Titre : Le fil rouge du Destin
Auteur : Lysanea
Disclaimer : aucun personnage ne m'appartient
Pairing et personnages pour ce chapitre : Kanon x Rhadamanthe, Milo x Camus.
Rating : T
Note : Bonjour à tous. Merci pour les retours sur le précédent chapitre, merci de poursuivre l'aventure avec moi.
J'ai procédé à une correction et une précision sur le chapitre d'avant, grâce à Adaline's blue que je remercie encore. Le film Highlander est bien sorti en 1986, où à l'époque, certains films américains ne sortaient pas du tout ou alors bien plus tard. Il y est sorti en novembre 1986 (janvier pour la France et mars pour les Etats-Unis). Mais je me suis donc permise, en connaissance de cause, de le placer là en 1989. Un petit cinéma de quartier peut passer des films sortis bien avant, cela se fait bien ici ! Je suis désolée, c'était évident dans ma tête, mais j'aurais dû le préciser en note. Et 2e chose, le héros ne s'appelle pas Duncan mais Connor McLeod, j'ai beaucoup trop été marquée par la série télé !
Seconde chose concernant le jeu des glaçons : Il existe un jeu sexuel qui consiste à prendre un glaçon entre ses lèvres ou ses doigts et à parcourir le corps de son/sa partenaire avec. C'est le jeu de la température. Le contraste entre le corps chaud (la température corporelle augmente avec l'excitation) et le froid est très agréable, perturbant, excitant, etc. Cela ne dure pas suffisamment longtemps pour brûler car oui, Shura le dit bien, il ne faut jamais mettre de la glace directement en contact avec la peau. Et encore moins les muqueuses. Mais on peut passer rapidement dessus. Ou sucer longuement un glaçon, puis souffler ou embrasser les parties les plus sensibles du corps de l'autre. C'est de cela que parlait Aioros, c'était sa réponse à la question d'Aldébaran. Je n'ai aucun mal à imaginer son état en voyant Saga débarquer dans leur chambre (ou ailleurs) avec un bol de glaçons… Milo, quant à lui, met un peu les pieds dans le plat en parlant de forme de glaçons, parce qu'avec Camus, ils vont un peu plus loin et je les imagine bien les introduire un peu comme des suppositoires… ou un plug anal. Mais la glace de Camus est particulière, elle ne fond pas ou très lentement car il peut contrôler sa température, mais elle ne brûle pas, ne blesse pas et donc, permet des sensations uniques en toute sécurité, avec de formes et des tailles différentes. Mais dans la vraie vie, c'est plus que déconseillé de se mettre de la glace à l'intérieur des parties intimes, je n'encourage donc pas cette pratique. On est dans une fiction avec des personnages aux pouvoirs et capacités particulières, ces fantaisies et fantasmes sont permises.
Merci à Mini-Chan : kalimera ! Ça m'a rappelé mes vacances en Grèce ! Je disais bonjour en grec par respect, mais les gens me prenaient pour une grecque et continuaient de me parler en grec, alors que je ne comprenais rien ! Alors, je saluais en anglais et en grec ! J'adorerai y retourner ! L'Afrique du Sud n'est pas sur ma liste, mais je pense quand même aux pays d'Afrique, je le garde dans un coin de ma tête ! Merci encore une fois pour tes mots et ta gentillesse. J'ai expliqué en note l'histoire des glaçons, j'espère que ça t'éclairera 😁. Le cas Elrik sera abordé prochainement, promis. Et oui tu as bien cerné mon intention avec Saga et Aioros, les montrer un peu insouciant, un peu comme des ados en pleine découverte de l'amour, tout en restant responsables car ils sont les aînés, tout ça pour dire qu'ils profitent encore un peu avant le changement radical et nécessaire à leur retour. Ils deviendront Popes et parents aussi, si tôt se passe bien, il faudra fermer la parenthèse enchantée d'un premier amour adolescent qu'ils ont voulu vivre comme tel, dès qu'ils le pouvaient. Mais laissons-les à leurs vacances et l'une de miel pour le moment ! Tes chouchoux font aussi une pause pour ce chapitre mais ils reviennent dès le prochain ! Je suis désolée également d'apprendre que tu n'as plus de lien avec ta sœur, ce doit être difficile si tu en étais proche. Prends soin de toi surtout et à bientôt !
Merci à Fealina07 : coucou ! je suis bien contente de savoir que tu vas beaucoup mieux ! Fais attention à toi surtout ! Merci pour ta lecture et ton commentaire. Shura et Angelo ont volé la vedette, plusieurs personnes les apprécient. Et dire qu'ils n'étaient pas prévus au départ, pas autant développés, en tous cas. Tant mieux ! Et je te rassure, j'ai aussi toujours préféré Albafica à Aphrodite, que ce soit physiquement que dans l'attitude. Il a quelque chose de noble, de grand et une tristesse profonde qui me brise le cœur. Son combat contre Minos est magnifique. Mais Angelo ne peut pas être objectif quand il s'agit d'Aphrodite ;)
Merci à Adaline's blue et ViMiKi, je vous ai répondu en MP.
Désolée pour ces notes un peu longues et très bonne lecture à vous !
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.Le Fil rouge du Destin
Chapitre Trente-quatre : L'absence crée des vides que le temps ne remplit pas.
(Alain Kreutzer)
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Le Sanctuaire
Maison du Scorpion
Mercredi 20 septembre 1989
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Kanon frappa à la porte des appartements de Milo, qui l'invita immédiatement à entrer car il l'avait senti arriver.
- Par tous les Dieux de l'Olympe, Kanon, t'es… canon ! l'accueillit-il en s'avançant à sa rencontre pour une accolade.
- Merci, Milo. Je ne te dérange pas ?
- Non, viens, assis-toi. Tu veux boire quelque chose ?
- Je ne reste pas, refusa Kanon, j'avais juste quelque chose à te demander avant de descendre.
- La question de savoir si c'est descendre chez toi au Troisième ou chez toi aux Enfers ne se pose pas, habillé comme ça, ce ne peut être que la deuxième option. Il se passe quoi, alors ? demanda-t-il après que Kanon eut confirmé sa déduction d'un hochement de tête. Dîner en amoureux ce soir ? Tu as mis les petits plats dans les grands pour ton Juge, tu vas le demander en mariage ?
- Mais n'importe quoi ! répondit le Gémeau en le poussant. Il y a une grande réception à Giudecca avec Pandore, Hadès, Minos, Eaque, et tous les Spectres présents, pour célébrer le retour de Perséphone.
- La femme d'Hadès ?
Kanon haussa un sourcil, un brin moqueur.
- T'en connais une autre qui traine aux Enfers, toi ?
- Non, je suis bête, pardon ! répondit Milo avec un petit rire. C'est vrai que c'est l'automne, Elle redescend donc pour six mois aux Enfers. (1)
- Oui, c'est l'un des rares seuls moments où Hadès accepte de quitter Elysion pour quelques heures. Deux, en fait. Ensuite, Il se retire avec sa Reine et les Spectres sont autorisés à entrer à Giudecca pour le reste de la soirée. Avant cela, ils sont rassemblés sur le parvis.
- Ils fêtent le retour de leur Reine mais ne la voient pas de la soirée… C'est un peu étrange.
- Hadès ne veut pas être vu dans son véritable corps, rares sont les élus qui sont autorisés à poser leurs yeux dessus. Mais Perséphone est différente, peut-être est-ce dû à sa vie à la surface qui la rend plus proche des autres, humais ou spectres. Elle sort du Palais et va à leur rencontre, au cours de cette réception.
- Drôle de couple, quand même… Et de vie. Être séparé durant six moi de la personne qu'on aime, c'est pas évident. Moi, je ne pourrais pas.
- C'est sûr, t'as déjà péter les plombs, cet été, quand Camus a failli partir un mois sans toi en Sibérie... T'es pire qu'un avocat, en fait.
- Un avocat ? répéta-t-il, perplexe.
- Si Camus t'ignore cinq secondes, tu dépéris, comme l'avocat qui noircit à peine ouvert et reposé.
Milo éclata de rire.
- Je le reconnais. Mais t'imagine, six mois ? T'y arriverais, toi ?
- S'il le faut, oui, mais ce ne serait bien évidemment pas agréable. Mais nous sommes humains et nos vies sont comptées, Milo. Eux sont des Dieux qui n'ont aucune notion du temps qui passe.
- Certes… Mais ils doivent bien se manquer, à un moment donné, non ?
- Je suppose. Si j'ai tant manqué à Rhadamanthe, c'est que les Dieux peuvent éprouver ce sentiment. A moins qu'il ne lui vienne de sa moitié humaine.
- Je me souviens qu'une fois, Athéna a dit à Shion et Dokho qu'ils lui avaient manqué.
- Encore une fois, ce peut être dû à l'influence de son incarnation humaine précédente. Ont-ils manqué à Athéna, ou à la jeune Sacha, qui vit encore un peu en Elle, comme toutes Ses précédentes incarnations ? Il faudrait le lui demander, à l'occasion.
- Tu pourrais aussi interroger Rhadamanthe, voir même, Hadès ou Perséphone, puisque tu es invité, si je comprends bien, vu que tu t'es mis sur ton trente-et-un…
Kanon secoua la tête négativement.
- Oui, mais je vais éviter de poser ce genre de question au couple infernal, surtout que c'est la première fois que je suis convié à ce genre d'évènements.
- Oh ! tu vas rencontrer tes beaux-parents ! se moqua Milo. C'est trop touchant !
- Dis-moi, tu meurs, si tu ne sors pas une connerie toutes les dix minutes ?
- Reconnais que ça y ressemble quand même beaucoup ! se défendit le Scorpion, riant toujours.
- Je ne sais même pas si je vais être autorisé à entrer à Giudecca avant qu'Hadès et Perséphone ne se retirent.
- Rhadamanthe te laisserait à l'extérieur ? s'étonna Milo.
- Non, bien sûr, mais il pourrait y rester avec moi.
- Ce serait accepté ? Il n'y a pas un protocole, quelque chose du genre ?
- Rhadamanthe est un peu le favori, Hadès lui passe beaucoup de choses. Franchement, je ne sais pas. Mais il ne me laissera jamais seul à l'extérieur, c'est certain.
- Je n'ai aucun mal à le croire. Et donc, que venais-tu me demander ? Si c'est simplement mon avis, je n'ai absolument rien à redire à ta tenue ! Je ne savais même pas que t'avais ça dans ton placard !
- C'était une tenue beaucoup plus simple, il y a quelques heures, mais les couturières du Sanctuaire ont fait des merveilles, comme toujours. Daphné a des doigts en or, et une équipe tout aussi talentueuse.
- C'est peu dire !
- Il me manque juste un ruban pour nouer mes cheveux en catogan, c'est ce que je suis venu t'emprunter. J'ai cassé le mien en tirant trop dessus. Je ne veux pas fouiller dans les affaires de Saga, ni déjà le déranger pour si peu, je l'ai déposé il n'y a même pas une heure et demie à l'aéroport…
- T'as bien fait de venir, j'ai tout ce qu'il te faut ! Mais t'as carrément cassé un ruban, t'es nerveux ? le taquina Milo en gagnant sa chambre, Kanon sur ses talons.
- Peut-être un peu. J'ai échappé à cette réception l'an dernier parce qu'on était ensemble que depuis quelques mois, Rhad' et moi, je n'avais pas souvent été à Caina et je ne connaissais pas grand monde. Cela n'a pas forcément changé, de ce point de vue-là, sauf que les Spectres, eux, me connaissent tous, aujourd'hui. Je suis un peu plus à l'aise et légitime qu'il y a un an. Mais…
- Tu ne veux pas y aller, termina le Scorpion en lui tendant sa boîte contenant divers rubans, nœuds et accessoires pour les cheveux. Prends ce que tu veux !
- Merci, Lolo, tu me sauves. Je n'ai en effet par vraiment envie d'y assister. Je suis allé à une seule réception aux Enfers, en juillet dernier.
- Oui, on en avait parlé.
- Eaque avait demandé à Hadès la permission de m'inviter, donc je n'ai pas eu le choix. Et franchement, j'ai compris ce que pouvait ressentir Rhad' au milieu de nous, parfois, à une de nos soirées ici. Même si, sincèrement, vous êtes bien plus sympathiques et chaleureux avec lui que les Spectres avec moi.
Kanon rendit sa boîte à Milo après avoir choisi un ruban violet qui allait avec son himation blanc cassé, dont les bordures et les franges ornées avaient la même couleur.
Un hommage à la couleur fétiche d'Hadès et aux surplis, par respect et en remerciement pour l'invitation.
Mais il avait tout de même attaché son manteau par deux broches au motif de chouette pour rappeler qu'il restait un Chevalier d'Athéna, même s'il était invité en tant que compagnon de Rhadamanthe.
Il avait bien évidemment demandé autant à Athéna qu'à Rhadamanthe si c'était possible, pour ne pas créer de vexation ou d'incident.
Ils le lui avaient tous deux autorisé.
Au pire, si Hadès s'en trouvait offensé, il pourrait toutes les retirer.
