- Ce qui nous fait... Trente-huit dollars, soixante-cinq cents, s'il vous plaît.
La jeune femme aux longs cheveux bruns, joviale et affable, adressa un grand sourire à Sam qui lui retourna volontiers la politesse tout en ouvrant son portefeuille, d'où il tira deux billets de vingt.
- Tenez, fit-il aimablement.
La patronne du Ladow's Market le remercia chaudement et, alors qu'elle encaissa les deux Andrew Jackson, Sam l'arrêta au moment où elle lui tendit sa monnaie.
- Non, ça ira, Emily. Gardez tout.
Marquant la pause, l'intéressée le considéra avec un brin de surprise en arrêtant son geste, puis répondit :
- Oh, mais non, il n'y a pas de raison, Sam. Il y a plus d'un dollar ! Ce n'est pas rien, par les temps qui courent !
- Vraiment, j'insiste, confirma-t-il d'un air amène. Et je ne fais que payer mes dettes : la dernière fois, vous m'avez fait crédit.
- Oh, d'à peine quelques cents ! balaya-t-elle d'un geste dédaigneux quand elle se rappela le moment en question. Mais... si vous insistez... Attendez.
Elle se déplaça sur le côté du comptoir, près d'une modeste vitrine et, sans rien dire, s'empara d'une petite boîte en carton. Sans s'étonner de sa générosité, Sam la vit alors y glisser le plus gros scone aux myrtilles de sa devanture, puis venir déposer le paquet au sommet d'un des deux sacs de provisions de Sam, qu'elle poussa ensuite à sa portée.
- C'était vraiment pas nécessaire, assura-t-il d'un regard reconnaissant.
- Ça me fait plaisir ! s'exclama-t-elle d'un air radieux. Et si vous n'en voulez pas, je suis sûre que ça fera un heureux quand même !
Ils songeaient visiblement tous deux à la même personne, et Sam se fendit d'un rire aussi bref qu'il fut clair.
- Ça, c'est certain, abonda-t-il en entourant les deux sacs de son seul bras droit. À bientôt, Emily, prenez soin de vous.
- Vous aussi, Sam, lui rendit-elle avec toute la bienveillance du monde. Passez le bonjour à votre frère !
Il ramassa de sa main libre un pack de six près de l'entrée, puis quitta le magasin pour retourner à l'Impala garée devant, déposer ses achats sur la banquette arrière et rentrer au bercail, tous phares allumés pour contrer l'obscurité de la nuit qui tombait.

De retour au bunker, quelques kilomètres plus tard, Sam passa directement à la cuisine pour ranger les commissions. En posant les sacs sur le plan de travail métallique, il ne put s'empêcher de songer, morose, au fait que Rowena ne lui avait toujours envoyé aucun signal. Il n'y avait que quelques heures qu'il l'avait contactée mais, le temps lui semblait interminable, et sa patience était déjà mise à rude épreuve. Il entendit son frère avant de le voir, captant bientôt le son d'un pas traînant dans le couloir, et Dean apparut juste après. En peignoir et chaussons, les cheveux un peu ébouriffés et mal séchés. Sam lui trouva une mine affreuse, et comprit sans avoir besoin de poser la question que rien n'avait avancé en son absence quant au sujet de Chaos.
- Hé, lança platement l'aîné en pénétrant dans la cuisine. Ça y est, t'as fait le plein ?
Sam le regarda approcher pour aller mettre le nez dans le haut des sacs et, tout en le voyant faire la moue au-dessus des poivrons, il lui dit pour éviter de lui faire remarquer combien il semblait fatigué :
- Il y a du bacon et du pain, au fond. Les bières sont là. Et le scone, là, c'est un cadeau d'Emily pour toi.
En esquissant un petit sourire, Dean prit la boîte, l'ouvrit pour admirer la pâtisserie, et la referma presque aussitôt. Sam observa sans rien dire.
- C'est gentil de sa part, apprécia l'aîné de la fratrie. Tu lui as fait du charme, pour qu'elle te le lâche ?
- Je lui ai laissé un dollar, relata le plus jeune des deux hommes en affichant un rictus du coin de la bouche. Et je te rappelle que c'est plutôt pour toi, qu'elle a un faible.
- Tu te mets à les payer, maintenant ? ironisa Dean en ignorant la dernière phrase.
- Très drôle, répliqua son frère en pouffant d'un air blasé. Et si tu le mangeais, plutôt ? En attendant tu raconteras moins de conneries.
L'ébauche de bonne humeur qui avait failli éclairer le visage de Dean s'évapora en un battement de cil. Et d'avouer sans entrain :
- Peut-être plus tard. J'ai pas très faim.
Et, laissant l'emballage sur le comptoir, il entreprit à gestes pesants de vider l'un des deux sacs en papier.
- Laisse, déchargea bientôt Sam d'une voix ténue. Je vais ranger, va t'habiller.
Dean tourna vers lui des yeux tout à la fois étonnés et suspicieux. Et il se demanda malgré lui si ce n'était pas sa tenue actuelle, ce simple peignoir qui suggérait sa nudité tout en ménageant sur le haut de son torse une ouverture très échancrée, qui avait soufflé à Sam l'idée de l'inviter à passer quelque chose de plus formel.
