envoie un message, bien que Satsuki les ait déjà rassuré, assurant qu'il est vivant et essuie juste une sale gueule de bois. Préférant éviter ce qui touche au boulot pour le moment, il ne répond ni à Masato, ni à Tadashi que la visite de sa meilleure amie a alarmé. Avant de composer le numéro de cette dernière il ricane.

« J'y crois pas, un peu de plus et elle aurait convaincu Akashi d'engager des recherches pour ma disparition. » Il secoue la tête en s'éloignant pour appeler, certain de ne même pas exagérer.

Kagami le suit des yeux, soulagé qu'il se décide à appeler sa meilleure amie. De son côté, il envoie un SMS à Tatsuya... pas pour le faire jubiler en lui disant qu'il avait raison, certainement pas. De plus, il préfère rester discret sur les événements vu qu'Aomine ne sait pas vraiment comment se positionner. Lui-même n'a pas non plus envie de trop parler d'une relation sur laquelle il n'a aucune certitude... Il est lui aussi dérouté et désorienté. Cependant, il ne veut pas non plus lui cacher des choses... Alors il lui explique qu'il a changé d'avis à propos d'Aomine... et qu'il va voir comment évoluent les choses. Puis, il envoie un message à Hajime qui justement en attendait un... Kagami a promis de lui dire quand il serait dispo pour un autre rendez-vous. Même s'il n'y a rien de sérieux entre eux, il se sent tout de même coupable pour lui avoir fait miroiter un faux espoir. Il s'excuse et lui explique qu'il ne donnera pas suite... Puis il envoie le message et range son téléphone dans sa poche. Il croise les bras sur sa poitrine et regarde l'écran figé sur pause, pensif.

Satsuki décroche à la première sonnerie et plus que la colère à laquelle il s'attendait, c'est une voix étranglée de sanglots qui l'accueille.

« Daï-chan ! Tu vas bien ? Mon dieu j'ai eu si peur... »

Aomine se masse la nuque, penaud. La peine qu'il a causé à la rose lui revient comme un boomerang. Il déglutit avant de répondre sans réfléchir.

« Pas vraiment... Mais j'ai pas très envie d'en parler au téléphone.

— Oh... oui bien sûr, d'accord.

— J'appelle juste pour te rassurer. Un peu plus et je me réveillais avec un avis de recherche collé au cul, dit-il pour la taquiner.

— C'est ça rigole ! Si un jour tu m'obliges à en arriver là, je te zigouille et personne retrouvera jamais ton corps. Compris ?! »

Il rit sous la menace, imaginant parfaitement la moue renfrognée qu'elle doit arborer.

« Ok ok, j'y penserai. Désolé Satsu... T'es où là ?

— Toujours chez toi.

— Tu restes dormir ? On commande de la malbouffe et je te raconte ?

— Bien-sûr si tu veux oui. Tu seras là bientôt ?

— Je sais pas trop. Je t'écris en partant ok ?

— Ça me va, à tout à l'heure Daï-chan.»

Il la salue et raccroche, content d'avoir ramené la voix enjouée de Satsuki. Quand il revient au salon, il trouve un Kagami perdu dans ses pensées. Il reprend sa place à ses côtés et demande presque timidement :

« Ça va ? »

Kagami tourne la tête vers lui et lui sourit.

« Yeah... J'ai "rompu" avec mon rendez-vous de l'autre soir. Et toi ? Ça a été ? Tu t'es fait engueuler ? »

Il jubile intérieurement, heureux que Kagami ait tenu parole aussi vite. Voilà une question de moins qu'il aura à se poser pour l'instant.

« Même pas. Je lui ai vraiment fait peur...

— Okay... Quand est-ce que tu la vois ?

— Elle m'attend à l'appart. Mais je lui ai pas donné d'heure.

— D'accord. Dans ce cas, on a qu'à regarder la fin du film, et tu décolles après ?

— Ouais, ça me semble une bonne idée. »

Aomine sourit, content d'avoir encore un peu de temps pour se préparer à ce qui l'attend. Il serait bien resté dans sa bulle avec Kagami, mais il se dit aussi que ce n'est pas plus mal de prendre un peu de recul. Surtout qu'il n'est pas seul à en avoir besoin.

Kagami relance le film et reprend sa position initiale, un bras autour des épaules d'Aomine. Ça n'a pas eu l'air de le gêner, d'ailleurs le brun s'est carrément endormi sur lui, et lui, ça le rassure de maintenir le contact physique. Comme pour s'assurer que tout ce qui s'est passé ce matin était bien réel, et ne va pas s'évaporer dès qu'Aomine franchira la porte de son appartement.

Aomine se replonge dans l'action, savourant le contact de Kagami. L'esprit déjà bien trop saturé, il n'essaie pas d'en rajouter en se demandant inutilement s'il a le droit d'apprécier ce contact, ce que ça lui fait ou comment il devrait réagir. Il balaie tout ça en se focalisant sur le poids rassurant qui l'ancre au moment présent, où rien d'autre n'a d'importance que le film, et la compagnie de Kagami.