Il avait prévu d'autres attaches plus neutres, au cas où.
Enfin, autant que pouvait l'être le signe zodiacal du Gémeau.
Kanon s'était assagi, mais il avait toujours un petit côté rebelle et provocateur qui se manifestait désormais le plus souvent dans des points de détails.
- J'imagine que ce n'est pas la même ambiance… fit remarquer Milo en l'aidant à nouer ses cheveux.
- Non et je pense que c'est pour ça qu'Eaque m'a invité. Il voulait s'amuser à me voir mal à l'aise. Les Spectres ont généralement assez peur de Rhadamanthe, alors ils ne m'approchent pas trop pour ne pas le contrarier. Il reste souvent avec moi, mais je peux rapidement me sentir seul. Enfin, c'est pas arrivé souvent, justement pour éviter que je ne sois abordé par d'autres.
- Il n'est pas un peu trop surprotecteur, ton juge ? Ça m'étonne que tu te laisses autant faire, toi qui es si libre et indépendant…
- Il ne l'est pas, et je ne le laisse pas l'être, de toute façon, Milo, car tu as raison, je ne supporterais pas de me sentir étouffé ou entravé. Mais je lui appartiens, malgré tout.
- C'est un peu contradictoire, non ? fit remarquer le Scorpion avec une petite moue dubitative.
Kanon eut un doux sourire.
- Se sentir libre en appartenant à quelqu'un, c'est un paradoxe que seul l'amour peut créer et rendre réel. N'est-ce pas même une des définitions possibles de l'Amour, le grand, le vrai ?
- Oui, vu comme cela…
. J'ai confiance en Rhadamanthe pour gérer ce qui se passe aux Enfers et il a ses raisons d'agir comme il le fait. Là, en l'occurrence, lors de cette fête en juillet, Eaque me collait dès que Rhad' avait le dos tourné.
- Il te draguait ? s'étonna-t-il. Je croyais qu'il fantasmait sur Aiolia ?
- C'est aussi et surtout pour emmerder son frère qu'il me cherche. Mais tu sais, Eaque fantasmerait même sur Cerbère et Pharaon, si ça lui permettait de s'amuser.
- Yeuurk… grimaça Milo. Tu me diras, pour envoyer des rêves érotiques où un faucon anthropomorphe se tape un mec…
Ce fut Kanon qui grimaça, cette fois-ci.
- On peut parler d'autre chose ? J'aimerais autant ne pas débarquer à Giudecca avec ce genre d'images en tête…
- Désolé ! ricana le Scorpion. Tu seras obligé de rester toute la soirée ?
- Pour la réception de l'été dernier, nous ne nous sommes pas éternisés, après qu'Hadès et Pandore se soient retirés. Mais ce soir, Rhadamanthe ne pourra pas s'éclipser, Perséphone est sa Reine.
Milo tapota l'épaule de Kanon.
- Je te souhaite bien du courage pour cette fête. J'espère que ce sera la tienne au lit ensuite pour te récompenser !
- C'est plutôt moi qui vais sortir le grand jeu à Rhad'. Il déteste les réceptions, je sais que cette soirée sera aussi pénible pour lui. Il faudra lui faire oublier cela. Et puis, cet après-midi, il a pris le temps de monter ici discuter avec Aiolia, alors qu'il y avait tant à faire pour la réception de ce soir… Il mérite vraiment une très grosse récompense !
Milo afficha un sourire torce.
- Si il y a un tremblement de terre ou une éruption volcanique majeure cette nuit quelque part dans le monde, je saurais d'où ça vient !
- On va éviter de lui donner du travail pour demain, je compte bien le garder au lit toute la matinée.
- Tu es cynique, Kanon, c'est affreux !
- C'est toi qui as commencé avec tes catastrophes naturelles, se défendit-il.
- Ok, ok... reconnut Milo en levant les mains en signe de reddition. En tous cas, si tu voulais être discret, ça va être difficile. Tu es vraiment canon, tu m'as coupé le souffle, quand t'es entré.
- Tu me l'as déjà dit !
- Deux fois, c'est le minimum pour le Gardien des Gémeaux, répliqua-t-il en lui faisant un clin d'œil.
- Idiot ! Mais merci pour le compliment. Je veux faire honneur à Rhad', c'est important. Et puis, même si je le voulais, je ne pourrais pas passer inaperçu.
- Dis donc, ça va les chevilles, sale frimeur ! lui dit Milo en essayant de lui donner un coup de pied.
- C'est pareil pour toi, tu sais de quoi je parle, répliqua-t-il en l'évitant. Quand tu arrives quelque part, on remarque que toi. C'est même pire que moi, avec ton sourire éclatant !
- Oh ! Crois-moi, si je devais entrer dans une salle pleine de Spectres, je ne pense pas que je sourirais beaucoup !
- Je crois qu'au contraire, par pur provocation, tu le ferais. Et ils ne pourraient que fermer les yeux, éblouis par ton aveuglante beauté solaire.
- C'est quoi cette drague de merde, Nono ? s'esclaffa le Huitième gardien. Tu me fais quoi, là ?
- Mais rien ! se défendit Kanon en riant lui aussi. Et certainement pas du charme, alors qu'on est dans ta chambre, à quelques pas de ton lit ! Je ne suis pas désespéré au point de te séduire pour rester et éviter la fête !
- J'espère, c'était flippant ! Sortons d'ici, éloignons-nous du lit en question !
- T'es bête ! se moqua l'ainé alors qu'il se faisait tirer par le poignet hors de la pièce jusqu'au salon. En plus, Camus ne va sûrement pas tarder, je prendrai pas ce risque.
Milo le relâcha et s'assit dans son fauteuil en secouant la tête.
- Il ne va pas rentrer tout de suite, non. Il a emmené Hyoga manger dans une taverne, du côté du Pirée. Tu sais, celle qui fait un super taramasalata.
- Chez Lükas ? Pas loin du musée ?
- Oui, c'est ça !
- Et tu ne les as pas accompagnés ? Je sais que t'aimes pas le tarama, mais il y a d'autres choses à manger, quand même !
- Evidemment. Mais ces deux-là ont parfois besoin d'être un peu ensemble, sans personne d'autres. Ce, même si nous sommes très proches, tous les trois. Je le comprends et le respecte.
- C'est bien, tu mûris ! le félicita Kanon en lui ébouriffant vigoureusement les cheveux. Et donc, tu te retrouves seul ?
- Ni Aiolia, ni toi, n'êtes dispos, je vais peut-être simplement rester tranquille à la maison, pour changer.
Kanon rit en s'asseyant sur l'accoudoir du fauteuil de Milo.
- Tu ne sais pas faire ce genre de choses sans Camus, Lolo.
- C'est bien vrai, reconnut le Huitième gardien. Je vais passer au kafeion, voir qui y traîne, et en descendant, je verrai ce que font les autres qui sont chez eux. Je sais qu'il n'y a pas grand monde, mais on sait jamais. Sinon, je ferai un tour à Rodario.
- Je ne peux malheureusement pas te proposer de m'accompagner.
- Oh, cela me brise le cœur ! se désola Milo théâtralement.
Kanon lui pinça le nez, provoquant un mouvement de recul pour lui échapper.
- Je ne m'inquiète pas pour toi, tu t'en remettras ! Et tu trouveras comment t'occuper, je n'ai aucun doute là-dessus non plus. Je serai vraiment bien resté avec toi, mais il est l'heure pour moi d'y aller, je file.
- Bien sûr, tu ne peux pas te permettre d'arriver en retard, lui dit-il en se levant.
- Il ne vaut mieux pas.
- Bonne soirée ! lui souhaita-t-il en l'embrassant. Et surtout, bonne nuit. Essayez de ne pas mettre le feu aux Enfers.
- Je pense que si cela se produit, ce sera du fait d'Hadès et Perséphone qui ne se sont pas vus pendant six mois…
- Je ne veux pas savoir ! grimaça Milo. File, avant de me mettre d'autres images indésirables en tête !
- Ce sont de très beaux Dieux, l'un et l'autre, tu sais, les Bronzes nous ont beaucoup parlé de la grande beauté d'Hadès et de son regard si doux qui les avait surpris… Et je peux le confirmer, ayant eu le privilège de le voir une fois, il est d'une très grande beauté, et il a un corps...
- Kanon, il suffit ! hurla-t-il en le poussant vers la sortie.
- Désolé, pardon, j'arrête ! s'esclaffa l'ainé. Mieux, je m'en vais. A demain !
- Au week-end prochain, plutôt, je pars avec Camus en Sibérie, souviens-toi, lui rappela-t-il, alors que Kanon ouvrait non pas la porte des appartements, mais un portail vers les Enfers.
- Ah oui, c'est vrai ! C'est peut-être de ce côté-là qu'on va constater une hausse des températures, finalement, avec fonte des glaciers et montée des eaux...
- C'est pas impossible, assura Milo avec un grand sourire. Après tout, Camus a aussi droit à une récompense, après tous ces efforts à la soirée.
- C'est mérité, oui. J'étais content pour toi, qui rêvais tant de ces démonstrations et déclarations publiques.
- Merci ! Malgré quelques petites bourdes, il a été parfait. Cela va nous faire du bien de nous retrouver.
- Profitez-en bien, tous les deux, dans ce cas.
- Tu peux compter sur moi ! À bientôt, Nono.
- À bientôt, 'Lo et merci encore pour le ruban.
- Je t'en prie !
Kanon fit un dernier signe à Milo et traversa son portail vers les Enfers, qui se referma immédiatement derrière lui.
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Caina, Royaume souterrain
Mercredi 20 septembre 1989
Plusieurs heures plus tard
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d'D'une pulsion de cosmos, Rhadamanthe éteignit toutes les bougies qui baignaient la chambre d'une douce lumière chaude, puis enlaça Kanon, dont il embrassa le front, d'une longue pression de ses lèvres sous ses mèches dorées encore humides de leur douche.
- Etant donné que tu m'as sauté dessus dès notre arrivée ici, je n'ai pas eu l'occasion de te remercier convenablement pour ta présence, ce soir. C'était important pour moi que tu sois là, merci infiniment.
- Alors premièrement, je considère que tu as entrepris de le faire dès le pas de la porte de la maison franchit. Et à ce sujet, si je t'ai sauté dessus, et encore, peut-on établir avec certitude qui a sauté sur l'autre, je ne pense pas, c'est parce que tu as tout fait pour que ce soit le cas. Quand on joue avec le feu, il ne faut pas s'étonner ni se plaindre de s'y retrouver piégé.
- Je n'ai pas le souvenir de m'être beaucoup plaint, au contraire.
- C'est vrai, concéda Kanon. Tu l'as même encore attisé.
- Est-ce toi qui te plains, à présent ?
- Absolument pas, j'ai adoré. Et deuxièmement, reprit-il après un rapide et chaste baiser sur ses lèvres, concernant la réception, c'était normal pour moi d'être à tes côtés. Je n'ai commis aucun impair, cela a été ?
- Tu étais parfait, Kanon. Tu as réussi à trouver l'équilibre parfait avec la Reine Perséphone, en suscitant suffisamment sa curiosité et sa sympathie, mais non au point d'irriter le Seigneur Hadès. Il est si épris de son épouse qu'Il ne supporte pas qu'Elle montre trop d'intérêt pour un autre que Lui.
- J'en ai assez entendu parler pour avoir particulièrement fait attention à ce détail. L'amour et la jalousie d'Hadès ont traversé l'Histoire et les âges. Je ne voulais pas créer d'incident diplomatique.
- Tu as été irréprochable, comme je l'avais déjà prévu. J'étais plus que fier d'être à tes côtés.
- C'est moi qui l'étais d'être auprès de toi. Je suis heureux de ne pas t'avoir fait honte.
- Bien au contraire, assura Rhadamanthe en déposant un nouveau baiser sur son front. Je te remercie, encore une fois. Cela aurait été bien plus pénible sans toi.
- Te connaissant, je n'ai pas de mal à le croire. Rhad', moi non plus, je n'ai pas eu l'occasion de le faire, que ce soit pendant la réception, à notre retour ou sous la douche, mais je tenais à te remercier encore pour être monté au Sanctuaire, cet après-midi, l'effort que tu as fait pour Aiolia, le temps que tu as pris pour lui alors que vous étiez en pleine préparation de la réception de ce soir.
- Je te l'ai dit, je l'ai fait pour toi et parce que nous sommes liés, le Lion et moi, que je le veuille ou non.
- Je veux que tu saches que je suis conscient que cela te coûte.
- C'est aussi pour cela que je fais de efforts, Kanon. Que tu n'aies plus à t'inquiéter de cette inimitié. Mais je ne peux te cacher la difficulté que j'éprouve encore en sa présence.
- Elle n'a échappé à personne, pendant la discussion... fit remarquer Kanon.
- J'imagine, oui. Mais j'étais pressé, Kanon, et un peu sous tension, j'ai véritablement fait au mieux.
- C'est pourquoi je ne te fais aucun reproche. Tu es venu, alors que tu avais toutes les raisons du monde de refuser, c'est la seule chose qui compte, pour moi.