- T'as peur que je m'enrhume devant le frigo ? servit-il en excuse à sa question.
Renouant avec un sentiment qu'il avait cru oublier - ou qu'il avait cru de nouveau relégué au rang de l'interdit - l'aîné des Winchester redouta autant qu'il espéra voir son frère faire preuve de plus de franchise qu'il n'en avait eue lui-même, si toutefois Sam éprouvait bien ce que Dean le suspectait d'éprouver. Si c'était le cas, le cadet de la fratrie le cacha bien, et imperturbable il finit par justifier :
- Non, mais... T'as l'air crevé. Pourquoi t'irais pas te reposer ?
S'il avait espéré se rendre meilleur aspect avec une bonne douche, Dean, de fait, en fit son deuil. Il était à bout, il le ressentait dans chaque parcelle de son corps. Depuis qu'il avait confié à Castiel son état de délabrement psychique, il n'avait perçu aucune amélioration, et même si d'avoir fait la paix avec Sam l'avait soulagé d'un poids insoutenable, il ne savait plus comment faire pour reprendre du poil de la bête.
- Je me reposerai plus tard, répondit-il en baissant les yeux. On a un boulot à faire.
Il ne parlait pas du rangement des commissions, dont il prit une partie pour la remiser à sa place. Sam le laissa faire en le suivant des yeux, puis lui dit lorsqu'il le vit revenir vers le centre de la pièce :
- Je peux m'en occuper sans toi quelques heures. Laisse-moi ton téléphone, je te dirai si un des nôtres appelle. Pour l'instant, on ne peut pas faire grand-chose à part attendre.
Dean vit combien cette impuissance minait son frère. Stationnant à ses côtés, il garda le silence un instant sans que cela l'empêchât de lui faire comprendre combien il partageait son sentiment, alors que l'idée d'aller essayer de dormir en laissant Sam à la vigie lui parut soudain bien tentante.
- Rien non plus du côté de Rowena ? demanda-t-il pour la forme.
Sam secoua la tête d'un air sombre.
- Pas encore, dut-il avouer les yeux bas.
Dean hocha pudiquement la tête, puis posa une main sur l'épaule de son cadet en témoignage de son soutien. Un geste dont le puîné lui fut reconnaissant.
- T'inquiète, ça va aller, promit celui-ci d'un sourire lourd. J'ai confiance, je suis sûr qu'on aura bientôt une piste. Va dormir, si ça se trouve c'est moi qui te réveillerai demain pour te dire qu'on a eu une info.
L'aîné aurait aimé y croire davantage, mais n'eut guère à cœur d'afficher son pessimisme. Il fit semblant de partager l'espoir tout aussi factice de Sam et préféra jouir de ce réconfort étrange qu'il éprouva soudain, simplement à se tenir près de lui.
- Je crois que je vais suivre ton conseil, lui concéda-t-il essentiellement par volonté de lui être agréable. Je serai sûrement plus utile après deux heures de sommeil... Tu me préviens s'il se passe quoi que ce soit, hein ?
- Bien sûr, lui promit Sam d'un léger sourire qui n'en fut pas moins chaleureux. Dors sur tes deux oreilles, je sais où te trouver.
Subtilement, son regard ému se fit aimant, et toute l'affection que Sam avait pour son frère voulut alors s'évader de lui pour voler vers Dean. Il la garda néanmoins sous contrôle, surtout parce qu'il n'était pas sûr de la réaction qu'aurait son aîné s'il se laissait soudain aller à un élan de tendresse, et la prudence que le cadet des Winchester manifesta ainsi malgré lui sema une certaine confusion chez le premier-né, qui préféra garder pour lui le désir bien réel qu'il avait pourtant de se rapprocher physiquement de Sam. Il se contenta de regarder celui-ci d'yeux doux et paisibles, presque caressants, et le début de sourire qu'il esquissa sans s'en rendre compte, un sourire à la fois tendre et mélancolique, préluda à ces quelques mots qu'il prononça alors avec délicatesse et bienveillance :
- Tu devrais aller te coucher aussi. La sonnerie nous réveilla si quelqu'un appelle.
- Ouais, je vais ptet pas faire long feu non plus, adhéra-t-il en sentant le poids de la fatigue. Le temps de vérifier un ou deux trucs, avant, et j'irai dormir.
Dean opina du chef en continuant de regarder son frère, sans rien dire. Il avait un air à la fois humble et attentif, vulnérable et prévenant, comme si, toutes protections abaissées, il avait choisi en cet instant de s'oublier pour ne s'intéresser qu'au bien-être et à la sécurité de Sam. La manière dont Dean s'était mis à le regarder lui sembla soudain si éloignée de cette expression impitoyable qui avait figé ses traits tout le temps où les Érotes s'étaient trouvés là, que le cadet des deux hommes eut presque le sentiment d'être en présence d'une personne différente. Revoir surgir chez lui la douceur et la sensibilité dont il le savait capable ne le dérangea pas, mais l'insistance de son regard finit par le gêner quelque peu. Et, les images de Dean qui repassèrent subitement devant ses yeux qu'il préféra baisser, comme s'il pouvait ainsi cacher le rose à ses joues, ne furent pas du tout celles de leur confrontation.