La deuxième partie du film passe vite, trop vite. Quand le générique défile, Kagami sait que la parenthèse se termine et ce sera le retour de l'incertitude... Il n'a probablement jamais éprouvé dans sa vie le sentiment de perdre autant le contrôle, mais il s'efforce de ne pas paniquer. Objectivement, il a été dans des situations pires que celle-ci. Mais c'est certain qu'il va devoir trouver de quoi s'occuper pour battre l'anxiété en brèche.

Il se redresse et s'étire, il a des fourmis dans les jambes, il va sans doute aller à la salle de sport... Besoin de se défouler. Il regarde Aomine et sourit :

« Bon... Plus qu'une demi-douzaine à voir pour terminer la saga, c'est ça ? »

Aomine s'efforce de ne pas paniquer. Une part de lui aimerait bien les regarder maintenant, pour ne pas avoir à sortir d'ici mais il se raisonne. Il va seulement rentrer chez lui, et passer du temps avec Satsuki. Pas de quoi craindre le programme. Il se lève à son tour.

« Ouais je crois que c'est ça. »

Kagami accompagne le brun dans l'entrée, et vérifie qu'il n'a rien oublié... Quoiqu'il soit venu pratiquement sans rien. Il ne sait pas trop comment agir maintenant, et cette séparation, paradoxalement, est plus difficile que les précédentes. Au fond de lui, il est terrorisé à l'idée qu'Aomine change d'avis et qu'il ne le revoie plus jamais. Mais il chasse ces idées. Le brun a été honnête avec lui et n'a pas fui. Il ne va pas le faire maintenant. Parce que c'est un type bien. Alors il s'arme de courage et lui sourit malgré le nœud dans sa gorge.

« Bon courage avec Momoi... Mais je suis sûr que ça va bien se passer. Et... donne-moi des nouvelles, ok ? Juste pour me dire si t'as pu arranger les choses. »

Aomine lui sourit en retour. Puisant le courage qu'il lui faut pour ouvrir la porte dans ses paroles bienveillantes.

« Merci. Ouais j'te dirai... »

Alors qu'il s'apprête à franchir le seuil, il se retourne et enlace Kagami d'un bras. Il le sert brièvement contre lui puis laisse glisser sa main jusqu'à son épaule en le relâchant, rechignant à briser le contact.

« À bientôt ? »

Kagami hoche la tête et sourit encore, son cœur battant trop fort, trop vite, il a l'impression qu'Aomine pourrait l'entendre.

« Yeah, of course. Prends soin de toi, Ao. Et passe le bonjour à Momoi de ma part. »

Puis, Aomine s'en va, et il referme la porte, le cœur en vrac, la tête pleine de questions confuses. Il se sent perturbé, pas vraiment lui-même. Il ne range même pas les tasses utilisées pour le café... Il se rend directement à son placard et prépare ses affaires de sport. Dans l'immédiat, il ne peut penser à rien d'autre qu'à se défouler et tenter d'évacuer un peu du stress qui l'envahit.

Comme Aomine l'avait prévu, le bourdonnement revient alourdir son crâne d'un million de pensées si rapides qu'il n'a même pas le temps de s'arrêter sur une seule en particulier. C'est une cacophonie sans nom qui l'embrouille et le perturbe au point qu'il ne voit rien de ce qui l'entoure pendant le trajet jusqu'à chez lui. Raison pour laquelle il est surpris lorsqu'il arrive devant son immeuble, le dépassant presque. Il inspire profondément avant de déverrouiller la grande porte, puis le cœur battant à ses tempes, il s'élance dans la cage d'escalier.

Devant sa porte d'entrée, Aomine insère les clés dans la serrure d'une main incertaine. Quand il referme le battant, il trouve son appartement calme et silencieux. Et bien qu'il redoute sa conversation avec Satsuki, il angoisse encore plus de se retrouver seul dans son chez lui trop grand, après l'intimité partagée dans le studio de Kagami. En se déchaussant, il entend finalement du bruit provenir de sa cuisine. Il y trouve sa meilleure amie affairée à faire du thé. Elle sursaute lorsqu'elle le voit approcher, visiblement perdue dans ses pensées elle ne l'a pas entendu rentrer. Il lui adresse un sourire confus et lui rend son étreinte lorsqu'elle se plaque contre son torse. Elle le serre avec une force qu'on ne soupçonnerait pas. Il la laisse faire sans rien dire, lui caresse les cheveux jusqu'à la sentir enfin se détendre, expirant toute son angoisse dans un long soupir.

Tandis qu'elle emporte les tasses au salon, il sort un paquet de biscuit de ses placards. Il n'a pas vraiment faim après son copieux petit déjeuner, de plus son estomac noué n'acceptera sûrement pas autre chose que la boisson chaude mais il l'emporte au cas où. Satsuki est déjà installée, prête à l'écouter. Peut-être qu'il cherche à retarder encore un peu le moment mais une idée lui vient. Une envie surtout. Daïki lui tend la main et l'invite à se relever. Il se saisit des tasses fumantes après lui avoir fourré un plaid entre les bras.