- Je te remercie de ta compréhension. Et concernant le Lion, il n'était pas trop secoué au terme de notre échange ?
- Ah ! tu reconnais donc l'avoir quelque peu malmené !
- Non.
Kanon releva le visage pour regarder son Juge infernal, lui sourit et embrassa doucement ses lèvres.
- Peu importe comment tu appelles cela, il en avait besoin, finit-il par céder en reposant sa tête sur son épaule, le visage contre son cou.
- Il le méritait, c'est certain.
- Rhad'…
- Vous avez eu une seconde chance inespérée et sans précédent dans l'Histoire de l'Humanité qui comptabilise 2,8 millions d'années, à ce jour, et sans équivalent dans celle des Dieux. Voir certains d'entre vous pinailler sur des détails…
- Pinailler ? releva Kanon en se redressant vivement. Tu es dur ! La culpabilité peut être très handicapante !
- Elle est surtout inutile. L'Homme est ainsi fait qu'il a bien du mal à accepter une situation dont il n'a pas le contrôle. Il cherche toujours un moyen de changer les choses à sa convenance. Lorsqu'il n'a aucune prise sur les événements, il panique et essaie de se replacer au centre. S'il ne peut être l'acteur principal de l'événement, alors il se place en victime pour que la lumière reste sur lui.
- Nous ne sommes pas tous comme cela.
- Non, fort heureusement, mais c'est une très grande tendance universelle. Et il y a de beaux exemples, dans la Chevalerie d'Athéna, et je ne parle pas que de ton ère.
- Aiolia n'a que 22 ans, il est jeune, il continue d'apprendre, il te l'a dit. Il a fait un grand pas aujourd'hui, grâce à toi.
- Certes.
Kanon se rallongea contre Rhadamanthe, son bras au travers de son torse, sa main remontée sur son épaule la caressant distraitement du bout des doigts.
- Nous sommes dans une situation inédite. Ces histoires de Destin, de nous qui existons sans réellement s'inscrire dans l'Histoire, c'est assez perturbant, quand on y réfléchit. Chaque fois que nous interagissons avec quelqu'un, cela peut modifier sa vie.
- Non, Kanon, cela la modifie avec certitude. La personne que tu croises dans la rue et qui va se retourner sur ton passage parce que tu attires les regards peut se cogner contre un poteau, se faire renverser par une voiture, rentrer dans une autre personne qu'elle n'aurait peut-être jamais regardé autrement et vivre une belle relation avec…
- C'est fou comme tu peux évoquer le pire et le meilleur dans une même phrase sans que le ton de ta voix ne varie d'un iota…
- Ce ne sont que des exemples qui ne reflètent aucune réalité, rappela le Juge en prenant la main de son Chevalier pour entrelacer leurs doigts.
- Je sais bien.
- As-tu des interrogations, toi aussi, sur ton sort ?
Le cadet des Gémeaux réfléchit un instant.
- Pas spécialement en ce qui concerne ma vie actuelle. Mais avec Milo, Aiolia et Shura, pendant la fête de Shaka, on a évoqué un sujet qui, effectivement, a soulevé quelques questions.
- Veux-tu m'en parler ?
- Je comptais le faire, mais pas forcément aussi tôt. N'es-tu pas fatigué ?
- Tu sais bien que non. Si je suis si souvent au lit, c'est uniquement pour le partager avec toi. Avant de te retrouver, je pouvais passer des semaines sans dormir, de simples siestes me suffisaient.
- Je te fais perdre du temps, alors ? le taquina-t-il en relevant le visage vers lui.
- Ne dis pas de telles bêtises, Kanon. L'Eternité est un puits de temps sans fonds. Je n'ai pas besoin de le compter. Et je l'emploierai toujours mieux à tes côtés, malgré le fait que la mission qui m'incombe en tant que Juge est primordiale.
- Et je te remercie pour cela, amour. Mais les âmes attendent d'être jugées, le temps compte pour elles.
- Selon qui ?
La question étonna Kanon.
- Je ne sais pas… c'est logique, non ?
- Une logique humaine qui ne s'applique plus au Royaume souterrain où la notion de temps est toute relative.
- Tu veux dire qu'elles ne souffrent pas, en attendant de pouvoir être jugées et reposer en paix ?
- Tu ne m'écoutes pas.
- Mais si !
- Alors qu'ai-je dit, à l'instant ?
Kanon soupira légèrement.
- D'accord, il n'y a pas d'attente. Donc, pas de souffrance.
- Non. Les seules âmes en peine, ici, sont celles qui ont été jugées et condamnées.
- D'accord, j'ai compris. En même temps, c'est logique… Vous n'êtes que trois pour juger les millions d'âmes qui se présentent chaque jour. C'est énorme.
- Le partage n'est pas équitable. Eaque et moi nous partageons les Jugements en fonction de leur provenance dans le monde, Minos tranche lorsque nous sommes en désaccord et en cas d'incident. Nous lui transmettons également le cas des défunts faussement accusés. Mais si l'un de nous veut être relevé de ses fonctions un jour ou plus, cela nous est généralement accordé, comme je te l'ai expliqué, lorsque nous avons pris quelques « vacances ». Il est important de ne pas se lasser de notre travail, de ne pas se laisser aller à force d'automatismes, de changer un peu de tâches pour apporter un peu de diversité à notre quotidien et préserver notre esprit et notre moral.
- Bien sûr, cela se comprend.
- La vie des Hommes peut être aussi si divertissante qu'ennuyeuse, selon les jours.
- J'imagine, oui.
- Alors dis-moi, à présent, quel est l'objet de tes questionnements ? voulut savoir le Juge en dégageant une mèche tombant bas sur le front de son Chevalier.
Kanon se décala pour qu'ils puissent se faire face, mais sans trop s'éloigner pour rester dans ses bras et sentir la chaleur de son corps nu contre le sien.
- Shura, Milo et Aiolia m'ont posé des questions auxquelles je n'ai pas su répondre, parce que nous n'avons pas évoqué le sujet, tous les deux. Enfin si, brièvement, mais nous n'en avons pas reparlé depuis.
- De quoi s'agir il ?
- Quelles seront mes tâches ou mes missions, lorsque je serai un… spectre ?
- Nous n'en avons pas parlé car c'est quelque chose qui se décidera au moment où tu le deviendras, selon la situation aux Enfers et les besoins. Nous te ferons des propositions que tu seras libre d'accepter ou non.
- Alors, il y aura vraiment quelque chose à faire pour moi ?
- Tu pensais que j'allais te laisser à la maison à m'attendre et dépérir ? Voyons, Kanon…
- Je suis désolé, mais je ne vois pas ce que je pourrais faire, ici…
- Et cela t'angoisse, tu as peur de l'ennui.
- Et de la solitude. Je l'apprécie, de temps à autre, mais je l'ai subi et supporté tant d'années, Rhad'…
- Je sais, je comprends tes inquiétudes.
- Au Royaume sous-marin, sans jamais remonter à la surface, je pouvais nager dans toute la Méditerranée et au-delà, dans l'Atlantique, via les canaux et les détroits. Je pouvais atteindre toutes les mers et tous les océans du globe. Le reste du temps, j'entraînais les marinas que je rassemblais, on jouait à des jeux de stratégie et de réflexion pour aiguiser nos esprits, on jouait de la musique ensemble, j'étais très actif, comme j'étais le Général Dragon des Mers et prétendument la voix et la volonté de Poséidon. Je n'étais pas spécialement proche des autres, mais quand même…
- Cela dépend de qui… ne put s'empêcher d'intervenir le Juge.
- Sorrente et moi avons été amants très peu de temps, à peine quelques semaines avant la Bataille contrer les Bronzes, et cela ne nous a pas rendu proches pour autant, Rhad'. Il n'avait que 16 ans.
- Votre relation était typique de celles observées dans l'Antiquité : un jeune éphèbe qui apprend au contact d'un mentor expérimenté bien plus âgé.
- Mais tout était faux, nous concernant. Ce n'était que de la manipulation, de ma part. Non, je ne me suis jamais senti proche d'aucun d'eux. Ce qui ne m'empêche pas de me sentir coupable de les avoir sacrifiés et trahis. Mais à l'époque, je n'en avais cure. J'étais seul. Mais aujourd'hui, je suis le gardien de la Maison des Gémeaux, j'ai une grande famille.
- Ne suis-je pas ta famille, ici ?
- Bien sûr, ici, là-haut, et je n'ai besoin de rien d'autre pour être heureux, Rhad'. Mais toi, tu seras occupé toute la journée, alors si je n'ai rien à faire de mon côté, cela risque d'être un peu difficile pour moi. Il faudra que tu sois indulgent, au début.
Rhadamanthe rapprocha Kanon de lui et posa sa main sur sa joue, qu'il caressa du pouce avec tendresse.
- Kanon, les choses vont changer, tu sais. Tu vas devenir l'un des nôtres, tu vas avoir des responsabilités, et crois-moi, il y a beaucoup à faire, aux Enfers. Il faudra juste décider quelles tâches seront les tiennes, et non essayer de t'en trouver. Celles-ci t'amèneront logiquement à te rapprocher et te lier progressivement aux autres. Cela va commencer même bien avant, dès cette vie. Si ce n'est pas déjà le cas, aujourd'hui, c'est principalement de ma faute.
- C'est à dire ?
- Mes frères et moi sommes les représentants d'Hadès ici, c'est nous qui régissons le Royaume souterrain. Nous sommes fils de Zeus, également. Les Spectres et le personnel nous vénèrent pour certains, nous respectent et nous craignent pour beaucoup. Pas pour les mêmes raisons, évidemment.
- Comme cela ?
- Il n'y a absolument rien à redire sur nos Jugements et nos décisions. Ce sont plutôt nos comportements envers les autres qui sont parfois problématiques. Minos est cruel, de colère ou d'irritation, il peut blesser une personne qui l'aurait contrarié. Parfois même juste pour rien. Eaque est sournois, il s'amuse souvent avec le personnel de manière sadique. Quant à moi, je suis connu pour être sévère, exigeant, rigide, implacable, bien que juste. On me reconnaît au moins cela.
- Ce sont de meilleures raisons, selon moi.
- Oui, mais j'inspire aussi la crainte et la terreur, parfois. Personne n'ose s'opposer à moi ni me contrarier. Mes hommes seuls se permettent de me faire des remarques, car ils savent qu'elles seront entendues et que je ne suis pas de mauvaise foi. Mais de l'extérieur, je peux paraître tyrannique.
- Je vois ce que tu veux dire. Tu sais écouter et reconnaître tes torts, ce sont effectivement deux de tes plus grandes qualités. Mais quel rapport avec moi ?
- Personne n'ose vraiment t'approcher, Kanon, pour quelque raison que ce soit.
- Je l'ai remarqué, et aussi ton comportement, quand on est avec les autres, mais ce n'est pas parce que je suis Chevalier s'Athéna ?
- Tu es mon compagnon, au contraire, ils savent qu'ils doivent te respecter et que je n'accepterai aucune réflexion sur ton statut de Chevalier et de mortel. Mais c'est justement parce qu'ils savent combien tu comptes pour moi et qu'ils ont peur de faire une erreur avec toi et surtout, de ma réaction derrière, qu'ils préfèrent t'éviter.
- Je vois.
- Et je te prie de m'excuser, Kanon, mais cela m'arrangeait. Je t'ai très peu emmené à travers le Royaume à la rencontre des autres, je ne t'ai pas donné l'occasion d'apprendre à les connaître ou d'échanger encore. Je veux te garder pour moi. Je veux que le temps que tu peux passer ici ne soit qu'avec moi. Je considère que le reste est du temps perdu. Pour le moment, je le répète. Je comptais y remédier plus tard, car je sais l'importance que tu te lies aux autres et que tu t'intègres. Même si cela ne se fera réellement que lorsque tu renaîtras en tant que Spectre.
- Je comprends mieux. Je n'ai pas montré beaucoup d'intérêt pour les autres non plus, à peine pour les lieux.
- A peine ? releva Rhadamanthe en haussant le sourcil. Tu es parfaitement capable de te repérer dans le Royaume, aujourd'hui, après m'avoir demandé à de nombreuses reprises de t'en faire faire la visite.
- Oui, c'est vrai. Les Enfers me fascinent. Et je dois m'y habituer progressivement, trouver du beau en ce lieux, en dehors de Caina et son Maître.
- Cela ne me dérangerait pas qu'il n'y ait que nous qui trouvions grâce à tes yeux. Mais il faudra tout de même que tu découvres un endroit qui pourra te servir de refuge, d'endroit à toi, où lorsque tu t'y rendras, cela voudra clairement dire que tu veux être seul.
- Tu penses que j'en aurais besoin ?
- C'est nécessaire. Il y a beaucoup d'endroits où tu peux être seul et isolé, dans le Royaume. Mais je te retrouverai toujours, Kanon. Alors que si tu as cet endroit et que tu y es, sans que tu n'aies à formuler des mots qui peuvent être blessants, je comprendrais que tu veux être seul
- Tu as déjà prévu que nous nos disputerions et que je chercherai à te fuir… Je ne sais pas si je dois m'en réjouir ou trouver ça effrayant !