- Bon, j'y vais, finit par reprendre Dean en clignant des paupières après un raclement de gorge légèrement embarrassé. Bonne nuit, Sam.
Il lui tapota de nouveau sur l'épaule d'un geste raide et commença à s'éloigner, Sam le suivant un bref instant du regard.
- Bonne nuit, retourna-t-il laconiquement.
Et feignant de se consacrer derechef à terminer de ranger les provisions, le jeune homme ne porta les yeux vers la porte que Dean venait de franchir, qu'une fois qu'il fut certain d'être de nouveau seul.

Il prit alors tout le temps nécessaire pour juguler le trop-plein d'émoi qui s'était rappelé inopinément à son bon souvenir. L'odeur de son frère, le son de sa voix, la forme de ses lèvres ou le grain de sa peau, qui lui étaient de nouveau apparus avec une couleur toute particulière, lui firent repenser avec un sourire doux-amer à un certain moment d'égarement, dans la blanchisserie du Sea Lion Motel mais bien qu'il n'ait plus aujourd'hui à endurer les effets incontrôlables des pulsions charnelles que les Érotes avaient éveillées, il ne se sentit pas moins troublé d'éprouver de nouveau cette attirance tenace pour Dean qui fut loin de lui être désagréable. Le fait que les événements des trois derniers jours aient complètement éclipsé les émotions sans équivalent qui les gouvernaient tous deux, n'ôtait rien ni à leur existence, ni à leur persistance, Sam en eut la preuve. C'était autre chose que la volonté mutuelle qu'ils s'étaient témoignée de ne pas souhaiter renoncer à leurs rapports interdits, même s'ils ne savaient trop comment s'y prendre ; c'était le retour du désir, contrôlable mais ardent, l'attrait de la chair à la faveur de la résurgence de la passion qui rallumait ses sens, et Sam y puisa une sorte de soulagement, car sans pouvoir vraiment se l'expliquer, il avait l'absolue conviction que s'il ressentait si vivement les choses, Dean les ressentait aussi.

Après avoir vidé le dernier sac, il grignota un morceau, puis comme il l'avait annoncé, retourna se pencher sur un livre, à la bibliothèque, pour vérifier un passage qui, durant ses achats à Lebanon, lui était revenu en mémoire en l'amenant à penser que s'y cachait peut-être une information utile dans leur quête d'un moyen de neutraliser Chaos. La relecture ne lui permit finalement pas de mettre le doigt sur un élément nouveau, mais Sam n'en éprouva ni frustration ni réelle déception.
Ou plutôt, il laissa cet insuccès glisser sur lui, car l'essentiel de ses pensées était tourné vers ce constat que le lien contre-nature qui l'unissait à son frère avait survécu à leur rude querelle face aux Érotes, ce qui suffit à lui mettre du baume du cœur.

Alors, peu avant vingt-et-une heures, exténué lui aussi, il éteignit les lumières, fit un brin de toilette, passa son pyjama et se mit au lit, bien décidé à dormir tout son soûl si toutefois son esprit lui épargnait le flot des songes entre rêve et cauchemar qui l'avaient régulièrement tourmenté ces temps-ci. Il eut besoin de plus de temps qu'il ne l'aurait voulu pour trouver une position confortable sur l'oreiller, ses pensées parasitées par la frustration, la colère ou la culpabilité inspirées par la succession des événements éprouvants survenus ces derniers jours, et dans l'obscurité et le silence il se remit à songer à tout ce qui s'était passé depuis cette nuit de chasse à Gloucester. À ce qu'il avait fait. À qui il était.

Sans la louer ni la renier, et sans savoir pourquoi c'était maintenant que cette pensée s'imposait si fortement, il réfléchit longuement à sa faculté à désirer un représentant de son sexe. Il ne l'avait jamais réellement soupçonnée, et pourtant, en repensant à la manière dont il avait réagi quand son frère n'avait plus été capable de se retenir, quand il repensait au plaisir intense et immédiat que sa première fois avec lui lui avait procuré, il se demandait si, avant cela, il se connaissait vraiment. Dean avait-il la même opinion ? Lui qui était dans un cas similaire, s'interrogeait-il pareillement sur son identité ? Était-ce aussi pour cela qu'il semblait si affecté actuellement ? Pour Sam, l'attirance sous-jacente qu'ils éprouvaient l'un pour l'autre, révélée par les Érotes, était actée depuis longtemps. Mais il n'avait toujours pas tranché une autre question qui, tout en n'ayant jamais occupé le devant de la scène, demeurait néanmoins omniprésente, silencieuse, et qui interrogeait l'éventualité que ce désir nouveau ne se borne pas à Dean. Peut-être traduisait-il un penchant plus profond destiné à s'affirmer avec le temps ; Sam s'en était déjà défendu, arguant qu'aucun autre homme que son frère ne pouvait susciter chez lui un sentiment analogue, et pourtant. Dans son for intérieur, il n'en était pas si sûr, et d'autant moins depuis sa désagréable expérience avec Pothos.

