Lorsque la discussion cessa momentanément pour que les rafraîchissements soient servis, Perséphone se sentait la tête au bord de l'implosion.

Pour les avoir forcés elle et son mari à fuir leur domaine des Champs-Élysées en ouvrant grand les portes des Enfers, l'Étoile déchue avait méritée sa haine immortelle, et elle avait conçu d'innombrables idées pour lui signifier son déplaisir – des idées qu'elle s'était empressée de partager lorsque Loki – ou fallait-il l'appeler Gabriel, maintenant – avait suggéré qu'il serait possible de punir l'Archange renégat.

Bien sûr, elle n'avait pas été la seule. Rien qu'Isis débordait de fantasmes aussi revanchards que sanglants à l'endroit d'un des rejetons du panthéon abrahamique – et après trois bons quarts d'heure à détailler des projets toujours plus atroces, l'estomac le mieux accroché se retrouvait subitement un brin délicat.

C'était Yemanja qui s'était chargé de procurer les boissons et biscuits – s'il avait fallu compter sur le vieux ferrailleur pour satisfaire les exigences de divinités féminines, au secours. Perséphone ne savait même pas s'il avait été marié, ce qui l'aurait aidé.

Elle s'occupait à grignoter délicatement un Pim's fourré à la gelée de framboise lorsque Hel s'était glissé auprès d'elle, le front plissé.

« Aux dernières nouvelles… savais-tu que ton neveu avait des transes prophétiques ? »

Perséphone mâcha et avala avant de répondre, se laissant un peu de temps pour ruminer sa réponse.

« Lorsqu'il boit un peu trop, oui. Ça fait – ou plutôt faisait – partie de sa divinité, accéder à une vision supérieure par le biais des stimulants. »

« Partie de sa divinité. Okay » renifla la jeune Norroise, « parce que là, il est on ne peut plus humain et sobre, mais il vient de faire une espèce de crise d'épilepsie et je suis quasi sûre que ça lui a procuré une vision. »

La déesse grecque se tourna vers sa congénère plus jeune, ses yeux sombres vides de toute aménité.

« J'espère pour toi que ce n'est pas une plaisanterie mal venue » fit-elle d'une voix d'outre-tombe.

« En fait, je me demande si ce ne serait pas ma faute » confessa Hel piteusement. « Apparemment, les Archanges auraient des prédispositions envers les pouvoirs oraculaires, et vu que mon père en est un, j'aurais pu agir comme vecteur infectieux et contaminer Dionysos en cherchant à le soigner... »

Miséricorde. Décidément, les Embrouilleurs et leur famille rapprochée n'en rataient jamais une. Perséphone se pinça l'arête du nez, puis s'arrêta en beau milieu du geste et engloutit sans grâce le gâteau fourré dans sa main – elle avait besoin de sucre dans son sang avant de faire face à ce nouveau problème.

« Pendant que je descends au bunker, va donc alerter ce Raphaël » ordonna-t-elle. « C'est lui, l'expert en physiologique angélique, si je ne m'abuse. »

Et donc le plus apte à confirmer si oui ou non, la partenaire romantique de son pauvre neveu lui avait infligé une condition dont il lui faudrait souffrir pour le restant de son existence.

Dit de la sorte, ça sonnait plus syphilitique et vénérien qu'oraculaire et prophétique, mais au fond quelle différence ? Tous deux emmerdaient salement la personne contrainte de vivre avec, après tout.