- Je ne prévois rien, je pare seulement à toutes éventualités, car il n'y aura pas que des disputes qui pourraient t'amener à vouloir être seul. Mais il est vrai que l'Eternité est longue, Kanon. Nous avons tous deux de forts caractères. Notre amour l'est davantage, mais il y aura des moments où nous serons peut-être tentés de l'oublier.
- Quelque part, je me dis que si tu as réussi à vivre si longtemps avec Minos et Eaque, de qui tu es pourtant si différent et souvent en totale opposition, nous pourrons très bien nous en sortir, tous les deux.
- Évidemment. Nous serons toujours plus forts que tout ce qui pourrait nous séparer, mon aimé. Et je doute vraiment un jour avoir envie de te tuer., comme ce fut le cas, avec mes frères. Encore moins de le faire réellement.
- C'est déjà arrivé ?
- J'ai ce pouvoir, je suis le Spectre le plus puissant, ce n'est pas une légende. Je peux battre et tuer n'importe quel être du Royaume souterrain, y compris mes frères. Mais je n'ai jamais abusé de ce pouvoir. La seule fois où j'ai tué Minos, c'est lorsque j'ai appris ce qu'il avait fait à ton âme, durant tous ces millénaires.
- Ce qu'il nous a fait à tous les deux, amour. En s'en prenant à moi, il t'a aussi ancré dans ta quête pour me retrouver en t'ôtant toute chance d'y arriver.
- Tu comprends pourquoi ce jour-là il est mort de mes mains.
- Oui. Ce n'était pas de l'abus de pouvoir, c'était mérité. Et j'ai cru comprendre qu'Hadès t'avait donné son aval.
- En effet. Mais cela s'est joué en une fraction de seconde, tu sais. Je crois que son hochement de tête a eu lieu en même temps que mon coup fatal est parti, tuant Minos sur place.
- Tu ne voulais pas le faire souffrir.
- Je ne voulais pas lui faire plaisir, surtout. Il aime beaucoup trop la douleur, autant la ressentir que la donner. Le tuer ainsi l'a énormément fait souffrir, mais sans plaisir, et c'était le but. Revenir à la vie est une souffrance violente et brève, et Hadès ne l'a pas ménagé. Tu en sais quelque chose.
- En effet.
- Enfin, pour vous, ce fut légèrement plus difficile, car vos corps étaient d'origine.
- Ce n'est pas le cas des vôtres ? s'étonna Kanon.
Sa main qui se promenait nonchalamment sur le bras de Rhadamanthe s'était immobilisée sur son épaule.
- Si, nous récupérons le corps d'incarnation qui s'est figé dans le temps à sa mort. Mais il ne porte aucune trace de ce qu'il a vécu précédemment. Le processus est douloureux, mais une fois revenu, nous ne ressentons plus aucune souffrance, aucune fatigue. Nous pouvons retourner au combat dans la minute qui suit. Ce n'était pas votre cas.
- Oh ! Non, loin de là ! grimaça le cadet des Gémeaux à ce souvenir. On a mis plusieurs semaines à pouvoir quitter l'infirmerie ou nos appartements, et la montée du Grand escalier a été assez douloureuse durant un temps, encore.
- C'était inévitable.
Le silence se fit, intime et confortable, quelques minutes.
Ils adoraient tous les deux ces moments d'échange, souvent après l'amour, mais pas que, dans la profondeur et le calme de la nuit des Enfers.
Les cris des âmes prisonnières dans le Cocyte, bien qu'à proximité, ne leur parvenaient pas.
Caina était une forteresse impénétrable, même si elle n'apparaissait que comme une grande demeure aux portes de la Huitième prison.
Kanon reprit.
- Est-ce que c'est toi qui as demandé à ce que je sois aussi ressuscité ?
- Non, c'est Athéna. Elle a explicitement nommé tous les Chevaliers dont Elle souhaitait le retour. C'est à dire tous les Chevaliers rappelés pour cette ère.
- Tous ?
- Oui. Mais seul le retour de ceux ayant combattu Hadès et son armée lui a été accordé par Zeus. Je suis simplement intervenu pour Aioros.
- De quelle façon ?
- Tu le sais, j'avais laissé son âme en attente avec les souvenirs de sa vie passée intacte, jusqu'à ce qu'il me demande de lui faire traverser le Lethé.
- Oui.
- Bien qu'il ait participé à la Guerre Sainte et que son intervention ait été décisive devant le Mur des Lamentations, le Seigneur Hadès ne voulait pas le renvoyer sur Terre.
Cette révélation surprit Kanon.
- Mais pourquoi ?
- « C'est une âme trop vertueuse pour ce monde impur », tels ont été ses mots. Alors j'ai plaidé pour lui, car son âme hurlait du désir de retrouver celle de ton frère.
- Et tu as obtenu gain de cause. Ils te doivent beaucoup, alors. Tout, en fait. Je ne pense pas qu'ils en soient conscients.
- Je ne sais pas si mon intervention a changé quoi que ce soit, Kanon. Je pense sincèrement qu'Athéna se serait battue pour lui, pour eux, jusqu'à obtenir satisfaction. Et Elle aurait gagné, Elle reste la préférée de Zeus, quels que soient leurs désaccords.
- Mais grâce à toi, Elle n'a pas eu à le faire. Merci pour eux, pour Elle. Tu es quelqu'un de bien, en fait, le taquina-t-il en embrassant son torse à portée de lèvres.
- Être l'ennemi de quelqu'un n'en fait pas une personne foncièrement mauvaise, Kanon, répondit-il très sérieusement.
- Non, mais être le Premier général du Dieu qui voulait détruire la Terre et les humains ne te rendait pas forcément très sympathique aux yeux de ces mêmes humains et de leurs protecteurs…
- Je ne faisais que mon devoir.
- Je sais. Allons, ne sois pas si sérieux, Rhad'.
- Il est difficile de ne pas l'être quand sont abordés des sujets qui requièrent cette posture.
Kanon retint un soupir.
Rhadamanthe pouvait être si rigide, parfois !
- D'accord, Monsieur le Juge trois fois millénaire, n'en parlons plus. Il est tard, de toute façon, je sens que je vais bientôt m'endormir.
Rhadamanthe le serra un peu plus contre lui.
- Je déteste te laisser aux bras de Morphée, mais tu as besoin de repos. Tu as fait la fête une bonne partie de la nuit dernière, nous sommes rentrés tard, aujourd'hui. Et au lieu d'aller bien sagement dormir, à notre retour, nous avons passé encore un long moment à nous aimer et à redécouvrir nos corps avec passion.
- Tu le regrettes ?
- J'ai simplement dit que ce n'était pas très sage. Et peut-être aussi un peu égoïste, de ma part, car je le voulais vraiment. Je te voulais. Tu étais sublime, ce soir, un soleil dans les ténèbres grisâtres des Enfers. Comment aurais-je pu rester de marbre ? Seulement, je ne ressens pas la fatigue comme toi, cela n'a pas le même impact sur moi de dépasser un peu mes limites.
- Je vais très bien, Rhad', amour. Je ne me voyais pas dormir sans avoir ce moment avec toi. Après avoir senti ton regard sur moi toute la soirée, fier, mais surtout, de plus en plus avide, j'avais besoin de te sentir entièrement, de toutes les façons possibles. J'avais besoin de ne faire qu'un avec toi, physiquement, puisque c'est déjà le cas, à chaque instant.
- Je suis ravi d'avoir pu répondre à ce besoin. Mais à présent, il te faut dormir.
- Oui, en effet, et dans tes bras, répondit le Gémeau en se blottissant encore plus contre son Juge, si c'était possible, le nez au creux de son cou qu'il embrassa au passage. Mais avant, j'ai encore une question, si tu me le permets.
- Si tu as encore un peu d'énergie pour prolonger notre discussion, pose-là, je t'en prie. Tu sais bien que je pourrais aisément t'écouter toute la nuit.
- Tu m'as dit qu'il n'y avait pas de notion de temps, ici. Alors, je me demandais, est-ce que Perséphone manque à Hadès, quand Elle est à la surface ?
- Il n'exprime jamais ce genre de sentiment et ne parle pas spécialement d'Elle non plus. Nous notons simplement la différence de comportement entre la période où Elle est à ses côtés et l'autre où Elle est absente. Il est plus heureux et détendu en sa présence, c'est un fait, plus conciliant, aussi.
- Et en ce qui te concerne ?
- Tu me demandes si ma Reine me manque, lorsqu'Elle regagne l'Olympe ?
- Mais non, idiot ! s'amusa Kanon en étouffant un petit rire contre son cou. Je te parle de nous. Je te manque quand je suis loin, tu n'aimes pas qu'on soit séparé trop longtemps. Et tu m'as aussi dit que tu avais ressenti chaque instant qui t'avait séparé de nos retrouvailles.
- Ce n'est pas tant qu'il n'y a pas de notion de temps, Kanon, c'est plutôt qu'il ne compte pas, pour nous, pour les Dieux. Dans mon cas, c'est tout un paradoxe. Les années, les siècles et les millénaires se sont écoulés sans m'affecter, à cette seule exception que tu n'étais pas près de moi et cela, je l'ai ressenti avec acuité. Cela a nourri ma patience, ma force, mes espoirs. Je dirais donc que c'était plutôt l'absence, que le manque. Et l'absence crée des vides que le Temps ne remplit pas. Cependant, pour moi, elle n'était plus un mot ou un concept creux, elle avait fini par prendre les traits de ton visage.
Ces mots renvoyèrent Kanon au souvenir d'une dispute entre Milo et Camus, la seule, à ce jour, en tous cas, en public.
Camus avait décidé de retourner à l'isba pour entraîner Hyoga, pendant les vacances d'été, durant un mois. Il avait refusé que Milo les accompagnât, et lui avait demandé de ne pas venir les voir, pas une seule fois, durant le mois où ils y seraient. Le Scorpion avait vivement protesté, ne souhaitant pas être séparé de son Verseau. Il était si heureux et solaire que personne n'imaginait combien il était encore traumatisé par la mort de Camus, et la source d'angoisse et de douleur que lui causait la plus petite séparation avec lui. Il n'était pas du tout rationnel à ce sujet, mais il ne pouvait pas l'être quand l'affect était autant impacté. Etrangement, Camus n'avait pas mesuré la profondeur de son traumatisme, aussi, il n'avait pas compris pourquoi Milo faisait toute une histoire de cette « petite » séparation d'un mois. Le ton était donc monté.
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Flashback
Soirée d'anniversaire d'Angelo
24 juin 1989
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- Mais merde tu fais chier à la fin !
Un lourd silence tomba à l'éclat de voix de Milo.
Il n'élevait jamais le ton devant Camus, encore moins sur lui.
- Calme-toi, Milo.
- Non, j'en ai marre, là ! J'ai fermé ma gueule jusque-là et depuis deux ans, j'ai pris sur moi en me répétant en boucle que ce n'était pas si grave si tu ne prenais pas l'entière mesure de ce que j'ai vécu, mais en fait, c'est pire que ça ! Tu n'as absolument pas la moindre idée de ce que que cela fait, hein ?
- Pourrais-tu te calmer, qu'on puisse en parler plus posément ?
- Mais parler de quoi, Camus ? Ton devoir passe avant tout, même avant nous, rien a changé pour nous alors que tout est différent, autour ! J'ai vraiment été naïf de le croire…
- C'est faux, tu es injuste. La situation a changé pour nous aussi. J'ai entendu tes reproches sur mon acte passé, je t'ai fait la promesse que je ne prendrais plus jamais de décision qui nous impacterait tous les deux sans t'en parler.
- Et c'est exactement ce que tu as fait.
- N'étions-nous pas en train d'en discuter, avant que tu ne t'énerves ?
- Tu m'as annoncé ta décision sans qu'on en ait parlé avant, et tu m'as fait part de tes exigences en me renvoyant à la figure toutes mes objections ! protesta le Scorpion. Je ne vois pas où est la discussion, ici !
- J'étais loin d'imaginer que tu réagirais de cette façon, Milo. Maintenant que j'ai fait le constat de l'incompréhension et de la souffrance que cela te cause, je suis prêt à revoir mes plans et étudier tes arguments.
- Etudier mes arguments ? releva le Scorpion en s'étranglant presque sur les mots. Mais attends, tu crois que je vais te faire un rapport structuré ou un retour d'expérience ? Je ne devrais même pas à avoir à argumenter, je suis ton compagnon, bon sang ! Tu ne peux même pas comprendre ça ? J'hallucine, mais sortez-moi de ce cauchemar !
- Milo, Camus, que se passe-t-il ? intervint finalement Saga en les rejoignant.
Personne n'avait trop osé le faire, encore, les répliques fusaient à une telle vitesse…
Et ils étaient encore choqués de voir ces deux-là se disputer.
Mais l'aîné des Gémeaux s'était décidé en saisissant justement l'opportunité d'une pause dans leur joute verbale.