« Viens, suis moi.

— On va où ?

— Tu verras. »

Elle l'aide à refermer son appartement puis il la guide à travers le couloir de la résidence, jusqu'à la cage d'escalier. Au dernier palier il déplie la petite échelle fixée au mur, monte les barreaux et se hisse à travers le velux inondant l'espace bétonné de lumière. Satsuki lui fait passer leurs boissons et la couverture avant de le rejoindre sur le toit. À quelques pas, il lui indique un recoin à l'abri du vent d'où ils ont une vue imprenable sur la ville. D'ici ils peuvent l'entendre vivre en contre-bas, mais ce qui prédomine est la sensation de liberté qu'il éprouve à se retrouver plus proche du ciel, au-dessus du monde. C'est en hauteur qu'il a toujours trouvé refuge, comme si la distance physique avec le sol et son effervescence l'aidait à prendre du recul sur sa propre vie. Avec l'horizon dégagé, il finit souvent par y voir plus clair. Il espère qu'une fois encore, cette perspective dissipera le brouillard paralysant son esprit.

« Sur le toit hein… ? C'est du sérieux alors », constate la rose en s'installant à ses côtés.

Il lui tend sa tasse avec un demi sourire, sans pouvoir la contredire. Il prend le temps de boire un peu, humant les arômes du thé fleuri. Satsuki l'imite, sans chercher à le faire parler. Plus calme à présent, il se calle contre le mur leur servant de paravent et inspire profondément. Suivant les conseils de son ami, il commence par le début, espérant que le reste des mots suivra.

« Je suis désolé de t'avoir inquiété. Je n'avais pas prévu de disparaître. J'aurais préféré que tu apprennes ma mise à pied autrement mais j'avais honte d'en parler… »

Sans l'interrompre, Satsuki l'écoute raconter les faits qui l'ont mené à la suspension. La rencontre fortuite de Kagami et sa conquête, les mots de son collègue, sa colère fulgurante. Elle le regarde tantôt avec des yeux écarquillés, puis les sourcils froncés. Il peut lire dans son regard les questions qu'elle brûle de lui poser, et les rouages de son esprit tourner à la recherche de réponse.

« Donc voilà, je ne suis pas fier de moi sur ce coup-là et j'ai eu un peu de mal à le digérer. Alors hier je me suis soulé pour noyer le problème et j'ai tellement bien réussi qu'au lieu de rentrer chez moi, j'ai atterri chez Kagami. »

Aomine sait qu'il n'a pas tout dit. Qu'il a omis le plus important de l'histoire. Mais il connait assez bien Satsu pour savoir qu'il n'y échappera pas. Il se dit juste que se sera plus simple s'il répond à ses questions, que de devoir faire lui-même le tri dans tout ce qu'il a dans le crâne. Après un moment de silence, il sent la main de sa meilleure amie presser son genou avec compassion.

« Ok Daï-chan. Je comprends que t'aies pas voulu en parler tout de suite, d'autant que d'après ce que tu dis, la punition est mérité et même plutôt clémente… » commence-t-elle avec une œillade réprobatrice. « Mais ce que je comprends pas, c'est pourquoi ça t'a mis autant en colère. J'veux dire, ok ton collègue à l'air d'un con, mais pourquoi tu l'as pas juste ignoré et fait un rapport sur son comportement ?»

Aomine ricane face à la perspicacité de Satsuki. Il baisse la tête, la nervosité tordant ses tripes.

« J'ai mis un moment à percuter moi aussi. Et je commence tout juste à en comprendre la portée. » Un soupir tremblant lui échappe avant d'admettre : « Ça me brûle la langue de le dire mais Iwao avait raison. Si j'étais en colère c'est parce que je me suis senti directement concerné. J'ai pas pu ignorer ses propos parce qu'ils m'ont blessé.

Je suis pas sûre de comprendre Daï-chan… Je sais que tu peux être très empathique et très protecteur mais de là à perdre le contrôle…

Ouais… il n'y a que la vérité qui fâche comme on dit. Mais t'as raison, c'est pas lui qui m'a fait vriller. C'est la jalousie…

La jalousie ?» répète Satsuki perplexe.

Il hoche la tête et lui adresse un regard timide lui laissant le temps d'intégrer sa confession. Elle reporte son attention sur l'horizon, lui donnant l'opportunité d'admirer son profil délicat et sa mine concentrée. Peu à peu il lui semble lire sur ses traits l'étonnement au fur et à mesure qu'elle comprend.