Quand il avait réalisé que le dieu s'était glissé à son insu dans son lit, il avait éprouvé envers lui une fureur et une indignation si violentes qu'il bouillait encore chaque fois qu'il repensait à ce moment, où il avait d'abord cru être avec Dean. Mais, s'il avait beaucoup de mal à oublier l'humiliation qu'il avait ressentie et n'acceptait toujours pas le droit que Pothos s'était donné de disposer de sa personne, surtout après l'avoir sauvé de la mort, il y avait un autre sentiment dont Sam ne s'était pas réellement défait. C'était ce trouble, aussi vivace qu'éphémère, qui l'avait saisi là-bas, contre le mur du fond, au moment où l'Érote lui avait directement proposé de le suivre au lit pour des ébats torrides et où il était resté paralysé devant lui.
Même rattrapé par le sommeil, le chasseur eut l'impression de sentir encore le grain de la peau de Pothos sur la sienne. La tiédeur de son souffle dans son cou. D'entendre le son charmeur de sa voix tentant de le séduire. Il en ressentit tout l'inconfort, et en même temps le fourmillement caractéristique qui lui fouailla les tripes, et qu'il aurait préféré ignorer. Il ne savait pas comment. Ni même si c'était chose possible. Si sa vulnérabilité face à Pothos devait être aussi indissoluble que l'attirance qu'il vouait à Dean, Sam ne pouvait que prier de ne plus jamais croiser sa route. Il s'endormit. Et les pensées qu'il ressassait trouvèrent un prolongement idéal dans ses rêves, qui les rejouèrent en les mélangeant en tous sens. Une fois, il se querellait avec Pothos qui portait le costume noir de Himéros ; une autre, il voyait Dean ligoté au siège au cœur du pentagramme, le bras noir comme la cendre ; une autre encore, Pothos le saillait sous la douche. Cette dernière vision fut sans conteste la plus violente, la plus perturbante, et bien qu'endormi, il se mit à s'agiter. Tiraillé entre le désir de le fuir et la sensation de plaisir, directement issue de sa première expérience avec Dean, qu'il avait transposée dans ce rêve, Sam sentit de nouveau le corps du dieu de l'Amour contre le sien, son souffle sur sa nuque, ses bras autour de son torse. L'expérience devint si intense que son pénis, violemment, se réveilla bien avant lui. Il eut pourtant l'impression d'être prêt à ouvrir les yeux, mais les stimuli physiques reprirent de plus belle quand le poids du visage de Pothos se fit plus net sur son épaule, et que ses bras l'entourèrent plus fort. Bientôt clairement conscient d'être en train de vivre un songe qu'il pouvait presque qualifier de cauchemar, Sam lutta ardemment pour s'en échapper, mais lorsqu'il fut certain d'y être enfin parvenu, il sentit l'étreinte se poursuivre indéfectiblement. Pire, à présent il distinguait dans la pénombre les bras de Pothos autour de lui, exactement comme s'il avait les yeux grands ouverts, et il eut envie de se débattre comme un possédé.

Il lui fallut un instant pour réaliser que ce n'était pas son incapacité à se réveiller, qui l'empêcha de le faire. Car subitement foudroyé avec une violence inimaginable, saisi d'une terreur abominable qui lui hérissa les cheveux sur la tête, qui contracta chacun de ses muscles à la limite de la rupture et qui lui broya le ventre comme si ses entrailles venaient de s'étrangler elles-mêmes, il comprit qu'il était déjà réveillé. Ces bras qui l'enlaçaient, ce souffle régulier dans son cou, n'étaient pas un rêve. La panique la plus absolue s'empara alors de lui quand il prit conscience que son cauchemar était bien réel, et sans pouvoir s'en empêcher il poussa un cri rauque de pure épouvante en s'extirpant de ses draps comme s'ils étaient en feu. Semblant devenu fou furieux, il se jeta hors du lit avec une précipitation telle qu'il roula au sol, un deuxième cri explosant hors de sa gorge, puis en se relevant en catastrophe il retourna se réfugier contre le mur du fond, exactement comme il l'avait fait la dernière fois, en sachant déjà qu'il n'échapperait pas mieux à l'Érote. Il était bien là. En dépit de l'obscurité, Sam distinguait sa silhouette, allongée sur l'autre moitié du lit, puis il le vit se redresser d'un coup, anticipant la suite avec effroi.
À cet instant, la lampe de chevet s'alluma. Et l'effroi, soudain, devint sidération.
- Sam...? s'alarma Dean, les yeux plissés à cause de la lumière et la voix ensommeillée. Quoi, qu'est-ce que... Qu'est-ce qui y a, qu'est-ce qui se passe ?