- J'ai simplement informé Milo que je repartais à l'isba pour parfaire l'entraînement de Hyoga, comme cela m'a été autorisé, répondit le Verseau, mais sans quitter son compagnon du regard. Je lui ai demandé de ne pas m'accompagner et de ne pas nous rendre visite, pour que je puisse me concentrer sur…
- Ton devoir.
- Mon disciple, corrigea Camus. Il ne s'agirait que de quelques semaines, un mois, tout au plus, mais Milo ne veut pas entendre raison, il m'en veut et n'accepte visiblement pas cette séparation.
- Pas de la manière dont tu présentes les choses ! se défendit-il. Tu ne me parles pas d'un aller-retour de vingt minutes à Rodario, bon sang ! Un mois sans se voir, ça me broie le cœur, mais c'est comme si cela ne te faisait rien du tout, à toi, comme si j'allais même pas te manquer !
- Tu sais que c'est faux. Mais le manque, ça se domine.
Le cœur, l'âme et le cosmos de Milo semblèrent se déchirer, à ces mots terribles.
Tout le monde pu ressentir la violente douleur qui le traversa, et Camus plus fortement que les autres, encore.
Il tendit sa main vers lui, mais Milo la repoussa violemment, et le bruit de l'impact en témoigna, tant il résonna.
- Et comment ça se domine, le manque, d'après toi ? répondit-il d'une voix que personne ne lui avait jamais connu, si rauque et douloureuse qu'elle en devenait presque rocailleuse. Dis-moi, Camus, explique-moi donc comment on arrive chaque putain d'heure, chaque foutue journée, à ne plus penser à celui qui occupe toutes nos pensées et qui n'est plus là ? Comment on résiste à ces détails insignifiants, une musique, un endroit, un parfum, un geste qui renvoient instantanément à cet autre, son autre, sa moitié, dont on est privé ?
- Milo…
- Chaque geste est incomplet, poursuivit le Scorpion, hanté par ses souvenirs douloureux. Chaque mot prononcé rencontrait un silence, chaque lieu traversé était vide de ton corps et pourtant si plein de ta présence. Chaque minute qui passait était une morsure atroce qui déchiquetait chaque fibre de mon être. Chaque regard que je t'adressais ne rencontrait que le vide… Alors dis-moi, mon amour, demanda-t-il avec un rictus amer, comment on se débrouille avec le ventre qui se tord, le sommeil qui se dérobe, le souffle qui n'emplit plus les poumons aussi vides que le cœur ? Tu as l'air de tellement bien le savoir !
- Tu mélanges tout. Je suis vivant, Milo, tu le sens à chaque instant. On pourra se parler tous les soirs, notre lien télépathique est désormais aussi solide que notre lien d'âmes, il ne se rompra pas et plus jamais.
- Tu penses que c'est suffisant pour m'empêcher de revivre ce cauchemar ? Tu n'as toujours pas compris que chaque seconde loin de toi me replonge dedans et me submerge ? Tu crois que j'ai envie de ressentir ça à chaque instant ? Et tu crois que j'ai envie de te coller comme ça, avec le risque que tu te lasses de moi ? Est-ce que c'est le cas, c'est pour ça que tu veux partir seul ?
- Encore une fois, tu mélanges tout.
- Évidement que je mélange tout, j'arrive plus à réfléchir ! s'énerva le Scorpion. Merde, fais chier, j'en peux plus de t'aimer à en crever, alors que toi…
- Moi, quoi, Milo ? demanda Camus, d'un ton très légèrement au-dessus. Je ne t'aime pas assez, c'est cela ?
La tristesse qui n'était pas perceptible dans la voix du Saint de glace filtrait pourtant dans son cosmos.
Ce qui toucha et calma quelque peu Milo, qui détourna les yeux.
- Ce n'est pas ce que j'ai dit…
- Alors quoi ?
- T'as pas besoin de moi comme moi j'ai besoin de toi… répondit-il en le regardant à nouveau. Je respire à peine, quand t'es pas avec moi, je suis en mode survie. Alors que vivre sans moi, ça a l'air tellement facile pour toi…
- Ça ne l'est aucunement, assura Camus en lui prenant la main. Mais j'ai un devoir envers notre Déesse et mon disciple, et je ne suis pas assez fort pour remplir cette tâche en ta présence, aujourd'hui.
- Qu'est-ce que tu racontes, comment cela, pas assez fort ?
- A présent que nous vivons notre amour avec tant d'intensité au quotidien, et bien que nous soyons des professionnels aguerris, si lorsque tu es loin de moi, je peux verrouiller mon esprit et me concentrer sur ce que j'ai à faire, plus tu es près de moi, et plus il m'est difficile de penser à autre chose qu'à toi. Car je te vois, je sens ton odeur, ta présence réelle et plus seulement en esprit. Peux-tu comprendre cela, Milo ? Je ne peux plus me concentrer comme avant et faire abstraction de toi, alors que tu es là. Une seconde d'inattention dans l'environnement hostile des glaciers de Sibérie peut aller jusqu'à nous coûter la vie, à Hyoga et moi. Tu le sais non, depuis le temps ?
Forcément, un tel discours réussit à attendrir Milo.
Cependant…
- Oui… Mais ce n'est pas de cela dont il s'agit !
- Et de quoi d'autre ?
- Tu ne comprends vraiment pas ?
- Non, je suis désolé.
Milo soupira et libéra sa main.
- Pas autant que moi…
Il se détourna pour partir, sous le regard impuissant de Camus et désolé de tous les autres témoins de cette scène inhabituelle.
Aiolia et Kanon emboitèrent immédiatement le pas à Milo, alors que Saga et Shura entouraient Camus.
Fin du flash-back
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Les deux hommes avaient fini par s'expliquer en privé, et dès le lendemain, tout le monde avait retrouvé le couple et sa dynamique habituelle.
Mais vu la gravité du sujet, tout pouvait resurgir à n'importe quel moment.
- Kanon, tu t'es endormi ?
- Non, pardonne-moi, tes mots m'ont rappelé la dispute entre Milo et Camus, à l'anniversaire d'Angelo, je t'en avais parlé.
- Je m'en souviens, oui, répondit le Juge après une courte réflexion. Il est vrai que le Scorpion a éprouvé la perte, le manque et l'absence de l'être aimé de la façon la plus douloureuse qui soit. J'en sais quelque chose.
- Justement, Rhad', le manque, l'absence, ce genre de sentiments, est-ce que cela vient de ta moitié humaine ? Du corps incarné que tu as gardé et qui t'influence peut-être encore ? demanda Kanon en promenant tendrement ses mains sur les parties de ce corps qui lui étaient accessibles.
- Je n'ai mis cela que sur le compte de l'amour que j'éprouve pour toi et de la frustration de n'avoir jamais pu le vivre pleinement, accentuée par la certitude que j'avais que nous avions quelque chose à construire, tous les deux.
- Mais la frustration est aussi un sentiment humain.
- Les Dieux en éprouvent aussi pourtant. Tout comme un tas d'autres. Le Seigneur Hadès a jugé que les humains ne savaient pas ce qu'était l'amour, que leur définition n'était pas valable. Il le pense encore, c'est le principal sujet de discorde avec Athéna. Non car Il ne croit pas en ce sentiment, au contraire. Mais Il estime que seuls les Dieux en connaissent vraiment le sens et sont capables de l'éprouver. A ses yeux, les humains sont corrompus et n'ont que des désirs égoïstes et pervers et ce qu'ils nomment amour n'en est jamais réellement.
Kanon releva les yeux vers lui.
- Ne sommes-nous pas à l'image des Dieux, amour ? Ce que tu décris, c'est exactement ce que nous leur avons toujours reproché : avoir des désirs égoïstes et être capricieux. La seule différence avec nous, c'est qu'Ils ont le pouvoir de les assouvir, contrairement à nous qui subissons leurs humeurs et ne sommes souvent que des pions sur leurs échiquiers.
- Je te l'accorde. Mais au final, Kanon, ce sont les humains qui ont eu le dernier mot. En ne vénérant plus les Dieux et en les oubliant, en les reléguant au rang de mythes, vous les avez contraints à l'exil. La Terre vous appartient, désormais. Athéna est la seule à vous donner suffisamment d'importance et d'attention pour vouloir encore vous protéger de votre propre bêtise.
- Hey ! protesta Kanon. Pourquoi tant de rudesse ?
- Parce que je suis un Juge trois fois millénaire qui ne compte plus le nombre d'âmes jugées, de la plus modeste incarnation au plus grand héros, Kanon, répondit-il en caressant sa joue d'un doigt replié. L'Homme est capable de grandes choses, l'humanité a fait de grands progrès au cours des siècles. Mais à quel prix ? L'Homme croit davantage en sa propre personne qu'aux Dieux, à l'univers ou même à son espèce. Et il détruit plus qu'il ne construit, désormais.
- Tu n'es pas très optimiste, on a l'impression qu'on va droit dans le mur, soupira le Gémeau en reposant sa tête sur l'épaule du Juge.
- C'est ce que je pense. Si les comportements ne changent pas, cela se produira, dans dix, vingt, trente ou cent ans, peu importe. Les ressources de la planète ne sont pas inépuisables et elles sont mal distribuées. La Terre est agressée en permanence. Alors oui, j'ai cette certitude et cette prédiction, l'Humanité court à sa perte, si les forces décisionnaires ne font pas ce qu'il faut, tant que c'est encore réversible. Tu verras, tu y assisteras depuis les Enfers.
- J'aime vraiment ton optimiste, Rhad' ! grimaça le Gémeau. Il y a quand même de l'espoir, regarde, le rideau de fer est démantelé un peu partout, cela a commencé en Hongrie, au printemps, on sent la pression de plus en plus forte, en Tchécoslovaquie, ça va remonter jusqu'en RDA, c'est certain. Le Mur de Berlin va finir par tomber. Les peuples vont pouvoir bientôt renouer entre eux et les échanges reprendre. Il y aura une meilleure distribution des ressources, un meilleur partage d'idées et de solutions pour plus de solidarité et d'entraide, plus d'équité. Une nouvelle ère s'ouvrira prochainement, on sent déjà le vent nouveau qui fait frémir les nations, plusieurs d'entre elles veulent acquérir leur indépendance et la possibilité de se gouverner par elles-mêmes, de décider de leur sort.
- Je demande à voir, Kanon. J'en ai vu naître et mourir, des civilisations et des grandes ères. Cela n'a de l'importance pour moi actuellement que parce que tu vis dans ce monde. Être témoin de l'évolution de l'Humanité par le Jugement des âmes qui se présentent à mon Tribunal m'avait toujours suffi, jusqu'à présent.
- J'y vis sans vraiment y vivre, cependant, nuança le Chevalier. Nous sommes un peu dans notre bulle, au Sanctuaire, et souvent spectateurs de ce qui se passe au-dehors. Sauf lorsque nous escortons notre Déesse dans ses missions en faveur de la Paix à travers le monde, ou qu'elle envoie l'un d'entre nous en son nom. Mais cela est plutôt rare, en vertu de la nécessité de ne pas trop nous mêler des affaires des mortels. Nous n'en sommes pas moins au fait de ce qui se passe, bien que très peu impacté, au final.
- C'est mieux ainsi.
- A l'image de ton Seigneur Hadès, tu n'accordes pas beaucoup foi à l'humanité, amour.
- Non. Encore une fois, je reconnais que l'Homme a su réaliser des grandes choses, à travers son Histoire. Mais il a aussi été capable des pires atrocités, en avançant sur la ligne du Temps. Les conquêtes et les guerres de territoires, c'est une chose, j'en ai aussi mené, en tant que Prince et Roi. Mais les guerres idéologiques de ce siècle, qui trouvent racines dans les deux siècles précédents, bien évidemment, m'ont fait perdre définitivement foi en l'être humain. Je trouvais la colonisation barbare et hypocrite, mais les Deux guerres mondiales et la décolonisation qui a suivi sont vraiment le summum de la bêtise et de la cruauté de l'Homme envers ses semblables à l'échelle planétaire.
- Les guerres de l'Antiquité n'étaient pas très propres, non plus.
- On s'attaquait à des territoires, pour des terres, des ressources. On ne s'en prenait pas aux peuples pour leurs origines ou leurs religions, Kanon, cela fait toute la différence. Même lors des Croisades, il y avait du respect entre les peuples et les religions, les échanges étaient nombreux, chacun apprenait de l'autre. On laissait la guerre et les pillages aux soldats, la conversion aux religieux, qui ne forçaient pas. Les civils, le commun des mortels, apprenaient de l'autre, vivaient avec, partageaient. C'était ce qui dominait, en tous les cas. L'Occident a appris beaucoup de l'Orient dans le domaine des sciences et des arts, alors même que les guerres faisaient rage pour la domination terrestre.
- Et les Guerres de religion de la chrétienté ?
- Elles n'ont concerné que le Royaume de France, alors qu'un accord avait été établi dans le Saint Empire qui permettait à chaque état de choisir librement sa confession, catholique ou protestante.
- La colonisation ?