Il est évident que Daïki ne sait pas comment lui dire le fond de sa pensée. Il n'a jamais été du genre bavard, préférant garder ses ressentis pour lui. Pourtant, il lui semble que cette fois ce n'est pas l'envie qui lui manque mais plutôt les certitudes. Les mots tout simplement. Elle sent son regard veiller sur sa réflexion, dans l'attente d'une réaction. Elle le sent fébrile, comme s'il retenait son souffle tandis qu'elle décide du verdict. Un accusé en probation. Voir son ami de toujours dans un tel état de nervosité l'alarme plus que sa crise de colère. La dernière fois qu'elle l'a senti si vulnérable… Son cœur se sert au souvenir de son Daï-chan démoli par le chagrin. Or cette fois, il lui parle de sentiment différents de celui du deuil.
La jalousie. Elle est surprise d'apprendre que Kagami est gay et se demande si Ao s'en doutait avant cette soirée. La jeune femme se remémore les mots de Daïki, son récit. Puis d'autres souvenirs lui reviennent, faisant petit à petit la lumière sur la pièce manquante du puzzle. Daïki lui parlant d'un nouvel adversaire avec enthousiasme. Daïki avec un sourire aux lèvres en répondant à un message. Daïki partant surfer avec un quasi inconnu. Daïki retrouvant l'envie permanente de jouer. Daïki lui présentant Kagami… Kagami n'ayant que le nom de leur ami commun en bouche. Daïki et Kagami s'affrontant comme si rien d'autre n'existait. Daïki allant chercher refuge inconsciemment chez Kagami. Daïki jaloux, d'avoir surpris Kagami avec un autre homme.
Son cœur bat fort dans sa poitrine. Maintenant, les agissements de son frère de cœur lui paraissent plus cohérents. Le sujet est des plus sérieux, Aomine est complètement perdu et il a besoin d'elle. Alors elle boit de son thé qui refroidit vite à l'extérieur, prend le temps d'y tremper un biscuit puis sourit aux nuages paresseux qui les surplombent, cherchant les mots pour le rassurer.

« Tu as toujours eu bon goût Daïki… En plus d'être adorable, Kagami est vraiment canon. »

Aomine cligne des yeux, stupéfait par la réaction de Satsuki. Elle ne bronche pas, ne cille pas, boit tranquillement comme s'il venait de lui annoncer la météo du lendemain et non qu'il ressentait des trucs ambigus pour un homme. Elle daigne enfin le regarder avec un sourire secret alors qu'il reste silencieux, bouche bée. Il réalise qu'il respirait à peine lorsque ses poumons se gorgent de l'air frais qui s'y infiltre de nouveau pleinement. Incrédule, il secoue la tête dans un rire de soulagement, puis la laisse reposer sur l'épaule de Satsuki le temps de calmer son arythmie cardiaque et son fou rire. Elle lui caresse doucement les cheveux en riant avec lui.

« T'avais si peur que ça de me le dire ?
— M'en veux pas. Je sais déjà pas comment prendre cette révélation alors anticiper ta réaction…
— Hum tu as l'impression que ça arrive de nulle part, et je vais pas mentir tu me prends un peu de cours là. Mais si j'y réfléchis bien, ça ne me surprend pas plus que ça. »

Daïki redresse la tête, intrigué. Satsuki se moque de son air ahuri et glisse ses doigts fins entre les siens pour l'apaiser. Instinctivement, il les serre dans sa paume.

« T'as toujours plu Daïki. Aux filles comme aux mecs et tu le sais. C'est naturel pour toi, draguer et flirter a toujours été un jeu plus ou moins innocent. Mais peut être que ça ne l'était pas temps que ça. Tu ne t'es jamais posé la question parce que c'était facile, tu pouvais avoir toutes les filles que tu voulais, et puis c'était "la norme". Mais non, je ne suis pas vraiment choquée d'apprendre que Kagami te plait. Je me sens même plutôt idiote de ne pas l'avoir compris avant. »

Sans lâcher sa main, Aomine considère les paroles de sa meilleure amie qui lui sourit avec tendresse. Il protesterait bien, pourtant il voit clairement à quels genres de comportements elle fait allusion. Satsuki le côtoie depuis si longtemps et de si près qu'elle sait tout de ses manèges dont il n'a même plus conscience. Les phrases à double sens, les clins d'œil complices, son contact facile, les sourires charmeurs et les regards aguicheurs. Jamais trop, mais suffisants pour laisser planer le doute. Elle a aussi raison quand elle affirme qu'il ne s'est jamais demandé quelle était son orientation sexuelle. Vaste question qu'il a préféré éluder. Son premier amour de toute façon était platonique et retenait toute son attention à la période où ses camarades commençaient à se chercher au travers de partenaires. Lui s'est intéressé au reste uniquement quand le basket l'a laissé tomber. Et avec les filles ça semblait plus évident, plus naturel. Souvent très entreprenantes, il s'est laissé porter dans le batifolage sans saisir l'opportunité de découvrir s'il ne désirait qu'elles. Pourtant s'il est honnête avec lui-même, il a toujours eu conscience des regards masculins, quoique plus discrets et en était tout aussi flatté. Aucunement révulsé. Lui-même s'est rarement privé d'admirer un corps bien fait, homme ou femme, sans pour autant se demander ce que ça dévoilait de lui. D'ailleurs, celui de Kagami ne l'avait pas laissé indifférent l'autre jour à la plage. Il se surprend même à redessiner mentalement les courbes de son dos musclé à cette pensée.