Lorsqu'il reconnut les traits de son frère, le cadet des Winchester parut flotter pendant un moment. De nouveau, il ne sut plus s'il dormait ou s'il était réveillé, et ses pensées mirent un certain temps avant de se reformer dans sa tête. C'était bien Dean, face à lui, couché dans son lit, un maillot noir sur le dos. Dean, qui balayait de ses yeux à moitié collés les quatre coins de la pièce, à la recherche de ce qui avait ainsi fait hurler son frère. C'était Dean, et pas Pothos.
Quand enfin il le réalisa pleinement, Sam sentit ses jambes flageoler puis se raidir presque immédiatement, et hors d'haleine, l'air recommençant à peine à avoir droit de cité dans ses poumons, il cracha, livide :
- D...Dean...?! Que... C'est toi ?!
Interloqué par le ton épouvanté du puîné, l'aîné de la fratrie, appuyé sur les coudes et couvert jusqu'à la taille par la couverture, braqua sur lui un regard décontenancé. Il le vit collé à la paroi, l'air affolé, et sans en comprendre la raison il lança :
- Bien sûr, que c'est moi, qui tu veux que ce soit ? Qu'est-ce qui t'arrive, c'est toi qui a crié comme ça ? T'as rêvé d'un clown ?
Sam se sentit prêt à hurler de plus belle. Fou de rage envers Dean de lui avoir causé pareille frayeur, il le regarda se frotter les yeux comme si c'était là le premier de ses soucis et, sortant de ses gonds, il vitupéra sans retenue :
- Me... Me refais jamais un coup pareil, putain ! Qu'est-ce qui t'as pris ?! Je... J'ai cru que c'était encore lui !
Dean resta interdit par la virulence de Sam qui, soudain, se courba en avant dans un profond soupir, mains sur les genoux, bras tendus. Son frère demeura sans mot ni geste, dérouté, jusqu'au moment où il comprit.
- Oh... Je... Désolé, balbutia-t-il alors, je...
Il les revit tous deux, Pothos et Sam, collés presque nus contre ce même mur dont le jeune homme ne s'éloignait pas. Et en constatant, navré, que sa démarche avait eu l'effet exactement contraire à celui qu'il avait espéré, il se leva lentement.
- Sam... J'suis désolé, répéta-t-il. Je voulais pas... J'arrivais pas à m'endormir, et... j'avais pas envie d'être tout seul, alors... Tu dormais, quand je suis arrivé, et... Pardon, c'était une connerie, j'aurais pas dû venir. J'ai pas réfléchi.
Sorti du lit, juste vêtu d'un boxer noir en plus de son t-shirt, il fit quelques pas penauds en direction du peignoir qu'il avait laissé sur la chaise près de l'entrée. Il le ramassa puis commença à l'enfiler, sous le regard de Sam qui releva les yeux. Si chaque seconde passée rapprocha Dean du moment où il quitterait les lieux, elle apaisa aussi graduellement Sam qui, son effroi s'étiolant comme une goutte de sang diluée dans l'eau, reprit peu à peu le contrôle de ses émotions. Assez rapidement, il s'en voulut d'avoir si violemment réagi, et bien qu'encore hérissé par cette frayeur que son frère, rhabillé, lui avait causée, il réalisa que son emportement n'avait pas eu lieu d'être.
- Attends, prononça-t-il alors d'une voix rauque et râpeuse en reprenant son souffle. Pas la peine de t'en aller, je... Tu m'as juste fichu une peur bleue ; c'est bon.
Il soupira bruyamment, inspira ensuite profondément, et l'air hagard il retourna jusqu'à son lit pour s'asseoir sur le bord, dos tourné à Dean qui le regarda faire sans ciller. Une vingtaine de secondes s'écoula sans que ni l'un ni l'autre ne bougeât, et tandis qu'il observa son cadet, dont les bras étaient noués et le maillot humide, l'aîné des deux hommes eut l'impression de le voir trembler.
- Sammy... ça va ? s'enquit-il avec inquiétude, sans oser bouger. Je voulais pas te flanquer la frousse ; si j'avais su...
En tournant à peine la tête vers lui, juste l'espace d'un instant, Sam le dédouana immédiatement.
- C'est bon, t'en fais pas. C'est moi, qui ai sauté au plafond pour rien, je... Je m'attendais pas à te trouver là, c'est tout...
C'était loin d'être « tout », au contraire, et Dean pensa même que sa présence fugitive n'était qu'un détail. En prenant conscience de ce que son frère avait manifestement ressenti quand Pothos s'était invité dans son lit, et qu'il avait indéniablement négligé, il le vit se recoucher lentement puis rester allongé sur le dos, une main crispée sur les couvertures qu'il avait remontées jusqu'à l'estomac, et l'autre sur le front pour repousser ses cheveux en arrière.
- Je te laisse dormir, si t'y arrives, déplora Dean en fustigeant sa propre conduite. Encore navré, je...
Les bras ballants, honteux de son inconséquence, il ne sut comment finir sa phrase et se contenta de se tourner vers la porte, prêt à la franchir. Sam le retint.
- Tu peux rester, si tu veux. Je sais que c'est toi, maintenant, y'a pas de problème...
Dean s'immobilisa, l'interrogea du regard puis, quelques secondes après, demanda :
- T'es sûr ? Je t'ai déjà fichu la nuit en l'air, j'ai l'impression...