- C'est aussi une idéologie arbitraire et raciste. Sous prétexte qu'un peuple est inférieur et doit être civilisé ou converti, on annexe son pays et on pille les ressources, alors que personne n'avait rien demandé. On en a même fait des esclaves.
- L'esclavage date de l'Antiquité, Rhad', ce n'est pas à toi que je vais l'apprendre ! La première mention d'esclaves identifiée est apparue sur une tablette trouvée chez toi, à Cnossos...
- C'était le schéma de société à l'époque, Kanon. Depuis, l'esclavage a été aboli, bien que tardivement, et même s'il perdure sous une forme moderne. L'Homme a établi la Déclaration universelle des droits de l'Homme et du citoyen qui affirme l'égalité dès la naissance. Pourtant, les Hommes ont poussé ce système d'esclavage à son extrême, après cela. Ce que j'essaie de te faire comprendre, c'est que l'Histoire est une valse sans fin, mais que l'être humain apprend difficilement de ses erreurs et les répète souvent en se trouvant toujours des excuses. En avançant dans le Temps, l'Homme aurait dû tirer des leçons sur ce qu'il faisait de bien et surtout de mal, pour améliorer les choses. Tendre vers plus de justice et d'équité. Ce n'est absolument pas le cas.
- Je suis d'accord avec toi. Mais l'Humanité mérite tout de même d'être sauvée, non ? D'être aidée à rester ou retrouver le bon chemin, si elle s'en écarte vraiment.
- Elle a abandonné les Dieux, et même ce Dieu unique qu'elle s'est inventée. L'Homme pense être supérieur et se suffire à lui-même. Chaque pays ou peuple vit avec cette idée en tête qu'il est mieux que son voisin. Malgré toutes les guerres et les conflits qui ont traversé l'Histoire, les gouvernements auto-proclamés gendarmes du monde en viennent encore à tracer des frontières sur des pays existants pour délimiter des territoires qu'ils offrent à d'autres, au détriment des populations présentes, suscitant de nouvelles inégalités, injustices et rancœurs. Les graines de nouveaux affrontements ont déjà éclaté. Les victimes d'hier deviennent les bourreaux d'aujourd'hui en toute légitimité. Cela ne peut pas fonctionner, mon aimé, tu en es conscient. La paix n'est pas l'absence de guerre, c'est une vertu, un état d'esprit, une volonté de bienveillance, de confiance, de justice. Je n'en vois pas suffisamment, dans le monde, actuellement. Nous verrons bien ce que cela donnera, avec la promesse de cette aube nouvelle. Mais je connais cette promesse, et elle s'est de très nombreuses fois révélée être une simple illusion.
- Je ne suis pas un témoin de l'Histoire comme toi, mais je trouve bien sombre le portrait que tu dessines, soupira Kanon en relevant les yeux pour les plonger dans les siens. Je suis conscient de ne pas avoir ton recul, cependant.
- Cela viendra en temps et en heure. Tu deviendras, toi aussi, un témoin de l'Histoire de l'Humanité, de son salut ou de sa chute. Mais en attendant, vis ta vie, Kanon et profite de chaque moment de paix et de bonheur auprès des tiens. Et pour ce qui concerne l'instant présent et immédiat, surtout, tes adorables petits yeux me disent qu'il est temps pour toi de dormir.
- Oui, tu as raison, amour, il se fait tard. Merci d'avoir patiemment répondu à toutes mes questions. Ce n'était pas vraiment le moment pour un cours, mais j'aime tellement t'entendre parler et découvrir, redécouvrir l'Histoire à travers ton regard sage et éclairé. Je ne m'en lasserai jamais.
- Tant mieux, j'en suis heureux. Cela me rappelle un peu notre première vie. Nous passions beaucoup de temps à converser sur tous types de sujets, tu étais avide de connaissance et si curieux du monde qui nous entourait, et qui demeurait plein de mystères.
- J'étais instruit ?
- Tu es né fils d'Apollon, mais…
- Comment ? s'exclama Kanon en redressant vivement la tête.
- Apollon était un véritable coureur, comme tous les Dieux de l'Olympe ou presque. Il a eu beaucoup d'enfants avec des mortelles et des nymphes, entre autres, qu'elles aient été consentantes ou non. Il ne s'est jamais occupé d'eux. Toi, tu as été recueilli et nourri par une louve, puis élevé par des bergers.
- Et j'ai fondé la ville de Rome ? le taquina-t-il.
Rhadamanthe eut un petit rire.
- Non, lors de ton exil pour fuir Minos, tu es parti en direction de l'Asie Mineure, non de l'Italie, où tu fondas bien une ville, cependant, celle de Millet.
- J'ai vraiment fait cela ?
- Oui. Tu as épousé la fille du Dieu fleuve Méandre, la nymphe Cyané, dont le Scorpion est l'actuelle incarnation. Elle t'a donné deux enfants, des jumeaux, une fille, Byblis, et un garçon, Caunus.
- Attends une minute, c'est la nymphe Byblis qui s'est changé en fontaine ?
- Tu connais donc cette histoire ?
- J'ai lu Les Métamorphoses d'Ovide. Il y raconte qu'elle voulait convaincre son frère jumeau de la pureté de son amour pour lui, en lui rappelant que les Dieux se livraient eux aussi à des amours incestueux en toute impunité. Mais Caunus était effrayé par cet amour et il s'est enfui. De désespoir car elle ne l'a jamais retrouvé, Byblis a tant pleuré qu'elle s'est changée en fontaine en mourant. Il parait même que le lieu de sa mort à donné le nom de la ville qui y fut érigée plus tard, Byblos.
- C'est la version d'Ovide, en effet.
- Alors déjà à cette époque, les jumeaux étaient maudits.
- Ils le sont presque toujours, Kanon, d'où qu'ils viennent et quelle que soit leur histoire. Mais concernant celle qui a pesé sur les Chevaliers d'Athéna, Gardiens de la Troisième Maison du zodiaque, Saga et toi y avez enfin mis un terme.
- Au cours d'une seconde vie qui n'aurait jamais dû nous être accordée.
- Elle l'a été, et a permis cela. Bien que, selon moi, vous l'aviez déjà levé lors de la Guerre sainte qui nous a opposé. Vous étiez unis sous la même bannière, celle d'Athéna.
- Certes, reconnut Kanon d'une toute petite voix. .
- Pour en revenir à ta question initiale dont nous nous sommes bien éloignés, reprit le Juge pour lui éviter de trop songer à cette malédiction, ton instruction venait du fait que tu as toujours su te faire apprécier des gens de tous statuts et rangs. Tu étais envoûtant, aussi beau que ton père, aussi solaire que lui et que tu ne l'es, aujourd'hui. Ainsi, tu avais facilement accès au savoir et à de nombreuses connaissances, par la discussion ou la lecture de textes qu'on te prêtait ou te laissait consulter sans hésiter.
- C'est de cette façon que nous nous sommes rencontrés, tous les deux ?
- Tu ne m'avais encore jamais posé de question sur notre première vie de toi-même, Kanon.
- Je n'étais pas prêt à entendre la réponse, sûrement. Je ne peux pas vraiment dire ce qui a changé, je suis peut-être simplement curieux.
Rhadamanthe déposa un baiser sur le front de son Gémeau.
- Je te dirai tout ce que tu veux savoir, mais une autre fois. Morphée te tend les bras et je me dois de te céder à lui, provisoirement.
- Je reconnais que je ne serai sûrement pas assez attentif, et je risque de m'endormir en plein milieu de ton récit. Une autre fois, alors ?
- Quand tu le souhaiteras. Peut-être n'auras-tu même pas besoin de moi, qui sait ? Le fait que tu acceptes enfin d'en parler peut débloquer des souvenirs ancrés dans ton âme.
- Une telle chose serait possible ? s'étonna le Gémeau.
- Tu n'es pas passé en Jugement, la première fois, ton âme a été scellée avant cela par Minos. Et étant un demi-dieu par ton père, elle est très puissante. Elle a donc encore gravés en elle de nombreux souvenirs de sa première incarnation.
- Je préférerai quand même que tu m'en parles.
- Très bien. Je le ferai, dès que l'occasion nous sera donnée.
- Merci.
Son remerciement se perdit dans un bâillement.
Ce qui tira un sourire au Juge, brusquement attendri par cette simple vision.
Et peut-être aussi par le rappel de souvenirs enfouis.
- Je te souhaite une très bonne nuit, mon âme, que Morphée prenne soin de tes songes en son Royaume.
- Merci, mon amour, à toi aussi, que tu dormes ou non, répondit-il en se redressant légèrement pour embrasser ses lèvres avec tendresse.
Kanon se rencogna ensuite contre Rhadamanthe et il ne tarda effectivement pas à s'endormir dans ses bras, à peine les sentit-il se refermer autour de lui.
Lorsque celui-ci perçut la respiration régulière de son Gémeau contre son cou, il actionna un petit mécanisme qui fit coulisser le plafond au-dessus du lit, révélant un miroir tout aussi grand, qui reflétait toute sa surface.
Rhadamanthe restait ainsi souvent des heures à regarder Kanon dormir dans ses bras, alors qu'il glissait tendrement ses doigts entre ses mèches d'or ou le long de son bras.
Cette vision le ressourçait bien plus que n'importe quel temps de repos qu'il pouvait s'accorder.
Ainsi, même si Kanon s'abandonnait au sommeil dans un autre Royaume, celui des Songes, Rhadamanthe pouvait le garder près de lui de cette façon, physiquement, et sans perdre de temps à dormir et manquer ces instants précieux.
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Caina, Royaume souterrain,
Une dizaine de jours plus tard.
Mardi 3 octobre 1989
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*Vous allez quitter Toronto aujourd'hui, alors ?
Oui, Kanon, après le match.
Attends, Saga, s'il est quasiment 20h30 ici, il doit être 13h30 de votre côté, n'est-ce pas ?
C'est cela.
Si on compte 2h pour le match, sachant que cela peut être plus long avec les prolongations et tout, vous sortirez de là au moins vers 16h… Le temps de récupérer vos affaires et de partir, 16h30, donc plus de 23h en Égypte... Cela vous fait arriver très tard, ça va aller ?
Ne t'inquiète pas, on a prévu de bivouaquer dans le désert. On sera discret.
D'accord. Vous savez ce que vous faites, mais restez prudents. Le contraste va quand même être violent entre la fourmilière qu'est Toronto et le désert égyptien.
C'est sûr. Mais je pense qu'on en aura besoin, comme une sorte de sas avant de rentrer. On a bien fait de commencer par Toronto.
Cela t'a vraiment fait du bien, je le sens. J'ai perçu ton enthousiasme à de nombreuses reprises, quand tu voulais le partager avec moi.
Oui, c'était vraiment nouveau pour moi, tout cela, tu sais*, répondit Saga. *Il y a vraiment beaucoup de personnes différentes, les gens viennent de partout dans le monde. A part au Sanctuaire, je n'ai vu cela nulle part ailleurs, et j'ai pourtant voyagé, en deux ans, quand même ! On entend plein de langues, mais tout le monde arrive à s'amuser et communiquer.
Vous en avez bien profité, c'est l'essentiel.
Beaucoup ! On a fait un peu de tourisme culturel et beaucoup de balades dans la nature et dans la ville, sans se fatiguer, tranquillement. Et le soir, on revenait dans le quartier, on allait au restaurant, au bar ou dans un club, et plus besoin de faire attention aux regards des autres ! Kanon, c'est un tel bonheur de pouvoir prendre la main d'Aioros dans la rue, l'enlacer, lui voler un baiser devant un magasin ou par-dessus la table du dîner… D'entendre des inconnus nous dire qu'on fait un très beau couple, comme ça, spontanément. De pouvoir entrer ensemble là où on loge sans se cacher, sans prétendre être amis ou collègues, mais main dans la main et ne recevoir que sourires et accueil chaleureux…
J'imagine, oui. Je suis content que tu aies pu vivre cela. Mais je suis soulagé que vous partiez, après avoir prolongé votre séjour canadien de quelques jours. Je commençais à me dire que vous n'alliez plus vouloir rentrer.
Ce serait tentant de rester, alors qu'un tel monde existe pour nous, mais aucune crainte que ce soit le cas, rassure-toi. Tout n'est pas parfait, on ne peut pas rester dans la bulle que forme le quartier tout le temps. Et dès qu'on s'éloigne un peu, la réalité reprend ses droits. Il y a souvent des gens à proximité qui nous guette, armés d'une Bible, et qui nous sautent dessus pour nous « ramener à la raison » en nous traitant de « brebis égarées ». C'est drôle au départ, mais ensuite, c'est lassant… Comme beaucoup d'endroits à travers le monde, on aime y être en tant que touristes, mais y vivre, c'est une tout autre histoire.
Je vois ce que tu veux dire.
Et toi, comment vas-tu, Kanon ? Tout se passe bien, au Domaine ? Je te sens très fatigué, même si tu essaies de me le cacher.