« Dit comme ça, je suppose que ça parait évident. Pourtant je l'ai vraiment pris comme un choc. Je sais pas… c'est comme si je ne me connaissait pas vraiment, que je me voilais la face et je me demande sur quoi d'autre j'ai pu me tromper. C'est flippant de découvrir que je ne peux même pas me faire confiance… C'est si énorme Satsuki, comment j'ai pu passer à côté ?

Je comprends que ce soit déroutant. Que tu sois perdu. Et même si je ne trouve pas ça étonnant, ça ne veut pas forcément dire que c'était l'évidence même avant aujourd'hui. Ton attirance pour les hommes était peut-être tapie au fond de toi depuis toujours, ou alors c'est vrai uniquement pour un seul. Ça, ce sera à toi de le déterminer, si tu en a envie, et quand tu seras prêt. Ne te pose pas trop de questions Daï-chan. Accepter ce que tu ressens est déjà assez complexe, d'autant plus ici… » dit-elle en désignant la ville d'un geste las.

Aomine se rapproche de Satsuki. Il pose sa tête lourde et douloureuse sur son épaule, elle en profite pour emprisonner son bras qu'elle gratifie de douces caresses. Il n'est toujours pas serein, ni plus près d'accepter ce qui lui arrive mais véritablement délester de pouvoir en parler sans crainte d'être rejeté. Surtout réconforté par la présence de son roc, plus solide que jamais pour le soutenir dans ce moment de doute. Alors qu'il voyait son monde imploser, Satsuki est là près de lui, l'accepte envers et contre tout, même quand il n'y parvient pas. Pour la première fois depuis qu'il a pris conscience de ses sentiments, il trouve dans leur étreinte la force de se dire que ce n'est peut-être pas si grave, ni insurmontable.

« Daïki… dans le fond, est-ce que c'est si important de savoir le pourquoi du comment c'est arrivé ? Kagami t'attire, assez pour que tu te poses la question sur ta sexualité maintenant. Et je suis fière de toi. Tu fais face, tu ne fermes pas les yeux, tu en parles. Et je pense que c'est ça qui compte.

Ouais… de toute façon, ce que je ressens quand je suis avec lui. Notre… connexion. C'est trop évident, trop important pour que je prenne la fuite.

Tu savais qu'il était…

Gay ? Oui, depuis un moment. Il ne s'en n'est jamais caché.

Satsuki acquiesce, grignote un autre biscuit puis poursuit.

« Vous en avez discuté ? J'imagine qu'il a voulu savoir pourquoi t'as débarqué chez lui en pleine nuit…

Ouais… ouais on en a parlé. Je lui ai dit qu'il me plaisait, que j'étais paumé et que je ne savais pas ce que je voulais.

Je vois, c'est un bon début. Et qu'est-ce qu'il a pensé de tout ça ? » s'enquiert la rose qui se tend un peu contre lui.

Il inspire et expire plusieurs fois pour calmer les battements de son cœur que cette conversation affole avant de lui répondre dans les grandes lignes.

« Il est perdu aussi. Parce qu'il s'était fait une raison. Mais il a aussi dit qu'il ne verrait personne d'autre le temps qu'on comprenne ce qui se passe entre nous.

C'est génial Daïki ! s'exclame-t-elle visiblement soulagé de l'apprendre.

Ça fout la trouille ! s'insurge-t-il.

Haha oui aussi… » s'amuse son amie.

Ils restent encore un long moment en silence à observer la danse des nuages qui voilent le ciel tokyoïte. Jusqu'à ce que la lumière décline et que les couleurs chatoyantes du soleil couchant l'embrasent. Encore une fois, ses pensées dérivent vers Kagami et ce fameux jour où ils ont admiré ensemble un spectacle similaire. Avant qu'il ne fasse trop sombre, ils se décident à redescendre, laissant à regret la quiétude de son observatoire. Si les mots de sa meilleure amie n'ont pas réussi à dissiper toutes ses angoisses, ils ont au moins allégé un peu son cœur et désencombré son esprit.

De retour chez lui, la faim au ventre ils commandent des plats réconfortants qu'il se sent capable d'avaler. Satsuki le questionne à nouveaux avec bienveillance. L'aidant à trouver les réponses avec ce qu'elle sait de lui. Elle le rassure, l'encourage à continuer quand il a envie de se refermer. Ils rient aussi, de ses humeurs en dent de scie et de leurs souvenirs qui viennent ponctuer les déductions de Satsuki. Puis la soirée s'étire et Aomine passe de déposant à confident. Réalisant au fil de leur discussion combien ils parlent peu de cette façon et combien sa sœur peu se sentir seule aussi parfois. Un mal universel semble-t-il. Ils continuent à bavarder une bonne partie de la nuit, de choses et d'autres, de la vie. Aomine se livre aussi sur ce qu'il a confié à Kagami concernant son père, ses peurs et ses cauchemars. Ils se chuchotent leurs secrets comme lorsqu'ils étaient enfants et qu'aucune barrière ne les entravaient. Ils resserrent leur lien dans l'écrin de la nuit, pansent des maux et inventent des rêves jusqu'à sombrer de fatigue.