- Justement, tu peux pas faire pire, tança-t-il en ébauchant un sourire.
Dean lui sourit timidement en retour et hocha légèrement la tête, les mains dans les poches de son peignoir qu'il n'avait pas noué. Sam, bientôt, bailla mollement tandis qu'il parut retrouver peu à peu un semblant de sérénité, et en se laissant glisser un peu plus au fond de son lit il interpella son frère en ces termes :
- Qu'est-ce que tu fais ? Tu viens te coucher ?
Pris au dépourvu par le ton calme et banal de cette invitation pourtant insolite qui sembla tomber de nulle part, Dean eut un regard mâtiné d'hésitation et de perplexité. Il resta là à sembler chercher ses mots, mais Sam, qui lui avait tendu la perche, choisit vite de l'abandonner à ses réflexions. Sa vertigineuse poussée d'adrénaline désormais en net infléchissement, le cadet des Winchester se plaça sur le flanc droit, tournant à nouveau le dos à Dean qui, le voyant visiblement prêt à essayer de se rendormir, lança d'un jet :
- Dans ton lit ?
Sam, la joue sur son bras plié, leva et tourna la tête vers lui le temps d'opposer d'un air d'évidence :
- C'est ici que tu étais y'a pas cinq minutes, non ?
Dean put difficilement prétendre le contraire mais malgré cela, il parut hésiter et trouver la proposition presque indécente. Nonobstant, et bien qu'il le gardât pour lui, il s'était senti tellement bien, lové contre son frère avant son réveil brutal, qu'il eut du mal à refuser.
D'autant que la voix et l'attitude de ce dernier, clairement sur la voie de l'apaisement, l'y incitèrent fortement.

Sam ne se retourna qu'au moment où il vit Dean finalement choisi de revenir vers lui. Il reposa la tête sur l'oreiller en donnant l'air de ne plus se préoccuper de ce que faisait son aîné, bien qu'en réalité, il surveillât attentivement, de l'oreille, chacun de ses gestes, plus qu'heureux de voir confirmer son intuition selon laquelle son propre désir de retrouver cette singulière complicité avec son frère semblait faire écho chez celui-ci. Bientôt, il sentit le matelas s'affaisser du côté opposé au sien, quand Dean s'assit au bord du lit, puis retrouver presque aussitôt son horizontalité alors que l'aîné des Winchester se remit debout. En le voyant poser son peignoir au pied du lit, Sam, qui crut d'abord qu'il venait de changer d'avis, comprit qu'il ne s'était relevé que pour se défaire de sa robe de chambre avant de le rejoindre et, en effet, Dean se glissa alors sous les draps, s'étendant près de son cadet mais avec précaution, sans le toucher. Celui-ci, le dos tourné, dans l'expectative, se demanda quand Dean oserait l'enlacer de nouveau comme il l'avait fait tout à l'heure, avant son réveil, mais n'osa pas verbaliser sa question. Dean restait simplement couché sur le flanc, derrière Sam, dans la même position que lui, fixant avec un brin d'anxiété l'arrière de son crâne et l'arrondi de son épaule, et son immobilité traduisait de toute évidence le doute de ce qu'il convenait de faire à présent.
- Sam...
La voix de Dean fut comme un ronronnement, dont Sam capta le souffle infime dans les cheveux sur son cou. Sensation qui l'avait pétrifié quelques instants plus tôt, et qui le réchauffait merveilleusement à présent.
- Hum ? fit-il pour seule réponse.
Le plus jeune des deux hommes avait pris soin d'employer un ton doux et ouvert, afin de ne surtout pas décourager son frère d'exprimer ce qu'il ressentait, qu'il préférât le faire par le verbe ou par le geste. Sam voulait retisser le lien fusionnel qui les unissait, tirer un trait définitif sur leur querelle, et s'il avait invité Dean à revenir dans son lit c'était autant pour faire amende honorable de cette douloureuse expérience que pour lui être agréable, tant son sommeil à ses côtés, ici-même, avait semblé paisible.
Dean, alors, demanda timidement :
- Il a vraiment passé la nuit dans ton plumard ?
Sam, qui avait commencé à reculer tout doucement pour se rapprocher physiquement de son frère, se crispa un instant. Il n'avait pas anticipé la question, et évoquer cet instant des plus perturbants avec Pothos, était bien la dernière chose dont il avait envie.
- J'ai cru que c'était toi, livra-t-il néanmoins d'une voix pesante. Au moment où je me suis réveillé, j'ai pensé que... Que tu étais venu faire la paix.
Ce fut au tour de Dean de se figer. Même sans le voir, Sam perçut son étonnement et, n'y tenant plus, il alla chercher dans son dos le bras de son aîné pour le ramener par-dessus son flanc et unir leurs mains sur son cœur. Il puisa dans ce lien entre leurs doigts mêlés un véritable réconfort ; fermant les yeux, il fit sienne la chaleur de Dean, la texture de sa peau, reconnaissant cette fois bel et bien son frère, et personne d'autre, dans l'individu présent à ses côtés. En réaction, le premier-né fit légèrement crisser les draps quand de son torse, il vint épouser le dos du second qui en frissonna d'aise. Et, désireux de montrer à son frère combien cette proximité retrouvée lui fut agréable, Sam tendit doucement ses épaules dans le seul but de maximiser le contact entre leurs deux corps.