Tu te souviens de ce que je t'ai dit dès les premiers jours à Toronto ? Pour le moment et jusqu'à ton retour, tu es seulement Saga le compagnon d'Aioros. Le Gémeau et futur Grand pope ne faisait pas partie de tes bagages. Trop lourd, il est resté à l'aéroport. Tu le récupéreras quand tu reviendras.
Je n'ai pas oublié, puisque tu me le redis à chaque fois. Mais tu peux quand même me parler…
Ne m'oblige pas à couper brusquement le lien, tu sais comme c'est douloureux.
D'accord, d'accord… J'ai confiance en toi, de toute façon, mais n'en fais pas trop. Tu n'as rien à prouver à personne et je suis déjà très fier de toi, comme Shion, Dokho et surtout, Athéna.
Je sais, tu me l'as déjà dit.
Faut croire que les Gémeaux aiment se répéter, mon cher jumeau.
Idiot…
Kanon, j'adorerai t'entendre me traiter encore d'idiot, mais je dois te laisser, le match va commencer, les joueurs sont entrés sur la patinoire.
Aucun souci, je suis attendu, moi aussi. Passe le bonjour à Aioros et amusez-vous bien. Et si le match te donne envie d'essayer de faire du hockey… abstiens-toi, si tu veux pouvoir profiter de l'Egypte sur tes deux jambes, on ne sait jamais.
Si je me casse quoi que ce soit, je ferais venir Aiolia pour me rafistoler ça.
Pour l'expliquer aux gens qui vont venir te secourir, je te souhaite bien du courage !
Ce n'est pas faux...
Allons, mon frère, je te laisse à votre match. À bientôt et soyez prudents, surtout en Égypte. C'est vraiment le jour et la nuit comparé à Toronto, niveau tolérance, restez sur vos gardes.
Ne t'inquiète pas pour nous. Je te donnerai des nouvelles rapidement.
Je compte sur toi.
Promis. Prends soin de toi et passe le bonjour à Rhadamanthe, ainsi qu'à tout le monde, de notre part.
Ce sera fait, ils seront ravis d'avoir de vos bonnes nouvelles.
Souhaite également de notre part un très bon anniversaire à Shiriyu, demain, si tu y penses, pendant sa petite fête. Nous le ferons également, bien sûr, mais ce ne sera peut-être pas au bon moment. Nous serons revenus au même fuseau horaire, mais cela ne nous empêchera pas d'être en léger décalage.
Tu peux compter sur moi. À bientôt.
À bientôt, petit frère.*
La connexion télépathique entre les Gémeaux se rompit, et Kanon releva ses barrières.
C'était devenu un automatisme, depuis qu'il vivait une partie du temps aux Enfers, dès qu'il y arrivait.
Il gagna le salon où il découvrit Rhadamanthe qui était en train de déposer un plat fumant sur la table, déjà dressée et bien garnie.
- Bonsoir, Kanon.
Il le rejoignit et l'embrassa tendrement sur le coin des lèvres.
- Bonsoir… Je suis désolé pour mon retard, amour, s'excusa-t-il en gagnant la cuisine pour se laver les mains. Je n'étais déjà pas en avance, mais Saga m'a contacté alors que je sortais du portail dans l'entrée, j'ai pris quelques minutes supplémentaires pour discuter avec lui.
- Tu arrives à temps, je viens d'éteindre le four. Ton frère et Aioros vont bien ?
Kanon revint vers lui en souriant.
- Parfaitement, même ! Ils te saluent, au passage. A l'entendre, on les croirait vraiment en lune de miel. Mais tu as déjà tout préparé ? constata-t-il en balayant la table chargée du regard. Tout a l'air délicieux et ça sent tellement bon, Rhad' ! Je sais qu'il est un peu tard, mais tu aurais dû m'attendre, qu'on le fasse ensemble.
- Sachant que tu allais tarder et qu'en plus, tu avais eu une grosse fin de journée, je voulais que tu puisses simplement arriver et t'installer tranquillement sans te soucier de rien, expliqua Rhadamanthe en tirant la chaise pour l'inviter à s'y asseoir.
Ce que Kanon fit en souriant.
- Quelle merveilleuse attention ! Prends garde, je pourrais…
- T'habituer ?
- Tomber amoureux.
- Tu as raison, c'est dangereux, répondit le Juge en déposant un baiser sur sa joue. Alors, dis-moi, tu travaillais avec Dokho de la Balance, aujourd'hui. Quel sujet vous a pris tant de temps et d'énergie ? demanda-t-il ensuite en commençant à servir.
Kanon voulut s'en occuper, mais il se fit taper sur les doigts.
- On a fait le point sur la recherche d'apprentis, expliqua-t-il alors en restant sagement assis. Depuis que Simon nous a rejoint, et si l'on compte Kiki, ils sont sept. C'est bien trop peu. Certes, il reste du temps, mais déjà, nous pouvons quand même mourir demain, chacun de nous. Et aussi, cela prend des années de former des élèves, surtout s'ils n'ont pas grandi habitués à tout ceci, comme Simon. Nous aimerions qu'il y ait plus de Chevaliers autour d'Athéna, au cas où, et en prévision de nos disparitions. Tout ne doit pas reposer sur les épaules des Bronzes, même si ce sont de futurs Ors. Nous ne savons pas combien de temps notre Déesse survivra aux derniers d'entre nous, mais Saori Kido est jeune, alors cela peut se compter en plusieurs décennies.
- Elle ne vous a rien dit ?
- A quel sujet ?
Rhadamanthe posa l'assiette qu'il venait de servir devant Kanon, puis prépara la sienne, réfléchissant à toute vitesse à ses mots.
- Athéna ne vous a jamais parlé de son avenir ? De son temps de vie sur Terre ?
- Non… mais qu'est-ce que tu entends par-là, Elle aussi aurait un nombre défini d'années à vivre ? s'inquiéta Kanon. C'est absurde, Elle… Attends, ne me dis pas que cela fait partie des négociations et du Traité de Paix entre les Royaumes ! Elle s'est sacrifiée pour nous, c'est cela ? C'était une exigence d'Hadès pour se venger ?
- Non, Kanon. Cela tient simplement au fait que Saori Kido, humaine et mortelle, au corps de chair, d'os et de sang, abrite le cosmos d'une très puissante Déesse. N'oublie pas qu'à l'origine, Athéna est sortie en armure de la tête de notre père Zeus en poussant un cri de guerre qui a ébranlé le ciel et la terre...
- Certes... Elle apparaît si douce aujourd'hui que l'on en oublie ce détail. Même si Elle n'est pas la Déesse de la Guerre comme Elle est souvent présentée à tort aujourd'hui dans les livres, mais bien de la Stratégie guerrière, Elle n'en reste pas moins une combattante redoutable.
- En effet. Les réincarnations d'Athéna qui ont affronté Hadès, à travers le temps, ont toujours disparu, volontairement ou non, à la fin de la Guerre Sainte de son ère d'incarnation. Soit, entre ses 14 et 18 ans. C'est la première fois qu'Elle survit et demeure sur Terre à l'issue de l'affrontement.
- Je n'avais pas réalisé…
- Aucun d'entre vous, visiblement, exception faite de votre Grand pope, évidemment, devina le Spectre en s'installant. C'est une déduction que Mu du Bélier pourrait également faire, puisqu'il travaille beaucoup sur les archives du Sanctuaire et des Guerres saintes. Mais Athéna n'a pas jugé opportun de vous en faire part Elle-même.
- Non, Elle ne voulait sûrement pas nous inquiéter. Mais combien de temps lui reste-t-il, alors ?
- Je ne suis pas en mesure de répondre à ta question, Kanon, je n'en ai aucune idée. Son cosmos consomme son énergie vitale pour se maintenir à un niveau supportable pour une vie terrestre, mais je ne sais pas à quelle vitesse. J'imagine qu'Elle fera en sorte de vous survivre. Si Elle en est capable.
- Tu respires l'optimiste, dis donc…
- Il ne faut pas oublier qu'Elle a dû affronter ses deux oncles parmi les Dieux les plus puissants de l'Olympe. Et au cours de ces mêmes batailles, il lui a fallu pousser son cosmos à son maximum à de nombreuses reprises, et dans un laps de temps très court, pour sauver Ses Chevaliers, ou la Terre. Cela aussi laisse des traces profondes.
- C'est une terrible nouvelle que tu m'apprends, Rhad'.
Rhadamanthe remplit leurs verres d'un vin d'un rouge profond et lui tendit le sien.
- Je suis désolé, mon aimé.
- Merci. Tu n'y es pour rien, au contraire, je te suis reconnaissant de me l'avoir dit, ajouta-t-il après avoir bu une gorgée bienvenue.
- Il vaudrait mieux que cela reste entre nous, Kanon. Il serait peut-être même préférable que tu lui en parles directement, maintenant que tu es au faît de Sa situation. J'assumerai le fait de te l'avoir révélé.
- Comme toujours, amour, mais je ne pense pas qu'Elle t'en tiendra rigueur. Elle doit se douter qu'en étant à tes côtés, certains faits ne peuvent me demeurer inconnus.
- Certes.
- S'il n'était pas mort à l'issue de sa possession, mon frère aurait aussi eu des séquelles dues à la présence du Lémure en lui ? Pourrait-il en avoir, aujourd'hui ? Et qu'en est-il de Shun, possédé quelques heures par Hadès ?
- Il s'agissait d'une possession, non d'une incarnation. Pour le jeune Andromède, son âme et son cosmos sont étonnement très puissants, ils l'on,t tous deux préservés. Exception faite des cauchemars qui l'ont secoué de nombreux mois, et encore aujourd'hui, parfois, il n'aura aucune séquelle. Quant à ton frère, le fait que la possession ait duré de nombreuses années aurait pu influencer son caractère, mais je n'ai pas l'impression que ce soit le cas. Il n'a rien de mauvais, ni de négatif, en lui. Il n'est ni colérique, ni cruel, rien de tout cela. Il fait preuve de beaucoup de patience et de sagesse, d'une grande bienveillance et d'un altruisme très élevé, entre autres grandes qualités et vertus. Sans compter sa fidélité et sa loyauté envers Athéna et le Sanctuaire. Le seul élément un peu fâcheux, c'est son côté très protecteur, avec toi, mais est-ce vraiment un défaut ? Il en a, bien évidemment, comme tout un chacun, mais ils ne valent pas d'être mentionnés, car ils sont minimes.
- Je vais être jaloux.
- Ses qualités sont aussi les tiennes, mon aimé. Et auxquelles s'ajoutent d'autres, que j'aurais voulu être le premier à découvrir et le seul à connaître. Malheureusement, tu as eu une vie avant celle qui nous a enfin réuni.
- C'est la seule qui compte, assura Kanon en lui souriant.
Mais il repartit très vite dans ses pensées.
Et il se mit à fixer son assiette fumante à l'odeur alléchante en silence, sans la voir et sans toucher encore à la belle tranche de rôti nacrée par son jus, ni aux belles pommes de terre fondantes nappées de sauce onctueuse, ni au briam qui les accompagnait.
Puis, il releva les yeux vers son Juge, qui l'observait sans un mot, lui aussi, attendant qu'il fût prêt à parler ou à commencer le repas.
Se doutant de ce à quoi son compagnon pensait, Rhadamanthe espérait d'ailleurs qu'il opterait pour la seconde option, mais sans y croire vraiment.
Il le connaissait si bien, son Gémeau…
Et effectivement, Kanon reprit la parole en levant les yeux vers lui, abordant le sujet que Rhadamanthe aurait préféré éviter.
- Je vais poser une question qui ne va pas te plaire et je m'en excuse, mais…
- Tu veux savoir ce qu'il en est pour Julian Solo.
- Oui, confirma Kanon sans détourner le regard.
Rhadamanthe poussa un discret soupir qu'il dissimula derrière son verre, dont il prit une gorgée du contenu.
- La situation est différente. Poséidon est endormi, la plupart du temps. La majeure partie du temps, en vérité. Une grande part de son cosmos est scellé par Athéna. L'impact de son incarnation sur Julian Solo est donc moindre, à mon grand désarroi.
- Rhad' ! s'offusqua le cadet des Gémeaux.
- Kanon ? répondit-il sans ciller.
- Tu ne peux pas souhaiter la mort de quelqu'un de manière si détachée, voyons !
- Je n'ai formulé aucun souhait, j'exprime juste le dépit qui m'anime face à cette situation qui aurait pu être tout autre et de fait, à mon avantage.
- Pourquoi t'inquiéter de Julian, ce n'est pas comme si je le fréquentais ou autre… Il me laisse relativement tranquille, désormais. Je suis en couple avec toi et lui avec Sorrente.
- Pourquoi m'inquiéter de lui, me demandes-tu ? répéta Rhadamanthe.
Sans grande surprise, son ton s'était refroidi, depuis que Julian Solo avait été évoqué.
- Oui, Rhad', c'est exactement ce que je te demande ! répondit Kanon, de fait, lui aussi un peu plus sec.
- Alors permets-moi de te retourner la question, Kanon. C'est toi qui, le premier, inquiet pour lui, t'es enquis de sa situation par rapport à ce que tu venais d'apprendre sur les réincarnations humaines des Dieux.