Satsuki endormie sur son torse, Daïki n'a plus aucune raison de lutter. Pourtant avant de se laisser happer tout à fait par le sommeil il vérifie une dernière fois si Kagami a répondu à son message.

Aomine – 21h13

Tu avais raison. Ça s'est bien passé avec Satsuki. Elle est plus douée que moi pour les interrogatoires, mais ça aide. Je crois…
J'espère que toi ça va.

Plus tôt dans l'après-midi…

Casque sur les oreilles, Kagami se dirige à pas vifs vers la salle de sport. Isolé par la musique, il ne porte aucune attention particulière à son environnement, juste assez pour esquiver les passants et éviter de se faire écraser en traversant. Il est absorbé par ses propres pensées, des scènes fugaces de cette étrange matinée qu'il a passée avec Aomine flashent dans son esprit en une succession d'images qu'il a du mal à considérer comme bien réelles. Ils viennent de se quitter, et pourtant les derniers événements lui semblent tout droit surgis d'un rêve. D'ailleurs, il se sent l'esprit embrumé comme au réveil, évoluant à travers un monde cotonneux où tout semble assourdi, y compris la musique pourtant poussée à plein volume dans ses oreilles.

C'est avec soulagement qu'il arrive finalement à la salle. Il se change en vitesse dans les vestiaires puis se dirige vers le rameur, où il s'installe après quelques échauffements. Il se concentre sur sa respiration et entame sa session, attentif à sa coordination. Comme toujours, il lutte un peu au début, puis son corps se réchauffe, ses muscles se réadaptent aux gestes familiers, et doucement, l'effort devient constant, ni trop facile ni trop épuisant. Il continue sans s'arrêter, adoptant un rythme de croisière plutôt élevé aujourd'hui. Il a besoin de brûler toute cette énergie négative qui sature son système, mélange de panique, d'incertitude et d'une étrange mélancolie qu'il a du mal à comprendre. Il devrait se réjouir, puisqu'il a finalement une chance avec Aomine… Mais il se souvient surtout de la détresse de son ami, de son air perdu, et de sa propre décision de renoncer à avancer pour laisser toutes les chances à cette relation de s'épanouir. Mais Aomine ne sait même pas ce qu'il veut… Il se considérait comme hétérosexuel hier encore… Alors oui, il a du mal à se réjouir.

Il inspire en étirant ses jambes et en ramenant ses bras à lui, expire en repliant son corps vers l'avant de la machine. À mesure qu'il travaille et que son cœur s'accélère, il trouve un certain réconfort dans la répétition mécanique du geste sur lequel il focalise toute son attention. Peu à peu, son esprit se vide, laissant place aux pures sensations physiques. La musique le guide dans son effort, l'aidant à se concentrer et à garder le rythme et il enchaîne avec une détermination rageuse, cherchant à se purger de cette désagréable sensation cotonneuse qui l'enveloppe encore.

Une heure plus tard, après avoir usé diverses machines et évacué toute l'énergie malsaine qui formait une boule de stress au creux de son estomac, Kagami est en sueur, et il se sent un peu mieux. Après un passage express aux douches, il renfile son jean noir et son sweat capuche bien ample, puis retourne chez lui avec une idée en tête. Il éprouve le besoin de se recentrer sur lui-même et d'oublier temporairement un ouragan nommé Aomine passé ce matin dans sa vie. Alors, une fois rentré chez lui, il ouvre l'album de sa mère et consulte les photos en se mordillant la lèvre, indécis. Il tourne les pages dans un sens, puis dans l'autre, s'attarde sur une photo, puis renonce. Au bout d'un long moment, il se décide finalement pour une photographie montrant sa mère dans une boutique de disques, tenant un album de Hiromitsu Agatsuma dans la main. C'était un artiste qu'elle aimait beaucoup, et il se souvient encore vaguement en avoir entendu dans le salon de leur appartement à Los Angeles. Peut-être que la sonorité du shamisen prisé par l'artiste apaisait son mal de pays… Le disquaire figurant sur la photo n'existe sans doute plus, mais on ne sait jamais. Après tout, il a été surpris avec le restaurant… Et quoique les disques deviennent peu à peu des reliquats d'une époque révolue, il y a sans doute encore des amateurs. Il envisage tout de même une solution de repli, et prend aussi avec lui une photo d'un parc situé dans le même quartier. C'est aussi celui du restaurant… Sans doute sa mère habitait-elle là-bas avant d'épouser son père, ou bien y avaient-ils un appartement au début de leur relation… Difficile à dire. Kagami connaît très mal l'histoire de ses parents, finalement… Sa décision prise, il renfile sa veste, repositionne son casque sur ses oreilles, attrape ses clés et quitte son appartement.