- T'as dû en faire, une tête, lâcha Dean avec une pointe d'ironie, faute de trouver mieux.
Son ton vaguement cocasse trahit tout ce qu'il aurait pu cacher aux yeux d'un autre que Sam, qui sut parfaitement lire entre les lignes. Et, en frissonnant de nouveau au moment où le nez de Dean caressa tendrement la base de son cou, il ressentit toute la froide colère que ce dernier continuait de nourrir envers les Érotes, mais aussi son empathie. Furieux contre Pothos, mais surtout envers lui-même de n'avoir pu protéger Sam - et à son sens, avant tout à cause de sa décision de se dresser contre lui - Dean entoura délicatement le torse de son frère pour l'étreindre avec amour. Le bout du nez contre la peau de Sam, il respira lentement son odeur, comme un parfum balsamique, puis, de ses lèvres ourlées sur sa nuque, il déposa un baiser tendre et aimant, volontaire et assumé, destiné à prouver qu'il était là à nouveau, corps et âme.
- La tête que j'ai faite... tu l'as vue y'a deux minutes, argua Sam en s'évertuant à ne pas se laisser submerger par le trouble que la douceur retrouvée de Dean réveillait chez lui. La tienne était pas mal non plus, d'ailleurs, quand t'as déboulé...
Il regretta vite sa boutade, d'abord parce qu'il n'avait guère envie d'évoquer l'incident au-delà du nécessaire, surtout sur le ton de la plaisanterie, ensuite de crainte de raviver plus que de raison des souvenirs désagréables. Mais bien lui en avait pris sans doute, car Dean sembla incité à poursuivre sur la voie de la dédramatisation plutôt que de la récrimination.
- Pfff, pesta-t-il en posant sa joue sur le trapèze épais de Sam. Quand je vous ai vus à poil l'un sur l'autre, j'ai cru que j'allais faire une attaque.
- J'étais pas à poil, corrigea aussitôt l'intéressé, rasséréné par le ton contenu de son aîné.
- Y'avait pas loin, soutint ce dernier sans s'enflammer. Encore deux minutes et il te retirait ton calbut, tel que c'était parti.
C'était bien la crainte que Sam avait eue, à un certain moment. Mais le pire avait été de se sentir dénué de la force, voire de l'envie, de l'en empêcher.
- Il m'a pris par surprise, avança-t-il alors d'un ton accablé, cherchant encore à rationaliser son apathie. Apparemment, ça lui suffisait pas que je lui aie sauvé les fesses, il lui en fallait plus... J'étais tellement loin d'imaginer que je le trouverais allongé à côté de moi, que quand j'ai compris ce qui se passait j'étais KO debout... J'ai pas su réagir.
- Hé, c'est pas ta faute, lui opposa son frère avec bienveillance.
Dean frotta doucement le menton contre sa nuque tout en le serrant un peu plus fort dans ses bras, puis ajouta :
- C'est lui, pas toi. On n'est rien pour ces trucs-là, à part des outils qu'ils utilisent et jettent à la poubelle. Ils se foutent des conséquences de ce qu'ils font, ils l'ont bien montré...
Sam resta muet, préférant jouir de la sensation sur son cou du contact râpeux des poils courts de la mâchoire de Dean. La vérité était qu'après s'être frotté à Pothos, dans tous les sens du terme, le plus jeune des Winchester n'était plus sûr d'avoir un jugement aussi tranché à son endroit. Il aurait souhaité continuer de le blâmer sans réserve, au-delà de l'avanie qu'il lui avait infligée, pour tout le mal que ses frères et lui avaient causé. Mais le regard qu'il portait sur Costume Brun avait changé, qu'il le voulût ou non. Et Sam ne pensait même pas pouvoir en rejeter toute la faute sur ce lien plus étroit entre lui et l'Érote dont ce dernier lui avait affirmé l'existence.
- Toute façon il allait pas tarder à voir à qui il avait affaire, reprit Dean pour réconforter son cadet qu'il regrettait d'avoir replongé dans ce souvenir. T'allais pas te laisser faire.
- T'es vraiment sûr ? réagit alors Sam sur un ton presque sentencieux. T'as quand même sérieusement pensé que j'avais baisé avec lui, je sais que c'est en partie pour ça que t'as joué le tout pour le tout pour les chasser d'ici...
Le mutisme passa de l'autre côté du lit et, même s'il fut un moment déstabilisé par la franchise de son frère, Dean tenta d'expliciter sa réaction d'alors en nuançant :
- C'est pas... Non, je dirais pas que je l'ai pensé sérieusement, mais... reconnais que les apparences ne jouaient pas trop en ta faveur.
- T'as été jaloux ? questionna Sam du tac-au-tac.