- Je savais que je n'aurais pas dû poser la question… soupira le Gémeau.
- Tu peux tout me demander, je te l'ai toujours dit, mais veille simplement à être prêt à accepter mes réponses, avant de le faire. Si tu as un doute sur celle-ci ou ses conséquences, en effet, abstiens-toi.
Kanon encaissa la charge bien méritée en serrant les dents.
Il écarta sa chaise de la table et se leva, ce qui provoqua un haussement de sourcil du Juge.
Une dizaine de secondes passèrent ainsi dans un silence de plomb, leurs deux regards, reflets de leur volonté farouche, s'affrontant.
Puis, le Gémeau desserra ses mâchoires et ses poings, avant de se rasseoir.
- Mangeons, décida le Juge. Cela risque de refroidir davantage, si nous tardons trop.
Il n'y avait visiblement pas que le repas qui était en train de sérieusement perdre des degrés.
- Bon appétit… grimaça le Gémeau en saisissant sa fourchette et son couteau.
- Je te remercie. A toi aussi. Kanon.
- Merci.
Le repas commença dans un silence pesant, qui s'alourdit encore au fil des minutes.
Rhadamanthe prenait souvent sur lui, faisait le premier pas ou s'excusait, car il avait toujours cette ligne de conduite en tête : ils n'avaient pas de temps à perdre à se disputer, être en froid, bouder, après avoir été séparés si longtemps.
Et ce, bien que l'Eternité leur fut désormais acquise.
Mais parfois, il n'avait pas envie se faire cet effort ni ce premier pas, car il était nécessaire aussi que Kanon comprit, et apprit, qu'il devait lui aussi mettre de l'eau dans son vin, reconnaître ses erreurs et ses manquements.
Mettre son ego et sa fierté de côté pour leur bien à tous les deux et faire le premier pas.
Surtout lorsque ses mots ou son attitude avaient pu blesser Rhadamanthe.
Kanon reconnaissait totalement que c'était à lui de balayer cette mauvaise ambiance, mais justement, sa fierté l'en empêchait.
En plus, il était fatigué après sa longue journée…
Pourtant, plus puissant que son orgueil était son amour pour son Juge, aussi agaçant pût-il être, parfois.
Et il était aussi touché par tout ce qu'il avait préparé pour lui, le soin et l'attention qu'il lui accordait toujours, veillant à rendre leurs soirées aux Enfers tranquilles, réconfortantes, lui donnant ce sentiment de sécurité et de contentement, comme dans un refuge.
Alors, il soupira et fit ce qu'il devait en ravalant sa fierté mal placée.
- Je te remercie pour le repas, lui dit-il en tendant la main pour la poser sur la sienne. Et je te prie de m'excuser si je suis maladroit et de mauvaise compagnie, ce soir.
- Comptes-tu le rester ? demanda Rhadamanthe en poursuivant son repas de sa main libre.
- Non…
- Alors, n'en parlons plus. Est-ce que le dîner te plaît ?
Kanon sourit en reprenant lui aussi son repas, reconnaissant envers son compagnon de ne pas revenir sur le sujet ni insister sur ses torts.
- C'est délicieux, merci beaucoup. Je ne te l'ai jamais dit, depuis le temps, mais que tu te sois remis à cuisiner pour moi me touche énormément.
- Je n'allais pas te laisser préparer tous nos repas, Kanon. Mais je ne voulais pas non plus d'une autre personne ici, avec nous, chez nous, même si c'est seulement le temps de cuisiner.
- Tu sais, tu peux le dire que tu voulais simplement cuisiner pour moi… répondit-il avec un petit sourire en coin. Parce que tout au début, quand je venais dîner ici, cette fameuse personne qui préparait les repas, je ne l'ai jamais vu ni croisé… Tu la renvoyais toujours avant que je n'arrive. Je l'ai vu une seule fois, parce que je suis arrivé plus tôt que prévu. Donc, tu pourrais encore faire en sorte, aujourd'hui, qu'elle prépare tout et qu'elle s'en aille juste avant le dîner.
- D'accord, tu as raison, je ne veux pas que quelqu'un d'autre cuisine pour toi, quand tu es à la maison.
- Et… ?
Rhadamanthe reposa ses couverts et lui dédia un long regard.
- Et j'aime le faire, en effet.
- C'était si difficile ? le taquina-t-il encore en emmêlant ses jambes aux siennes, sous la table.
La petite tension du début de repas avait totalement disparu, pulvérisé par leur complicité qui avait vite repris le dessus sur tout le reste.
- Rien ne l'est jamais vraiment, avec toi. Je voulais simplement t'aiguillonner un peu.
- M'aiguillonner ? Pour faire quoi ?
- Je n'employais pas ce terme au sens figuré, mon aimé, mais au sens premier, celui qui décrit le fait de piquer un animal avec un aiguillon pour le faire marcher.
- Je vois… Enfin, ce que je constate surtout, c'est que ton objectif était avant tout de me faire passer définitivement ma mauvaise humeur, devina le Gémeau, alors que c'est de ma faute. C'est réussi, comme toujours. Merci, amour.
. Je t'en prie.
Ils échangèrent un long regard, tout en souriant, et sans cesser leur repas.
Il y avait mille mots et mille déclarations qui passaient entre eux, dans ces moments-là où leurs yeux ne se lâchaient pas.
- Parfois, je me demande si tu m'as toujours aimé ainsi, et en mon cœur, je sens que la réponse est oui, reprit Kanon. Alors, je me demande si ce sera toujours le cas, malgré les années qui passeront, malgré mes maladresses et nos petits accrochages.
- L'Humanité et le Temps sont pleins de promesses et de regrets, mais n'ont qu'une vérité, qu'une certitude, à mes yeux : je t'aimais hier, je t'aime aujourd'hui et je t'aimerai demain et tous les jours qui suivront, et toujours plus intensément, Kanon. Ces millénaires passés n'ont fait que le prouver, affirma le Juge en prenant la main de son Chevalier pour l'embrasser rapidement.
Avant de reprendre ses couverts.
- De tels mots après avoir préparé ce repas et cette soirée… Tu prévois de me demander en mariage ? le provoqua le Gémeau avec un petit sourire mutin pour cacher sa vive émotion.
Même s'il savait que c'était vain, Rhadamanthe devait la sentir vibrer dans son cosmos qui résonnait avec le sien.
- Notre engagement d'âmes est bien plus sacré que le mariage tel qu'il est défini, aujourd'hui, répondit sérieusement le Juge. Mais si tu as besoin d'une bague, d'un joli costume et d'une cérémonie…
- Je n'ai besoin que de toi, assura Kanon en prenant sa main pour entrecroiser leurs doigts avec force et tendresse. Et j'ai déjà une jolie bague, rappela-t-il en tendant son autre main ornée du bijou en question.
Rhadamanthe s'en saisit pour déposer un baiser sur le métal froid.
L'anneau de platine était serti d'une émeraude en son centre, encadrée de deux Wyvern qui tenaient chacun un petit diamant dans une de leurs pattes, finement sculptées et à la précision époustouflante dans les détails.
Un travail d'orfèvrerie millimétré, minutieux, exceptionnel, digne des plus beaux bijoux antiques retrouvés et exposés dans les musées du monde entier.
Rhadamanthe lui avait offert pour son anniversaire en mai, il était tout simplement magnifique.
Mais il ne lui avait pas dit grand-chose sur les raisons de son choix, seulement que le platine ne changeait pas de couleur avec le temps, au contraire de l'or blanc qui jaunissait, et qu'il absorbait mieux les chocs. Quant aux diamants, symbole de pureté et surtout, d'amour éternel, il n'avait pas besoin d'être présenté. Pour l'émeraude, son Juge lui avait appris qu'elle était considérée comme la pierre porte-bonheur des Gémeaux spécifiquement nés en mai.
Kanon ne savait même pas qu'il accordait de l'importance à ces choses-là.
Rhadamanthe lui avait répondu que c'était le cas, depuis qu'un certain Chevalier du zodiaque était entré dans sa vie, Gardien de la Maison des Gémeaux, et a bien des égards, parfait représentant de ce signe dont il avait été maintes fois fait le portrait, à travers les siècles.
Mais il avait refusé d'en dire plus.
Ce fut auprès de Shaka et de Mu, les experts en lithothérapie du Sanctuaire, que Kanon avait dû chercher et trouver ses réponses.
*Le vert profond de l'émeraude est associé au chakra du cœur. Elle apporte l'harmonie dans les relations à celui qui la porte. Si elle est considérée comme la pierre porte-bonheur des Gémeaux de mai, c'est parce qu'ils ont une propension naturelle à l'amitié et à la complicité avec autrui qui est plus marquée que chez les natifs de juin.
Mais si Rhadamanthe te l'a offert, c'est aussi sûrement car elle apporte une harmonie dans les relations, une paix intérieure à son porteur qui lui permet de s'ouvrir à l'amour vrai, de l'accepter en toute sérénité et d'être apaisé par la stabilité qu'une relation authentique confère.
Dois-je y voir un message, Rhad' essaierait de me faire comprendre quelque chose ? Ce n'est pas son genre, il est plutôt direct, normalement.
Il veut sûrement simplement que la pierre, reliée au chakra du cœur, apaise toutes les inquiétudes et les interrogations qui pourraient l'agiter, concernant votre relation, votre devenir.
Je ne suis pas si inquiet que cela, Mu…
Tu aurais des raisons de l'être, Kanon. Il est fils de Zeus et Juge des Enfers, Spectre d'Hadès, un demi-dieu sur lequel le temps n'a aucune prise, mais qui t'a pourtant attendu et espéré des millénaires durant, en en éprouvant chaque seconde. Tu as beaucoup de pression, consciente ou non.
Il le sait et il est très présent pour moi, très à l'écoute, Shaka, vraiment.
Oui, mais dorénavant, lorsqu'il ne sera pas à tes côtés physiquement, il sera avec toi quand même sur un plan énergétique, grâce à l'émeraude à laquelle il a confié ses prières et ses pensées pour toi.*.
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- Celui qui te l'a offert a très bon goût, lui dit Rhadamanthe, le ramenant à lui.
- C'est sûr, puisqu'il m'a choisi, répondit Kanon en relevant fièrement le menton.
Les deux hommes se sourirent, puis libérèrent leurs mains pour reprendre leur repas.
Julian et toute contrariété étaient définitivement envolés.
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A suivre
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Notes :
1. Le mythe de Perséphone : Perséphone est la déesse grecque de la végétation, surtout les céréales, et la reine des Enfers. Elle est la fille de Zeus, le père des dieux, et de Déméter, déesse de la Terre et de l'Agriculture. Elle a été enlevée et épousée par Hadès, le dieu du Monde souterrain, avec le consentement de Zeus mais contre la volonté de Déméter. Elle a mangé les graines d'une grenade que Hadès lui avait donnée, la forçant à rester avec lui aux Enfers. Mais Déméter réussit à obtenir de Zeus que sa fille remonta à la surface la moitié de l'année, sur l'Olympe et selon certains récits, Elle pouvait aussi se mêler aux humains pour surveiller la nature et les champs. Sa présence ou son absence sur terre influence les saisons et les récoltes, elle est là au printemps et en été, et aux Enfers en automne et en hiver. Elle était vénérée dans plusieurs cultes et mystères antiques, et souvent appelée Koré ou Proserpine. Même si elle a été enlevée et mariée de force à Hadès (son oncle, au passage...), elle apparait souvent comme satisfaite de son sort, jouant pleinement son rôle de Reine des Enfers, voire même proche d'Hadès, selon les auteurs.
On ne la voit pas dans le manga car la Guerre sainte a lieu au printemps, mais comme elle est liée à la végétation, je me suis toujours demandé ce qu'elle aurait pensé de la Grande Eclipse d'Hadès... Cela aurait été "marrant" qu'elle intervienne, en mode "je viens tirer les oreilles de mon mari" XD. Mais cela aurait été une toute autre histoire...
Tout ce que raconte Rhadamanthe sur Milétos, Millet, etc est "vrai", dans le sens que ce sont bien des récits mythologiques, je n'ai rien inventé.
Quand Kanon demande s'il a fondé Rome après avoir appris que Milétos avait été recueilli et nourri par une louve, c'est bien évidemment en référence au mythe des jumeaux Romulus et Rémus, eux-mêmes recueillis et élevés par une louve, qui fondèrent ensuite Rome.
Merci d'avoir lu ce chapitre, j'espère qu'il vous aura plus.
On revient sur Angelo et Shura pour le ou les deux prochains chapitres. Saga et Aioros ne sont pas oubliés, on les laisse juste profiter de leurs vacances, avant leur intronisation à la haute et prestigieuse mais non moins lourde charge de Grand pope. Et c'est avec eux que je compte conclure mon histoire, puisqu'elle s'était ouverte sur eux. Encore quelques chapitres, si vous voulez encore poursuivre l'aventure avec nous.
Si c'est le cas, à bientôt, dimanche prochain, si tout se passe bien !
Bonne continuation, bonne reprise pour les concernés, et prenez soin de vous et de vos proches.
Lysanea