Il lui faut une petite demi-heure pour rallier le quartier où sa mère a semé tant de souvenirs. À l'adresse indiquée sur le dos de la photo – sa mère semblait très méticuleuse avec son album, presque comme si elle avait anticipé la quête qu'il entreprendrait jeune adulte – Kagami tombe nez à nez avec une salle d'arcade. Il s'y attendait, mais cela n'empêche pas la déception de planter un petit aiguillon glacé dans son estomac. Il se sent comme spolié de quelque chose qui lui était dû… Car c'est son héritage, après tout, non ? Cet album, c'est tout ce qui lui reste de cette figure maternelle à la fois omnipotente et vague et fragile, comme si elle risquait de s'évaporer de sa mémoire à tout instant. Il pense souvent à elle, il la cherche quand il se regarde dans le miroir, il essaie de reconstituer le puzzle de sa vie, de lui donner substance pour qu'elle existe un peu plus dans son esprit que sous la forme d'un souvenir déformé par le temps. Il le fait parce qu'elle a laissé son empreinte dans sa vie, même si c'est sous la forme du manque, d'un vaste point d'interrogation qui l'empêche parfois de se sentir vraiment lui-même, faute de savoir qui il est. Des sentiments assez similaires, réalise-t-il, à ceux qu'il éprouve aujourd'hui vis-à-vis d'Aomine.

Il se sent stupide à rester planté devant cette salle d'arcades, sa photo du disquaire à la main. Il la range dans sa poche et cherche le chemin du parc, qui n'est pas très loin d'ici. Il n'est pas très grand, mais situé dans une petite dépression au cœur de la ville. Entre les arbres, il distingue le miroitement las d'un étang alangui entre les roseaux. Il descend près de l'eau et s'assoit dans l'herbe, laissant son regard dériver sur la surface verte frissonnant sous la brise. Puis, il prend son téléphone et cherche Hiromitsu Agatsuma. Le premier titre sur lequel il tombe lui dit quelque chose. Kaze. Le vent. Il appuie sur Play.

Quand les premières notes de shamisen se détachent sur les plages atmosphériques, il est saisi d'une impression déroutante. Est-il possible de n'avoir aucun souvenir d'un morceau, et pourtant, de le reconnaître ? C'est la sensation qu'il a, en tout cas. Les quelques notes mélancoliques se détachent, pures et nostalgiques, emportant son esprit dans une vie qu'il n'a pas vécue. Il imagine sa mère assise dans le salon dont la baie vitrée donne sur les immeubles frappés de soleil de L.A., à rêver de son pays natal. Peut-être même de cet endroit précis, un îlot de calme improbable flottant en plein Tokyo. La pente naturelle du parc empêche de voir la ville, et avec un petit d'effort d'imagination, on pourrait presque oublier la ville amassée derrière les frondaisons denses des pins et des cèdres. Il sort la photo de sa poche, et regarde alternativement l'image et l'étang devant lui. Il est précisément à l'endroit où la photo a été prise. Même les poules d'eau passant sur la photo sont là, batifolant dans un coin entre les roseaux. Son cœur se serre, alors qu'il imagine sa mère à son âge, se posant ici pour… Pour quoi, au juste ? Venait-il ici pour se détendre, seule, ou pour faire un pique-nique avec ses amis ? Avait-elle eu des rendez-vous romantiques avec son père ici ? Il n'a aucun moyen de le savoir, et peut-être qu'il projette son propre état d'esprit ou qu'il est influencé par la musique, mais l'endroit lui semble mélancolique. Un coin de nature volé à la ville dévorante, un carré de silence où les notes du shamisen d'Agatsuma s'élèvent vers le ciel entravé pour que le vent les emporte ailleurs. Lui aussi aimerait que le vent s'empare de ses pensées, qu'il les fasse flotter très loin là-haut, puis les disperse entre les nuages. Peut-être même que les nuages sont en réalité des pensées agrégées, et quand le vent répond aux prières, il les soulève du sol et les amasse dans le ciel. Et elles finiront en pluie bien loin d'ici et nourriront d'autres êtres, d'autres pensées. Kagami se laisse porter par sa rêverie, trouvant enfin un peu de repos tandis que son esprit se perd, oublie d'être rationnel, de raisonner, d'analyser, mais ne fait que divaguer, laissant libre cours aux souvenirs, pensées vagues, rêves et prières qui montent vers le ciel piégé entre les arbres.

Il écoute le même morceau en boucle pendant un long moment, sans savoir combien de temps exactement, mais il finit par avoir faim, et simplement envie de rentrer chez lui. Il se sent un peu plus calme tandis qu'il prend le chemin du retour. Cependant, il a eu sa dose de solitude et ne compte pas ruminer ce soir. Il pensait lancer un live, mais y renonce. À la place, il préfère aller chez Alex. Il trouve sa mentor et Tatsuya affalés dans le canapé à regarder un film. Il se contente de les saluer et se rend directement dans la cuisine avec les courses qu'il a faites à l'épicerie du quartier, et commence à préparer le repas. Au bout d'un moment, Alex passe la tête dans la cuisine :

« Ça va, Taiga ?