Dean fut interloqué, Sam le sentit à la raideur qui crispa un instant les bras autour de lui. Il ne sut pas vraiment lui-même pourquoi il avait soudain eu besoin de poser une telle question, mais son frère accepta d'y répondre, comme il put, estimant ainsi faire la preuve de son souhait sincère de passer outre cette histoire.
- J'sais pas, avança bientôt Dean d'une voix confuse. Tu fais ce que tu veux de ton cul, je te l'ai dit, mais... Je dois bien avouer que ça m'a fait bizarre, de me dire que, peut-être...
Dean ne termina pas sa phrase et Sam ne le lui demanda pas. Il n'en avait guère besoin. De surcroît, la notion de jalousie étant pour lui indissociable du sentiment amoureux, le cadet de la fratrie exclut que le sujet pût avoir quelque fondement puisque ce n'était pas ainsi qu'il caractérisait leur relation. Il resta silencieux, mais resserra l'étreinte de ses doigts autour de ceux de Dean.
- Je sais pas pourquoi j'ai pensé ça, reprit ce dernier sur un ton d'excuse. Désolé d'avoir tourné les talons en te laissant seul avec lui, et... de pas être arrivé plus tôt. J'aurais dû les surveiller de plus près. Même si je sais que t'étais cap de te tirer de ce pétrin tout seul.
Il tendit les lèvres pour atteindre le menton de Sam au coin duquel il déposa un baiser. Puis il replaça la joue dans le creux de son cou et l'enlaça fort. Sam, qui sentit la main libre de son frère se faufiler sous son maillot pour se poser sur son ventre, eut l'impression de planer et la sensation très vive d'une brusque raideur entre ses cuisses.
- Ils sont partis, on est tranquilles, lui chuchota Dean comme pour essayer de se convaincre lui-même. N'y pense plus.

Que cette recommandation vînt de lui, qui nourrissait une obsession pour les Érotes depuis le premier jour, faillit faire sourire Sam. Pourtant, à la manière dont celui-ci sentit son frère se détendre contre lui, il songea - et espéra - que peut-être, cela n'était pas seulement qu'un vœu pieux. Il aurait souhaité cesser d'y penser. Oublier ce qu'il avait détesté ressentir devant Pothos et, pendant un long moment, calant sa respiration sur le souffle régulier de Dean, il s'efforça d'y parvenir. Dean, qui ne fit pas montre de plus d'allant à son endroit. L'aîné des Winchester se contenta des baisers dont il avait couvert son cadet et de l'étreinte qu'il faisait durer, mais ne parut pas vouloir - ou oser - aller plus loin. Cela aussi, le puîné l'aurait voulu. L'extrême proximité avec son frère, en l'instant, faisait autant de bien à Sam qu'elle l'aiguillonnait, titillant cruellement ses sens, et l'espoir que la main de Dean sur son ventre dénudé aurait l'audace de descendre juste un peu, le tint un long moment en haleine. Les choses ne se déroulèrent pas ainsi, et face à la vertueuse réserve de Dean, qu'il aurait pu croire endormi, Sam finit par se demander s'il n'avait pas surestimé la réciprocité des élans qui étaient revenus échauffer son sang.
- Dean.., murmura-t-il bientôt avec anxiété.
Le son, qu'en réaction, émit le premier-né, prouva qu'il était toujours éveillé. Sam se laissa une seconde pour décider s'il voulait confier ce qui lui piquait la langue.
- Ne pense pas... que ce que tu as fait ne compte pas, prononça-t-il alors en sentant son cœur accélérer la cadence. Je ne suis pas sûr que je m'en serais sorti si facilement, si tu n'étais pas arrivé à ce moment-là.
L'admettre lui coûta, mais il voulait être complètement sincère avec Dean. Jusqu'à la transparence. Ce dernier eut une expiration plus longue qui réchauffa la nuque de Sam, lequel rassembla tout son courage pour avouer du bout des lèvres :
- Je crois bien... que j'aurais pu commettre l'irréparable. Faire un truc que j'aurais passé le reste de ma vie à regretter. Je crois... Je crois que se rapprocher autant de moi l'a vraiment aidé à guérir plus vite, mais... Il n'y avait pas que ça. Il dit... que le lien qu'on a avec eux, depuis qu'il nous a Touchés, s'est renforcé entre lui et moi quand je l'ai aidé, et... que c'est la cause de cette espèce d'attirance... Rien à voir avec la nôtre, mais... J'arrête pas de me dire que si t'étais pas arrivé, j'aurais peut-être pas eu la force de le repousser.
Ses pensées s'étaient entrechoquées plus vite que sa capacité à les verbaliser, et il doutait que Dean ait pu clairement saisir ce qu'il avait tenté d'exprimer. Il attendit pourtant une réponse. Une réaction. Mais son frère demeura tant immobile contre lui que muet sur son épaule, et Sam finit par héler doucement en tournant légèrement la tête :
- Dean...?
Seul répondit le bruit lent et régulier de sa respiration.

Et, pris entre soulagement et déception, Sam, réalisant que Dean, endormi, n'avait guère pu l'entendre, ferma les yeux à son tour en serrant sa main, la gorge nouée.