Peu de gens s'en doutaient, mais en toute franchise, cela crevait un peu les yeux que Fenrir, premier-né de l'Embrouilleur du panthéon Norrois, prenait extrêmement au sérieux ses devoirs et responsabilités de frère aîné. Il était un loup, et les loups chassent en meute. Si l'alpha ne veillait pas correctement sur la meute, celle-ci en souffrirait.
Il était le premier-né, et il se devait de soutenir et protéger ses cadets. Surtout Hel, en fait. Il ne savait pas pourquoi, elle avait hérité des tendances les plus casse-cou de leur père. Et peut-être qu'elle était une déesse de plein droit, elle n'en restait pas moins sa petite sœur. Il l'accompagnerait, point. Pas de discussion.
Heureusement, elle n'était pas stupide et avait accepté une escorte pour la dangereuse mission de partir arracher leur père aux griffes de l'Étoile déchue – que cherchait à accomplir le Serpent (pardon, Jormungandr) avec ce forfait, au juste ? Le grand loup aurait cru qu'un fils de l'Unique, même renié, serait du genre à incendier très littéralement tous les païens ayant l'infortune de croiser ses pas.
Et ce n'était pas le seul détail qui le titillait dans ce désastre. Depuis son rendez-vous amoureux avorté, l'odeur de Hel avait commencé à changer. À se faire moins terrestre, perdant en épaisseur et en sucre pour gagner évanescence et fraîcheur. Il n'avait pas été capable de mettre des mots sur ce fumet jusqu'à ce qu'il recroise l'angelot qu'elle avait pris en affection.
Oh, il n'était pas la source de l'odeur, Fenrir était trop aguerri pour confondre une odeur externe imprégnant quelqu'un et une odeur émanant de la personne même. Toujours était-il que Hel se mettait à sentir l'ange.
Ça le dépassait. Parce que, vraiment, il n'y avait pas de raison à ce changement.
Depuis qu'elle avait posé les yeux sur lui, Hel était folle de Castiel. Oh, pas dans le sens romantique, loin de là. Elle avait toujours adoré les petites bêtes adorables, et un bébé ange méritait amplement le qualificatif. Même tout déplumé.
Mais ces temps-ci, ça semblait s'être particulièrement aggravé. Pour quelle autre raison le voir au bord des larmes l'aurait-elle rendue si affolée, si désespérée de le consoler, si prête à pulvériser la source de sa détresse en dix millions d'éclats ?
Bon, ça avait sans doute un rapport avec le fait que papa s'était fait coincé par un emplumé. Et pas n'importe quel emplumé, il fallait que ce soit LE glandu suprême de service, celui qui poussait tous les autres emplumés – et c'était vraiment une belle bande de salauds – à s'écrier : « Mais quel furoncle, ce mec ! » Très typique de papa, ça, fâcher exactement la personne qu'il ne fallait pas.
Alors. Ils allaient le chercher – oui, tous les trois, parce que Castiel était hors de lui à l'idée d'être laissé derrière et elle n'allait pas le déprimer encore plus, pauvre choupi – ils allaient le trouver, et ils allaient le ramener.
Et si le Malin y trouvait à redire, et bien tout le monde se fichait de son avis comme de l'an quarante. Qu'il apprenne à vivre avec.