— Ouais… J'ai juste eu une journée bizarre. »

Alex le regarde d'un air pensif quelques instants, mais n'insiste pas.

« Qu'est-ce que tu nous prépares de bon ?

— Je fais dans le classique ce soir. Udon.

— Nice ! » s'exclame Alex, toujours ravie qu'il cuisine.

Elle reste à l'observer et Kagami finit par grogner :

« Qu'est-ce que tu veux ?

— Tu as l'air soucieux. Un problème ? »

Le couteau de Kagami se suspend au-dessus de sa planche à découper où sa ciboule attend patiemment. Et là, comme ça, inattendue et inopportune, l'émotion remonte dans sa gorge qui se serre à en avoir mal. Il s'aperçoit qu'il se sent épuisé, désorienté, et juste triste.

Alex s'approche dans son dos et le serre contre elle. Il lui en veut car ça lui fait monter les larmes aux yeux. Il en voit une s'écraser sur la patiente ciboule alors qu'il essaie de refouler les sanglots.

« It's okay… » murmure Alex.

Il perçoit son parfum. Des notes de violette. Il se rappelle le flacon qu'Izumi lui a offert. Alex n'a jamais porté de parfum avant, mais c'est l'odeur préférée d'Izumi. Il l'inspire en essayant de calmer les battements de son cœur. C'est vrai que cette fragrance a quelque chose d'apaisant, qui rappelle le printemps et le soleil frais et neuf.

« Maman me manque, dit-il soudain avant d'avoir pu ravaler les mots.

— I know… » répond Alex en le serrant un peu plus fort.

Il pleure silencieusement, maintenant c'est impossible à refouler. Il ne sait pas pourquoi ça ressurgit si fort ce soir, sans doute à cause de tout se passe dans sa vie en ce moment, parce qu'il a besoin de se raccrocher à quelque chose, à quelqu'un.

« Je sais qu'elle est irremplaçable et qu'elle te manquera toujours, dit Alex. C'est une bonne chose. C'est le signe de l'amour entre vous, qui existe même maintenant. C'est pour ça que ça te fait mal. Je ne suis pas elle, mais tu sais que tu peux tout me dire. »

Kagami réalise que c'est ce dont il a besoin, d'autant qu'Alex est la mieux placée pour comprendre les problèmes qu'il rencontre dans sa vie sentimentale. Alors, après avoir pris un instant pour se calmer, il reprend le découpage de sa ciboule, Alex lui donne une bière et s'adosse au frigo non loin de lui, et il commence à lui raconter ce qui s'est passé avec Aomine ce matin. Il ne se formalise pas quand Tatsuya les rejoint et écoute lui aussi. Il n'a personne de plus proche au monde qu'eux deux. Et ce soir, son cœur est trop lourd pour préserver ses secrets. Il n'entre pas dans les détails, mais trace les grandes lignes. C'est plus de lui que d'Aomine dont il veut parler, de toute façon. Alex et Tatsuya écoutent sans l'interrompre, si ce n'est pour de brèves questions. En terminant, il réalise qu'il n'a pas parlé ainsi depuis très longtemps, et se dit qu'au moins, il a appliqué les conseils qu'il a donné à Aomine ce matin. À la fin de sa confession, il se sent encore plus vidé et épuisé, mais un peu soulagé aussi. Il a continué à cuisiner par automatisme, et laisse les casseroles au chaud en proclamant qu'il a besoin d'une nouvelle bière. Alors le petit groupe se rapatrie dans le salon et ils boivent un verre en prolongeant la discussion. Tatsuya et Alex mettent l'accent sur une chose en particulier : il n'y arrivera pas s'il ne pense pas un peu à lui. Il doit se préserver, et c'est possible, même s'il a fait un choix risqué. Il doit avancer pas à pas. Renouer avec Aomine sans se mettre la pression d'aboutir à quelque chose, juste en sachant que cette fois, l'horizon des possibles est vaste. Recommencer, en quelques sortes… Cette idée a le don de le terrifier, car il redoute de perdre ce qu'ils ont déjà construit. Mais il est d'accord sur le fond.

Alors, au moment où ils passent au dîner, il se sent nettement plus serein, libéré de cette profonde mélancolie tapissée d'anxiété qui l'a emprisonné toute la journée. C'est juste une autre page de sa vie qui s'ouvre, avec des possibilités plus nombreuses, ce qui entraîne plus d'incertitudes, mais au fond, quelle importance ? Il n'a pas l'intention de lâcher Aomine. Et il a déjà accepté d'arpenter les nombreux chemins qui s'offrent à eux, alors, prêt ou non, ce n'est plus important non plus. Car on n'est jamais prêt pour les choses qui comptent vraiment.